Documents relatifs à l’extension des limites de Paris/Délibération du conseil municipal

Documents relatifs à l’extension des limites de Paris, Texte établi par Préfecture de la Seine, Charles de Mourgues frères (p. 53-57).


DÉLIBÉRATION DU CONSEIL MUNICIPAL.


Extrait du Registre des Procès-Verbaux des Séances du Conseil Municipal de la Ville de Paris.

Séance du 11 Mars 1859.

Présents : MM. Ferdinand Barrot, Bayvet, Billaud, comte de Breteuil, Chaix-d’Est-Ange, Cochin, Cornudet, Eugène Delacroix, Denière, Didot, Dubarle, Dumas, Dutilleul, Eck, Fère, Flourens, Fouché-Lepelletier, Victor Foucher, Eugène Lamy, Legendre, Lemoine, Monnin-Japy, Ernest Moreau, Oudot, Pécourt, Pelouze, Périer, Ségalas, Édouard Thayer, Germain Thibault et Varin.

Le Conseil,

Vu le décret impérial du 9 février 1859, concernant le projet d’extension des limites de Paris jusqu’à l’enceinte fortifiée, ensemble le rapport de S. Ex. M. le Ministre de l’intérieur ;

Vu l’arrêté pris en exécution de ce décret, à la date du 5 de ce mois, et par lequel M. le Sénateur, Préfet de la Seine, a convoqué le Conseil municipal en session extraordinaire, à l’effet de délibérer sur le projet dont il s’agit ;

Vu les procès-verbaux des enquêtes qui ont eu lieu dans les douze mairies de Paris du 13 au 27 février dernier, lesquelles enquêtes présentent les résultats suivants ;

1o Les maires et les commissaires-enquêteurs expriment unanimement une opinion favorable à la mesure ;

Plusieurs adhésions privées sont jointes aux enquêtes (1e 2e, 5e arrondissements) ;

2o Cinq oppositions seulement ont été énoncées (1er, 2e, 4e, 8e, 12e arrondissements) ;

3o Des réclamations ont été faites : par un petit nombre d’industriels de Paris qui redoutent la concurrence de leurs confrères de la banlieue pendant la durée de l’exemption d’octroi[1] ; par d’autres industriels ou diverses compagnies qui signalent le préjudice auquel la mesure les expose, et demandent des immunités spéciales[2] ; par plusieurs personnes qui sollicitent l’extension ou la prolongation des privilèges provisoires accordés par le projet de décret aux usines situées dans le territoire à réunir, ou bien suggèrent diverses mesures à adopter, à la suite de l’annexion ;

4o Les administrations municipales des 3e, 8e, 10e, 11e et 12e arrondissements, et plusieurs habitants des mêmes arrondissements, demandent diverses modifications aux délimitations indiquées par le plan B joint à l’enquête ;

Vu le mémoire en date du 7 de ce mois, par lequel M. la Sénateur Préfet de la Seine, après avoir développé les motifs et les conséquences de la mesure, et discuté les dires produits aux enquêtes, conclut à l’adoption du projet ;

Vu les plans à l’appui ;

Considérant que le Conseil municipal, réuni en session extraordinaire, ne doit donner son avis qu’au point de vue des intérêts de la Ville de Paris, et qu’il est réservé à la Commission départementale de s’expliquer plus spécialement sur l’ensemble et les détails de l’annexion ; que, sous ce rapport, le Conseil doit néanmoins examiner l’opportunité de la mesure, son mode d’exécution, ses résultats ;

Considérant que la mesure de l’annexion avait été prévue, depuis le jour où le système des fortifications venait créer autour de l’ancien mur d’octroi une nouvelle enceinte continue ; que la formation de cette zone intérieure, soumise à un autre régime que celui de la capitale elle-même, a été considérée dès lors comme une mesure transitoire et temporaire ;

Considérant que si, jusqu’à ce jour, dans le désir de ménager les intérêts privés, la réalisation de cette mesure a été ajournée, il faut reconnaître qu’il est urgent de ne pas prolonger cet état de choses, en laissant ainsi se créer chaque jour des intérêts et des prétentions qui rendraient de plus en plus difficile l’annexion de cette zone et son assimilation sous une administration unique et homogène ;

Qu’ainsi, la mesure proposée est utile et opportune ;

Considérant, quant à son mode d’exécution, que de sages tempéraments adouciront ce qu’une exécution trop brusque eût pu apporter de trouble dans les industries établies, et prépareront ainsi la transition entre le régime actuel et celui de l’annexion ;

Considérant, quant aux résultats de l’annexion, en ce qui concerne plus directement les intérêts de la Ville de Paris, que si la capitale doit voir ainsi agrandir son territoire et augmenter son importance par une haute mesure de bonne administration et d’utilité publique, il est néanmoins impossible de se dissimuler qu’elle verra en même temps accroître ses charges dans une proportion plus considérable encore ;

Qu’en effet, les améliorations de toute nature qu’entraînent les habitudes et les besoins d’une grande capitale, devront être peu à peu introduites dans cette zone nouvelle, et que les calculs présentés sur ce point dans le mémoire de M. le Préfet, et qui tendent à équilibrer les résultats financiers de la mesure, sont loin cependant, malgré le soin consciencieux avec lequel ils ont été étudiés, de présenter une certitude absolue sur les résultats de l’annexion ;

Considérant que les charges extraordinaires de toute nature qu’elle doit entraîner, et tout d’abord le déplacement de l’octroi, ainsi que les travaux qui en sont la conséquence, apporteront au budget de la Ville une charge considérable et immédiate que les produits éventuels de l’opération sont loin de compenser ;

Mais considérant qu’elles auront pour résultat non-seulement de placer ces populations sous une administration homogène, mais encore, en améliorant leur situation matérielle et en leur assurant, dans une plus large proportion, les bienfaits de l’assistance publique, d’élever en même temps leur situation morale, sous le rapport de la religion et de l’instruction primaire ;

Considérant, d’ailleurs, que l’heureux système sur lequel reposent les finances de la Ville et l’assiette de ses revenus, lui a permis jusqu’ici de seconder les vues de l’Empereur, et, en suivant sa haute impulsion, d’apporter chaque jour, dans l’administration de cette grande capitale, sans aucun trouble pour ses nuances, les améliorations et les progrès qui en ont changé l’aspect ;

Considérant qu’avec les facilités qu’elle est certaine de trouver près du Gouvernement pour assurer la sécurité de la cité ainsi agrandie, l’Administration municipale a la conviction qu’elle saura pourvoir à toutes les nécessités de l’annexion ;

Considérant, en ce qui concerne la zone des servitudes défensives nécessaires à l’isolement de l’enceinte continue, qu’il est impossible de l’affranchir à la fois du régime de l’octroi de Paris et du régime des octrois extérieurs, en lui créant ainsi une situation exceptionnelle ;

Considérant que le régime de l’octroi de Paris peut être appliqué à ce territoire au moyen d’un service spécial ;

Considérant, en ce qui touche les inconvénients qui pourraient résulter, au point de vue de la ville ainsi agrandie, de la formation d’une nouvelle banlieue à proximité de l’enceinte continue, que le Conseil municipal s’en remet, avec la plus entière confiance, à la sollicitude du Gouvernement impérial, afin que l’exécution de la mesure soit entourée des précautions nécessaires pour sauvegarder les intérêts collectifs de la cité et les intérêts industriels de la population annexée, tout en venant ajouter encore à l’efficacité du systême des fortifications qui entourent Paris et assurent la défense de la capitale en même temps que la sécurité du pays ;

Considérant, quant à la demande faite par les compagnies de chemins de fer, qu’il sera possible de donner satisfaction, mais bien entendu à la condition de restreindre la faculté d’entrepôt aux gares de marchandises ;

Quant aux autres observations de détail consignées dans les enquêtes ci-dessus visées ;

Considérant que les oppositions sont suffisamment réfutées par le mémoire de M. le Préfet de la Seine et par les motifs de la présente délibération ;

Considérant que les réclamations d’intérêt particulier, déjà soigneusement appréciées dans le mémoire, feront, s’il a lieu, l’objet de l’examen ultérieur de l’administration, ou bien trouveront une place plus naturelle au moment de la délibération sur l’enquête ouverte dans la banlieue ;

Quant aux demandes de changement de délimitations :

Considérant que le changement proposé pour le 3e arrondissement consiste à prendre pour limite, au lieu de la rue Neuve-des-Petits-Champs prolongée, la rue de la Vrilliere, la rue Coquillière et la rue de Rambuteau ; que ce changement aurait l’inconvénient de diminuer de 14,504 habitants la population du 1er arrondissement qui, étant occupé en partie par le palais des Tuileries, le Louvre, le Palais-Royal et les Halles, n’est pas de nature à s’accroître, et de porter à 108,588 celle du 3e arrondissement ; que des lors il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande ;

Considérant que la modification proposée par le 8e consiste à le séparer du 9e par la rue du Faubourg-Saint-Antoine dans toute sa longueur, au lieu de la rue de Montreuil jusqu’à la barrière de Vincennes, et à transporter ainsi d’une circonscription dans l’autre 3,494 habitants ; que cette modification peut être accueillie à condition d’adjoindre au 17e arrondissement, pour conserver la régularité géométrique des subdivisions, la partie du 9e arrondissement qui s’étend jusqu’à la route impériale no  34 ;

Considérant que la population du 17e arrondissement, évaluée à 44,727 habitants seulement, peut être augmentée avec avantage ;

Que dès lors ces deux modifications sont de nature à être acceptées ;

Considérant que la réclamation du 10e arrondissement, qui demande qu’on lui laisse le quartier de la Monnaie et qu’on reporte sa limite de la rue de Sèvres à la rue du Cherche-Midi, ne saurait être accueillie, parce que cet arrondissement occupera une superficie de 4,240,000 mètres, contenant de nombreux terrains à bâtir et déjà de beaucoup supérieure à la moyenne de la superficie des autres arrondissements ;

Considérant que la demande du 12e arrondissement, consistant à être séparé du 11e par le boulevard de Sébastopol et non par la rue Saint-Jacques, mérite d’être prise en considération ; qu’il importe, en effet, d’adjoindre à cet arrondissement, occupé par de nombreux établissements publics et beaucoup de familles nécessiteuses, une population plus riche ; que le quartier de l’Observatoire, qui en serait distrait, fournit la majorité des administrateurs, des jurés, des scrutateurs, des notables, et la plus grande partie des ressources charitables ; que le 11e arrondissement conservera 93,079 habitants et un territoire comprenant de nombreux terrains à bâtir ;

Est d’avis :

Qu’il y a lieu :

D’adopter la mesure de l’annexion ;

D’approuver le mode de division de la ville de Paris en vingt arrondissements, sauf les modifications proposées en ce qui touche la circonscription des 8e et 12e arrondissements ;

D’adopter les mesures provisoires proposées dans le mémoire de M. le Préfet ;

D’approuver l’évaluation présumée des dépenses à la somme de 12,360,000 fr. ;

Et de soumettre ta zone extérieure des servitudes défensives au régime de l’octroi de Paris.


Signé au registre : DUMAS, Président.
G. THIBAUT, Secrétaire.

  1. Distillateurs (6eet 8e arrondissements). — Potiers de terre (8e arrondissement).
  2. Compagnie des Omnibus (1er arrondissement). — Compagnie parisienne du Gaz (2e arrondissement). — Chemin de fer de l’Est, Chemin de Ceinture (1er arrondissement). — Fabricants de couleurs et vernis (7e arrondissement). — Gourmets piqueurs de vie (12e arrondissement). — Greffiers de justice de paix (3e, 2e, 8e, 12e arrondissements).