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V

Lettre de Pierre Gruel, président à mortier au parlement de Grenoble au roi Louis XI, sur la révolte de l’évêque Jean de Bourbon et du vicomte de Polignac.


14 septembre 1465.

Sire, je me recomande très humblement à vostre bonne grace, tant que faire le puis. Et vous plaise scavoir que, incontinent que fu venu au Daulphiné, vous envoiay Chaffroy, nepveu de vostre feu confesseur, lequel m’aviès mandé à Romme et avoit veu ce que j’avoie fait, et lui baillay ung varlet pour doubte des passages. Portoit tout ce que j’avoie besoigné bien sur tout, excepté la matière d’Avignon, et portoit aussi les lectres, que le Pape et le cardinal de Rouen[1] vous escripvoient, avec des Agnus Dei que le Pape vous envoioit et à la reyne. Ne scay s’il est encores arrivé par devers vous.

Sire, je suis venu à Vienne pour aider à conduire le filz du duc de Millan[2], lequel a passé le Rosne par délibéracion faitte et est alé èsplaces de Maleval, Virieu et autres de monseigneur de Bourbon, qui sont devant Rossillon sur le rivage du Rosne, pource car les trèves que le bailly de Lyon[3] avoit prinses avecques le païs de Beaujoulois durent encores, et déjà sont prinsses deux places, c’est assavoir ledit Virieu, qui est très forte place, et Chavenay, en quoy j’ay esté. Les autres d’environ seront tost prinses après estre arrivée l’artillerie de Lyon, puis iront besoigner à Charlieu et es environs, out avés ordonné qu’ilz soient. Et pendent la trêve pourront courir jusques auprès du Puy et remettre en vostre obéissance plusieurs places de Velaic, qui se sont retornées Bourbonnoises par le moien de l’évesque du Puy[4], du viconte de Pollignac[5] et de plusieurs autres seigneurs que l’on dit estre de celle part, et qui desjà vouloient entrer en Languedoc, qui ne les destorneroit ; qui pourroit estre grand dommage et assoupement de voz deniers. Ses huyt ou dix jours ilz seront bien festiés, et depuis la trève rompue, iront là out avés ordonné.

Sire, ce païs de Dauphiné est esmeu pour le retornement qu’ont fait ses seigneurs de Velaic et aussi pource que tout le païs de Provence est en armes. Et l’on en doubte, pour ce qu’ilz ont monseigneur de Calabre[6] comme leur Dieu ; combien que avons nouvelles que l’armée du roy Ferrande[7] par mer a couru la costière de Provence. Les places des montaignes de ce païs ne sont point fournies d’artillerie ne de vivres ; ce seroit expédient de fournir Briançon, Serre et Exilles, aussi pour tenir seur le passage de Romme, car ce sont les clefz des montaignes et des passages. S’il est de vostre bon plaisir de me bailler la garde de Serre, je le feray fournir d’artillerie, vivres et gens, car il n’y a rien. Je ne le dy pas pour avoir la revenue, car ne vouldroie rien avoir d’Arnault de Salines, ne d’autre vostre serviteur, aine le veulx faire du mien pour tenir seurre la place et le pays, car ay delibéré d’amploier tout ce que j’ay en ce que verray estre à faire. Pleust à Dieu, sire, qu’il fust de vostre bonne grace vous servir de moy auprès de vostre personne, car n’avés homme de mon estat qui ait plus grant désir de vous loiaument servir, et encores me sans de ma personne pour le povoir faire.

Sire, je suis venu en ceste ville de Lyon avec maistre Jehan de Ventes[8] pour scavoir le fait de maistre Jaques de Canlais[9], et veu sa response faite ès mains du courrier, me semble que ledit Canlais estoit double et vouloit astre bien de toutes partz. Pour la souspeçon ledit de Canlais sera mené en la tour de Saincte-Columbe à Vienne, et la sera seue la vérité au long, et depuis se fera justice à Lyon selon le cas, ainsi que commandés. Aussi suis venu icy pour avoir des harnois, combien que j’en aie fait apporter de Millan, pour ce que j’ay plus de gens ; car je suis pour emploier tout quant que j’ay et ma personne et engager l’arme pour vous servir, et prie à Dieu que par sa grace vous doint bonne vie et longue et bonne puissance de résister à la voulenté de voz ennemis, et les punir selon justice, et accomplissement de voz très haulx et très nobles désirs.

Escript à Lyon, le XIIII jour de septembre. Le vostre très humble et très obéissant subget et serviteur, Pierre Gruel.

Au dos : Au roy, mon souverain seigneur. — Et d’une autre main : Me Pierre Gruel, du XIIII de septembre MCCCCLXV.

(Fonds Dupuy. — Bib. nat., t. 596, fol. 3.)




  1. Guillaume d’Estouteville, archevêque de Rouen et cardinal, en résidence à Rome, où il passa la plus grande partie de sa vie.
  2. Galéas-Marie Sforce, fils aîné du duc de Milan. Son père l’avait envoyé au secours de Louis XI avec une compagnie de gens d’armes italiens, qui tinrent en respect les pays riverains du Rhône et de la Saône.
  3. François Boyer.
  4. Jean de Bourbon, bâtard de Jean Ier, duc de Bourbonnais, était engagé par des alliances de famille dans le parti des seigneurs.
  5. Guillaume Armand II, vicomte de Polignac. Il fut assiégé peu de temps après dans son château, fait prisonnier et la forteresse fut confisquée par ordre de Louis XI.
  6. Jean d’Anjou, fils du roi René, duc de Calabre et de Lorraine.
  7. Ferdinand Ier, roi de Naples et de Sicile.
  8. Jean de Ventes, conseiller du roi, fréquemment employé à ses affaires.
  9. Jacques de Canlers, secrétaire du roi, contrôleur de son argenterie et soupçonné d’avoir correspondu avec ses ennemis. C’est Jean de Ventes qui le fit arrêter et instruisit son procès, ainsi que le prouve une lettre dudit de Ventes (Fonds Gaignières, Bibl. nat., vol. 375, fol. 4.).