Librairie Henry du Parc (p. 16-34).
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II


Projet de journal pour les jeunes. — Les autographes de V. Hugo. — Adelphe Froger, la République des Lettres. — Le Sherry-Cobbler. — Quelques chansons. — Les Vivants.


Je fis la connaissance des poètes d’une façon bizarre. Précisément dans un des derniers numéros de la Renaissance, — ce fut le premier journal que je vis mourir ! Combien depuis !! — je lus la petite note suivante : « Les poètes qui voudraient s’entendre pour fonder une revue ou un journal, doivent s’adresser à M. M… T…, rue L…, vendredi à huit heures du soir. »

Je me rendis à cet appel.

Comme huit heures sonnaient dans la brume opaque d’un soir d’hiver, plus sombre encore aux Batignolles que partout ailleurs (on n’a jamais su pourquoi), je gravis d’un pas alerte les six étages qui séparaient du sol de la rue Legendre la demeure de l’homme bienfaisant, ayant consenti à créer un journal pour les jeunes.

Je m’attendais à voir là quelque vieux philanthrope, quelque saint Vincent de Paul, portant sur chaque bras un sonnet trouvé, et, suspendus aux pans de sa robe de chambre, une multitude d’alexandrins perdus et d’hémistiches orphelins. Je m’imaginais, dans ma naïveté de provincial, que, puisqu’on trouve de tout à Paris, on y devait rencontrer des pères adoptifs pour les œuvres géniales mais pauvres, qui encombrent les tiroirs, ces berceaux à forme de cercueils.

Telle était ma pensée, au premier étage, sur le palier.

Je poursuivis mon ascension. Mais, au fur et à mesure que j’approchais du but, je sentais naître, en moi, cette forme particulière de la terreur, qu’on appelle le trac, et me livrais à toute une mimique d’hésitation, avant que, prononçant mon alea jacta est ! sous la forme plus moderne de : Allons-y ! je fis tinter la sonnerie, qui, du coup, arrêta les palpitations inutiles.

Un salon très éclairé, orné d’une grande quantité de chaises. Personne. Ah ! si ! si ! dans un coin, à droite, un jeune homme blond, svelte, très imberbe, dissimulant mal un ennui profond ; vers un deuxième coin, un jeune homme brun, petit, qui ne disait rien non plus, mais suçait la pomme de sa canne. Moi, dès lors troisième, je m’assis dans un autre coin. Barbu, très noir, l’œil torve, la conscience un peu rassurée, j’attendis dans ce petit désert, où les lustres flamboyaient sur une caravane de chaises immobiles. Une table au milieu, avec un verre, une cuiller, du sucre, de l’eau, enfin tout ce qui fait présager un conférencier. Un quart d’heure se passa, puis une heure. Le grand blond grognait ; le petit brun, vif, quitta sa chaise, et, avisant le sofa, se coula dedans, croisa ses jambes longuement l’une sur l’autre, et se reprit à sucer sa canne d’un air somnolent. Moi, habitué dès l’enfance, par la destinée, aux événements les plus sordidement cruels, je demeurais impassible.

Je me disais in petto : Un peu de correction, mon ami ! le petit brun, c’est peut-être une de nos jeunes gloires, le blond est sans doute le fils de quelque célébrité, ne bougeons pas !

Les deux autres devaient se faire les mêmes réflexions. Heureusement tout a une fin ! Une porte s’ouvrit, et un monsieur d’une trentaine d’années, maigre, long, bien peigné, l’air comme il faut, se présenta :

— Je vous demande pardon de vous avoir fait attendre, Messieurs, dit-il en jetant un salut circulaire.

Notre hôte — car c’était lui ! — gagna le fauteuil, sis en face du verre d’eau sucrée ; il ne toussa point, mais, prenant un air capable, quoique bon enfant, il commença :

— J’ai là, Messieurs, neuf lettres de poètes qui s’excusent de ne pouvoir venir ce soir à la réunion : ce sont MM. de Banville, Leconte de Lisle, de Bornier, Duparc, Lalune, Tartempion, etc. Je ne vous lirai pas leurs missives ; mais je tiens, avant de vous expliquer ce que je compte entreprendre, à vous faire part du superbe autographe que notre illustre et adoré maître, Victor Hugo, m’a envoyé :

« L’heure est aux poètes. Votre entreprise est noble. Je suis avec vous     V. H. »

Le blond et le brun se mirent à rire ; je pensais que c’était sympathiquement, mais la suite devait me dévoiler le tréfond de leur pensée obscure.

M. T… continua :

— Nous ne sommes que trois…

— Quatre, interrompit le brun.

— Je ne me comptais pas, reprit M. T… modestement. Donc, il s’agit de fonder une revue hebdomadaire au meilleur profit des poètes, et ce sont les ouvriers de la première heure qui demeureront évidemment les mieux partagés. Mais, avant de vous dévoiler le plan merveilleux que j’ai conçu, afin de tirer la poésie du marasme, car elle est dans le marasme !…

— Ah ! oui, dit le blond svelte.

— Oui ! Il est nécessaire que nous fassions un peu connaissance.

— Ça, c’est juste, dit le brun petit.

On se présenta, comme on put, les uns aux autres : M. T…, M. Adelphe Froger, M. Edmond Nodaret, M. Émile Goudeau.

— Mais, ajouta notre hôte — et il torturait paisiblement du sucre dans de l’eau avec une cuiller, — mais, il faut nous présenter les uns aux autres comme poètes. Si donc vous avez apporté quelque chose : un sonnet, une ode, des triolets ?…

À cette invitation, le blond Adelphe tira de sa poche un manuscrit, et lut des vers très parnassiens : des images, des allitérations, des rimes riches, pour la forme ; pour le fond, un rassemblement de jolis nuages dans un tunnel. Nous applaudîmes. Le blond svelte, triomphant, exhiba aussitôt une lettre de Victor Hugo, qu’il avait gardée pour la bonne bouche. Le maître lui écrivait : « Toujours en avant, et vers la lumière ! — V. H. »

Ce fut au tour d’Edmond Nodaret, le petit brun. Il lut des vers quasi-classiques : de l’esprit, une forme lâchée, un prosaïsme drôle de chroniqueur débutant, qui sera très amusant plus tard. Quand il eut achevé, il prit dans son portefeuille une lettre que Victor Hugo lui avait adressée et nous en donna connaissance : « Ossa et Pélion ne sont rien, il faut gravir le Parnasse ; vous êtes en chemin. Continuez. — V. H. »

Ce fut à mon tour de prendre la parole. Je me sentais cruellement humilié, devant ces élus du Maître, de ne posséder aucune recommandation. Cela me fit de la peine ! Je me sentis abandonné, dégringolant dans le vide, sans aucune main tendue pour me soutenir.

Néanmoins, bravement impavide, je lus un sonnet néo-grec, où j’essayais de donner la sensation d’atavisme hellénique, si remarquable et si remarqué parmi les gens qui jouent au baccarat.

Je fus également applaudi ; mais — ô funeste sort ! — je n’avais pas d’autographe à montrer. Je rentrais immédiatement dans la catégorie des poètes amateurs, des gens qui ne tutoieront jamais les étoiles. J’aurais, peut-être, ce soir-là, dit adieu à tout jamais à une carrière où il faut afficher brevet sur sa porte, à la façon des médaillomanes de l’École des beaux-arts, si, par un hasard heureux, M. T…, notre hôte, n’eût jugé à propos de terminer cette petite séance, où, pour la première fois je voyais des poètes face à face, par l’exhibition d’une œuvre de lui. Cela était un poème dramatique destiné aux Folies-Marigny. Lointain souvenir ! Hélas ! Nous nous tordîmes. Le blond Adelphe Froger se roulait, le brun Nodaret gloussait, moi, torve toujours, mais dépourvu d’impassibilité, je pouffais. Quels vers ! Quelle littérature !

Je compris, en entendant ces choses innommables, que les brevets du maître des maîtres étaient une simple formule de bienveillance, et ne tiraient pas à conséquence. Cela me consola d’en être dépourvu.

Lorsque cette rhapsodie, dont la longueur dépassait les bornes permises, eut été enfin lue, le verre d’eau sucrée à moitié bu, la voix de l’orateur enrouée, le brun Nodaret s’écria :

— Eh bien ! et ce journal !

Alors, posément, avec une attitude de notaire correct, d’avoué irréprochable, M. T… récita un petit discours où il prouvait qu’avec de l’argent on soulevait le monde, d’abord ! Ensuite qu’il suffisait d’être dix littérateurs, jeunes sans doute, mais capables de donner cent francs par mois, pour faire vivre un journal poétique. Il demandait en forme de conclusion, puisque nous étions déjà quatre votants, qu’on le nommât, lui, rédacteur en chef, et nous permît d’aller, par la ville, chercher les six autres futurs actionnaires.

Cela se fait à Paris. M. T…, que je ne nomme point, a pu croire que c’était belle besogne. J’ai vu des gens réputés très respectables faire payer à des naïfs cinquante centimes et un franc par vers inséré. De cette constatation presque banale (tant on connaît d’agences semblables !) je tire deux conclusions : c’est que la poésie est tellement en honneur en ce pays-ci, que, pour conquérir le titre de barde, beaucoup de commandants en retraite, de percepteurs fatigués, de marchands de salade, ou de magistrats, avares sur leur nourriture ou celle de leurs proches, parfois criblés de dettes, n’hésitent pas à dépenser de l’argent, afin de se faire imprimer. Poésie et vanité ! C’est sur ce deuxième péché que tablent les entrepreneurs de petits journaux poétiques, rédigés par les abonnés, dit le prospectus ! où ces malheureux payent sérieusement la gloire d’alimenter la cuisine de deux ou trois sceptiques joyeux qui revendent au poids l’inévitable bouillon de leurs journaux. Pauvres gogos du rêve !

Heureusement, quoique fort naïf moi-même, je mis en garde contre l’industriel en question mes deux jeunes confrères.

Et lorsque ce fantastique M. T… eut fini, nous le quittâmes rapidement, lui, son drame, son sucre, son eau, sa cuiller, son journal et ses lustres éclairant son petit désert, qui, s’il était muni de chaises en guise de palmiers, manquait absolument de sources nombreuses et variées à l’usage des voyageurs perdus en ces parages assoiffants.

Tous les trois, — les trois poètes !! — nous descendîmes, et, dans le plus prochain café, nous allâmes disserter sur les destinées de la poésie moderne.

Edmond Nodaret était un chétif employé dans mon genre ; seulement il pointait dans les contributions directes. Adelphe Froger, mineur encore, devait, à sa majorité, toucher une assez belle somme : — ô joie ! — il la devait consacrer à la littérature… et jeter dans la poésie — ô gouffre — la sueur accumulée de ses pères.

C’était un jeune homme épris d’art ; ses vers, qui ne marquaient pas une extrême originalité, valaient autant, mieux que bien d’autres, et un bon juge en pareille matière, Catulle Mendès, ne tarda pas à le lui prouver en partageant avec Froger le titre de rédacteur en chef de la République des Lettres. On fonda — la Renaissance étant morte — une nouvelle revue, sérieuse celle-là et vraiment artistique dont le souvenir n’est point perdu ; car elle abrita l’Assommoir de Zola, exilé de partout alors. Néanmoins elle mourut aussi, après résistance, mais elle mourut.

La vie bohémienne des littérateurs jeunes est pleine de rires, de chansons, sous lesquelles s’entend le Dies iræ profond et le Nunc dimittis d’une foule de journaux mourants. L’histoire des poètes est un nécrologe de feuilles, et Millevoye avait bien raison :

De la dépouille de nos bois
L’automne avait jonché la terre.

Ou encore, le chansonnier disant :

Pauvres feuilles, valsez ! valsez ! (bis.)


Mais par Froger, devenu rédacteur en chef, je pus enfin voir de près, ainsi qu’il convient à un myope, et toucher du doigt les poètes, non plus dans la solennité du café Tabourey ou du café Voltaire ; mais dans une minuscule brasserie appelée le Sherry-Cobbler, qui mérite quelques lignes de souvenirs,

Ce Sherry-Cobbler, situé sur le boulevard Saint-Michel — le centre des affaires, ô poésie ! — entre le lycée Saint-Louis et la librairie Derenne, où s’éditait alors la République des Lettres, était présidé par une fort belle blonde, Joséphine, qui, après bien des avatars, a fini par aller fonder une brasserie au Texas. On était servi — servi est une façon de parler, vous verrez pourquoi — par de jeunes et jolies filles, dont plusieurs ont fait leur chemin. Mais ce qui, dès l’abord, distinguait le Sherry-Cobbler de n’importe quelle autre brasserie, c’est qu’il n’y eut jamais là de boisson s’appelant sherry-cobbler, ce breuvage américain y étant aussi profondément inconnu que l’homérique ambroisie ; nul des allants ou venants ne peut se vanter d’avoir, à l’aide d’un chalumeau, humecté son gosier de ce nectar spécial, qui servait pourtant d’enseigne au modeste établissement tenu par Joséphine.

Un soir, trois audacieux lycéens — cet âge est sans pitié — trois lycéens, la bouche armée de panatellas énormes, des cigares pareils à des cornes de rhinocéros, entrèrent en ce séjour de lyrisme, et, ô stupeur, demandèrent à la jeune fille qui devait les servir :

— Trois sherry-cobblers !

Trois sherry-cobblers, trois ! Un, c’eût été de l’audace, mais trois ! La blonde préposée, ignorant ce breuvage, crut d’abord à une mauvaise plaisanterie de la part de ces potaches ; puis, sur leur insistance, elle se rabattit vers la caissière, et formula la demande de ces clients sauvages et extravagants.

— Répondez qu’il n’y en a plus, dit la caissière, pour sauver l’honneur du drapeau.

C’est en cet endroit paradoxal que les poètes s’assemblaient, et que je vins moi-même, enfin délivré de ma timidité, m’asseoir à mon tour. Je n’osais pourtant point élever la voix en ce cénacle, j’écoutais, ainsi qu’il sied à un bon néophyte, j’ouïssais les hardis propos, les rudes reparties, les merveilleuses dissertations, qui scintillaient, lorsque Coppée, Mendès, Mérat, Paul Arène, Stéphane Mallarmé, Villiers de l’Isle-Adam, Valade, mort depuis, ce poète qui signait Silvius d’adorables chroniques rimées, et dont Monselet a dit :

Et je vois un jeune Valade,
Un jeune Valade à pas lents,


lorsque tant de poètes parnassiens ou non, baudelairiens ou poësques, se rencontraient avec leurs cadets, Richepin, Bouchor, Bourget, Rollinat, A. Froger, Ponchon, le peintre Tanzi, Michel de l’Hay, Guillaume Livet, l’avocat Adrien Lefort, Alexandre Hepp, qui publiait ses premiers vers, Vautrey, Edmond Deschaumes, frais émoulu du collège.

Ici je cite quelques lignes publiées dans le Voltaire par Guillaume Livet :

« On y (au Sherry) causait beaucoup, on buvait ferme, et on rêvait de l’avenir.

« Dans un coin s’installait, depuis l’heure de l’absinthe jusqu’à l’heure de la fermeture, un grand garçon très brun, avec les cheveux sur le front et la barbe en pointe, comme Mounet-Sully, remarquable par une figure à caractère méridional ; il buvait bien, sans se griser, mais ne soufflait mot, assistant, tranquille, aux grandes discussions artistiques, et menant si peu de bruit qu’on se s’inquiétait pas de lui, et qu’on le regardait comme faisant partie du mobilier — à céder avec le fonds le jour de la faillite !

« — Qui est donc ce monsieur ? demanda un jour quelqu’un.

« — C’est Émile Goudeau, un employé du ministère des finances, répondit dédaigneusement la patronne.

« Et il n’en fut plus autrement question. Bon camarade d’ailleurs, il nous accompagnait souvent dans nos courses à travers Paris, et, toujours solide, ramenait au logis ceux d’entre nous qu’avait incommodés la bière[1]. »

Eh ! oui ! je savourais la joie bizarre de coudoyer des gens qui se faisaient imprimer dans des gazettes, des êtres à peu près célèbres, au moins de Bullier au Moulin de la Galette. D’ailleurs, à quoi bon eussé-je essayé de me mettre sur le pied de ces Parisiens, là, tout de go ? Lorsque je m’ouvris à l’un d’eux, un soir, de mes projets poétiques, il s’écria avec un nuance de regret :

— Alors, vous n’êtes plus le bon Gascon qui ne fait pas de vers ! Oh ! vous voudriez ressembler aux autres ? Fi ! fi donc !

Ainsi me parla le poète Germain Nouveau, qui, depuis, est devenu peintre. Néanmoins, pour me faire une petite part dans les rêves d’avenir, on décida que je serais auteur dramatique.

Je pris au sérieux ce rôle vague, et me mis à piocher en silence une comédie en vers.

Le surnumérariat ! Et une comédie en vers ! À peine, de temps à autre, un mien oncle m’envoyait-il de frêles subsides qui, tout pareils à des roses, duraient l’espace d’un matin ; hélas ! une morne angoisse me prenait souvent dans cet hôtel garni et suintant, je n’avais point le rire facile entre ces quatre murs solitaires. Aussi je me hâtais d’aller humer la belle gaîté des jeunes poètes et de leurs camarades. L’illustre Sapeck, rapin excentrique, mine froide et grave d’Anglais spleenétique, était le chasse-chagrin en personne, le boute-en-train. C’est lui qui, voyant sommeiller les chansons dans les gosiers à sec, criait :

— Que l’on apporte du champagne !

Et l’on choquait les verres, en chantant :

Au jardin de mon père
Les lilas sont fleuris,
Au jardin de mon père
Les lilas sont fleuris ;
Tous les oiseaux du monde
Viennent pour y fair’ leurs nids ;
Auprès de sa blonde
Qu’il fait bon, fait bon, fait bon,
Auprès de sa blonde
Qu’il fait bon dormi.

Ou bien encore cette chanson, de Marguerite (ou Madeleine), dont voici une version (il y en a beaucoup d’autres) :

Marguerite s’est coiffée
De six bouteilles de vin,
Marguerite s’est coiffée
De six bou — ou — ou
De six bou — ou — ou
De six bouteilles de vin.


Marguerite, elle est malade
Il lui faut le médecin ;
Marguerite, elle est malade
Il lui faut — aut — aut,
Il lui faut — aut — aut,
Il lui faut le médecin.

À sa première visite
Il lui défendit le vin ;
À sa première visite,
Il lui dé — é — é,
Il lui dé — é — é,
Il lui défendit le vin.

Médecin, va-t-en au diable,
Moi, que j’aime tant le vin ;
Médecin, va-t-en au diable,
Moi, que j’ai — ai — me,
Moi, que j’ai — ai — me,
Moi, que j’aime tant le vin.

Si je meurs, que l’on m’enterre
Dans la cave où y a l’ vin ;
Si je meurs, que l’on m’enterre
Dans la cave où — y — a,
Dans la cave où — y — a,
Dans la cave où y a le vin.

Les pieds contre la muraille,
La teste sous le robin ;
Les pieds contre la muraille,
La teste sous — le,
La teste sous — le,
La teste sous le robin.


S’il en tombe quelques gouttes,
Ça sera pour rafraîchir ;
S’il en tombe quelques gouttes,
Ça sera pour — ra,
Ça sera pour — ra,
Ça sera pour rafraîchir.

Si la tonne se défonce
J’en boirai-z-à mon loisir ;
Si la tonne se défonce
J’en boirai z — à — mon
J’en boirai z — à — mon
J’en boirai z-à mon loisir.

La gaieté lancée ne s’arrêtait plus, et les poètes, debout sur les tables, disaient leurs vers avec de grands gestes fous, qui soulevaient leurs chevelures brunes ou blondes, des vers tout chauds encore de l’enclume récente, et non point refroidis par la mise en volume.

Car, malgré cette vie de cabaret, on travaillait ferme, nul ne savait où ni quand ; néanmoins les poèmes s’accumulaient pièce à pièce, à travers le décousu de l’existence.

Le soir, tard, en se retirant, les poètes se montraient du doigt l’Odéon, terre promise. Un soir même, sous les arcades, trois d’entre eux se jurèrent fidélité éternelle, aide réciproque, afin de conquérir la gloire. Ils s’intitulèrent eux-mêmes, par haine du passé mourant, qui, semblait-il, allait disparaître devant leur naissante aurore, les Vivants. Bien vivants, ils étaient, en effet, Jean Richepin, Paul Bourget et Maurice Bouchor.

La destinée ne leur a point fait faillite.



  1. Voltaire du dimanche 3 décembre 1882.