Dissertations sur l’histoire de Saint-Louis/2

Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France
Texte établi par Claude-Bernard Petitot (p. 74-89).
DES ASSEMBLÉES SOLENNELLES


DES ROIS DE FRANCE.


(JOINVILLE, p. 199.)


Dans le premier établissement de la monarchie Françoise, nos roys ont choisi une saison de l’année pour faire des assemblées générales de leurs peuples, pour y recevoir leurs plaintes, et pour y faire de nouveaux règlemens, et de nouvelles loix, qui dévoient estre receuës d’un consentement universel. Ils y faisoient encore une reveuë exacte de leurs troupes et de leurs soldats, acause dequoy quelques auteurs[1] ont écrit que ces assemblées furent nommées champs de Mars, du nom de la deité qui présidoit à la guerre. Grégoire de Tours[2] parlant de Clovis : Transacto verò anno jussit omnem cum armorum apparatu advenire phalangam, ostensuram in campo Martio suorim armorum nitorem. Et véritablement il semble que nos François[3] donnerent ce nom à ces reveuës generales des troupes, à l’exemple des Romains,[4], qui avoient coutume de les faire dans le champ de Mars, proche de la ville de Rome, et où ils exerçoient ordinairement leurs soldats ; d’où vient que nous lisons que la plupart des grandes villes des provinces qui leur ont appartenu, ont eu prés de leurs murs ces champs de Mars, à l’imitation de celle de Rome : ce que la vie de S. Eleuthere[5] remarque à l’égard de celle de Tornay dont il estoit évesque, Girolamo dalla corte pour celle de Verone[6], et Velser[7], pour plusieurs autres. Trebellim Pollio en la vie de l’empereur Claudius, fait assez voir que ces exercices de la guerre se faisoient dans les campagnes : Fecerat hoc etiam adolescens in milutiâ, cùm ludicro Martiali in campe luctamen inter fortissimos quosque monstraret.

Mais il est bien plus probable que ces assemblées furent ainsi nommées, parce qu’elles se faisoient au commencement du mois de mars. La chronique de Fredegaire parlant de Pepin : Evoluto anno præfatus Rex à Kal. MarL omnes Francos, sicut mos Francorum est, Bernace villâ ad se venire præcepit. Un titre[8] de Dagobert est souscrit, die Calendarum Martiarium in Compendio Palatio, qui estoit le jour auquel on commençoit ces assemblées. Il y a mémes lieu de croire que nos premiers François prirent occasion de commencer les années de ce jour-là ; ce qu’on peut recueillir des termes du décret de Tassilon[9] duc de Bavière : Nec in publico malle transactis tribus kalendis martiis post hæc ancilla permaneat. Car ce qui est icy appelle mallum puhlicum, est nommé Placitum dans Fredegaire[10] : conventus en ce passage d’Aimoin[11] : Bituricam veniens, conventu, morem Francico, un campo egit. Ailleurs il le nomme Conventus generalis.

Cette coûtume de convoquer les peuples au premier jour de mars eut cours long-temps sous la première race de nos rois. Mais Pepin jugeant que cette saison n’estoit pas encore propre pour faire la reveuë des troupes, et encore moins pour les mettre en campagne, changea ce jour au premier de May[12]. C’est ce que nous apprenons de Fredegaire[13] : Ibi placitum suum campo Madio, quod ipse primus pre campo Martio pre utilitate Francorum instituit, tenens, multis numeribus à Francis et proceribus suis ditatus est. Quelques annales[14] rapportent que ce changement se fit en l’an 755, et l’auteur de la vie de S. Remy archevesque de Reims, marque assez que ce fut pour la raison que je viens de dire : quem conventim posteriores Franci Maii campum, quando reges ad bella solent procedere, vocari instituerunt. Depuis ce temps-là ces assemblées changent de nom dans les auteurs[15], dans lesquels elles sont appellées indifféremment Campi Magii, ou Madii, Quelques-uns[16] ont écrit que la ville de Maienfeld au diocèse de Coire, au canton des Grisons, fut ainsi nommée acause de ces assemblées qui se tenoient au mois de may. Car Maienfeld signifie champ de may. Non seulement on y traittoit des affaires de la guerre, mais encore généralement de toutes les choses qui regardoient le bien public. Fredegaire[17] : Omnes optimates Francorum ad Dura in page Riguerinse, ad campe Madio, pro salute patriæ et utililate Francorum tractandâ, placito institute ; ad se venire præcepit ; ce qui est aussi touché par le moine Aigrad[18] en la vie de S. Ansbert archevesque de Rouen.

Les roys recevoient en ces assemblées les présens de leurs sujets, ce qui est particulièrement remarqué par le passage de Fredegaire, que je viens de citer, et par tous les auteurs[19] qui ont parlé de la grande autorité des maires du palais, lorsqu’ils écrivent qu’ils gouvernoient l’état avec un tel pouvoir, qu’il ne restoit aux princes que le seul nom de roys, lesquels se contentoient de mener une vie casanière dans leur palais, et de se faire voir une fois l’an en ces assemblées, où ils recevoient les présens de leurs peuples : In die autem Martis campo, secundum antiquam consuetudinem, dona illis regibus, à populo offerebantur. Ce sont les paroles de la chronique d’Hildesheim [20]. Ce qui est encore exprime par Theophanes, en ces termes, au sujet des rois de la première race : ἔθος γὰρ ἦν αὐτοῖς τὸν κύριον αὐτῶν, ἤτοι τὸν Ῥῆγα, κατὰ γένος ἄρχειν καὶ μηδὲν πράττειν, ἢ διοικεῖν, πλὴν ἀλόγως ἐσθίειν καὶ πίνειν, οἴκοι τε διατρίβειν καὶ κατὰ Μάϊον μῆνα πρώτῃ τοῦ μηνὸς προκαθέζεσθαι ἐπὶ παντὸς τοῦ ἔθνους, καὶ προσκυνεῖν αὐτοὺς, καὶ προσκυνεῖσθαι ὑπ' αὐτῶν, καὶ δωροφορεῖσθαι τὰ κατὰ συνήθειαν, καὶ ἀντιδιδόναι αὐτοῖς, καὶ οὕτως ἕως τοῦ ἄλλου Μαΐου καθ' ἑαυτὸν διάγειν [21]. Les annales de France tirées de l’église de Mets [22] remarquent plus particulièrement ce qui se pratiquoit en ces assemblées, tant à l’égard des affaires qui s’y traittoient, que de ces présens qui se faisoient aux roys. C’est à l’endroit où il parle de Pepin l’Ancien, maire du palais : Singulis verò annis in kalendis martii generale cum omnibus Francis, secundum priscorum consuetudinem, concilium agebat. In que ob regii nominis reverentiam, quem sibi ipse propter humilitatis et mansueitidinis magnitudinem præfecerat, præsidere jubebat : donec ab omnibus optimatibus Francorum donariis acceptis, verboque pro pace et defensione ecclesiarum Dei et pupillorum, et viduarum facto, raptuque fæminarum, et incendio solito decreto interdicto, exercitui quoque præcepto dato, ut quacumque die illis denuntiaretur, parati essent in partem, quam ipse disponeret, proficisci. Nous apprenons de ce passage la raison pour laquelle Pepin fils de Martel transfera ces assemblées au premier jour de may, et que ce fut pource que la saison n’estant pas encore assez avancée, l’on ne pouvoit pas mettre les troupes en campagne : de sorte qu’il faloit prescrire le jour auquel les peuples se devoient trouver sous les armes, pour marcher contre les ennemis, estant ainsi obligez de s’assembler une seconde fois. Hincmar[23], archevesque de Peims, dit que ces présens se faisoient par les peuples aux roys, pour leur donner moyen de travailler à leur défense et à celle de l’état : causâ suæ defensionis. Quant à ce qu’il les appelle dons annuels, cela est confirmé par plusieurs passages de nos annales[24], qui se servent souvent de ces termes : celles qui ont esté tirées de l’abbaye de S. Bertin : Ibique, habito generali conventu, et oblata sibi annua dona solenni more suscepit, et legationes plurimas, quæ tam de Româ et Benevento, quàm et de aliis longuinquis terris ad eum vénérant, audivit, atque absolvit[25]. Ce qui montre encore qu’on réservoit les occasions de ces assemblées pour recevoir les ambassadeurs[26], afin de leur faire voir la magnificence de ces cours royales. Ces dons et ces présens sont appeliez tantôt annualia dona, et souvent annu, parce qu’ils se faisoient tous les ans, et mêmes d’abord au commencement de l’année : acause dequoy les auteurs[27] leur donnent quelquefois le nom d’étrénes[28], nos roys en ayant usé comme ces anciens roys romains, qui en inventèrent le nom et la coûtume. Un poëte du moyen temps[29] :

Strenæ prœterea nitent
    Plures aureolæ munere regio,
Olim Principibus probis
    Iani principiis auspicio datæ,
Fausto temporis omine :
    Ut ferret ducibus strenua strenuis
Annus gesta recentior.
    Illas nobililas Cæsaribus piis,
Rex dignis procerum dabat,
    Urbis quas Latiæ tum juveni dedit
Rex Titus Talius prior,
    Festas accipiens, paupere munere,
Verbenas, studio patrum
    Solers posteritas quas creat aureas.
Serinant dona tamen
    A luco veteri nomine strenuæ.

Du moins je remarque que ces présens sont souvent appellez xenia dans Flodoard[30], en l’histoire de l’église de Reims, qui fait voir que l’usage en estoit en France sous Clovis, et les premiers roys ; et je crois que c’est pour la même raison que les tributs, que les peuples de Dalmatie payoient aux roys de Hongrie, et à la république de Venise, lorsqu’ils leur ont esté sujets, estoient nommez strinæ ou strinnæ, d’un terme tiré du Latin strena, parce que c’estoient des dons gratuits et volontaires, qui ne se faisoient que par forme de reconnoissance. Ce qui semble estre exprimé dans un titre de Sebastiane Ziani doge de Venise de l’an 1174, pour les habitans de Trau[31] : Nolumus ut aliquo modo offendantur, neque tollatur eis aliqua inconsueta strinna, nisi quant ipsi sponte dare voluerint. Cela est conforme à ce que Constantin Porphirogenite écrit, que l’empereur Basile son ayeul persuada aux Dalmates de payer aux Sclavons pour acheter la paix d’eux, ce qu’ils avoient coûtume de payer à leurs gouverneurs, et de donner quelque peu de chose à ces mêmes gouverneurs, pour marque de dépendance, et de leur soumission à l’empire[32].

Je ne doute pas encore, que ce n’ait esté à l’exemple de nos roys, que les seigneurs particuliers ont emprunté ces expressions de dons, pour les levées qu’ils ont faites sur leurs sujets, ayant de tout temps cherché des termes doux et plausibles pour déguiser leurs injustes exactions. Un titre de Guillaume le Bâtard[33] : Ut liber sit ah omni consuetudine…, Geldo, Scoto, et auxilio, et dono, et Danegeldo. Le cartulaire de l’église d’Amiens[34] ; In omni territorio communi Nigellæ habent Canonici tres partes terragii, et medietatem doni, et in terrâ Vavassorum niedietatem terragii, et medietatem doni. Il est souvent parlé en ce cartulaire de ce don, d’où le nom est demeuré encore à présent à la levée, qui se fait dans Amiens pour les marchandises qui y entrent par le courant de la rivière. Ce qui justifie que ces dons, qui d’abord n’estoient que gratuits, devinrent à la fin forcez, et passèrent avec le temps pour des impositions ordinaires.

Les présens qui se faisoient aux roys, n’estoient pas toujours en argent, mais en espèces, et souvent en chevaux. Ce que nous apprenons de quelques additions à la loy Salique[35], qui ordonnent que ces chevaux auront le nom de ceux qui les présentent. Et hoc nobis præcipiendum est, ut quicumque in dono regio caballos detulerint, in unumquemque suum nomen habeant scriptum. Et ce afin qu’on sçût qui estoient ceux qui avoient satisfait à ce devoir et à cette reconnoissance, et ceux qui n’y avoient pas satisfait. Ces présens y sont appeliez royaux, de même qu’en une épître de Frothaire évesque de Thoul[36], qui confirme encore ce que je viens de remarquer, que ces présens se faisoient souvent en chevaux : Nam ad horum itinerum incommoda, quæ vel nunc egimus, vel acturi sumus, seu ad dona regalia quæ ad palatium dirigimus, pené quidquid ex optimis equis habuimus, distribuere compulsi sumus. Nos annales[37] disent que le roy Pépin ayant défait les Saxons, ces peuples s’obligèrent de lui faire présent tous les ans de trois cens chevaux, lorsqu’il tiendroit ses assemblées générales : Et tunc demùm polliciti sunt regis Pipini voluntatem facere, et honores, sive dona, in suo placito præsentandos, id est per annos singulos equos trecentos ; où le terme d’honores mérite une réflexion, nous apprenant que les présens qui se faisoient dans ces occasions, estoient des présens d’honneur et de reconnoissance ; ainsi les annales d’Eguinard portent ces mots[38]. Et singulis annis honoris causa ad generalem conventum equos ccc, pro munero daturos. Ces chevaux, qui se donnoient aux princes par forme de tribut, ou de redevance annuelle, sont appeliez equi canonici, dans le code Theodosien[39]. Les monastères n’estoient pas exempts de ces présens ; car comme ils ne se faisoient que pour subvenir à la nécessité de l’État, et pour contribuer aux dépenses que les roys estoient obligez de faire pour la conservation de leurs peuples, et de leurs biens, les ecclésiastiques y estoient aussi obligez acause de leurs domaines, qu’ils tenoient pour la plupart de la libéralité des princes. Ce qui a fait dire à Hincmar[40], Per jura regum Ecclesia possidet possessiones. Le même écrivain à ce sujet, Causâ suæ defensionis, Regi ac Reipublicæ vegtigalia, quæ nobis annua dona vocantur, præstat Ecclesia, servans quod jubet Apostolus, cui honorenm, honorem, cui vegtigal, vegtigal, subauditur præstare Regi ac defensoribus vestris, etc. Les épîtres de Frothaire evesque deT oul, et de Loup abbé de Ferrieres, que j’ay citées, confirment la même chose. Entre ces monasteres il y en avoit qui estoient obligez de fournir non seulement ces dons et ces présens, mais encore des soldats ; il y en avoit d’autres qui n’estoient tenus qu’aux présens ; et enfin il y en avoit qui ne devoient ni l’un ni l’autre, mais seulement estoient obligez de faire des prières pour la santé des princes, et de la maison royale, et pour la prospérité des affaires publiques. Il se voit une constitution de l’empereur Louys le Débonnaire[41], qui contient un dénombrement des monastères de ses états, quæ dona et militiam facere debent, quæ sola dona sine militiâ, et quæ nec dona nec militiam, sed solas orationes pro salute Imperatoris, vel filiorum ejus, ac stabilitate imperii. Je crois que c’est de là qu’on peut tirer l’origine des secours d’argent, que nos rois tirent de temps en temps du clergé de France, particulièrement depuis que les milices des fiefs ont esté abolies ; car au temps que tous les fiévez estoient tenus de se trouver dans les armées des roys, et des souverains, les ecclésiastiques estoient pareillement obligez d’y servir, mêmes en personne, acause de leurs terres, de leurs régales, et de leurs fiefs ; non qu’ils y portassent les armes, comme les séculiers, mais pour y conduire leurs vasseaux, tandis que de leur part ils employoient leurs prières pour la prospérité des armes du Prince[42].

Le camerier, c’est-à-dire le garde du trésor du Roi, avoit la charge de recevoir ces présens, et estoit soumis en cette fonction à la Reyne, à qui elle appartenoit de droit. Hincmar écrivant de l’ordre du palais de nos roys : De honestate verò palatii, seu specialiter ornementp regali, nec non et de donis annuis} militum, absque cibo et potu, vel equis ad Reginam præcipuè, et sub ipsâ ad camerarium pertinebat[43]. Puis il ajoute qu’il estoit encore de la charge du camerier, de recevoir les présens des ambassadeurs étrangers, c’est-à-dire qu’il les devoit avoir en sa garde, comme faisans parties du trésor royal. Car d’ailleurs ces dons se faisoient par les sujets aux rois directement, qui les recevoient de ceux qui les leur présentoient, tandis que leurs principaux ministres ou conseillers regloient les affaires publiques. Interim verò, quo hæc in Regis absentiâ agebantur, ipse princeps reliquæ multitudini in suscipiendis muneribus, y salutandis proceribus…, occupatus erat[44].

Ces assemblées générales se tinrent d’abord une fois l’année, au premier jour de mars, ce qui fut depuis remis au premier de may, ainsi que j’ay remarqué. Mais sous la seconde race, comme les états de nos princes, et par conséquent les affaires s’accrurent extraordinairement, ils furent aussi obligez de multiplier ces assemblées, pour donner ordre aux nécessitez publiques, et pour régler les différents, qui naissoient de temps en temps entre les peuples. De sorte qu’ils en tenoient deux, l’une au commencement de l’an, l’autre sur la fin, vers les mois d’aoust, ou de septembre. Hincmar : Consuetudoe autem tunc temporis erat, ut non sæpius, sed bis in anno, placita duo tenerentur[45]. Et afin que l’on fust certain des jours, ausquels elles se devoient tenir, on designoit dans la dernière assemblée le temps de la prochaine : les annales de France, Ubi etiam denup annuntlatum est placitum genéeale kalendas septembris Aurelianis habendum[46]. Et ailleurs, ad Placitum suum generale, quod in Strimniaco prope Lugdunum civitatem se habiturum indixerat, profectus est. Hincmar dit que la première assemblée, qui se tenoit au commencement de l’année, estoit beaucoup plus solennelle que la seconde, parce qu’en celle-là on regloit les affaires de toute l’année, et l’on ne renversoit pas ordinairement ce qui avoit esté arresté qu’avec grande nécessité. Ordinabatur status totius regni ad anni vertentis spatium : quod ordinatum nullus eventus rerum, nisi summa necessitas, quæ similiter toti regno incumbebat, mutabatur. Et comme on y traitoit des affaires de haute conséquence, tous les états du royaume estoient obligez de s’y trouver : In que placito generalitas universorum majorum, tàm clericorum quàm laicorum, conveniebat. Mais quant à l’autre assemblée, qui se tenoit sur la fin de l’an, il n’y avoit que les principaux seigneurs et conseillers qui s’y trouvassent, où l’on regloit les projets des affaires de l’année suivante : et c’étoit en cette seconde assemblée où les roys recevoient les présens de leurs sujets. Cæterum autem propter dona generaliter danda aliud placitum cum senioribus tantùm, et præcipuis consiliariis habebatur. In quo jam futuri anni status tractari incipiebatur, si fortè talia aliqua se præmonstrabant, pre quibus necesse erat præmeditando ordinare[47]. Ce qui est confirmé par nos annales[48] à l’égard des présens, qui se faisoient en cette seconde assemblée, laquelle on remettoit à ce temps-là, acause de la saison plus commode pour les chemins ; car on y venoit à cet effet de toutes les provinces de l’état : les annales tirées de l’abbaye de Fulde : Rastizen gravi catenà ligatum sibi præsentari jussit, eumque Francorum judicio, et Bajoariorurn, nec non et Sclavorum, qui de diversis regni provinciis Regi munera deferentes aderant, morte damnatum, luminibus tantum oculorum privari præcepit[49].

Ce passage fait voir que dans ces assemblées générales de nos François, on ne traitoit pas seulement des affaires d’état et de la guerre ; mais qu’on y décidoit encore les grands differens d’entre les princes et les seigneurs de la cour. De sorte que si quelque duc, comte, ou gouverneur estoit accusé envers le Roi, ou l’Empereur, de trahison, de conspiration, ou de lâcheté, il estoit cite à ces assemblées, où il estoit obligé de répondre sur les chefs de l’accusation ; et s’il estoit trouvé coupable, il y estoit condamné par le jugement souverain du Prince et des grands seigneurs, qui l’assistoient : ce qui a donné lieu dans la suite des temps à la cour des pairs, dans laquelle les barons, c’est à dire les grands seigneurs, et ceux qui relevoient immédiatement du Roy, estoient jugez par leurs égaux et leurs pairs. Il y a une infinité d’exemples dans nos annales des jugemens rendus en ces grandes assemblées pour les crimes d’état, lesquelles furent appellées pour cette raison placita, parce qu’on y décidoit les différents d’importance ; et pour les distinguer des plaits ordinaires, les auteurs les appellent souvent placita magna et generalia[50]. Il se trouvera occasion ailleurs de parler de l’origine de ce mot placitum, qui est synonyme à celui de mallum, comme j’ay remarqué. Ces assemblées générales commencèrent à cesser sur la fin de la seconde race, lorsque toute la France se trouva plongée dans les divisions intestines. Durant la troisième, on en fit d’autres sous le nom de parlemens, et d’états généraux, où l’on résolvoit des affaires publiques, et des secours, que les ordres du royaume dévoient faire aux roys pour les guerres, et les nécessitez pressantes.

Les anciens Anglois semblent avoir emprunté de nos François, l’usage de ces assemblées, et de ces champs de may ; car nous lisons dans les loix d’Edoüard le Confesseur[51], que ces peuples estoient obligez de s’assembler tous les ans, in capite kalendarum maii, où ils renouvelloient les sermens entre eux pour la défense de l’état, et l’obeïssance qu’ils devoient à leur prince. C’est à cette coûtume qu’il faut rapporter ce que quelques auteurs anglois écrivent en l’an 1094. Denuò in campe Martii convenere, ubi illi, qui sacramentis inter illos pacem confirmaverer, Regi omnem culpam imposuere[52]. Ce qui montre que quoy que ces assemblées se tinssent au premier jour de may, elles ne laissoient pas toutefois de conserver le nom de champs de mars, et qu’elles furent encore en usage sous les premiers roys normans.

Les présens mémes y estoient faits pareillement aux roys. Orderic Vital parlant de Guillaume le Conquérant : Ipsi verò Régi, ut fertur, mille et sexaginta libræ Sterilensis nionetæ, solidique triginta, et tres oboli ex justis reditibus Angliæ per singulos dies redduntur : exceptis muneribus regiis, et reatuum redemptionibus aliisque multiplicibus negotiis, quæ Regis ærarium quotidie adaugent[53]. Peut-estre que par ces termes de présens royaux, cet auteur entend les redevances en espèces, que les peuples estoient obligez de faire de jour en jour, pour la subsistance de la maison du Prince, d’autant que in primitive regni statu post conquisitionem, regibus de fundis suis non auri vel argenti pondera, sed sola victualia solvebantur[54], ainsi qu’écrit Gervais de Tilesbery. Mais d’ailleurs il est constant que ces présens faits aux princes par leurs sujets ont esté en usage depuis le temps auquel Guillaume le Bâtard vécut, veu que nous lisons qu’au royaume de Sicile, où des roys, normans de nation, commandoient, les sujets leur donnoient des étrénes au premier jour de janvier. D’où vient que Falcand remarque que l’amiral Majon ayant esté tue sous prétexte d’avoir voulu s’emparer du royaume, sur ce que l’on avoit trouvé des couronnes d’or dans sa maison, ses amis l’en excusèrent, disans qu’il ne les avoit fait faire, que pour en faire présent au Roy au jour des étrénes, suivant la coutume : Falsum enim quidquid ipse cædisque factæ socii adversus Admiratum confixerant : nec illum inventa in thesauris ejus diademata sibi præparasse, sed Regi, ut eodem in kalendis januarii strenarum noviine, juxta consuetudinem ei transmitteret[55].




  1. Flodoard l. I. Hist. Rem. c. t3. Vita S. Remig.
  2. Greg. Tur. l. 2. Hist c. 27.
  3. Aimoin l. 1. c. 12. Gesta Fr. c. 10. Flod. vita S. Rem.
  4. V. Autor. cit. à Rosino, l. 6, c. II.
  5. Vita. S. Eleuther. c. 2 §. 5.
  6. Hist. di Verona, l. 7. p. 415.
  7. Velser, l. 5. Rer. Vend.
  8. In Chr. Fontanell. c I.
  9. Décret. Tassil. c. 2, §. 12.
  10. Fredeg. A. 766.
  11. Aimoin, l. 4, c. 67.
  12. Id. c. 68, 70, 71, 85.
  13. Fred. A. 766.
  14. Annal. Fr. tom. 2. Hist. Fr. p. 7 ; et apud Lab. to. 2. Bibl. p. 734.
  15. Chr. Moiss. A. 777, 790.
  16. Chr. S. Gall. A. 775, et seq. Goldast.
  17. Fredeg. A. 761.
  18. Aigrad, in vitâ S. Ansber. c. 5, c. 22.
  19. Annal. Fuld, Mar. Scot. A. 755. Chr. Tur. A. 670. Andr. Sylu. A. 662.
  20. Chr. Hildes. A. 750
  21. Theophan. p. 337.
  22. Annal. Fr. Met l. 692.
  23. Hincmar. in Quater. p. 405. apud Cellot.
  24. Annal. Fr. Bert. A. 829.
  25. Annal. Eghin. A. 827. Ann. Bert. A. 832, 835, 837. Annal. Egh. A. 829. Bert. A. 864, 869, 874.
  26. Lup. Fenar ep. 82.
  27. Hincmar. Quatern.
  28. Frot. ep. 21. Fest. Syrmm. l. I. ep. 4.
  29. Metellus in Quirinal. tom. I. Canisii p. 44. 45
  30. Flod. l. 1. Hist. Rem. c. 14, 18. l. 2. c. 11, 17, 19.
  31. Apud Io. Lucium l. 3. de Regn. Dalm. c. 10, l., 6. c. 2. Statuta Ragusii, l. 7, c. 56.
  32. Constantin Porph. de Adm. Imp. c. 29.
  33. To. 1. Monast. Angl. p. 352.
  34. Tabul. Eccl. Amb. fol. 2, 19, 20, 27.
  35. Capit ad Leg. Sal. §. 13.
  36. Frothar. ep. 21.
  37. Annal. Franc. Met. A. 753, 758.
  38. Annal. Eginh. A. 758.
  39. L. 3. Cod. Th. de Equor. Conlat.
  40. Hincmar, in Quatern. p. 405, 406. Rom. c. 11.
  41. Tom. 2, Hist. Franc., p. 323.
  42. Galland au traité du franc-Aleu.
  43. Hincmar de ord. palat. n. 22. Opusc. 14.
  44. Id. n. 34, 35.
  45. Hincmar, de ord. palat. n. 29.
  46. Annal. Fr. Bortin. A. 832. 835.
  47. Hincmar. n. 30.
  48. Annal. Fr. Bert. A. 829. 832, 835, 864, 869, 874.
  49. Annal. Fr. Fuld. A. 870.
  50. Chr. Fontanell. A. 851.
  51. LL. Edw. Conf. c. 35.
  52. Simeon Dunelm. de gest. Angl. Flor. Wigorn. et Brompton, A. 1094.
  53. Orderic. l. 4, p. S23.
  54. Gervas. Tilesb. apud Selden, ad Eadmer, p. 216.
  55. Hugo Falcand, de Sicil. Calant. 657.