Dissertations sur l’histoire de Saint-Louis/1

Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France
Texte établi par Claude-Bernard Petitot (p. 61-74).



DES


PLAITS DE LA PORTE,


ET


DE LA FORME QUE NOS ROIS OBSERVOIENT


POUR RENDRE LA JUSTICE EN PERSONNE.


(Joinville, page 184.)




Si les rois ont esté de tout temps jaloux de leur autorité, et s’ils ont affecté de faire éclater leur puissance sur leurs sujets, aussi bien que sur leurs ennemis, ils ont aussi voulu signaler la douceur et la modération de leur gouvernement, par la distribution de la justice, et par l’établissement des gouverneurs, et des juges en toutes les places de leur royaume, pour la leur rendre en leur nom. Mais, comme il arrive souvent que les peuples sont oppressez par ceux mêmes qui sont instituez pour les garantir de l’outrage, et que ceux qui ont l’autorité en main pour les défendre, n’en usent que pour en former leurs avantages particuliers, on a esté pareillement obligé d’avoir recours aux princes, et d’apporter les plaintes à leurs trônes, pour obtenir de leur équité, ce que l’abus et l’injustice des juges sembloit refuser. C’est ce qui a donné sujet à nos rois, pour ne pas remonter plus haut, d’établir des justices dans leurs palais mêmes, et d’y présider en personne, pour recevoir et décider les plaintes de leurs sujets. Et parce que les grandes affaires de l’estat dont ils estoient accablez, ne leur permettoient pas toujours de vaquer à ces exercices pénibles, ils y commettoient en leurs places des comtes, qui y rendaient la justice en leur nom, et décidoient les différents en dernier ressort. Ils envoioient encore ces comtes quelquefois, comme je le justifie ailleurs, dans les provinces éloignées de leurs royaumes, pour soulager leurs sujets, et leur épargner de longs et fâcheux voyages. D’autre part, pour maintenir les juges ordinaires dans leur devoir, et pour veiller à leurs actions, ils envoioient en tous les endroits de leurs états des intendans de justice, nommés missi Dominici, qui examinoient leurs jugemens, reformoient les abus qui se glissoient dans la distribution de la justice, et recevoient les plaintes des sujets du Prince.

Les empereurs d’Orient jugèrent bien qu’il n’estoit pas aisé à leurs sujets d’aborder leurs palais, ni de présenter leurs plaintes à leurs personnes sacrées, qui sont ordinairement environnées de gardes et de courtisans[1]. C’est pourquoy ils voulurent qu’il y eût un lieu public dans Constantinople, où il fut loisible à un chacun d’aller porter ses mémoires et ses billets, qui estoient examinez tous les jours par le prince, qui en faisoit justice ; d’où ce lieu fut nommé Pittacium, c’est-à-dire billet. Mais nos rois en ont usé plus généreusement, et se sont gouvernez avec leurs sujets d’une manière plus obligeante et plus facile ; ils ont voulu recevoir eux-mêmes leurs plaintes, et pour leur donner un accès plus libre vers leurs personnes, ils se sont en quelque façon dépouillez de l’éclat de leur pourpre, sont sortis de leurs sacrez palais, et se sont venus seoir à leurs portes, pour faire justice indifferemment à tous ceux qui la leur venoient demander. Ce qu’ils faisoient à l’imitation des Hébreux, qui tenoient leurs plaits aux portes des villes, des hôtels et des temples, tant pour faciliter l’accés des parties, que pour rendre la justice publiquement, et l’exposer à la censure de tous ceux qui y assistoient[2].

C’est la raison pourquoy nous lisons si souvent dans nos histoires, et dans les chartes anciennes, que les juges des provinces tenoient leurs assises et leurs plaits dans les champs, dans les rües, dans les lieux publics, devant les portes et dans les cimetières des églises ; ce qui fut depuis défendu par nos rois dans leurs capitulaires[3], à l’égard des lieux sacrez ; et enfin devant les portes des châteaux et des villes, comme on recueille de cet acte qui se lit au cartulaire de l’abbaye de Vendôme[4] : Perrexit illuc Prior noster, ivitque placitum in castre Rajnaldi ante portam ipsius castri quæ est à meridie, ubi interrogatus ille quare saisisset plaixitium nostrum, respondit, etc. C’est ce que S. Louys et nos rois pratiquoient ordinairement, lorsqu’ils vouloient écouter les plaintes de leurs sujets, et leur rendre justice : car ils descendoient de leurs trônes et de leurs appartemens, pour venir à la porte de leurs palais : ou bien alloient dans des lieux publics, où l’accès estoit libre à un chacun, et là assistez de quelques uns de leurs plus fidèles conseillers, recevoient les requêtes, écoutoient les plaintes, et faisoient expedier promptement les parties ; en sorte qu’elles se retiroient satisfaites de la bonne justice qu’elles y avoient reçue. Cette grande facilité, que le roi S. Louys apportoit pour estre approché de ses sujets, est fort bien exprimée par le sire de Joinville, en ces termes : « Maintefois ay veu que le bon Saint, après qu’il avoit oüy messe en esté, il se alloit esbattre au bois de Vicennes et se seoit au pié d’un chesne, et nous faisoit seoir tous emprés lui : et tous ceux qui avoient affaire à lui, venoient à lui parler, sans ce que aucun huissier, ne autre leur donnast empeschement : et demandoit hautement de sa bouche, s’il y avoit nul qui eust partie. » Et peu auparavant, cet illustre auteur nous apprend que cette justice, véritablement royale, puisqu’elle estoit exercée par la personne même du Roy, estoit reconnue pour lors sous le nom de Plaits de la porte, parce qu’elle se rendoit à la porte du palais, où il estoit libre à un chacun de venir plaider sa cause, de déduire ses interests, et d’adresser ses plaintes.

Mais depuis que nos roys eurent établi leurs parlemens pour distribuer la justice à leurs sujets, ils les divisèrent en diverses chambres et compagnies suivant la différence et la nature des affaires. Celles qui se pouvoient terminer par plaidoyers, estoient jugées de la chambre des plaits, qui est la grande chambre, les autres en celles des Enquêtes. Les jugemens qui estoient émanez de ces cours souveraines, estoient différents ; car les uns estoient appeliez arrests, arresta, qui estoient ceux qui estoient rendus publiquement par les juges sur les plaidoyers des advocats, dont la formule estoit, quibus rationibus utriusque punis hinc indé auditis, dictum fuit per arrestum curiæ etc. Les autres estoient appellez judicia, jugemens : et c’estoit ceux qui estoient rendus sur les procés par écrit, et sur les enquétes ou aprises faites par l’un des juges commis à cet effet, qui en faisoit son rapport à sa chambre. La formule de ces jugemens estoit, Visâ inquestâ, et diligenter inspectâ etc. vronuntiatum fuit per curiæ judicium, etc. Il y avoit encore d’autres jugemens qui estoient nommez consilia, qui estoient des dëlaiz, qu’on donnoit aux parties pour instruire leurs affaires, qui n’estoient pas encore en estat d’estre jugées, avec le conseil de leurs advocats : La formule de ces prononciations estoit : Dies consilii assignata est tali, super tali lite, ad aliud parlamentum proximum, aut ad alios dies trecenses, etc. C’est delà que la forme de prononcer les appointez au conseil, et à écrire et produire a pris son origine. Enfin, il y avoit d’autres jugemens, appeliez præcepta ou mandata, qui estoient des ordres envoyez par les juges du parlement aux baillis, aux sénéchaux, et autres juges inférieurs, par lesquels il leur estoit enjoint d’observer dans leurs assises, et d’y publier les ordonnances qui avoient esté faites au parlement, ou de faire les enquêtes qui leur estoient addressées, où renvoyées, et généralement tout ce qui leur estoit ordonné de la part des juges du parlement. La formule de ces jugemens estoit : Injunctum est baillivo talli, etc.

Il y avoit encore d’autres affaires, qui n’estoient pas de la conséquence des autres, et qui se pouvoient terminer par simples exposés et requêtes : ce qui donna occasion d’établir la chambre des requétes, composée de certain nombre de conseillers, duquel le Roi en tiroit deux, qui devoient estre à la suite de la cour. Ceux-ci, dont l’un estoit clerc, l’autre lay, estoient nommez poursuivans le Roi, et estoient obligez de se trouver et de seoir chacun jour, aux heures accoûtumées, en un lieu commun, pour ouïr les requêtes, qui leur estoient adressées. Ils faisoient serment de ne passer aucunes lettres qui fussent contraires aux ordonnances, et de ne délivrer, ni passer aucune des requêtes, dont la connoissance devoit appartenir au parlement, à la chambre des comptes, ou au trésor, mais de les renvoyer à ces justices, suivant la nature et le sujet de ces requêtes. Ils estoient encore obligez de donner avis au Roy des requétes d’importance, avant que de les juger, comme de récompense de service, de restitution de dommages, de grâces, et de dire contre arrests rendus au parlement. En cette qualité ils estoient logez et deffrayez au dépens du Roy, comme il se recueille des ordonnances de Philippes le bel de l’an 1289, et de Philippes le Long, des années 1317 et 1320. Celle de la maison du Roy et de la Reine faite à Vicennes au mois de janvier, l’an 1285, qui se trouve en un ancien registre, et qui n’a pas esté encore donnée au public, justifie la même chose en ces termes : « Clercs du conseil, maistre Gautier de Chambly, maistre Guillaume de Pouilly, maistre Jean de Puseus, M. Jean de Morencies, M. Gilles Camelin, M. Jacques de Rouloigne, M. Guy de Boy, M. Robert de Harrecourt, M. Laurens de Vezins, M. Jean li Duc, M. Phlippes Suars, M. Gilles Lambert, M. Robert de Senlis : tuit cist nommez ; ne mangeront ce point à court, et prendront chascun cinq sols de gaiges, quant ils seront à court, ou en parlement, et leurs manteaus quant ils seront aux festes. Monseigneur Pierre de Sargines, Gilles de Compiengne, Jean Malliere, ces trois auront les plez de la porte, et aura ledit Gilles autant des gaiges, comme maistre Pierre de Sargines, et mangera avec le chambellan[5]. » L’ordonnance de la maison du roi Philippes le Grand, ou le Long, faite à Louis en Gâtinois, le jeudi 17 de novembre, l’an 1317, spécifie plus particulièrement ce qui devoit estre livré par les officiers de la maison du Roy à chacun de ceux qui suivoient la cour pour ouïr les requêtes : « De ceux qui suivront le Roi pour les requestes, aura toujours à court un clerc et un lay, et se ils sont plus, ils ne prendront riens, se ils ne sont mandez, et mangeront à court et seront hébergiez ensemble. Et s’ils ne viennent manger à court, ils n’auront nulle livroison, et prandront chascun trois provendes d’avoine, et trente-deux deniers de gaiges chascun pour leurs varlets, et pour toutes autres choses, fors que chascun aura coustes et feurres à l’avenant. Et se les deux gisent en un hostel, ils auront une mole de busche, et livroison de chandelle, chascun deux quayers et douze menuës : et ou temps qu’ils seront en parlement, auront douze sols de gaiges par jour, et ne prandront nulle autre chose à court. Maistre Philippes le convers clerc des requestes, pourra venir à court toutes les fois qu’il lui plaira, non contrestant la clause dessusdite d’endroit ceux des requestes, et mangera son clerc en salle, et son escuyer aura trois provendes d’avoine pour toute choses, et n’aura rien plus, ne gaiges, ne autrement[6]. »

De ces ordonnances et réglemens, nous apprenons premièrement pourquoy les maîtres des requêtes qui ont succédé à ces juges de la porte, ont encore ce que l’on appelle le droit de manteau, qui n’estoit autre que celuy qui appartenoit à tous les officiers de la maison du Roy, ausquels on donnoit les livrées, et les manteaux aux festes solennelles, et aux changemens des saisons de l’année. En second lieu, il résulte que ces juges de la porte estoient commensaux du Roi, et en cette qualité, mangeoient avec les autres officiers de son hostel, et avoient droit de busche et d’autres livraisons. Cette qualité de commensaux du Roy est aussi ancienne que la monarchie, nos roys n’ayant reconnu les officiers de leur maison, que sous cet illustre nom de Convivæ Regis. La loi salique[7] nous en donne une preuve en ces termes : Si quis homineni Romanum convivam Regis occiderit, etc. et celle des Bourguignons[8] : Quicumque hospiti venienti tectum aut focum negaverit, 3. solidorum intaltone mulctetur. Si conviva Regis est, 6. solidos mulclæ nomine solvat. La vie de S. Agile[9] abbé écrite par un auteur qui vivoit de son temps : Fuit quidam ex primis Palatii optimatibusnobilissimis natalibus oriundus, ejusdem que regis (Childeberti) conviva et consiliarius, nomine Anohaldus. Jonas[10], en la vie de saint Columban : Chanericus Theodeberti régis conviva. Enfin Fortunat[11],

parlant de Condon domestique :

Jussit et egregios inter residere patentes,
Coiwivain reddens proficiente gradu.

J’avoue neantmoins que ce titre n’est pas de l’invention de nos roys, et qu’il est probable qu’ils l’ont tirée des empereurs romains, veu que Claudian[12] semble l’avoir reconnue en ces vers :

. . . . . . .Clare qiod nobilis ortu,
Conviva et Domini.

De sorte qu’il est à présumer que ce sont ceux, dont parle une loy, qui se lit au code Theodosien[13], qui et divinis epulis adhibentur, et adorandi Principis facultatem antiquitùs meruerunt.

Mais, laissant à part ce qui se peut dire au sujet de cette qualité de commensaux et de domestiques de la maison du Roy, je remarque que nos princes continuèrent cette coûtume introduite de long-temps dans leurs palais, et observée particulièrement et exactement par S. Louys, d’ouïr et de juger les requêtes en personne. Charles V, alors regent, en son édit du 27 jour de février, l’an 1359, en donne une preuve, et en règle la forme. « Nous tiendrons requestes en la présence de nostre grant conseil chasque semaine deux fois. Nul de nos officiers de quelque estat qu’ils soient ne nous feront requestes, si ce n’est par leurs personnes, sinon nostre chancelier, et nos conseillers du grant conseil, nos chambellans, nos maistres des requestes de nostre hostel, nostre confesseur ; et nostre aumosnier[14]. » Et Charles VI, par son ordonnance du 7 jour de Jjnvier 1407, veut « que le Vendredy soit adonné à lui seant en son conseil pour respondre les requestes des dons, grâces, et autrement, que seront rapportées par les maistres des requestes. » De sorte que nous voyons par là que nos roys ont tousjours affecté de rendre la justice en personne à leurs sujets, et que les maîtres des requêtes ont esté tirez premièrement de la chambre des requêtes du parlement, que leur première fonction fut de faire le rapport au Roy des requêtes, et de les juger avec lui, quelquefois mêmes sans le Roy, ce que le sire de Joinville témoigne en termes diserts, écrivant que S. Louys estant sorty de l’église lui demandoit, et au sire de Neelle et au comte de Soissons, « comment tout se portoit, et s’il y avoit nul qu’on ne peut depescher sans lui, et quant il y en avoit aucuns ; ils le lui disoient, et alors les envoioit querir, et leur demandoit à quoy il tenoit qu’ils n’avoient aggreable l’offre de ses gens. » Ce qui nous montre évidemment que les maîtres des requêtes eurent jurisdiction dans les commencemens de leur institution en l’absence de nos roys, qui, avec le temps, se dispensèrent de ce pénible exercice, estant d’ailleurs accablez des affaires importantes de leur état : c’est ce qui donna sujet d’en augmenter le nombre. Mais Philippes de Valois, par l’ordonnance du 8 jour d’Avril 1342, les réduisit à six, trois clercs et trois lais : et comme ils s’estoient encore accreus en nombre, Charles V, alors régent, par son ordonnance du 27 de Février 1359, les réduisit à huit, sçavoir quatre clercs et quatre lais, comme fit aussi Charles VIII, par sa déclaration du 5 de Février 1488[15]. Depuis ce temps-là le nombre des maîtres des requétes, aussi bien que leur pouvoir a esté notablement augmenté, et particulièrement depuis que la vénalité des offices a esté introduite en France.

Quant aux gages des premiers maîtres des requêtes, je les ay observez dans un compte des aydes[16] imposez pour la délivrance du roy Jean, commençant au premier jour d’avril 1368, en ces termes : « Maistre Pierre Bourneseau clerc et maistre des requestes de l’hostel du Roy, lequel icelui seigneur a retenu son cons. et maistre des requestes de son hostel, en lieu de maistre Anceau Chotart, et lui a ottroié le Roy que il ait tel gaiges comme prenoit ledit feu Anceau en son vivant, c’est assavoir six cens francs par an, et iceux gaiges lui a assigné à prenre des deniers des aydes. »

Mais comme les juges embrassent aisément les occasions d’augmenter et d’étendre leur jurisdiction, l’on a esté obligé de temps en temps de limiter et de restraindre celle des maîtres des requêtes. Philippes de Valois, ensuite des états tenus à Nostre Dame des Champs, prés de Paris, fit cette ordonnance, sur ce sujet, le 15 jour de Février l’an 1345. « Comme pluisieurs de nos sujets se soient dolus de ce qu’ils sont travaillez pardevant les maistres de nos requestes, nous ordonnons, que lesdits maistres des requestes de nostre hostel n’aient pouvoir de nul faire adjourner pardevant eux, ne tenir court, ne cognoissance, se ce n’est pour cause d’aucun office donné pour nous, duquel soit debat entre parties, ou que l’en feist aucune demande pure personnelle contre aucun de nostre hostel. Item par tele manière ordonnons que les maistres de nostre hostel, de nostredite compagne, et de nosdits enfans, n’ayent aucune connoissance, se ce n’est des personnes de nostre hostel, ou cas que l’on feroit quelque demande pure personnelle. » Et plus bas : « Item pour ce que plusieurs se doulent desdits maistres de nostre hostel, de ce qu’ils taxent plusieurs amendes excessivement, et en prenans grans profits, nous ordonnons que nule amende ne soit taxée par eux, se ce n’est en nostre présence, quand nous orrons nos requestes. »

Je passe en cet endroit ce qui se pourroit dire au sujet de la jurisdiction des maistres des requétes, qui m’emporteroit au delà de ce que je me suis proposé. Je remarque seulement que plusieurs estiment que ces mots qui se trouvent dans les deux éditions de nostre auteur au sujet des Plets de la porte, que maintenant on appelle les requestes du palais, ne sont pas de lui, mais ont esté ajoutez, dans le texte, par forme d’explication : ce qui est probable, non que l’établissement des requêtes du palais soit postérieur au temps du sire de Joinville, comme ils prétendent, mais parce que les requétes de l’hostel et les requétes du palais estoient différentes, quoy que celles de l’hostel fissent originairement partie de celles du parlement, comme j’ay remarqué. Car les anciennes ordonnances qui concernent l’établissement des parlemens justifient pleinement qu’il y avoit des juges députez et destinez pour ouir les requétes. Une de l’an 1291[17], tirée d’un registre de la chancellerie de France : Per totum parlamentum pre requestis audiendis qualibel die, sedeant très personæ de Consilio nostro, etc. Une autre sans date, du même temps, « À oïr les requestes seront deux clercs et deux lais, et deux notaires qui neant ne recevront par leur serment, et ce que il délivreront li chancelier sera tenu à sceller, si comme il est dessus dit, et ce que il ne pourront délivrer, il rapporteront à ceux de la chambre. » L’ordonnance de Philippes le Long de l’an 1320, parle aussi amplement des maîtres et juges des requêtes du parlement, que le roy Charles VII, réduisit en un corps séparé, compose de présidens et de conseillers, par son édit du 15 jour d’avril 1453, rapporté aux ordonnances barbines[18].

Telle donc a esté la forme observée par nos roys, particulièrement de la dernière race, pour distribuer en personne la justice à leurs sujets, car pour celle qui fut gardée par ceux de la première et seconde, je me réserve à en parler cy-après, lorsque je traitteray des comtes du palais. Mais comme le gouvernement du grand et auguste roy S. Louys a esté plein de justice, de légalité, et de fidélité, nos rois l’ont toujours envisagé comme un riche patron de leurs plus belles actions, et comme un rare exemplaire sur lequel ils avoient à se conformer : jusques là méme que dans les plaintes que leurs sujets ont faites dans les assemblées des états, et dans d’autres occasions, de l’afféblissement et de l’altération des monoyes, ils ont accordé qu’elles fussent remises en l’état qu’elles estoient sous le règne de ce saint Roy. Ainsi Charles VIII, ayant dessein de travailler à la reformation de son royaume, et sçachant bien qu’il importoit à un grand Prince comme il estoit, d’écouter lui-même les plaintes de ses peuples, et de leur donner audiance dans les occasions les plus pressantes, et où ils ne pouvoient tirer la justice des juges ordinaires, s’enquit curieusement de la forme que S. Louys observoit pour la rendre en personne, et écrivit une lettre sur ce sujet à la chambre des comptes de Paris, dont l’original m’a esté communique par monsieur d’Herouval, duquel j’ay parlé tant de fois, qui mérite d’estre icy couchée pour fermer cette dissertation. « À nos amez et feaux les gens de nos comptes à Paris, de par le Roy. Nos amez et feaux, parce que nous voulons bien savoir la forme que ont tenu nos predecesseurs rois à donner audience au pauvre peuple, et mesmes comme monseigneur S. Loys y procedoit : Nous voulons et vous mandons qu’en toute diligence faites rechercher par les registres et papiers de nostre chambre des comptes ce qui s’en pourra trouver, et en faites faire un extrait, et incontinent après le nous envoiez. Donné à Ainboise le 22 jour de decembre. Signé, Charles, et plus bas Morelot, au dessus est écrit, apporté le 30 jour de décembre 1497. »


  1. Codin, de orig. CP. p. 22. édit. Reg.
  2. Zach. 5. Amos. 5 Deuter. 22. Ruth. 4. Job. 29. Isai. 24. Psal. 126.
  3. Capit. Car. c. tit. 39.
  4. Tabul. Vindoc. Thuanich. 52
  5. Communiqué par M. d’Herouval.
  6. Reg. de la Ch. des comp. cotté Noster p. 79.
  7. Lex Sal. tit. 43 §. 6.
  8. Lex Burg. tit. 38.
  9. Vita S. agili, cap. I. apud Chifflet
  10. Jonas cap. 28.
  11. Lib. 7. Carm. 16.
  12. Claud. in Eutrop. l. 1
  13. L. 1 C. Th. de Comit, et Trib. Schol.
  14. Reg. Pater.
  15. Ord. du Parlem. fol. III. V. les Ord.
  16. En la Ch. des Comp. de Paris.
  17. Ch. 61.
  18. Fol. 150.