Dissertation sur l’Atlantide — Chapitre IV
L. Boitel (p. 69-81).

CHAPITRE IV

destruction de l’atlantide et époque de cette destruction.


Cette contrée immense, habitée par un peuple si belliqueux et si avide de conquêtes, fut détruite en grande partie par une convulsion violente de la nature. Cet évènement, quelque extraordinaire qu’il soit, quelque incroyable qu’il puisse paraître, est un fait en quelque sorte incontestable. Il n’est presque pas de fait dans cette histoire obscure des premiers âges du monde qui réunisse en sa faveur une tradition plus générale et des preuves physiques plus nombreuses. Tous les auteurs dont nous avons rapporté les témoignages, pour prouver l’ancienne existence de l’Atlantide, s’accordent à reconnaître sa subite disparition. Cet évènement, cette affreuse catastrophe a dû laisser et a laissé, en effet, des traces profondes dans le souvenir des peuples. Presque tous ont conservé l’obscure tradition d’un monde, d’une terre détruite par le feu. Les Chrétiens ont ouï dire, dit Celse, cité par Origène[1], et rapportant la tradition des Grecs, qu’il est arrivé dans le monde des embrasements et des déluges. » Origène, dans son même livre contre Celse, parle d’une fête que l’Égypte célébrait en mémoire d’une catastrophe générale dont le feu du ciel avait été la cause. Les Égyptiens avaient, en effet, cette tradition, et ce qu’ils racontent de leur Typhon en donne une confuse idée. Cette tradition se rencontre chez les peuples même les plus reculés, et placés aux extrémités monde. Les Chinois, au rapport de Cosmas Indicopleustes, parlent dans leurs annales de la destruction d’une grande île submergée autrefois vers les bornes de la terre. Les Péruviens ont conservé aussi la mémoire d’une race gigantesque et redoutée qui avait attiré sur elle, par ses crimes, le courroux des Dieux[2].

Les eaux, le feu réunirent leurs efforts pour anéantir notre malheureuse Atlantide. La partie occidentale, déjà bordée d’une ceinture de volcans, devint sans doute l’objet de leur fureur. Obéissant à cette force puissante et irrésistible que la terre renferme en son sein, ils entrouvrirent leurs cratères, et, de leurs flancs déchirés et brûlants, vomirent des torrents de lave, des pierres, des basaltes enflammés qui couvrirent de toutes parts ces contrées appelées auparavant, à si juste titre, Fortunées, et les changèrent en un affreux désert, en un chaos confus de trachites, de pierres ponces, de rochers entassés les uns sur les autres. À ces maux déjà si terribles se joignirent des tremblements de terre qui, bouleversant ce que les volcans avaient épargné, soulevant outre mesure les flots de l’Océan courroucé, submergèrent ce pays infortuné, et à la même place où fleurissaient ces heureuses régions si belles, si fertiles, si peuplées, s’étendit une immense mer dont les eaux pleines de limon et de vase, étaient, suivant les traditions anciennes, impraticables à la navigation[3]. Il n’est nullement invraisemblable que les tremblements de terre, joints aux éruptions volcaniques, aient produit de si terribles effets. Rappelons-nous le tremblement de terre qui renversa Lisbonne et dont les effets terribles se firent sentir si loin, celui de 1783 qui anéantit Messine et bouleversa la Calabre, et celui qui, en 1663, causa de si terribles ravages au Canada où un espace de cent lieues de pays, occupé par des montagnes et des rochers fut changé en une plaine immense, entrecoupée de lacs et de ruisseaux[4]. La partie orientale, étant moins volcanique que la partie occidentale, dût échapper à la destruction. Aussi subsiste-t-elle maintenant encore, et sous le nom général de Maugreb ou de Barbarie, comprend les états de Maroc, de Fez, d’Alger, de Tunis, de Tripoli et les deux versants de l’Atlas[5].

Cette submersion de l’Atlantide occidentale fut sans doute procurée par la rupture ou du moins par l’élargissement violent du détroit des Colonnes d’Hercule, et aussi par la rupture du Bosphore qui répandit dans la mer Méditerranée, que la tradition nous représente bien moins étendue alors qu’elle ne l’est aujourd’hui, les eaux d’une autre immense Méditerranée qui couvrait une partie de l’Asie intérieure.

Mais essayons de prouver, si non la certitude, du moins la haute vraisemblance de ces grands et terribles évènements.

Quant au premier, la rupture des Colonnes d’Hercule, la tradition va nous apporter des témoignages frappants. Strabon[6], si réservé à admettre les croyances populaires, assure cependant que l’Océan, arrêté longtemps par les terrains qui joignaient l’Europe à l’Afrique, avait rompu cette barrière et s’était réunie à la Méditerranée ; mais il attribue cet évènement à un tremblement de terre, à une convulsion violente de la nature, et réfute l’opinion de Straton le physicien, qui prétend que c’est la Méditerranée qui, par la violence de ses flots[7], enflés par l’irruption du Bosphore, a rompu cette séparation qui l’empêchait de communiquer avec l’Océan. Sénèque reconnaît que l’Espagne a été arrachée violemment par la mer du continent de l’Afrique[8]. Valerius Flaccus, dans son poème des Argonautes, nous rappelle la même catastrophe :

  « . . . Nec enim tunc Eolus illis
« Rector erat, Libyæ cum rumperet advena Calpen
« Oceanus ; cum flens siculos OEnotria fines
« Perderet, et mediis intrarent montibus undae. »

(Lib.I. v. 587)[9]

Diodore de Sicile[10], Pline[11], Pomponius Méla[12] font mention de cette séparation violente qu’ils attribuent, ainsi que l’antiquité fabuleuse, à Hercule, à qui ils attribuent tant d’autres exploits.

L’aspect des lieux témoigne, en outre, hautement de la vérité de la tradition. Straton le physicien, déjà cité, assure qu’une bande de terres sous-marines s’étendait, de son temps, comme un long ruban, de Calpé à Abyla, et que même, entre ces deux montagnes, étaient autrefois deux îles, appelées îles de Junon et de la Lune, que la violence du courant a fait disparaître[13]. « Des montagnes de même aspect, dit Bory de St-Vincent, des couches interrompues de même nature, et tous les accidents qui accompagnent les brisures qu’on remarque ordinairement sur les deux flancs d’une vallée moderne : trois ou quatre lieues de largeur pour servir de communication entre deux vastes mers sont-elles un tel espace entre deux continents, qu’il faille repousser l’idée de la possibilité d’une révolution physique dont l’assentiment unanime ne confirme pas moins la réalité que l’examen des lieux[14] ? »

Quant au Bosphore et à cette séparation violente qui fit écouler dans la Méditerranée, et de là dans l’Océan, les eaux et les vastes mers de l’Asie intérieure, la tradition en rend de fréquents témoignages. Platon y fait allusion dans le commencement du Livre iii de son beau traité des Lois. Dans un autre passage de ses ouvrages, passage cité par Strabon[15], il cite les trois espèces de demeures que choisirent successivement les Grecs que ce déluge avait si justement effrayés, d’abord au sommet des montagnes que les eaux ne pouvaient atteindre, ensuite sur leur pente, quand les terres commençaient à sécher, en dernier lieu, dans les plaines, quand le souvenir de cette terrible inondation commença à se perdre. Diodore de Sicile[16] parle du déluge procuré par cette irruption violente et des ravages qu’il exerça à Lesbos, à Samothrace et dans les terres circonvoisines. Denys d’Halicarnasse[17] nous parle de la même catastrophe et de ses effets, et cite les sources où il a puisé ce qu’il en rapporte : il fait mention, entre autres, de Callistrate, historien de Samothrace ; de Satyrus, qui avait recueilli les anciens mythes ; d’Arctinus, disciple d’Homère : ces trois historiens s’appuyaient sur les témoignages d’Orphée, de Linus, de Thamyris, poètes presque contemporains qui, sans doute, avaient rappelé sur leurs lyres plaintives les maux qu’avait éprouvés leur patrie, sa désolation et ses terreurs. Pline dit expressément que la mer a envahi le Bosphore[18]. Philon, dans son traité De Mundo non corrupto[19], dit que les îles de Rhodes et de Delos disparurent entièrement dans une inondation causée par les eaux de la mer, et que lorsque les eaux diminuèrent, ces îles reparurent. Strabon, lui-même, avait fait un traité pour prouver la vérité de ce grand évènement ; mais cet ouvrage, dont il parle dans le premier livre de sa géographie, est malheureusement perdu. Beaucoup d’autres auteurs anciens, entre autres Xanthus, historien de Lydie, le géographe Œthicus Ister, Straton le physicien et Valérius Flaccus[20], les trois premiers cités par Strabon[21], rapportent le même fait. Plusieurs fêtes des Grecs, les hydrophories, par exemple, avaient été instituées en mémoire de ce déluge, dit d’Ogygès, ou en mémoire de celui de Deucalion. Les cérémonies qu’on y pratiquait le montrent évidemment. Les savants[22] ont cité souvent la découverte de ce vase antique trouvé dans le territoire de Rome en 1696 sur lequel était représentée une arche ou vaisseau qui renfermait des hommes et un grand nombre d’animaux, autre souvenir du déluge procuré par l’irruption du Bosphore, déluge qui ayant enflé les eaux de la Méditerranée, lui fit reculer au loin ses rivages et porter partout sur ses bords la terreur et l’effroi[23]. Le souvenir de ce déluge s’est perpétué dans la Grèce jusqu’à présent. Corancès, dans son Itinéraire de l’Asie Mineure, en donne un témoignage bien frappant. Au temps que les Français occupaient l’Égypte, le bruit se répandit qu’ils allaient ouvrir un canal de communication entre la Méditerranée et la mer Rouge. À cette nouvelle, la consternation fut générale dans les îles de l’Archipel. Dans la persuasion que la seconde mer est plus haute que la première[24], tous les habitants craignirent un nouveau déluge. « Cette opinion, dit Corancès, doit tenir à d’anciennes traditions dont il serait curieux de rechercher les sources[25]. »

Maintenant examinons les preuves physiques qui viennent appuyer une si ancienne et si respectable tradition. Tournefort[26], Marsigli[27], Choiseul-Gouffier[28], Dureau de la Malle[29], Pallas[30], qui ont étudié sous ce dernier rapport cette question si importante, reconnaissent que le Bosphore a été formé par une irruption violente. La seule différence qui existe entre eux c’est que Tournefort prétend que l’ouverture se fit seulement par la force des eaux qui, peu à peu, détrempèrent les terres qu’aucun rocher ne retenait en cet endroit, et les emportèrent par différentes secousses, au lieu que Choiseul-Gouffier, et les deux auteurs qui le suivent l’attribuent à un tremblement de terre procuré par une éruption volcanique.

« Derrière le village d’Yenimale, dit Choiseul-Gouffier, dans son Mémoire lu à l’Institut en 1805, est un véritable champ phlégréen, dont le sol brûlé offre les traces d’un grand nombre de bouches ou petits cratères, soupiraux des feux souterrains qui ont calciné tout cet espace et réduit la plus grande partie du sol en une véritable pouzzolane. À mesure que l’on avance, les deux côtes deviennent plus escarpées, et les rochers qui les soutiennent et les couronnent, sillonnés par la flamme, indiquent au voyageur qu’il entre dans un vaste cratère dont il ne tardera pas à reconnaître l’enceinte imposante. Des felouques, des navires, des escadres traversent ce bassin, dans lequel les flots remplacent et ne font peut-être que recouvrir ces effrayantes gerbes de flammes que jadis vomissait cet abîme. »

Il est vrai que le savant Olivier et le général Andreossy ne veulent pas reconnaître de rupture violente dans le Bosphore, et cherchent à prouver que ce détroit a dû exister de tout temps. Mais voyons ici un passage d’Andreossy lui-même, qui vient à l’appui de notre sentiment et qui paraît renverser tous les raisonnements contraires du savant général.

« Au-delà de l’ancien port des Ephésiens, Buïuk-Liman, les deux bords du canal, jusqu’à son embouchure, offrent l’aspect de terrains volcaniques bouleversés, résultat de grandes convulsions du globe : on les regarde comme antérieurs à aucune époque dont l’histoire ait gardé le souvenir. « Et plus haut : » Le Bosphore se présente en face de Buïuk-Déré ; mais à ce point il se détourne presque à angles droits, pour former le canal de la mer Noire. C’est cette dernière direction qui nous reste à parcourir. Elle était réputée sacrée par les anciens. Le mont Hœmus s’y termine par des escarpements considérables ; la chaîne de la Bythinie, par des coteaux d’une grande hauteur. Le resserrement du canal dans cette partie rendait maître de l’entrée du Bosphore[31]. » Remarquons ici cet escarpement du mont Hœmus du côté du Bosphore. Le géographe et le géologue n’y reconnaîtront-ils pas un déchirement violent procuré par le feu ou par les eaux ?

Voyons, d’un autre côté, ce que dit Olivier, dans son Voyage dans l’Empire Ottoman ?

« Dès que nous eûmes passé Buïuk-Déré, nous fûmes frappés de voir, sur l’une et l’autre rive, des indices d’un volcan que nous suivîmes dans une étendue de plusieurs lieues. Nous reconnûmes partout des roches plus ou moins altérées ou décomposées : partout l’entassement et la confusion attestent l’action des feux souterrains. On aperçoit des jaspes de diverses couleurs, des cornalines, des agathes et des calcédoines en filons, parmi des porphires plus ou moins altérés ; une brèche peu solide, presque décomposée, formée par des fragments de trap, aglutinée par du spath calcaire ; un joli porphire à base de roche de trap, d’un bleu verdâtre, également colorié par du cuivre[32]. » Comment Olivier a-t-il pu émettre une opinion si contraire aux indices volcaniques qu’il avait sous les yeux et qu’il consigne ainsi dans son voyage ?

Mais examinons les raisons qui nous sont opposées. « L’eau s’écoulant, dit Olivier, par un passage si étroit, n’aurait pas pu procurer cette inondation, ce déluge si considérable, et n’aurait pu tout au plus élever la Méditerranée que d’un pied ou deux[33]. »

À cela nous répondrons que le Bosphore ne fut pas sans doute la seule bouche par laquelle le Pont-Euxin s’écoula alors : il dût s’écouler aussi par la vallée du Sangaris (Sakkaria), et par le lac de Sapandja et le golfe de Nicomédie d’un côté et le lac d’Ascanins (lac d’Isnik), et le golfe de Mundania de l’autre. Aucune hauteur un peu considérable ne sépare les deux lacs, de la vallée du Sangaris et des golfes dont ils sont rapprochés ; l’espace intermédiaire est presque tout occupé par des marais. C’est ce que dit Olivier lui-même : « Du golfe de Mundania à la vallée qui reçoit les eaux du Sangaris, les eaux sont très basses… Les eaux du lac de Nicée ou Isnik se rendent dans le golfe, en tournant un léger coteau qui sépare le lac de la plaine basse de Gemlek, et le cours du Sangaris est très lent de cette plaine à la mer Noire[34]. » Fontanier atteste le même aspect de terrain. « Pour arriver à Isnik (l’ancienne Nicée), nous avons côtoyé pendant un temps le lac de Sapandja et constamment traversé une immense forêt d’où l’on tire le bois de construction pour Constantinople. Cet endroit est fort marécageux et l’on est obligé de passer par une chaussée qui y est pratiquée… Le lac de Sapandja communique parfois avec la mer : il n’en est séparé que par une langue de terre assez étroite, et quand les temps sont pluvieux, le niveau s’élève et se déverse dans le golfe de Nicomédie[35]. »

Le pont Euxin, en s’ouvrant le Bosphore, remplit de ses eaux le bassin de la Propontide et s’écoula de là par l’Hellespont et par le golfe de Saros, l’ancien golfe Mêlas. Ce qui rend vraisemblable ce second écoulement, c’est l’inspection des lieux et la tradition du déluge de l’île de Samothrace, située vis-à-vis le golfe de Saros. Étant à la sortie des eaux qui s’écoulaient par un détroit resserré, elle a dû les voir s’élever à une hauteur considérable, détruire ses villes et inonder ses campagnes. Mais nous ne croyons pas, comme Diodore de Sicile, que ces eaux aient pu s’élever jusqu’aux plus hautes montagnes de cette île. Dans ces traditions antiques, l’on doit admettre le fait principal et laisser sa part à l’exagération si commune dans ces histoires populaires[36].

On ne sait si la rupture du Bosphore a été simultanée avec la rupture des Colonnes d’Hercule, ou si quelque espace de temps s’est écoulé entre l’une et l’autre. L’obscurité dont sont environnées ces deux grandes catastrophes, le manque absolu de documents contemporains ne nous permettront jamais de décider cette question. Cependant qu’il me soit permis de présenter une conjecture.

L’antique Grèce avait la tradition de deux déluges : celui d’Ogygès, qu’Eusèbe, dans ses Chroniques, fixe au temps du patriarche Jacob, Choiseul et Gouffier, vers l’an 1754 avant notre ère, et celui de Deucalion, au temps de Moïse, vers l’an 1530 avant J.-C. Ne paraît-il pas probable que ce fût dans le déluge d’Ogygès que le pont Euxin rompit ses barrières et, s’écoulant par le Bosphore, inonda la Grèce, enfla la Méditerranée et ravagea le littoral de l’Italie et de l’Afrique, ravages dont Pline[37] fait mention ? Ensuite, près de deux cents ans après, arriva la grande catastrophe qui rompit les barrières d’Hercule, ouvrit une communication entre la Méditerranée et l’Océan, et anéantit la partie occidentale de la malheureuse Atlantide, catastrophe qui, pour des causes naturelles, pût coïncider avec l’inondation de la Thessalie, procurée, à ce qu’il paraît, par les eaux intérieures qui sortirent des gouffres et des cavernes dont sont parsemées les chaînes du Cithéron, de l’Œta et de l’Olympe[38].

Un passage frappant des Chroniques d’Eusèbe[39] semble appuyer notre sentiment. « Au temps de Deucalion, dit-il, sous Phaëton, l’Éthiopie fut ravagée par les flammes. « Εϰι Φαεθοντος εϰπυρωσις εν Αιθιωπια.[40]. » Or, remarquons de nouveau que l’Éthiopie était le nom que les anciens étendaient à toute la partie nord de l’Afrique[41], où les habitants de la haute vallée du Nil avaient étendu leurs colonies. On connaissait plus de quarante-cinq peuples qui portaient le nom d’Éthiopiens, et les habitants de l’Afrique occidentale étaient aussi compris sous ce nom générique. Or, ce grand incendie sous Phaëton que la fable nous dépeint précipité du haut des airs, pour avoir embrasé le globe par son imprudence, ne fait-il pas souvenir des feux volcaniques qui contribuèrent si puissamment à la destruction de cette contrée infortunée[42] ?

Voilà exposé tout ce que l’obscurité des siècles et le petit nombre de traditions certaines nous ont permis de savoir sur l’histoire des Atlantes et la destruction de leur contrée. Nous voyons cependant que les vestiges que ce peuple a laissés dans les annales anciennes des autres nations sont assez nombreux et donnent certaine autorité aux principaux évènements que nous venons de mentionner. Nous voyons cette autorité fortifiée par l’aspect géologique des pays où nous avons placé l’Atlantide ; et, quelque extraordinaire que soit la catastrophe de sa disparition, cette catastrophe se trouve accompagnée de témoignages si nombreux, de probabilités si grandes, qu’elle doit devenir presque une certitude historique aux yeux du naturaliste et de l’historien.

Remarquons, d’ailleurs, que cette submersion de vastes continents, ce découvrement d’une grande étendue de pays, ne peuvent plus paraître si invraisemblables, d’après la manière dont Deluc, Dolomieu, Cuvier expliquent le déluge universel.

Mais, après avoir vu l’histoire et surtout la disparition de l’Atlantide, examinons en dernier lieu les changements que cette grande catastrophe a dû opérer dans l’univers.


  1. Adversus Celsum, liv. V.
  2. Garcilasso : Hist. du Pérou, liv. IX, ch. 8.
  3. Platon, Aristote.
  4. Le tremblement de terre qui, en 1556, ravagea la province de Chansi, en Chine, peut encore être cité : plus de soixante lieues de pays furent abîmées et englouties.
  5. L’Afrique supérieure orientale porte cependant en plusieurs endroits des traces d’un terrain volcanisé, tels que dans le Haroudja noir, chaîne de collines entre le Fezzan et l’Oasis d’Audjelah (Voyez Ritter, Géographie physique de l’Afrique, tom. III, p. 299 ; Hornemann, Voyages, tom. I, p. 86 ; Rennell, dans l’Appendix au voyage précédent, même tome, page 223, et le texte remarquable de Pline qu’il cite, et qui prouve que les Romains connaissaient la configuration de ce pays : Mons ater a nostris dictus, a natura similis adusto, livre V, ch. 5.
  6. Livre III.
  7. Strabon a raison : c’est l’Océan qui s’est frayé un passage : telle est l’opinion des géologues et des physiciens modernes, « Il est remarquable, dit le savant abbé Corréa de Serra, cité par M. Dureau de la Malle, dans sa Géographie physique de la mer Noire et de la Méditerranée, p. 348, il est remarquable que la forme du détroit de Gibraltar soit telle à peu près qu’elle devait être, s’il eût été formé par une irruption de l’Océan dans la Méditerranée. Il a la forme d’un entonnoir, et cette forme est si régulière que les pointes occidentales et extérieures du détroit, qui se correspondent exactement, ont une égale différence en latitude, avec les deux pointes intérieures qui forment le fond de l’entonnoir, vers la Méditerranée. Car voici la position correspondante des quatre pointes, d’après les observations de Tofino, et autres astronomes espagnols :
    Punta Laneo, à 35° 55′ 30″ différence, 6′ 50″
    Cap Spartel, à 35° 48′ 40″
    Punta Carnero, à 36°  1′ 30″ différence, 6′ 40″.
    Punta Sera, à 36°  8′ 10″

    « Le fond de l’entonnoir est dans l’endroit où la chaîne des montagnes les plus hautes passe de l’Europe en Afrique, sans autre interruption que cette ouverture. Les matériaux dont ces montagnes sont composées, sont de même nature en Europe et en Mauritanie ; ce qui porte naturellement à croire que le fossé qui les sépare est bien plus moderne que leur formation. »

  8. Quæst. natur. 1. VI, ch. 29.
  9. Voyez aussi dans Valerius Flaccus, l. II, v. 618.
  10. Livre iv, ch. 18.
  11. Livre iii, Proæmium.
  12. Livre ii, ch. 8.
  13. Strabon, livre i. — Pline, livre iii, ch. 1.
  14. Voyez, dans les voyages d’Ali-Bey, la manière dont il explique la formation du détroit. — Guide du Voyageur en Espagne, pag. 228.
  15. Livre i.
  16. Livre V, ch. 47.
  17. Livre V, ch. 28.
  18. Livre VI, ch. 1.
  19. Page 959.
  20. Livre II, v. 615.
  21. Livre I.
  22. Bianchini : Historia Universalis, p. 78. Wisemann, Discourt 9e.
  23. D’après un écrivain allemand, Jean de Muller, d’antiques traditions et des observations physiques placent dans la mer de l’Archipel, avant la rupture du Bosphore, une terre considérable nommée Lectonie, abîmée dans un tremblement de terre, et dont les Cyclades et les Sporades sont les débris. Il est étonnant, si cette tradition a existé, que les auteurs grecs que nous avons cité n’en aient pas parlé, surtout Platon, qui revient plusieurs fois dans ses ouvrages sur la grande catastrophe du déluge. Mais, en admettant cette tradition, ne pourrait-on pas la considérer comme un souvenir confus de la destruction de l’Atlantide ?
  24. D’après les recherches de l’expédition française en Égypte, le niveau de la mer Rouge est supérieur à celui de la Méditerranée de près de 10 mètres (30 pieds 6 lignes).
  25. Page 274.
  26. Tome II, p. 65.
  27. Essai physique sur l’état de la mer.
  28. Mémoire sur l’origine du Bosphore de Thrace.
  29. Géographie physique de la Mer Noire, ch. 26.
  30. Voyages, tom. VII, pag. 212.
  31. Voyage à l’embouchure de la Mer Noire, liv. II, ch. I, p. 117 et 118.
  32. Tome I, ch. 8.
  33. Tome III, p. 134, in-4.
  34. Tome III, p. 131.
  35. Voyage en Orient, Turquie d’Asie, p. 324.
  36. Livre V, ch. 47.
  37. Livre II, ch. 92.
  38. Chronicorum Canonum, l. I, ch. 30.
  39. Ferreras et Masdeu (le premier, Hist. d’Espagne, liv. I ; le second, Storia critica de Espana, tom. III), savants espagnols, fixent la rupture du détroit à l’an 1698, avant Jésus-Christ. Je ne connais pas les raisons qu’ils apportent (Voyez Eusèbe, liv. I, ch. 30 de ses Chroniques).
  40. Eusèbe ajoute, dans le livre second de ses Chroniques, où il rappelle ce fait par ces mots frappants : Et alia multis in locis exterminia contigerunt, ut Plato refert in Timœo, πολλαι ϰαι αλλαι γεγονασιν Ελλησι τοπιϰαι φθομαι, ως Πλατων εν Τιμαιω..
  41. Voyez Gosselin, Géog. des Grecs analysée, p. 109.
  42. Pline nous parle, dans son livre second, d’un mont Phégius, le plus élevé de l’Éthiopie, englouti dans un tremblement de terre.