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ENFANT NATUREL. — Reconnaissance.— Acte De Naissance.— Exception. — Preuve. — Quotité DISPONIBLE.

L'enfant naturel, porteur d'une reconnaissance authentique et légale émanée de son père décédé, est-il en outre tenu, pour établir ses droits à la succession, de rapporter son acte de naissance ? Rés. nég.

Les héritiers légitimes çui opposent à l'enfant najtnrel l'insuffisance de son titre et sa filiation adultérine, sont-ils obligés de prouver les faits sur lesquels ils fondent leur exception? Rés. aff.

L'article 2 de la loi transitoire du l4 floréal an II , d'après lequel les dispositions entre-vifs ou testamentaires antérieures au Code civil, doivent être exécutées sauf la réduction à la quoitité disponible aux termes du Code, doit-il être entendu en ce sens que les libéralités faites aux enfans naturels doivent être réduites à la quotité dont l'article 757 permet à leurs pères et mères de disposer en leur faveur, au préjudice des héritiers légitimes, et non en ce sens que la liberté des pères et mères de donner à leurs enfans naturels n'est limitèe que par la réserve légale établie seulement au profit des ascendans et descendons au litre des donations ? Rés. aff. (ref)Cette dernière question a déjà été résolue dans le même sens par la Courde cassation. (Arrêt du 18 messidor an 13.) Voyez ce Recueil, vol de l'an 13, pag. 454.(/ref).

(Le sieur Delpeyrou C. le sieur Guillaume Lethiers.)


Le sieur Pierre Guillon, ancien notaire à la Guadeloupe, s'était marié dans cette île en 1762 ; il n'eut pas d'enfant de son mariage, il perdit sa femme en 1766, et plus tard il revint en France.

'Le 18 germinal an 7, il déclara, devant l'officier dé l'état civil de l'un des anrondissemens de Paris, que de ses relations avec la demoiselle Marie-Françoise Dupepaye (c'était une mulâtresse qu'il avait affranchie), était né, au mois de janvier 1760, un enfant appelé Guillaume ; il déclare en outre que ce fils avait été porté sur les registres de l'état civil, comme né d'un père inconnu ; que l'acte de naissance ne pouvait être représenté à cause de la rupture des communications avec la Guadeloupe ; que des recherches avaient été inutilement faites en France au dépôt du gouvernement où devait se trouver la seconde minute ; enfin il promit de déposer cet acte de naissance aussitôt qu'il aurait pu se le procurer.

Le 12 floréal suivant, le sieur Pierre Guillon fit un testament olographe par lequel il institua son fils Guillaume pour son héritier universel ; il décéda le 29 ventôse an 8.

Le sieur Guillaume, aujourd'hui connu sous le nom de Lethiers, se mit en possession des biens que lui avait laissés son père naturel.

Il en jouissait depuis plusieurs années, au moment où un sieur Delpeyrou le plus proche parent du sieur Pierre Guillon et son héritier légitime, forme une demande en pétition d'hérédité.

Le sieur Delpeyrou a prétend, I.° que la reconnaissance du sieur Guillaume Lethiers n'était que conditionnelle et subordonnée à la représentation de son acte de naissance ; que cela résultait de la promesse formelle que le sieur Pierre Guillon avait faite de rapporter cet acte ; 2.° que, dans l'espèce particulière, la représentation de cet acte était indispensable en raison du mariage que le sieur Pierre Guillon avait contracté dans l'année 1762, pour prouver que le sieur Guillaume était réellement né avant ce mariage et n'était pas le fruit de l'adultère ; 3.° qu'en admettant même que la filiation naturelle du sieur Guillaume Lethiers fût bien établie, le legs universel qui lui avait été fait par son père, devait être réduit aux trois quarts de la succession, d'après l'art. 2 de la loi transitoire du 14 floréal an II et. l'art. 757 du Code civil.

Le 21 mai 1810, jugement du tribunal civil de la Seine qui écarte les prétentions du sieur Delpeyrou, et maintient le sieur Guillaume Lethiers dans la possession et propriété de la succession entière du sieur Pierre Guillon, son père naturel, ce jugement est ainsi conçu : "En ce qui touche la fin de non recevoir opposée par Delpeyrou ; aUendu, en droit, qu'aucune loi n'a statué que l'effet de l'acte de reconnaisance d'un enfant naturel serait subordonné à la représentation de son acte de naissance ; que l'art. 62 du Code civil repousse, au moins implicitement cette idée, puisqu'il y est dit que l'acte de reconnaissance d'un enfant sera inscrit sur les registres, à sa date, et qu'il en sera fait mention en marge de l'acte de naissance, s'il en existe un ; que c'est dans le même esprit que l'art. 339 du même Code veut que, lorsque la reconnaissance d'un enfant naturel n'aura pas été faite dans son acte de naissance, elle le soit par un acte authentique ; que si l'art. 339 permet à tous ceux qui y ont intérêt de contester cette reconnaissance, il ne dispense pas de l'obligation imposée à tout demandeur de prouver l'invalidité du titre qu'on lui oppose ; attendu, en fait, que Guillaume Lethiers, par acte passé devant l'officier de l'état civil du quatrième arrondissement de Paris, le 18 germinal an 7 a été légalement reconnu par Pierre Guillon, comme enfant naturel dudit Guillon et de Marie-Françoise Dupepaye ; que cet acte de reconnaissance, régulier dans sa forme, prouve que Guillaume Lethiers est né dans les premiers jours de janvier 1760 ; qu'ainsi cet acte fait foi pleine et entière de l’état d'enfant naturel donné à Guillaume Lethiers ; attendu d'ailleurs que sa possession d'état est conforme à l'acte de reconnaissance dont il s'agit, et que si Delpeyrou veut en détruire l’effet, ce n'est pas en alléguant vaguement et sans aucun indice, comme il le fait maintenant, que ledit Guillaume Lethiers est né d'un commerce adultérin, qu'il peut y parvenir, mais bien en établissant ce fait d'une manière formelle et expresse, obligation qu'il n'a pas remplie ; —En ce qui touche la réduction du legs universel fait par Guillon en faveur de son enfant naturel reconnu, attendu que si l'article 1er de la loi du 14 floréal an 11 porte que "l'état et les droits des enfans nés hors mariage, dont les pères sont morts depuis la promulgation de la loi du 12 brumaire an 2 jusqu'à la publication des titres du Code civil sur la paternité et sur les successions, seront réglés de la manière prescrite par ces titres", l'art. 2 contient une exception formelle à ce principe et statue que, "néanmoins les dispositions entre-vifs et testamentaires antérieures à la promulgation des mêmes titres et dans lesquels ou aurait fixé les droits de ces enfans, seront exécutées ; que, par ces mots du même article, sauf la réduction à la quotité disponible aux termes du même Code, on ne peut penser que la loi ait entendu que cette réduction serait faite conformément aux art. 757 et suivans du Code civil, puisque, dans ce cas, les enfans naturels dont les droits avaient été fixés par des actes entre-vifs ou testamentaires, n'en recueilleraient aucun avantage ; qu'ils seraient traités de la même manière que ceux en faveur desquels il n'aurait été fait aucune disposition ; qe'ainsi cet art. 2 serait superflu, puisqu'il ne ferait que leur accorder les mêmes droits que l'art. 1er leur avait déjà assurés ; que ces mots, sauf la réduction à la quotité disponible, se réfèrent évidemment au cas où, au mépris des art 913, 914 et 915 du Code civil, le père aurait, par acte soit entre-vifs, soit de dernière volonté, gratifié ses enfans naturels d'une portion plus considérable que celle dont la loi lui aisse la libre disposition, et où il aurait ainsi diminué la part que les enfans légitimes et les ascendans recueillent de plein droit dans la succession, soit de leurs auteurs, soit de leurs descendans ; que ce n'est en effet que dans cette partie du Code et dans ce sens, que le législateur a employé le terme de quotité disponible, expression de laquelle il ne se sert pas, lorsque dans l'art 757 il détermine la réserve légale, l'espèce de légitime qu'il permet anx enfans naturels de réclamer ; que d'ailleurs, en ligne collatérale, il ne peut ; d'après le texte et l'esprit du Code, jamais être question de réduction à la quotité disponible, puisque l'art. 916 donne à ceux qui n'ont ni ascendans ni descendans le droit d'épuiser la totalité des biens par des libéralités faites par actes entre-vifs on testamentaires ; attendu enfin que Pierre Guillon n'avait, à l'époque de son décès, ni enfans ou descendans, ni frères ou soeurs qui eussent le droit de demander la réduction du legs universel dont il s'agit à la quotité disponible, mais seulement des héritiers collatéraux à des degrés éloignes ; le tribunal, sans s'arrêter aux exceptions du sieur Delpeyrou, dont il est débouté, le déboute pareillement de sa demande en pétition d'hérédité, etc."

Appel de ce jugement par le sieur Delpeyrou.


Arrêt.


LA COUR, — faisant droit sur l'appel interjeté par Delpeyrou, de la sentence rendue au tribunal civil de Paris, le 20 mai 1810, et sur les autres demandes des parties ; — En ce qui touche le premier grief d'appel et les conclusions principales de Delpeyrou, Considérant que le fait de la naissance adultérine de Guillaume Lethiers et de l'incapacité qui en résulterait n'est pas prouvé ; que la preuve de ce fait serait à la charge de l'héritier ; que Guillaume Lethiers produit des indices suffisans de sa naissauce en 1760, antérieurement au mariage de Pierre Guillon, son père naturel, et conformément à la déclaration de ce dernier dans l'acte de reconnaissance de paternité du 18 germinal an 7 ; — En ce qui touche le second grief d'appel et les conclusions subsidiaires de Delpeyrou ; — Considérant que la loi transitoire du 14 floréal an II, ayant eu pour objet de coordonner avec les dispositions du Code civil, le règlement des droits des enfans nés hors mariage restés indécis depuis la loi de brumaire an 2, la réduction à la quotité disponible, prononcée par l'art. 2 de cette loi, se réfère nécessairement aux art. 757 et 908 du Code, comme, pour le supplément, ce même article se réfère à l'article 761 ; que, cette loi étant spéciale pour les enfans naturels, l'expression de quotité disponible ne peut être entendue que relativement aux enfans naturels à l'égard desquels tout parent à degré successif est héritier à réserve ; que, tous les cas étant a régler par le temps intermédiaire, l'art. 2 de la loi était nécessaire pour le cas de dispositions faites par les père et mère, comme le premier article pour le cas de successions ouvertes ab intestat et sur lesquelles il n'y avait eu ni convention ni jugement, A mis et met l'appellation et ce dont est appel au néant, en ce que l'exécution du testament du 12 floréal an 7 a été ordonnée pour le tout, et en ce que Delpeyrou a été condamné aux dépens ; émendant quant à ce, décharge ledit sieur Delpeyrou des condamnations contre lui prononcées à cet égard ; faisant droit au principal, Ordonne que ledit testament ne sera exécuté que pour les trois quarts au profit de Guillauma Lethiers, la sentence au résidu sortissant effet, etc.

Du 27 février 1819. — Cour royale de Paris. — MM. Démantes et Gairal, avocats.


Affaire Delandine C. Jaquet modifier

Chemin de Fleurs à Néronde. Pierre Guillon impliqué, doit servitude. Jurisprudence de la Cour d'appel de Lyon : et décisions remarquables des tribunaux du ressort ; rédigé successivement, Rusand [puis] Mougin-Rusand, 1835.

Cour royale de Lyon , Ire chambre, audience du 17 décembre 1855. - Présid. de M. le marquis de BELBEUF, prem. prés. -- Plaid. MM. PÉRICAUD, avoué, et CABAUD, avoc, ass. de M. GODEMAHD, avoué.

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