Discussion:L’Âme des Anglais
Éditions
modifierTitre et éditions | ||||
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1909 : | L’Âme des Anglais (Hypothèses impertinentes) | Gallica | en Feuilleton dans le supplément littéraire du Figaro du 18 septembre 1909, signé Fœmina | |
1910 : | L’Âme des Anglais | Essai | signé Fœmina |
Traduction
modifier- The English Soul [1]
Statistiques
modifier- environ 10 606 mots soit moins d’une heure de lecture à 250 mots/mn.
Orthographe - vocabulaire
modifier- retrécissement
- leur âme impénétrée
- cet instinct de rebellion
- dans des circonstances qu’ils mésinterprètent
Réception, critique…
modifier- 1er janvier 1911 : Les Annales politiques et littéraires [2] par Jules Bois
L’actualité nous pousse à regarder vers l’Angleterre, où vient de se jouer un grand ! drame die vie intérieure nationale. Les partis ; luttent encore autour des élections ! dont le résultat peut avoir les plus graves conséquences pour ce pays que des grèves redoutables, secouent et ensanglantent. La démocratie livre bataille à l’ancien esprit seigneurial. La, tradition vermoulue chancelle, la Révolution monte. Est-ce que le Caractère anglais, si profondément conservateur, va laisser s’infiltrer en lui des éléments contradictoires à son essence même? Allons-nous voir changer « l’âme des Anglais » ?
L’Ame des Anglais : tel est le titre d’un livre paru il y a quelques jours à peins et auquel il faudra souvent revenir pour y trouver l’a fine clé d’or et de diamant qui nous ouvrira bien des mystères britanniques de demain et d’hier. L’âme des Anglais. — l’auteur l’appelle une « citadelle » — nous est lointaine et fermée, quoique la grande île soit si prochaine. L’english chenal est franchissable par d’agiles courriers ou même des aéroplanes ; mais une mer plus brumeuse, plus, froide, plus profonde ceinture la citadelle intérieur de nos, voisins. Nos rivaux autrefois, aujourd’hui nos amis et presque nos alliés, ils sont presque aussi imperméables, non par affectation, mais par nature. Et, cependant, nous, avons tout à gagner, pour notre édification propre, à les, mieux connaître. C’est une femme, — et qui, avec raison, a pris le pseudonyme de « Foemina », ayant de son sexe toutes les intuitions, les subtilités et les courages, — c’est une femme qui, guide nouveau e meilleur, pour cette promenade dans les dédales des moeurs, de l’intelligence et des sentiments britanniques, vient à nous avec la lampe magique d’Aladin…
« Foemina, », nous avons tous lu cette signature, pareille à ces masques vénitiens qui irritent la curiosité en l’arrêtant, au bas de chroniques délicieuses et insolites du Figaro. Ces pages, qu’un matin nous apporte, ne passent pas avec la fin du jour. Tel événement transitoire, telle actualité périssable, sont surpris au passages par ce masque embusqué qui a pour escopette un microscope et pour poignard un scalpel. Et l’oripeau du moment s’envole, inutile, laissant libre pour nos regards le coeur saignant, la fibre nerveuse nue, tout ce que cachent, d’ordinaire, les modes, lest attitudes, les menteries. Foemina fait, chaque fois, ce miracle de trouver le grain d’encens d’éternité dans les chiffons de la minute. Spinoza l’eût aimée d’être si bien son disciple à lui qui ne voulait apercevoir les choses que sub specie oeternitatis ; mais ce méticuleux analyste aurait eu beau polir et repolir ses lunettes, il n’aurait jamais, par ses propres moyens, découvert dans le tissu de l’âme ces nuances irrévélées, ces mélanges de laine et de soie, ces mites secrètes et patientes qui le rongent. C’est qu’avec tout son génie, il ne pouvait, étant homme, posséder ces dons extraordinaires d’instinct et de science, cet art et cette divination, cette méthode pour Connaître, enroulée, puis déroulée comme un écheveau, si légère qu’on ne peut la suivre des yeux et que les anciens ont symbolisée par le fil d’Ariane. Foemina a ce méri e, exceptionnel même chez les femmes, d’avoir transposé dans sa pensée et dans son style ces moyens ingénieux (et tort de même ingénus, car ils viennent du tuf de l’âme et non des, alluvions du travail) qui servent à Eve, à Galatée (fugit sub salices). à Mélusine, pour notre inquiétude et notre charme. Plusieurs de nos romancières; savent écrire et même penser ou sentir comme des hommes. D’autres fournissent ce labeur gentil et menu que l’on qualifie généralement, et à tort, de « travail de femme ». Foemina appartient à une troisième catégorie: elle est parmi les meilleures, les très rares, qui, vraiment, nous honorent d’un présent imprévu, marqué du caractère essentiel féminin, avec je ne sais quoi de très souple, de trop scrupuleux, de profond et de paradoxal, qui n’est qu’à elle.
En nous révélant l’âme des Anglais, Foemina nous a dévoilé un peu de son âme à elle, où il y a l’horreur du banal et l’effort heureux de rajeunir la vérité. Foemina a pensé en anglais étant enfant et les premiers livres sur lesquels se sont ouverts ses yeux chercheurs furent des livres anglais. Elle a beaucoup vécu de l’autre côté du bras de mer. On sent que, non seulement, elle a aimé ce pays, ces gens, ces moeurs, mais encore elle les a admirés. Aimer et admirer, c’est, en quelque façon, s’identifier. On s’explique, dès lors, par une certaine influence venue de l’île et très mêlée à un tempérament complexe, ces réticences dans l’expression, ce goût de moraliser, cette ardente vie intime, cette originalité pour ainsi dire insulaire. Tout cela et bien autre chose encore font de Foemina et aussi de Jacques Vontade — car ces deux pseudonymes s’appliquent au même écrivain; — une personnalité qu’il est impossible de confondre avec une autre. Très Française par tant de qualités, et, entre autres, par ta franche étude de notre coeur, la romancière de La Lueur sur la Cime, l’essayiste de L’Ame des Anglais a cette fermeté dans l’attitude, cette émotion contenue jamais lâchée, beaucoup plus fréquentes outre-Manche que chez nous.
Comme sous-titre à son livre, Foemina a choisi : « Hypothèses impertinentes. » Elles ne sont pas trop impertinentes à nos yeux, mais elles peuvent l’être, en effet, pour des Anglais; car elles bravent des opinions toutes faites — et faites par eux ou pour les autres — sur eux-mêmes. Cette impertinence est d’autant plus charmante qu’elle est surtout de l’admiration plus familière et mieux déguisée. Elle ne participe jamais aux bassesses du dénigrement, c’est un coup d’éventail de grande dame à son favori; — mais tout de même c’est, sous des formes sérieuses et correctes, très amusant.
Les Anglais, par exemple, ne sont pas éloignés de se croire le plus grand peuple du monde de par les préférences de la divinité — et Foemina réplique qu’ils sont Ce grand peuple, en effet, mais surtout à cause de la brume qui les a, de tout temps, obligés à s’avancer toujours plus loin et à conquérir pour mieux voir. Ils sont maîtres d’eux et se flattent d’avoir une âme héroïque, et Foemina explique que leur « citadelle », leur citadelle intérieure, est Surtout une ceinture de muscles…
Les gens nerveux, écrit-elle avec une compréhension merveilleuse, sont criblés de fenêtres largement ouvertes, par où les impressions extérieures s’introduisent, courent vers les centres, et y jettent des richesses, et du désarroi. Ils ont des portes béantes, aussi, et, par là, ils s’élancent, pour se mêler aux choses du dehors, en épouser les contours, se répandre, s’éparpiller, se perdre souvent. Le musculaire est une maison close.
Elle raille sans appuyer, et en y rendant hommage, leur prétendue « insensibilité », qui n’est qu’une volonté d’espoir bien supérieure à nos fâcheuses tendances à nous décourager trop vite:
Ils persévèrent incroyablement d’ans les chagrins qui les conduisent vers la vie… Ils traitent ces souffrances secrètes comme ces ifs de leurs jardins, taillés en forme d’oiseaux rares, et auxquels un sécateur obstiné ne permet pas de pousser au hasard des branchettes qui en altéreraient la silhouette singulière et belle… Ils peuvent durer des Siècles, les ifs bien taillés, aux jardins d’Angleterre.
Quant à leur manière d’aimer, elle la place très haut. Et ainsi elle nous déroute autant qu’eux. Comment ! les Latins ne seraient pas les plus’ parfaits amoureux ? Non. L’Anglais l’emporte sur eux, l’Anglais qui sait, d’après Foemina, aimer d’amour même la laideur et la vieillesse : Pour lui, l’amour n’est pas un emploi délicieux de la jeunesse, c’est la tramé même de l’existence entière… L’Anglais reste fidèle à l’amour; il peut en garder les illusions, le trouble et le désir, alors que rien ne semble plus justifier tout cela.
Mais le chapitre ou la verve — j’allais dire l’humour — de Foemina s’exerce avec lune véritable maestria, c’est celui qui est intitulé: « Notre ascétisme et leur sensualité. » En tout cas, j’y ai trouvé des observations très précises et très précieuses sous la réelle ironie et l’apparent paradoxe.
Au fond, le Français n’est pas si voluptueux qu’on le dit et même qu’il le croit Il y a trop d’esprit dans notre passion. Voltaire, ce Français-type, rit jusque dans la licence, ce qui enlève à celle-ci, avec la gravité, son intensité et son venin. Les grands Anglais, les Anglais-types comme Shakespeare et Swinburne, sont profondément sensuels. Même en cuisine — et là nous, touchons à la subtilité — nous témoignerions, nous Français, d’un faible pour l’ascétisme. Et voici comment Foemina distingue entre la sensualité et le raffinement et elle les oppose. Le raffinement, à son avis, est en raison contraire de la sensualité. Notre cuisine excellente et délicate démontre que nos sens sont difficiles et dédaigneux; nous dînons du bout des lèvres ; l’Anglais, au contraire, mange pour manger. « Ils mangent formidablement, et, chose plus extraordinaire, ils éprouvent un bonheur visible a avoir beaucoup! mangé. » Et, à l’heure du repas, on ne s’occupe que de cela. Pas de bavards à table. Foemina perce ces ogres avec ce trait d’une gravité malicieuse: « Les grands plaisirs sont pleins de silence. » Il est vrai qu’un écrivain d’outre-Manche lui répondait : « En France, un dîner me fait toujours songer à ce que devaient être les séances de la Convention. »
Je passe sur le fair play, — le « franc jeu », dirions-nous, et j’en arrive tout de suite à la religion.
Les Anglais, d’une façon générale, sont religieux. Mais ils le sont avec inquiétude ; et leur foi, qui n’est pas immobile, craint toujours de s’égarer. Ils n’ont guère qu’un critérium subjectif. À ce propos, Foemina analyse un livre des plus intéressants du grand critique anglais Edmond Gosse : Père et Fils. C’est pour nous, Français, un spectacle d’âmes entièrement inédit. Nous ne pouvons qu’après cette lecture nous faire une idée de ce puritanisme ardent et rigide « où la pureté absolue, un idéal noble et ridicule, de la cruauté, un orgueil quasi dément, un défaut de sens humain, s’enchevêtrent ». L’âme britannique s’est, maintenant, à peu près libérée — c’est Edmond Gosse qui l’affirme — de cette sorte de croyance ; mais, comme le dit spirituellement Foemina, la religion, chez les Anglais, reste « leur point fébrile ».
Vous vous étonneriez que notre essayiste ne nous ait rien suggéré d’imprévu à propos du Sport. Le sport fait partie intégrante des moeurs anglaises. Foemina le sait bien; et telle y découvre un idéal
et même une chimère dangereuse, alors qu’on a l’habitude, un délassement tout physique qui « entraîne » à de pratiques luttes. C’est nous, au contraire, qui, dans nos jeux musculaires, développerions « des vertus nationales et non des possibilités intéressantes pour le genre humain ». Tandis que l’Anglais dans le sport « doit cultiver le détachement de soi, l’habitude d’exercer un strict contrôle sur ses nerfs, doit commander à son égoïsme, à ses impulsions, régler sa violence, dompter sa vanité », en somme, se moraliser théoriquement il nous plaît, à nous Français, de nous « aventurer, pour conduire à son ultime perfection un engin nouveau qui, réussi, modifiera la vie générale. On l’a vu lors des dangereuses courses d’automobiles ; on le voit, aujourd’hui, dans les audaces mortelles des aviateurs »…
Et Foemina ajoute, non sans profond deur:
Quand ils viennent de jouer et de voir jouer, les Anglais sont fiers d’eux-mêmes, de l’Angleterre, et trouvent que tout est bien… Ils n’ont fait que jouer! L’Angleterre n’en a pas avancé d’une ligne, et cependant, d’autres, qui jouent moins, travaillaient et marchaient… Les Anglais réalistes ne voient pas que leur religion du sport pourrait bien être un piège tendu par la chimère… Une belle chimère à visage noble et fort, une chimère tout de même.
Le livre se termine en discutant les sombres propositions des pessimistes sur l’avenir de l’Angleterre. Le plus grave, ce n’est pas tant la révolte contre la tradition, la longue suprématie des lords et l’idéal que ceux-ci représentent, c’est que « l’appétit de jouir et de paraître augmente, en Angleterre », et « le goût du travail a diminué dans d’étranges proportions ». Cependant, faisons, en finissant, un « acte d’espérance » en l’Angleterre, avec cette femme éminente dont le regard intellectuel est si lumineux et pénétrant :
Des menaces sont suspendues sur cette terre de force, d’orgueil et de gloire. Qu’importe, après tout ! C’est l’Angleterre, où l’instinct de résistance à la destruction est plus puissant que la destruction. Elle a connu bien d’autres troubles, des incertitudes plus tragiques, des luttes plus féroces, de pires menaces, et elle est… l’Angleterre…
Oui, l’Angleterre, transformée peut-être selon la loi qui veut que tout change. En tout cas, personne ne sera descendu plus au fond que Foemina dans son âme d’hier et d’aujourd’hui. Il nous en restera, grâce à elle; un document délicieux, humoristique et, peut-être, impérissable.
JULES BOIS.
- ↑ Un volume, 3 fr. 50.