Discours sur l’Histoire universelle/II/13


XIII.

Réflexion générale sur la suite de la Religion, & sur le rapport qu'il y a entre les Livres de l'Ecriture.


Cette eglise toûjours attaquée, et jamais vaincuë, est un miracle perpetuel, et un témoignage éclatant de l’immutabilité des conseils de Dieu. Au milieu de l’agitation des choses humaines elle se soustient toûjours avec une force invincible, en sorte que par une suite non interrompuë depuis prés de dix-sept cens ans nous la voyons remonter jusqu’à Jesus-Christ, dans lequel elle a recueïlli la succession de l’ancien peuple, et se trouve réünie aux prophetes et aux patriarches.

Ainsi tant de miracles étonnans que les anciens hebreux ont veû de leurs yeux, servent encore aujourd’huy à confirmer nostre foy. Ce grand dieu qui les a faits pour rendre témoignage à son unité et à sa toute-puissance, que pouvoit-il faire de plus authentique pour en conserver la memoire, que de laisser entre les mains de tout un grand peuple les actes qui les attestent rédigez par l’ordre des temps ? C’est ce que nous avons encore dans les livres de l’ancien testament, c’est à dire, dans les livres les plus anciens qui soient au monde ; dans les livres qui sont les seuls de l’antiquité où la connoissance du vray dieu soit enseignée, et son service ordonné ; dans les livres que le peuple juif a toûjours si religieusement gardez. Il est certain que ce peuple est le seul qui ait connu dés son origine le dieu créateur du ciel et de la terre ; le seul par consequent qui devoit estre le dépositaire des secrets divins. Il les a aussi conservez avec une religion qui n’a point d’exemple. Les livres que les egyptiens et les autres peuples appelloient divins, sont perdus il y a long-temps, et à peine nous en reste-t-il quelque memoire confuse dans les histoires anciennes. Les livres sacrez des romains, où Numa auteur de leur religion en avoit écrit les mysteres, ont peri par les mains des romains mesmes, et le senat les fit brusler comme tendans à renverser la religion. Ces mesmes romains ont à la fin laissé perir les livres sibyllins si long-temps réverez parmi eux comme prophetiques, et où ils vouloient qu’on crust qu’ils trouvoient les decrets des dieux immortels sur leur empire, sans pourtant en avoir jamais montré au public je ne dis pas un seul volume, mais un seul oracle. Les juifs ont esté les seuls dont les ecritures sacrées ont esté d’autant plus en venération, qu’elles ont esté plus connuës. De tous les peuples anciens ils sont le seul qui ait conservé les monumens primitifs de sa religion, quoy-qu’ils fussent pleins des témoignages de leur infidelité et de celle de leurs ancestres. Et aujourd’huy encore ce mesme peuple reste sur la terre pour porter à toutes les nations où il a esté dispersé, avec la suite de la religion, les miracles et les prédictions qui la rendent inébranlable. Quand Jesus-Christ est venu, et qu’envoyé par son pere pour accomplir les promesses de la loy, il a confirmé sa mission et celle de ses disciples par des miracles nouveaux, ils ont esté écrits avec la mesme exactitude. Les actes en ont esté publiez à toute la terre ; les circonstances des temps, des personnes et des lieux ont rendu l’examen facile à quiconque a esté soigneux de son salut. Le monde s’est informé, le monde a cru ; et si peu qu’on ait consideré les anciens monumens de l’eglise, on avoûëra que jamais affaire n’a esté jugée avec plus de réflexion et de connoissance.

Mais dans le rapport qu’ont ensemble les livres des deux testamens, il y a une difference à considerer ; c’est que les livres de l’ancien peuple ont esté composez en divers temps. Autres sont les temps de Moïse, autres ceux de Josué et des juges, autres ceux des rois : autres ceux où le peuple a esté tiré d’Egypte et où il a receû la loy, autres ceux où il a conquis la terre promise, autres ceux où il y a esté rétabli par des miracles visibles.

Pour convaincre l’incredulité d’un peuple attaché aux sens, Dieu a pris une longue étenduë de siecles durant lesquels il a distribué ses miracles et ses prophetes, afin de renouveller souvent les témoignages sensibles par lesquels il attestoit ses veritez saintes. Dans le nouveau testament il a suivi une autre conduite. Il ne veut plus rien réveler de nouveau à son eglise aprés Jesus-Christ. En luy est la perfection et la plenitude ; et tous les livres divins qui ont esté composez dans la nouvelle alliance, l’ont esté au temps des apostres.

C’est à dire, que le témoignage de Jesus-Christ et de ceux que Jesus-Christ mesme a daigné choisir pour témoins de sa résurrection, a suffi à l’eglise chrestienne. Tout ce qui est venu depuis l’a édifiée ; mais elle n’a regardé comme purement inspiré de Dieu que ce que les apostres ont écrit, ou ce qu’ils ont confirmé par leur autorité. Mais dans cette difference qui se trouve entre les livres des deux testamens, Dieu a toûjours gardé cét ordre admirable, de faire écrire les choses dans le temps qu’elles estoient arrivées, ou que la memoire en estoit récente. Ainsi ceux qui les sçavoient les ont écrites ; ceux qui les sçavoient ont receû les livres qui en rendoient témoignage : les uns et les autres les ont laissez à leurs descendans comme un heritage précieux ; et la pieuse posterité les a conservez. C’est ainsi que s’est formé le corps des ecritures saintes tant de l’ancien que du nouveau testament : ecritures qu’on a regardées dés leur origine comme veritables en tout, comme données de Dieu-mesme, et qu’on a aussi conservées avec tant de religion, qu’on n’a pas cru pouvoir sans impieté y alterer une seule lettre. C’est ainsi qu’elles sont venuës jusqu’à nous, toûjours saintes, toûjours sacrées, toûjours inviolables ; conservées les unes par la tradition constante du peuple juif, et les autres par la tradition du peuple chrestien d’autant plus certaine, qu’elle a esté confirmée par le sang et par le martyre tant de ceux qui ont écrit ces livres divins que de ceux qui les ont receûs. Saint Augustin et les autres peres demandent sur la foy de qui nous attribuons les livres profanes à des temps et à des auteurs certains. Chacun répond aussitost que les livres sont distinguez par les differens rapports qu’ils ont aux loix, aux coustumes, aux histoires d’un certain temps, par le stile mesme qui porte imprimé le caractere des âges et des auteurs particuliers ; plus que tout cela par la foy publique, et par une tradition constante. Toutes ces choses concourent à établir les livres divins, à en distinguer les temps, à en marquer les auteurs ; et plus il y a eû de religion à les conserver dans leur entier, plus la tradition qui nous les conserve est incontestable.

Aussi a-t-elle toûjours esté reconuë, non seulement par les orthodoxes, mais encore par les héretiques, et mesme par les infideles. Moïse a toûjours passé dans tout l’Orient, et en suite dans tout l’univers pour le legislateur des juifs, et pour l’auteur des livres qu’ils luy attribuënt. Les samaritains qui les ont receûs des dix tribus separées, les ont conservez aussi religieusement que les juifs. Vous avez veû leur tradition et leur histoire.

Deux peuples si opposez ne les ont pas pris l’un de l’autre, mais tous les deux les ont receûs de leur origine commune dés les temps de Salomon et de David. Les anciens caracteres hebreux que les samaritains retiennent encore, montrent assez qu’ils n’ont pas suivi Esdras qui les a changez. Ainsi le pentateuque des samaritains et celuy des juifs sont deux originaux complets, indépendans l’un de l’autre. La parfaite conformité qu’on y voit dans la substance du texte, justifie la bonne foy des deux peuples. Ce sont des témoins fideles qui conviennent sans s’estre entendus, ou pour mieux dire, qui conviennent malgré leurs inimitiez, et que la seule tradition immemoriale de part et d’autre a unis dans la mesme pensée. Ceux donc qui ont voulu dire, quoy-que sans aucune raison, que ces livres estant perdus, ou n’ayant jamais esté, ont esté ou rétablis, ou composez de nouveau, ou alterez par Esdras ; outre qu’ils sont démentis par Esdras mesme, comme on l’a pû remarquer dans la suite de son histoire, le sont aussi par le pentateuque qu’on trouve encore aujourd’huy entre les mains des samaritains tel que l’avoient leû dans les premiers siecles Eusebe de Césarée, Saint Jerosme, et les autres auteurs ecclesiastiques ; tel que ces peuples l’avoient conservé dés leur origine : et une secte si foible semble ne durer si long-temps que pour rendre ce témoignage à l’antiquité de Moïse.

Les auteurs qui ont écrit les quatre evangiles ne reçoivent pas un témoignage moins asseûré du consentement unanime des fideles, des payens, et des héretiques. Ce grand nombre de peuples divers qui ont receû et traduit ces livres divins aussitost qu’ils ont esté faits, conviennent tous de leur date et de leurs auteurs. Les payens n’ont pas contredit cette tradition. Ni Celse qui a attaqué ces livres sacrez, presque dans l’origine du christianisme ; ni Julien L’Apostat, quoy-qu’il n’ait rien ignoré, ni rien omis de ce qui pouvoit les décrier ; ni aucun autre payen ne les a jamais soupçonné d’estre supposez : au contraire, tous leur ont donné les mesmes auteurs que les chrestiens. Les héretiques, quoy-qu’accablez par l’autorité de ces livres, n’osoient dire qu’ils ne fussent pas des disciples de Nostre Seigneur. Il y a eû pourtant de ces héretiques qui ont veû les commencemens de l’eglise, et aux yeux desquels ont esté écrits les livres de l’evangile. Ainsi la fraude, s’il y en eust pû avoir, eust esté éclairée de trop prés pour réüssir. Il est vray qu’aprés les apostres, et lors que l’eglise estoit déja étenduë par toute la terre, Marcion et Manes constamment les plus temeraires et les plus ignorans de tous les héretiques, malgré la tradition venuë des apostres, continuée par leurs disciples et par les evesques à qui ils avoient laissé leur chaire et la conduite des peuples, et receûë unanimement par toute l’eglise chrestienne, oserent dire que trois evangiles estoient supposez, et que celuy de Saint Luc qu’ils préferoient aux autres, on ne sçait pourquoy puis qu’il n’estoit pas venu par une autre voye, avoit esté falsifié. Mais quelles preuves en donnoient-ils ? De pures visions, nuls faits positifs. Ils disoient pour toute raison, que ce qui estoit contraire à leurs sentimens devoit nécessairement avoir esté inventé par d’autres que par les apostres, et alleguoient pour toute preuve les opinions mesmes qu’on leur contestoit ; opinions d’ailleurs si extravagantes, et si manifestement insensées, qu’on ne sçait encore comment elles ont pû entrer dans l’esprit humain. Mais certes, pour accuser la bonne foy de l’eglise, il falloit avoir en main des originaux differens des siens, ou quelque preuve constante. Interpellez d’en produire eux et leurs disciples, ils sont demeurez muets, et ont laissé par leur silence une preuve indubitable qu’au second siecle du christianisme où ils écrivoient, il n’y avoit pas seulement un indice de fausseté, ni la moindre conjecture qu’on pust opposer à la tradition de l’eglise.

Que diray-je du consentement des livres de l’ecriture, et du témoignage admirable que tous les temps du peuple de Dieu se donnent les uns aux autres ? Les temps du second temple supposent ceux du premier, et nous ramenent à Salomon. La paix n’est venuë que par les combats ; et les conquestes du peuple de Dieu nous font remonter jusqu’aux juges, jusqu’à Josué, et jusqu’à la sortie d’Egypte. En regardant tout un peuple sortir d’un royaume où il estoit étranger, on se souvient comment il y estoit entré. Les douze patriarches paroissent aussitost, et un peuple qui ne s’est jamais regardé que comme une seule famille, nous conduit naturellement à Abraham qui en est la tige. Ce peuple est-il plus sage et moins porté à l’idolatrie aprés le retour de Babylone ? C’estoit l’effet naturel d’un grand chastiment, que ses fautes passées luy avoient attiré. Si ce peuple se glorifie d’avoir veû durant plusieurs siecles des miracles que les autres peuples n’ont jamais veûs, il peut aussi se glorifier d’avoir eû la connoissance de Dieu qu’aucun autre peuple n’avoit. Que veut-on que signifie la circoncision, et la feste des tabernacles, et la pasque, et les autres festes célebrées dans la nation de temps immemorial, sinon les choses qu’on trouve marquées dans le livre de Moïse ? Qu’un peuple distingué des autres par une religion et par des moeurs si particulieres, qui conserve dés son origine sur le fondement de la création et sur la foy de la providence, une doctrine si suivie et si élevée, une memoire si vive d’une longue suite de faits si necessairement enchaisnez, des céremonies si reglées et des coustumes si universelles, ait esté sans une histoire qui luy marquast son origine et sans une loy qui luy prescrivist ses coustumes pendant mille ans qu’il est demeuré en estat ; et qu’Esdras ait commencé à luy vouloir donner tout à coup sous le nom de Moïse, avec l’histoire de ses antiquitez, la loy qui formoit ses moeurs, quand ce peuple devenu captif à veû son ancienne monarchie renversée de fonds en comble : quelle fable plus incroyable pourroit-on jamais inventer ? Et peut-on y donner créance, sans joindre l’ignorance au blasphême ? Pour perdre une telle loy, quand on l’a une fois receûë, il faut qu’un peuple soit exterminé, ou que par divers changemens il en soit venu à n’avoir plus qu’une idée confuse de son origine, de sa religion, et de ses coustumes. Si ce malheur est arrivé au peuple juif, et que la loy si connuë sous Sedécias se soit perduë soixante ans aprés malgré les soins d’un Ezechiel, d’un Jéremie, d’un Baruch, d’un Daniel, sans compter les autres, et dans le temps que cette loy avoit ses martyrs comme le montrent les persécutions de Daniel et des trois enfans ; si, dis-je, cette sainte loy s’est perduë en si peu de temps, et demeure si profondément oubliée qu’il soit permis à Esdras de la rétablir à sa fantaisie : ce n’estoit pas le seul livre qu’il luy falloit fabriquer. Il luy falloit composer en mesme temps tous les prophetes anciens et nouveaux, c’est à dire, ceux qui avoient écrit et devant et durant la captivité ; ceux que le peuple avoit veû écrire, aussi-bien que ceux dont il conservoit la memoire ; et non seulement les prophetes, mais encore les livres de Salomon, et les pseaumes de David, et tous les livres d’histoire, puis qu’à peine se trouvera-t-il dans toute cette histoire un seul fait considerable, et dans tous ces autres livres un seul chapitre, qui détaché de Moïse tel que nous l’avons, puisse subsister un seul moment. Tout y parle de Moïse, tout y est fondé sur Moïse ; et la chose devoit estre ainsi, puis que Moïse et sa loy, et l’histoire qu’il a écrite estoit en effet dans le peuple juif tout le fondement de la conduite publique et particuliere. C’estoit en verité à Esdras une merveilleuse entreprise, et bien nouvelle dans le monde, de faire parler en mesme temps avec Moïse tant d’hommes de caractere et de stile different, et chacun d’une maniere uniforme et toûjours semblable à elle-mesme ; et faire accroire tout à coup à tout un peuple que ce sont là les livres anciens qu’il a toûjours réverez, et les nouveaux qu’il a veû faire, comme s’il n’avoit jamais oûï parler de rien, et que la connoissance du temps present aussi-bien que celle du temps passé fust tout à coup abolie. Tels sont les prodiges qu’il faut croire, quand on ne veut pas croire les miracles du tout-puissant, ni recevoir le témoignage par lequel il est constant qu’on a dit à tout un grand peuple qu’il les avoit veûs de ses yeux.

Mais si ce peuple est revenu de Babylone dans la terre de ses peres si nouveau et si ignorant qu’à peine se souvinst-il qu’il eust esté, en sorte qu’il ait receû sans examiner tout ce qu’Esdras aura voulu luy donner : comment donc voyons-nous dans le livre qu’Esdras a écrit et dans celuy de Nehemias son contemporain, tout ce qu’on y dit des livres divins ? Avec quel front Esdras et Nehemias osent-ils parler de la loy de Moïse en tant d’endroits, et publiquement, comme d’une chose connuë de tout le monde, et que tout le monde avoit entre ses mains ? Comment voit-on tout le peuple agir naturellement en consequence de cette loy, comme l’ayant eû toûjours presente ? Mais comment dit-on dans le mesme temps, et dans le retour du peuple, que tout ce peuple admira l’accomplissement de l’oracle de Jéremie touchant les 70 ans de captivité ? Ce Jeremie qu’Esdras venoit de forger avec tous les autres prophetes, comment a-t-il tout d’un coup trouvé créance ? Par quel artifice nouveau a-t-on pû persuader à tout un peuple, et aux vieillards qui avoient veû ce prophete, qu’ils avoient toûjours attendu la delivrance miraculeuse qu’il leur avoit annoncée dans ses écrits ? Mais tout cela sera encore supposé : Esdras et Nehemias n’auront point écrit l’histoire de leur temps ; quelque autre l’aura faite sous leur nom, et ceux qui ont fabriqué tous les autres livres de l’ancien testament auront esté si favorisez de la posterité, que d’autres faussaires leur en auront supposé à eux-mesmes, pour donner créance à leur imposture. On aura honte sans doute de tant d’extravagances ; et au lieu de dire qu’Esdras ait fait tout d’un coup paroistre tant de livres si distinguez les uns des autres par les caracteres du stile et du temps, on dira qu’il y aura pû inserer les miracles et les prédictions qui les font passer pour divins : erreur plus grossiere encore que la précedente, puis que ces miracles et ces prédictions sont tellement répandus dans tous ces livres, sont tellement inculquez et répetez si souvent, avec tant de tours divers et une si grande varieté de fortes figures, en un mot en font tellement tout le corps, qu’il faut n’avoir jamais seulement ouvert ces saints livres, pour ne voir pas qu’il est encore plus aisé de les refondre, pour ainsi dire, tout-à-fait, que d’y inserer les choses que les incredules sont si faschez d’y trouver. Et quand mesme on leur auroit accordé tout ce qu’ils demandent, le miraculeux et le divin est tellement le fonds de ces livres, qu’il s’y retrouveroit encore malgré qu’on en eust. Qu’Esdras, si on veut, y ait ajousté aprés coup les prédictions des choses déja arrivées de son temps : celles qui se sont accomplies depuis que vous avez veûës en si grand nombre, qui les aura ajoustées ? Dieu aura peut-estre donné à Esdras le don de prophetie, afin que l’imposture d’Esdras fust plus vraysemblable ; et on aimera mieux qu’un faussaire soit prophete, qu’Isaïe, ou que Jéremie, ou que Daniel : ou bien chaque siecle aura porté un faussaire heureux, que tout le peuple en aura cru ; et de nouveaux imposteurs, par un zele admirable de religion, auront sans cesse ajousté aux livres divins, aprés mesme que le canon aura esté clos, qu’ils se seront répandus avec les juifs par toute la terre, et qu’on les aura traduits en tant de langues étrangeres. N’eust-ce pas esté à force de vouloir établir la religion, la détruire par les fondemens ? Tout un peuple laisse-t-il donc changer si facilement ce qu’il croit estre divin, soit qu’il le croye par raison ou par erreur ? Quelqu’un peut-il esperer de persuader aux chrestiens, ou mesme aux turcs, d’ajouster un seul chapitre ou à l’evangile, ou à l’alcoran ? Mais peut-estre que les juifs estoient plus dociles que les autres peuples, ou qu’ils estoient moins religieux à conserver leurs saints livres ? Quels monstres d’opinions se faut-il mettre dans l’esprit, quand on veut secoûër le joug de l’autorité divine, et ne regler ses sentimens, non plus que ses moeurs, que par sa raison égarée ? Qu’on ne dise pas que la discussion de ces faits est embarassante : car quand elle le seroit, il faudroit ou s’en rapporter à l’autorité de l’eglise et à la tradition de tant de siecles, ou pousser l’examen jusqu’au bout, et ne pas croire qu’on en fust quitte pour dire qu’il demande plus de temps qu’on n’en veut donner à son salut. Mais au fonds, sans remuer avec un travail infini les livres des deux testamens, il ne faut que lire le livre des pseaumes où sont recueïllis tant d’anciens cantiques du peuple de Dieu, pour y voir dans la plus divine poësie qui fut jamais des monumens immortels de l’histoire de Moïse, de celle des juges, de celle des rois, imprimez par le chant et par la mesure dans la memoire des hommes. Et pour le nouveau testament, les seules epistres de Saint Paul si vives, si originales, si fort du temps, des affaires et des mouvemens qui estoient alors, et enfin d’un caractere si marqué ; ces epistres, dis-je, receûës par les eglises ausquelles elles estoient adressées, et de là communiquées aux autres eglises, suffiroient pour convaincre les esprits bien faits, que tout est sincere et original dans les ecritures que les apostres nous ont laissées. Aussi se soustiennent-elles les unes les autres avec une force invincible. Les actes des apostres ne font que continuer l’evangile ; leurs epistres le supposent necessairement : mais afin que tout soit d’accord, et les actes et les epistres et les evangiles réclament par tout les anciens livres des juifs. Saint Paul et les autres apostres ne cessent d’alleguer ce que Moïse a dit , ce qu’il a écrit , ce que les prophetes ont dit et écrit aprés Moïse. Jesus-Christ appelle en témoignage la loy de Moïse, les prophetes et les pseaumes, comme des témoins qui déposent tous de la mesme verité. S’il veut expliquer ses mysteres, il commence par Moïse et par les prophetes ; et quand il dit aux juifs que Moïse a écrit de luy , il pose pour fondement ce qu’il y avoit de plus constant parmi eux, et les ramene à la source mesme de leurs traditions. Voyons néanmoins ce qu’on oppose à une autorité si reconnuë, et au consentement de tant de siecles : car puis que de nos jours on a bien osé publier en toute sorte de langues des livres contre l’ecriture, il ne faut point dissimuler ce qu’on dit pour décrier ses antiquitez. Que dit-on donc pour autoriser la supposition du pentateuque, et que peut-on objecter à une tradition de trois mille ans soustenuë par sa propre force et par la suite des choses ? Rien de suivi, rien de positif, rien d’important ; des chicanes sur des nombres, sur des lieux, ou sur des noms : et de telles observations, qui dans toute autre matiere ne passeroient tout au plus que pour de vaines curiositez incapables de donner atteinte au fond des choses, nous sont icy alleguées comme faisant la décision de l’affaire la plus serieuse qui fut jamais. Il y a, dit-on, des difficultez dans l’histoire de l’ecriture. Il y en a sans doute qui n’y seroient pas si le livre estoit moins ancien, ou s’il avoit esté supposé, comme on l’ose dire, par un homme habile et industrieux ; si l’on eust esté moins religieux à le donner tel qu’on le trouvoit, et qu’on eust pris la liberté d’y corriger ce qui faisoit de la peine. Il y a les difficultez que fait un long-temps, lors que les lieux ont changé de nom ou d’estat : lors que les dates sont oubliées : lors que les génealogies ne sont plus connuës ; qu’il n’y a plus de remede aux fautes qu’une copie tant soit peu negligée introduit si aisément en de telles choses ; ou que des faits échapez à la memoire des hommes laissent de l’obscurité dans quelque partie de l’histoire. Mais enfin cette obscurité est-elle dans la suite mesme, ou dans le fond de l’affaire ? Nullement : tout y est suivi ; et ce qui reste d’obscur ne sert qu’à faire voir dans les livres saints une antiquité plus venerable.

Mais il y a des alterations dans le texte : les anciennes versions ne s’accordent pas ; l’hebreu en divers endroits est different de luy-mesme ; et le texte des samaritains, outre le mot qu’on les accuse d’y avoir changé exprés en faveur de leur temple de Garizim, differe encore en d’autres endroits de celuy des juifs. Et de là que conclura-t-on ? Que les juifs ou Esdras auront supposé le pentateuque au retour de la captivité ? C’est justement tout le contraire qu’il faudroit conclure. Les differences du samaritain ne servent qu’à confirmer ce que nous avons déja établi, que leur texte est indépendant de celuy des juifs. Loin qu’on puisse s’imaginer que ces schismatiques ayent pris quelque chose des juifs et d’Esdras, nous avons veû au contraire que c’est en haine des juifs et d’Esdras, et en haine du premier et du second temple qu’ils ont inventé leur chimere de Garizim. Qui ne voit donc qu’ils auroient plustost accusé les impostures des juifs que de les suivre ? Ces rebelles qui ont méprisé Esdras et tous les prophetes des juifs, avec leur temple et Salomon qui l’avoit basti, aussi-bien que David qui en avoit désigné le lieu, qu’ont-ils respecté dans leur pentateuque, sinon une antiquité superieure non-seulement à celle d’Esdras et des prophetes, mais encore à celle de Salomon et de David, en un mot l’antiquité de Moïse dont les deux peuples conviennent ? Combien donc est incontestable l’autorité de Moïse et du pentateuque que toutes les objections ne font qu’affermir ? Mais enfin d’où viennent ces varietez des textes et des versions ? D’où viennent-elles en effet, sinon de l’antiquité du livre mesme qui a passé par les mains de tant de copistes depuis tant de siecles que la langue dans laquelle il est écrit, a cessé d’estre commune ? Mais laissons les vaines disputes, et tranchons en un mot la difficulté par le fond. Qu’on me dise s’il n’est pas constant que de toutes les versions, et de tout le texte quel qu’il soit, il en reviendra toûjours les mesmes loix, les mesmes miracles, les mesmes prédictions, la mesme suite d’histoire, le mesme corps de doctrine, et enfin la mesme substance. En quoy nuisent aprés cela les diversitez des textes ? Que nous falloit-il davantage que ce fond inalterable des livres sacrez, et que pouvions-nous demander de plus à la divine providence ? Et pour ce qui est des versions, est-ce une marque de supposition ou de nouveauté, que la langue de l’ecriture soit si ancienne qu’on en ait perdu les délicatesses, et qu’on se trouve empesché à en rendre toute l’élegance ou toute la force dans la derniere rigueur ? N’est-ce pas plustost une preuve de la plus grande antiquité ? Et si on veut s’attacher aux petites choses, qu’on me dise si de tant d’endroits où il y a de l’embarras, on en a rétabli un seul par raisonnement ou par conjecture. On a suivi la foy des exemplaires ; et comme la tradition n’a jamais permis que la saine doctrine pust estre alterée, on a cru que les autres fautes, s’il y en restoit, ne serviroient qu’à prouver qu’on n’a rien icy innové par son propre esprit.

Mais enfin, et voicy le fort de l’objection : n’y-a-t-il pas des choses ajoustées dans le texte de Moïse, et d’où vient qu’on trouve sa mort à la fin du livre qu’on luy attribuë ? Quelle merveille que ceux qui ont continué son histoire ayent ajousté sa fin bienheureuse au reste de ses actions, afin de faire du tout un mesme corps ? Pour les autres additions, voyons ce que c’est. Est-ce quelque loy nouvelle, ou quelque nouvelle céremonie, quelque dogme, quelque miracle, quelque prédiction ? On n’y songe seulement pas : il n’y en a pas le moindre soupçon, ni le moindre indice : c’eust esté ajouster à l’oeuvre de Dieu : la loy l’avoit défendu, et le scandale qu’on eust causé eust esté horrible. Quoy donc, on aura continué peut-estre une génealogie commencée ; on aura peut-estre expliqué un nom de ville changé par le temps ; à l’occasion de la manne dont le peuple a esté nourri durant quarante ans, on aura marqué le temps où cessa cette nourriture celeste, et ce fait écrit depuis dans un autre livre sera demeuré par remarque dans celuy de Moïse comme un fait constant et public dont tout le peuple estoit témoin ; quatre ou cinq remarques de cette nature faites par Josué, ou par Samuël, ou par quelque autre prophete d’une pareille antiquité ; parce qu’elles ne regardoient que des faits notoires et où constamment il n’y avoit point de difficulté, auront naturellement passé dans le texte ; et la mesme tradition nous les aura apportées avec tout le reste : aussitost tout sera perdu ? Esdras sera accusé, quoy-que le samaritain, où ces remarques se trouvent, nous montre qu’elles ont une antiquité non seulement au dessus d’Esdras, mais au dessus du schisme des dix tribus ? N’importe ; il faut que tout retombe sur Esdras. Si ces remarques venoient de plus haut, le pentateuque seroit encore plus ancien qu’il ne faut ; et on ne pourroit assez réverer l’antiquité d’un livre dont les notes mesmes auroient un si grand âge. Esdras aura donc tout fait ; Esdras aura oublié qu’il vouloit faire parler Moïse, et luy aura fait écrire si grossiérement comme déja arrivé ce qui s’est passé aprés luy. Tout un ouvrage sera convaincu de supposition par ce seul endroit ; l’autorité de tant de siecles et la foy publique ne luy servira plus de rien : comme si au contraire on ne voyoit pas que ces remarques dont on se prévaut sont une nouvelle preuve de sincerité et de bonne foy, non seulement dans ceux qui les ont faites, mais encore dans ceux qui les ont transcrites. A-t-on jamais jugé de l’autorité, je ne dis pas d’un livre divin, mais de quelque livre que ce soit par des raisons si legeres ? Mais c’est que l’ecriture est un livre ennemi du genre humain ; il veut obliger les hommes à soumettre leur esprit à Dieu, et à réprimer leurs passions déreglées : il faut qu’il perisse ; et à quelque prix que ce soit, il doit estre sacrifié au libertinage. Au reste, ne croyez pas que l’impieté s’engage sans necessité dans toutes les absurditez que vous avez veûës. Si contre le témoignage du genre humain, et contre toutes les regles du bon sens, elle s’attache à oster au pentateuque et aux propheties leurs auteurs toûjours reconnus, et à leur contester leurs dates ; c’est que les dates font tout en cette matiere pour deux raisons. Premierement, parce que des livres pleins de tant de faits miraculeux qu’on y voit revestus de leurs circonstances les plus particulieres, et avancez non seulement comme publics, mais encore comme presens, s’ils eussent pû estre démentis, auroient porté avec eux leur condamnation ; et au lieu qu’ils se soustiennent de leur propre poids, ils seroient tombez par eux-mesmes il y a long-temps. Secondement, parce que leurs dates estant une fois fixées, on ne peut plus effacer la marque infaillible d’inspiration divine qu’ils portent empreinte dans le grand nombre et la longue suite des prédictions mémorables dont on les trouve remplis.

C’est pour éviter ces miracles et ces prédictions que les impies sont tombez dans toutes les absurditez qui vous ont surpris. Mais qu’ils ne pensent pas échaper à Dieu : il a réservé à son ecriture une marque de divinité qui ne souffre aucune atteinte. C’est le rapport des deux testamens. On ne dispute pas du moins que tout l’ancien testament ne soit écrit devant le nouveau. Il n’y a point icy de nouvel Esdras qui ait pû persuader aux juifs d’inventer ou de falsifier leur ecriture en faveur des chrestiens qu’ils persecutoient. Il n’en faut pas davantage. Par le rapport des deux testamens, on prouve que l’un et l’autre est divin. Ils ont tous deux le mesme dessein et la mesme suite : l’un prépare la voye à la perfection que l’autre montre à découvert ; l’un pose le fondement, et l’autre acheve l’édifice ; en un mot, l’un prédit ce que l’autre fait voir accompli. Ainsi tous les temps sont unis ensemble, et un dessein éternel de la divine providence nous est révelé. La tradition du peuple juif et celle du peuple chrestien ne font ensemble qu’une mesme suite de religion, et les ecritures des deux testamens ne font aussi qu’un mesme corps et un mesme livre. Et à cause que la discussion des prédictions particulieres, quoy-qu’en soy pleine de lumiere, dépend de beaucoup de faits que tout le monde ne peut pas suivre également, Dieu en a choisi quelques-uns qu’il a rendu sensibles aux plus ignorans. Ces faits illustres, ces faits éclatans dont tout l’univers est témoin, sont, monseigneur, les faits que j’ay tasché jusques-icy de vous faire suivre ; c’est à dire, la desolation du peuple juif et la conversion des gentils arrivées ensemble, et toutes deux précisément dans le mesme temps que l’evangile a esté presché, et que Jesus-Christ a paru.

Ces trois choses unies dans l’ordre des temps, l’estoient encore beaucoup davantage dans l’ordre des conseils de Dieu. Vous les avez veû marcher ensemble dans les anciennes propheties : mais Jesus-Christ fidele interprete des propheties et des volontez de son pere, nous a encore mieux expliqué cette liaison dans son evangile. Il le fait dans la parabole de la vigne si familiere aux prophetes. Le pere de famille avoit planté cette vigne, c’est à dire, la religion veritable fondée sur son alliance ; et l’avoit donnée à cultiver à des ouvriers, c’est à dire, aux juifs. Pour en recueïllir les fruits, il envoye à diverses fois ses serviteurs, qui sont les prophetes. Ces ouvriers infideles les font mourir. Sa bonté le porte à leur envoyer son propre fils. Ils le traitent encore plus mal que les serviteurs. A la fin il leur oste sa vigne, et la donne à d’autres ouvriers : il leur oste la grace de son alliance pour la donner aux gentils. Ces trois choses devoient donc concourir ensemble, l’envoy du fils de Dieu, la réprobation des juifs, et la vocation des gentils. Il ne faut plus de commentaire à la parabole que l’évenement a interpretée.

Vous avez veû que les juifs avoûënt que le royaume de Juda et l’estat de leur république a commencé à tomber dans les temps d’Herode, et lors que Jesus-Christ est venu au monde. Mais si les alterations qu’ils faisoient à la loy de Dieu leur ont attiré une diminution si visible de leur puissance, leur derniere desolation qui dure encore, devoit estre la punition d’un plus grand crime. Ce crime est visiblement leur méconnoissance envers leur messie, qui venoit les instruire et les affranchir. C’est aussi depuis ce temps qu’un joug de fer est sur leur teste ; et ils en seroient accablez, si Dieu ne les réservoit à servir un jour ce messie qu’ils ont crucifié.

Voilà donc déja un fait averé et public ; c’est la ruine totale de l’estat du peuple juif dans le temps de Jesus-Christ. La conversion des gentils qui devoit arriver dans le mesme temps, n’est pas moins averée. En mesme temps que l’ancien culte est détruit dans Jérusalem avec le temple, l’idolatrie est attaquée de tous costez ; et les peuples qui depuis tant de milliers d’années avoient oublié leur créateur, se réveillent d’un si long assoupissement.

Et afin que tout convienne, les promesses spirituelles sont développées par la prédication de l’evangile, dans le temps que le peuple juif qui n’en avoit receû que de temporelles, réprouvé manifestement pour son incrédulité, et captif par toute la terre, n’a plus de grandeur humaine à esperer. Alors le ciel est promis à ceux qui souffrent persecution pour la justice ; les secrets de la vie future sont preschez ; et la vraye béatitude est montrée loin de ce séjour où regne la mort, où abondent le peché et tous les maux. Si on ne découvre pas icy un dessein toûjours soustenu et toûjours suivi ; si on n’y voit pas un mesme ordre des conseils de Dieu qui prépare dés l’origine du monde ce qu’il acheve à la fin des temps, et qui sous divers estats, mais avec une succession toûjours constante, perpetuë aux yeux de tout l’univers la sainte societé où il veut estre servi : on merite de ne rien voir, et d’estre livré à son propre endurcissement comme au plus juste et au plus rigoureux de tous les supplices. Et afin que cette suite du peuple de Dieu fust claire aux moins clairvoyans, Dieu la rend sensible et palpable par des faits que personne ne peut ignorer, s’il ne ferme volontairement les yeux à la verité. Le messie est attendu par les hebreux ; il vient, et il appelle les gentils comme il avoit esté prédit. Le peuple qui le reconnoist comme venu, est incorporé au peuple qui l’attendoit, sans qu’il y ait entre deux un seul moment d’interruption : ce peuple est répandu par toute la terre : les gentils ne cessent de s’y aggreger ; et cette eglise que Jesus-Christ a établie sur la pierre, malgré les efforts de l’enfer, n’a jamais esté renversée. Quelle consolation aux enfans de Dieu ! Mais quelle conviction de la verité, quand ils voyent que d’Innocent Xi qui remplit aujourd’huy si dignement le premier siége de l’eglise, on remonte sans interruption jusqu’à Saint Pierre établi par Jesus-Christ prince des apostres : d’où, en reprenant les pontifes qui ont servi sous la loy, on va jusqu’à Aaron et jusqu’à Moïse ; de là jusqu’aux patriarches, et jusqu’à l’origine du monde ! Quelle suite, quelle tradition, quel enchaisnement merveilleux ! Si nostre esprit naturellement incertain, et devenu par ses incertitudes le joûët de ses propres raisonnemens, a besoin dans les questions où il y va du salut, d’estre fixé et déterminé par quelque autorité certaine : quelle plus grande autorité que celle de l’eglise catholique qui réünit en elle-mesme toute l’autorité des siecles passez, et les anciennes traditions du genre humain jusqu’à sa premiere origine ? Ainsi la societé que Jesus-Christ attendu durant tous les siecles passez a enfin fondée sur la pierre, et où Saint Pierre et ses successeurs doivent présider par ses ordres, se justifie elle-mesme par sa propre suite, et porte dans son éternelle durée le caractere de la main de Dieu.

C’est aussi cette succession, que nulle héresie, nulle secte, nulle autre societé que la seule eglise de Dieu n’a pû se donner. Les fausses religions ont pû imiter l’eglise en beaucoup de choses, et sur tout elles l’imitent en disant, comme elle, que c’est Dieu qui les a fondées : mais ce discours en leur bouche n’est qu’un discours en l’air. Car si Dieu a créé le genre humain, si le créant à son image, il n’a jamais dédaigné de luy enseigner le moyen de le servir et de luy plaire, toute secte qui ne montre pas sa succession depuis l’origine du monde n’est pas de Dieu. Icy tombent aux pieds de l’eglise toutes les societez et toutes les sectes que les hommes ont établies au dedans ou au dehors du christianisme. Par exemple, le faux prophete des arabes a bien pû se dire envoyé de Dieu ; et aprés avoir trompé des peuples souverainement ignorans, il a pû profiter des divisions de son voisinage, pour y étendre par les armes une religion toute sensuelle : mais ni il n’a osé supposer qu’il ait esté attendu, ni enfin il n’a pû donner ou à sa personne, ou à sa religion aucune liaison réelle ni apparente avec les siecles passez. L’expedient qu’il a trouvé pour s’en exempter est nouveau. De peur qu’on ne voulust rechercher dans les ecritures des chrestiens des témoignages de sa mission semblables à ceux que Jesus-Christ trouvoit dans les ecritures des juifs, il a dit que les chrestiens et les juifs avoient falsifié tous leurs livres. Ses sectateurs ignorans l’en ont cru sur sa parole six cens ans aprés Jesus-Christ ; et il s’est annoncé luy-mesme, non seulement sans aucun témoignage précedent, mais encore sans que ni luy, ni les siens ayent osé ou supposer, ou promettre aucun miracle sensible qui ait pû autoriser sa mission. De mesme les héresiarques qui ont fondé des sectes nouvelles parmi les chrestiens, ont bien pû rendre la foy plus facile, en niant les mysteres qui passent les sens. Ils ont bien pû ébloûïr les hommes par leur éloquence et par une apparence de pieté, les remüer par leurs passions, les engager par leurs interests, les attirer par la nouveauté et par le libertinage, soit par celuy de l’esprit, soit mesme par celuy des sens ; en un mot, ils ont pû facilement, ou se tromper, ou tromper les autres, car il n’y a rien de plus humain : mais, outre qu’ils n’ont pas pû mesme se vanter d’avoir fait aucun miracle en public, ni réduire leur religion à des faits positifs dont leurs sectateurs fussent témoins, il y a toûjours un fait malheureux pour eux, que jamais ils n’ont pû couvrir ; c’est celuy de leur nouveauté. Il paroistra toûjours aux yeux de tout l’univers, qu’eux et la secte qu’ils ont établie se sera détachée de ce grand corps et de cette eglise ancienne que Jesus-Christ a fondée, où Saint Pierre et ses successeurs tenoient la premiere place, dans laquelle toutes les sectes les ont trouvé établis. Le moment de la separation sera toûjours si constant, que les héretiques eux-mesmes ne le pourront desavoûër, et qu’ils n’oseront pas seulement tenter de se faire venir de la source par une suite qu’on n’ait jamais veû s’interrompre. C’est le foible inévitable de toutes les sectes que les hommes ont établies. Nul ne peut changer les siecles passez, ni se donner des prédecesseurs, ou faire qu’il les ait trouvez en possession. La seule eglise catholique remplit tous les siecles précedens par une suite qui ne luy peut estre contestée. La loy vient au-devant de l’evangile ; la succession de Moïse et des patriarches ne fait qu’une mesme suite avec celle de Jesus-Christ : estre attendu, venir, estre reconnu par une posterité qui dure autant que le monde, c’est le caractere du messie en qui nous croyons. Jesus-Christ est aujourd’huy, il estoit hier, et il est aux siecles des siecles. ainsi outre l’avantage qu’a l’eglise de Jesus-Christ, d’estre seule fondée sur des faits miraculeux et divins qu’on a écrit hautement et sans crainte d’estre démenti dans le temps qu’ils sont arrivez, voicy en faveur de ceux qui n’ont pas vescu dans ces temps, un miracle toûjours subsistant, qui confirme la verité de tous les autres ; c’est la suite de la religion toûjours victorieuse des erreurs qui ont tasché de la détruire. Vous y pouvez joindre encore une autre suite, et c’est la suite visible d’un continuel chastiment sur les juifs qui n’ont pas receû le Christ promis à leurs peres.

Ils l’attendent néanmoins encore ; et leur attente toûjours frustrée, fait une partie de leur supplice. Ils l’attendent, et font voir en l’attendant qu’il a toûjours esté attendu. Condamnez par leurs propres livres, ils asseûrent la verité de la religion ; ils en portent, pour ainsi dire, toute la suite écrite sur leur front : d’un seul regard on voit ce qu’ils ont esté, pourquoy ils sont comme on les voit, et à quoy ils sont réservez. Ainsi quatre ou cinq faits authentiques et plus clairs que la lumiere du soleil, font voir nostre religion aussi ancienne que le monde. Ils montrent par consequent, qu’elle n’a point d’autre auteur que celuy qui a fondé l’univers, qui tenant tout en sa main, a pû seul et commencer et conduire un dessein où tous les siecles sont compris.

Il ne faut donc plus s’étonner, comme on fait ordinairement, de ce que Dieu nous propose à croire tant de choses si dignes de luy, et tout ensemble si impenétrables à l’esprit humain. Mais plustost il faut s’étonner de ce qu’ayant établi la foy sur une autorité si ferme et si manifeste, il reste encore dans le monde des aveugles et des incrédules.

Nos passions desordonnées, nostre attachement à nos sens, et nostre orgueïl indomptable en sont la cause. Nous aimons mieux tout risquer, que de nous contraindre : nous aimons mieux croupir dans nostre ignorance que de l’avoûër : nous aimons mieux satisfaire une vaine curiosité, et nourrir dans nostre esprit indocile la liberté de penser tout ce qu’il nous plaist, que de ployer sous le joug de l’autorité divine. De là vient qu’il y a tant d’incrédules, et Dieu le permet ainsi pour l’instruction de ses enfans. Sans les aveugles, sans les sauvages, sans les infideles qui restent, et dans le sein mesme du christianisme, nous ne connoistrions pas assez la corruption profonde de nostre nature, ni l’abisme d’où Jesus-Christ nous a tirez. Si sa sainte verité n’estoit contredite, nous ne verrions pas la merveille qui l’a fait durer parmi tant de contradictions, et nous oublierions à la fin que nous sommes sauvez par la grace. Maintenant l’incrédulité des uns humilie les autres ; et les rebelles qui s’opposent aux desseins de Dieu font éclater la puissance par laquelle indépendemment de toute autre chose il accomplit les promesses qu’il a faites à son eglise.

Qu’attendons-nous donc à nous soumettre ? Attendons-nous que Dieu fasse toûjours de nouveaux miracles ; qu’il les rende inutiles en les continuant ; qu’il y accoustume nos yeux comme ils le sont au cours du soleil et à toutes les autres merveilles de la nature ? Ou bien attendons-nous que les impies et les opiniastres se taisent ; que les gens de bien et les libertins rendent un égal témoignage à la verité ; que tout le monde d’un commun accord la préfere à sa passion, et que la fausse science, que la seule nouveauté fait admirer, cesse de surprendre les hommes ? N’est-ce pas assez que nous voyions qu’on ne peut combatre la religion sans montrer par de prodigieux égaremens qu’on a le sens renversé, et qu’on ne se défend plus que par présomption, ou par ignorance ? L’eglise victorieuse des siecles et des erreurs, ne pourra-t-elle pas vaincre dans nos esprits les pitoyables raisonnemens qu’on luy oppose ; et les promesses divines que nous voyons tous les jours s’y accomplir, ne pourront-elles nous élever au dessus des sens ? Et qu’on ne nous dise pas que ces promesses demeurent encore en suspens, et que comme elles s’étendent jusqu’à la fin du monde, ce ne sera qu’à la fin du monde que nous pourrons nous vanter d’en avoir veû l’accomplissement. Car au contraire, ce qui s’est passé nous asseûre de l’avenir : tant d’anciennes prédictions si visiblement accomplies, nous font voir qu’il n’y aura rien qui ne s’accomplisse ; et que l’eglise contre qui l’enfer, selon la promesse du fils de Dieu, ne peut jamais prévaloir, sera toûjours subsistante jusqu’à la consommation des siecles, puis que Jesus-Christ veritable en tout n’a point donné d’autres bornes à sa durée. Les mesmes promesses nous asseûrent la vie future. Dieu qui s’est montré si fidele, en accomplissant ce qui regarde le siecle present, ne le sera pas moins à accomplir ce qui regarde le siecle futur, dont tout ce que nous voyons n’est qu’une préparation ; et l’eglise sera sur la terre toûjours immuable et invincible, jusqu’à ce que ses enfans estant ramassez, elle soit toute entiere transportée au ciel, qui est son séjour veritable. Pour ceux qui seront exclus de cette cité celeste, une rigueur éternelle leur est réservée ; et aprés avoir perdu par leur faute une bienheureuse éternité, il ne leur restera plus qu’une éternité malheureuse.

Ainsi les conseils de Dieu se terminent par un estat immuable ; ses promesses et ses menaces sont également certaines ; et ce qu’il exécute dans le temps asseûre ce qu’il nous ordonne ou d’esperer, ou de craindre dans l’éternité. Voilà ce que vous apprend la suite de la religion mise en abregé devant vos yeux. Par le temps elle vous conduit à l’éternité. Vous voyez un ordre constant dans tous les desseins de Dieu, et une marque visible de sa puissance dans la durée perpetuelle de son peuple. Vous reconnoissez que l’eglise a une tige toûjours subsistante, dont on ne peut se separer sans se perdre ; et que ceux qui estant unis à cette racine, font des oeuvres dignes de leur foy, s’asseûrent la vie éternelle.

Etudiez-donc, monseigneur, mais étudiez avec attention cette suite de l’eglise, qui vous asseûre si clairement toutes les promesses de Dieu. Tout ce qui rompt cette chaisne, tout ce qui sort de cette suite, tout ce qui s’éleve de soy-mesme, et ne vient pas en vertu des promesses faites à l’eglise dés l’origine du monde, vous doit faire horreur. Employez toutes vos forces à rappeller dans cette unité tout ce qui s’en est dévoyé, et à faire écouter l’eglise par laquelle le Saint Esprit prononce ses oracles. La gloire de vos ancestres est non seulement de ne l’avoir jamais abandonnée, mais de l’avoir toûjours soustenuë ; et d’avoir merité par là d’estre appellez ses fils aisnez, qui est sans doute le plus glorieux de tous leurs titres. Je n’ay pas besoin de vous parler de Clovis, de Charlemagne, ni de Saint Loûïs. Considerez seulement le temps où vous vivez, et de quel pere Dieu vous a fait naistre. Un roy si grand en tout se distingue plus par sa foy que par ses autres admirables qualitez. Il protege la religion au dedans et au dehors du royaume, et jusqu’aux extrémitez du monde. Ses loix sont un des plus fermes remparts de l’eglise. Son autorité réverée autant par le merite de sa personne que par la majesté de son sceptre, ne se soustient jamais mieux que lors qu’elle défend la cause de Dieu. On n’entend plus de blasphême ; l’impieté tremble devant luy : c’est ce roy marqué par Salomon, qui dissipe tout le mal par ses regards. S’il attaque l’héresie par tant de moyens, et plus encore que n’ont jamais fait ses prédecesseurs, ce n’est pas qu’il craigne pour son trône ; tout est tranquille à ses pieds, et ses armes sont redoutées par toute la terre : mais c’est qu’il aime ses peuples, et que se voyant élevé par la main de Dieu à une puissance que rien ne peut égaler dans l’univers, il n’en connoist point de plus bel usage que de la faire servir à guerir les playes de l’eglise.

Imitez, monseigneur, un si bel exemple, et laissez-le à vos descendans. Recommandez-leur l’eglise plus encore que ce grand empire que vos ancestres gouvernent depuis tant de siecles. Que vostre auguste maison, la premiere en dignité qui soit au monde, soit la premiere à défendre les droits de Dieu, et à étendre par tout l’univers le regne de Jesus-Christ qui la fait regner avec tant de gloire.