Discours et mélanges littéraires/De Pascal, considéré comme écrivain et comme moraliste

DE PASCAL,
considéré
COMME MORALISTE ET COMME ÉCRIVAIN.

En parcourant la variété des connaissances humaines, on aperçoit deux grandes divisions de l’intelligence, auxquelles tout vient se réunir. Dans l’une, l’esprit s’exerce sur la matière ; dans l’autre, sur lui-même ; l’une renferme toute la science des objets extérieurs, depuis la mécanique la plus vulgaire jusqu’à celle des cieux ; l’autre n’a pour objet que notre cœur ; et ses instruments sont la morale, l’éloquence et la poésie.

Un même génie peut-il rassembler en lui ces deux forces opposées ? ou leur séparation est-elle aussi invincible que leur différence est manifeste ? Lorsque la science physique était à ses commencements, incomplète et grossière, elle ne pouvait seule suffire à toute l’activité d’une tête puissante : et d’ailleurs, elle avait besoin de t’imagination, pour couvrir ses ignorances et ses erreurs. Pythagore, qui porta chez les Grecs la science des nombres, enseignait la morale en vers harmonieux ; et le divin Platon étayait sur la géométrie sa brillante métaphysique. Mais quand la science eut recueilli dans son domaine des multitudes d’observations et de faits, elle dut se retirer à part et ne plus exister qu’en elle-même. Ainsi, par le progrès des connaissances humaines a commencé le divorce des sciences et des lettres ; et notre intelligence agrandie s’est divisée, comme un empire trop vaste se sépare en royaumes indépendants.

On compte les hommes qui voulurent faire exception à cette loi de la faiblesse humaine ; et ils la confirment encore. S’ils ont embrassé les extrêmes, ils n’ont pu les porter au même point. L’une des deux perfections est toujours prise sur l’autre ; et ils sont tout ensemble médiocres et sublimes. Un homme s’était présenté pour donner à l’esprit humain deux titres de gloire à la fois ; mais ses premiers élans ont usé les forces de la nature ; et il n’a pas eu le temps de finir. Cependant quel spectacle que les travaux et les essais de cet homme arrêté dans le milieu de sa tâche quels monuments que les jets informes de son génie !

On se propose de rassembler ici quelques réflexions sur ceux des ouvrages de Pascal qui sont étrangers aux sciences mathématiques. Pascal écrivait à l’un des plus profonds géomètres de son temps « J’appelle la géométrie le plus beau métier du monde[1] ; mais enfin ce n’est qu’un métier ; et j’ai dit souvent qu’elle est bonne pour faire l’essai, mais non pas l’emploi de notre force. » Sans devenir complice de ce dur et peut-être capricieux anathème contre une science si fort admirée de nos jours, il est permis de chercher de préférence la grandeur de l’esprit humain dans ces monuments de haute raison et d’inimitable éloquence, qui parlent à tous les siècles, et transmettent à l’avenir l’homme de génie tout entier. Dans les sciences exactes, la découverte se sépare, pour ainsi dire, de l’inventeur ; elle se corrige, s’étend, se perfectionne par d’autres mains, et devient un simple chainon dans l’ordre successif des vérités que doit découvrir la patience des siècles ; mais l’écrivain qui a gravé par l’éloquence de grandes pensées ou de généreux sentiments, a tout fait en une fois, et demeure lui-même immortel avec son ouvrage.

En réfléchissant à cet instinct prématuré qui tourna dès l’enfance le génie de Pascal vers la géométrie, et lui fit inventer les éléments de la science, qu’il désirait sans la connaître, il serait superflu de chercher si la faculté qu’il manifesta la première était nécessairement en lui la plus naturelle et la plus haute. Tous les talents supposent des germes innés ; mais une foule de circonstances extérieures et d’impressions étrangères, mille hasards, que l’on ne calcule pas, peuvent déterminer le développement des facultés de l’esprit, dans un ordre qui ne suppose pas la prééminence de l’une sur l’autre. Le père de Pascal voulait occuper son fils à l’étude des lettres ; mais il était lui-même géomètre passionné il ne vivait que pour cette science. En la refusant à son fils, il la lui promettait dans l’avenir, pour prix de ses efforts ; il lui annonçait la géométrie comme la science des hommes. On voit tous les jours, par des expériences moins importantes et moins heureuses, que les enfants imitent, au lieu d’obéir, qu’ils répètent les actions et oublient les conseils, que leur curiosité, enfin, cherche surtout ce qu’on lui dérobe. N’est-il pas vraisemblable que, dans une intelligence prodigieusement active et pénétrante comme celle de Pascal, l’ardeur de connaître une chose secrète et défendue servit à exciter encore le talent mathématique ? Une fois développée, cette passion des sciences exactes, l’une des plus puissantes sur les esprits qu’elle possède, retint cet ardent génie par l’attrait des découvertes, la nouveauté des expériences, la certitude des vérités, et consuma de travaux excessifs la plus grande portion de cette vie si courte, et sitôt dévorée.

Mais comment, du milieu de ces études arides et desséchantes a pu sortir l’orateur habile et passionné, le créateur du style français ? Nos grands écrivains se sont tous produits au dehors, ou par le jet soudain d’une première et unique inspiration, ou par la longue patience d’un même travail. Pascal est écrivain sublime, en quittant ses livres de géométrie. Dans les pages éloquentes qui n’occupèrent que quelques-unes des années peu nombreuses accordées à cet homme extraordinaire, vous n’apercevez ni les commencements ni les degrés du génie : le terme est d’abord atteint ; la trace des pas est effacée.

Peut-être ce singulier phénomène doit-il en partie s’expliquer par l’influence même des études abstraites qu’avait embrassées Pascal, à une époque où ces hautes connaissances, destituées encore de la perfection et de la facilité des méthodes, imposaient à l’esprit l’effort d’une création continuelle. Tout était originalité dans une étude incomplète et renaissante. Une sorte d’enthousiasme et d’imagination élevée s’attachait à tous les essais de la science. On peut songer dès lors combien l’habitude de semblables contemplations devait être plus féconde et plus inspirante que les travaux frivoles auxquels la littérature avait été trop souvent bornée, sous la protection de Richelieu. La langue et le génie français pouvaient-ils être heureusement dénoués par ces écrivains, qui ne cherchaient dans le style que le style même, et faisaient de l’étude des mots une science à part ? Pour trouver ce qui fait les hommes éloquents, il faut chercher ce qui élève la pensée. L’antique liberté avait créé l’antique éloquence. L’imitation poétique la fit passer dans les vers de Corneille. Mais nos institutions ne lui laissaient point de place ailleurs que sur le théâtre.

Quand la pensée ne peut s’occuper des grands intérêts de patrie et de liberté, quand elle est privée, pour ainsi dire, de l’existence publique, il lui reste cependant encore de nobles sources d’inspiration. Ce sont les émotions intimes de l’âme et les hautes vues de la nature. C’est l’amour de la vérité spéculative. Pascal puisait à cette source sublime il en tira son éloquence. Le bon goût, le mépris des faux ornements et de la vaine rhétorique naquirent pour lui de la grandeur des objets, dont il avait occupé son intelligence. L’originalité le suivit de la géométrie dans les lettres : il inventa son langage, comme il avait trouvé les principes des sciences, sous une loi éternelle de justesse et de vérité. Peut-être s’il eût reçu de la nature une imagination moins vive, il l’aurait pour jamais éteinte dans la froideur des études abstraites. Mais un esprit tel que le sien, loin de céder à la géométrie, lui enleva cette vigueur de déduction et ces raisonnements irrésistibles, qui devinrent les armes de sa parole.

Combien l’esprit de Pascal dut-il encore s’animer dans l’entretien de ces illustres solitaires, qu’il allait surpasser et défendre ! Je sais qu’il est facile de refuser son admiration à des vertus qui ne sont plus d’usage, à des talents qui n’ont laissé qu’un souvenir. Aujourd’hui le plus beau titre de Port-Royal est d’avoir été l’école de Racine. On ne lit plus Nicole, Hermant, Sacy. La gloire d’Arnauld, est un problème : ses querelles paraissent un ridicule. Cependant les esprits les plus éclairés d’un siècle poli ont étudié avec admiration ces auteurs si dédaignés ; et Louis XIV a fait lutter sa politique et sa puissance contre la fermeté de quelques théologiens. Port-Royal avait donc une grandeur réelle, attestée par la persécution, comme par l’enthousiasme.

Au commencement d’une époque où la religion devait briller de toutes les splendeurs des arts et du génie, quelques hommes de mœurs graves, d’un esprit libre et élevé, la plupart unis par le sang ou par la plus étroite amitié, forment loin du monde une société tout occupée du travail et de la méditation. Studieux amateurs de l’antiquité, leurs écrits en portent le caractère mâle et fort. Avec plus de raison que d’élégance, ils donnent cependant le premier modèle du bon goût et de la saine littérature. Ils ont connu les affaires et la vie ; ils ont admis dans leur sein des hommes battus par les vents des factions. Ces pieux solitaires sont les amis innocents, mais fidèles de l’ambitieux coadjuteur de Paris. Port-Royal a recueilli plus d’un noble débris de la Fronde ; et cette indépendance à la fois violente et frivole, qui avait agité l’État, sans savoir le réformer, est venue chercher un asile dans la religion. Là se trouvait presque toute réunie, comme une tribu antique, cette famille Arnauld, étonnante par la variété des talents et l’élévation uniforme des caractères. Si la différence des mœurs permettait ce singulier parallèle, on dirait les Appius de Rome, tous ardents, habiles, opiniâtres. Ils avaient également à soutenir une de ces longues inimitiés qui dans les républiques anciennes faisaient partie de l’héritage des familles. Antoine Arnauld, véhément accusateur des jésuites, dans un procès fameux, avait attiré sur ses nombreux enfants la haine de cette vindicative et puissante société, et leur avait transmis le courage et le talent de la braver.

Mais, dira-t-on, qu’importent les cinq propositions inintelligibles de Jansénius et tant de controverses si stériles et si longues ? Ce prompt mépris serait peu philosophique. Les occasions, les formes changent ; les occupations de l’esprit humain se renouvellent ; mais dans tous les temps, et sous des noms divers, il existe un débat entre l’autorité arbitraire et l’indépendance de la pensée, entre ceux qui veulent introduire la soumission absolue dans le domaine de l’intelligence, et ceux qui réclament l’exercice naturel et libre de la raison : c’est la querelle de Socrate et d’Anytus, des philosophes stoïciens et des empereurs, de. Henri IV et de la ligue, des Hollandais et de Philippe II. Spéculative, religieuse, politique, littéraire, cette controverse se modifie, se transforme, s’agrandit ou s’abaisse au gré de mille hasards, de mille accidents de la civilisation ou des mœurs mais elle subsiste toujours, elle tient à la dignité même de notre nature, à ce noble privilége qui fait que dans l’homme la pensée est le premier, le plus précieux bien qu’on veuille envahir et que l’on puisse défendre.

Dans cette lutte éternelle, les solitaires de Port-Royal, en paraissant ne discuter que des subtilités scolastiques, représentaient la liberté de conscience, l’esprit d’examen, l’amour de la justice et de la vérité. Leurs adversaires plaidaient la cause opposée, celle de la domination aveugle sur les esprits et sur les âmes. Pascal fut indigné du joug que de telles doctrines imposaient à la raison. La hauteur de son génie refusa de plier sous cette insolente usurpation des plus nobles facultés de l’homme vainement réfugié dans le sanctuaire de la conscience et de la foi. Il voyait ses vertueux amis se livrer avec un zèle opiniàtre à des études profondes sur les origines et les monuments de la religion : il les voyait résignés, solitaires, humbles d’une véritable humilité, craignant de trouver l’ambition dans le sacerdoce, et préférant la persécution, comme aux premiers jours du christianisme. La société des jésuites, au contraire, était menaçante, accréditée, distribuait la faveur ou la disgrâce, et s’acharnait à poursuivre de calomnies et de lettres d’exil[2] quelques hommes savants, religieux, irréprochables, qui n’avaient d’autre tort que de croire à leurs opinions et de garder leur conscience. Cette âme de Pascal noble et pure pouvait-elle rester indifférente devant un tel combat ?

Il s’était d’abord approché de Port-Royal, préoccupé de la philosophie d’Épictète et des incertitudes de Montaigne. La candeur du vertueux Sacy le frappa d’une lumière nouvelle. La vaste érudition, l’esprit infatigable d’Arnauld, la raison insinuante, la finesse judicieuse et la douceur de Nicole, qui semblait le Mélanchton de cette réforme orthodoxe et mitigée, l’éloquence naturelle et l’imagination de Lemaistre, agitèrent en tous sens cette âme violemment éprise de la vérité. Dans ses conversations fécondes avec des esprits dignes de lui, Pascal laissait échapper la supériorité de son intelligence, sur quelque sujet que ce fût ; et ces hommes, dont la mémoire était nourrie d’une vaste lecture, croyaient retrouver dans leurs plus précieux souvenirs les pensées que Pascal produisait à l’instant de lui-même, comme s’il eût dû porter partout cette espèce de divination que, dès l’enfance, il avait exercée sur la géométrie. Les solitaires étaient surtout grands théologiens ; mais tout ce qui peut intéresser la pensée humaine faisait le sujet inépuisable de leurs entretiens, philosophie, histoire, antiquité. Arnauld était profond géomètre ; et cette netteté, cette vigueur de logique, cette inflexibilité de déduction que Pascal avait aimée dans la géométrie, semblait le caractère commun du langage, des livres, des doctrines, et, si l’on veut, des erreurs de Port-Royal. Que de liens devaient resserrer cette société naturelle entre de hautes intelligences rapprochées ainsi par l’amour de la méditation et de l’étude ! quelle fidélité ! non de parti, mais de conviction, mais de vertu, devait être cimentée par ce noble commerce ! On conçoit dès lors comment les travaux théologiques des solitaires devinrent la science même de Pascal, et comment les agréments infinis de son génie moqueur, à force de raison, se prêtèrent si bien à revêtir de naturel et d’élégance les savantes démonstrations que lui fournissait l’expérience de ses amis.

Ainsi naquirent les Provinciales, par le besoin d’en appeler de la Sorbonne au public, et d’expliquer ces subtiles questions de la grâce qui servaient de prétexte à la persécution d’Arnauld, le plus illustre soutien de Port-Royal. Ces lettres paraissaient sous un faux nom, presque furtivement ; elles défendaient un illustre opprimé ; elles attaquaient un abus de pouvoir théologique, dans une époque où la religion était le premier soin des esprits ; elles n’étaient pas une chose frivole elles répondaient à l’un des intérêts les plus réels du temps. La brièveté, la clarté, une élégance inconnue, une plaisanterie mordante et naturelle, des mots que l’on retient, en rendirent le succès populaire. Pascal explique si nettement la question, que par reconnaissance on est obligé de la juger comme lui. J’admirerais moins les Lettres provinciales, si elles n’étaient pas écrites avant Molière. Pascal a deviné la bonne comédie. Il introduit sur la scène plusieurs acteurs, un indifférent qui reçoit toutes les confidences de la colère et de la passion, des hommes de parti sincères, de faux hommes de parti plus ardents que les autres, des conciliateurs de bonne foi partout repoussés, des hypocrites partout accueillis. C’est une véritable comédie de mœurs, dont le costume a changé. La scène devient plus plaisante encore, lorsque, réduite à deux personnages, elle nous montre le naïf interprète des casuistes en face d’un disciple apparent, qui, tantôt par d’ingénieuses contradictions, tantôt par une ironique docilité, excite et favorise l’indiscrète vivacité du bon père. Animé par un tel auditeur, le jésuite développe avec une orgueilleuse confiance les maximes de ses auteurs, mesure le progrès de son admiration sur celui de leur sottise, et rend vraisemblable par ses louanges ce qui paraîtrait un reproche invraisemblable. Le dialogue des deux interlocuteurs se prolonge beaucoup : mais cette forme est si heureuse, si variée dans les détails, elle produit une illusion si naturelle, qu’on ne peut s’en lasser. Platon, combattant les subtilités des rhéteurs, avait donné le modèle de cette excellente satire. Son Euthydème, qui se vante d’enseigner la vertu par une méthode abrégée, ressemble au père jésuite expliquant la dévotion aisée. Mais, il faut l’avouer, pour le ridicule, les casuistes de Pascal valent encore mieux que les sophistes de Platon.

Le sujet des Provinciales n’est donc pas, et il s’en faut de beaucoup, stérile et défavorable, comme on le supposerait volontiers, par admiration pour le génie de l’auteur[3] : non-seulement Pascal a su créer ; mais il avait bien choisi. Certes, de tous les égarements de l’esprit, un des plus singuliers, c’est de vouloir justitier le vicE par la vertu, de faire de mauvaises actions avec de bonnes raisons, de fausser sans cesse la morale en protestant qu’on la respecte, et de parvenir, à force de distinctions, jusqu’à trouver dans les lois de Dieu le privilége de nuire méritoirement aux hommes. Rien n’est plus plaisant d’ailleurs que le contraste de la sévérité des personnages et du relâchement des principes ; voilà les ressources qui s’curaient à Pascal, et qu’il a développées avec une prodigieuse malice. En attribuant à ses adversaires le dessein formel et prémédité de corrompre la morale, il fait sans doute une supposition exagérée ; mais il donne à toutes ses attaques un point d’unité, d’où elles partent plus vives et mieux soutenues. Peut-on d’ailleurs affirmer avec Voltaire que tout le livre porte à faux, parce que jamais société n’a cru établir son autorité, en détruisant la morale ? L’instinct moral est-il tellement invariable et déterminé, qu’on ne puisse le séduire et le dénaturer, à la faveur d’une imposante autorité ? Quel homme n’a jamais hésité sur ses devoirs, et n’a pas quelquefois souhaité le droit d’y manquer sans blâme et sans remords ? Cette faiblesse de nos cœurs explique assez la faveur que peut obtenir une morale complaisante. Plus d’un écrivain célèbre n’a-t-il pas propagé sa philosophie par sa morale, et corrompu, pour réussir ?

On conçoit, en déplorant ce scandale, que, dans un siècle religieux, mais inégalement éclairé, une société qui aspirait à la domination des consciences, et qui portait son empire dans des pays différents de mœurs, de coutumes, de préjugés nationaux et domestiques, ait assoupli, par ambition, la règle morale qu’elle voulait faire adopter à tant d’esprits opposés. Vous êtes tenté de mettre en doute la véracité de Pascal, lorsque vous lisez dans ses lettres telle citation étrange où des prêtres, ministres de douceur et de paix, sanctifient le duel et autorisent l’homicide ; mais l’auteur de ces maximes n’est pas seulement jésuite ; il est Espagnol, il est Sicilien, il est de quelque pays où la vengeance restait héréditairement consacrée, où la dévotion, innée dans les mœurs des habitants, pouvait tout obtenir, hormis le sacrifice des passions indigènes et nationales comme elle.

Sans doute les coupables casuistes qui flattaient ces divers préjugés des peuples, avaient altéré le plus beau caractère de la loi chrétienne, la sublime uniformité de sa morale, indépendante des lieux, des temps et des hommes. C’était donc une œuvre juste et salutaire entreprise par Pascal, que de combattre hautement de lâches complaisances qui dégradaient la religion, et de diffamer cette jurisprudence bizarre qui avait, pour ainsi dire, introduit dans les sublimes vérités de la morale et de la conscience les subtilités de la chicane et les formes astucieuses de la procédure. Avec quel feu de naturel, quelle impitoyable ironie, quelle gaieté digne de l’ancienne comédie, Pascal n’a-t-il pas rempli cette généreuse mission ? Les doctrines de la probabilité et de la direction d’intention ne sont-elles pas devenues immortelles par le ridicule dont il les a flétries ? Cet art de la plaisanterie que les anciens nommaient une partie de l’éloquence, cet atticisme moqueur et naïf dont se servait Socrate, cette malice instructive et plaisante que Rabelais avait salie du cynisme de ses paroles, cette gaieté intérieure et profonde qui anime Molière et que l’on trouve souvent dans Lesage, enfin cette perfection de l’esprit, qui N’est autre chose qu’une raison supérieure et enjouée, voilà l’ineffaçable mérite des premières Provinciales.

Quand on regarde la vie de Pascal, si bornée dans son cours, si affligée par la souffrance et par la tristesse inséparable des profondes études, quand on lit ces pensées détachées, qui semblent le produit du malaise d’un esprit sublime, on a d’abord peine à concevoir cette surabondance de gaieté que ce même homme a répandue sur la sécheresse de la scolastique. Le rire est-il donc si voisin de la tristesse dans ces rares intelligences qui regardent d’en haut la nature humaine ? On serait tenté de le croire, en lisant Pascal, Shakspeare et Molière. On a dit, pour expliquer cette alliance, que l’habitude d’observer inspirait la tristesse. Ce sentiment tient plutôt à l’élévation même des facultés intellectuelles, parce que de tels esprits sentent plus vivement les bornes et l’impuissance de la pensée, et sont attristés par leur force même, en même temps qu’ils rient ou s’indignent de la faiblesse commune.

Pascal avait achevé ses dix premières lettres : Arnauld était défendu, vengé. Son apologiste avait porté la guerre dans le camp de ses ennemis ; et l’exposition rapide, plaisante, familière des principes erronés de leurs docteurs sur les questions morales, avait égayé le public et frappé la puissante société de la plaie du ridicule. Ce fut alors que la discussion s’agrandit, et que Pascal changea, pour ainsi dire, de génie. Les jésuites, occupés surtout de faire interdire et supprimer les écrits de ce dangereux contradicteur, essayaient cependant de les réfuter ; mais avec peu d’art, peu de logique, comme des gens déconcertés par la surprise d’une attaque si hardie. Il faut l’avouer d’ailleurs, la Société n’avait pas alors dans son sein les hommes célèbres qui l’ont illustrée. Bourdaloue n’était point connu, et n’avait pas encore appris sa puissante dialectique dans Pascal lui-même. Les défenseurs de la Société, faibles, maladroits, outrageux et pourtant illisibles, ne servaient qu’à irriter le génie de son terrible adversaire. Ce fut en leur répondant que, sous cette forme de simples lettres, Pascal atteignit sans effort à la plus haute éloquence de la logique et de la colère. Vous avez lu cent fois le passage où Pascal, après avoir décrit avec une admirable énergie la longue et étrange guerre de la violence et de la vérité, deux puissances, dit-il, qui ne peuvent rien l’une sur l’autre, prédit cependant le triomphe de la vérité, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même. Démosthènes, Chrysostome ou Bossuet, inspirés par la tribune, ont-ils rien de plus fort et de plus sublime que ces paroles jetées à la fin d’une lettre polémique ?

Cette grande éloquence est le ton naturel des dernières Provinciales. Tout y est amer, véhément, passionné. Ces mêmes questions sur lesquelles Pascal s’était joué d’abord et qu’il avait comme épuisées par la plaisanterie, il les reprend, il les renouvelle par le sérieux et la colère, au point de faire bien regretter à ses ennemis ce style railleur dont ils s’étaient plaints d’abord. Maintenant il ulcère, il déchire les premières blessures de l’amour-propre humilié. Ces odieuses doctrines sur l’homicide, qu’il avait presque ménagées en ne les couvrant que de mépris, il les attaque corps à corps, avec toute la puissance d’une dialectique inexorable, comme un crime contre l’État, l’Église, la nature et la piété. Sa véhémence semble s’accroître en poursuivant un autre délit trop commun dans tous les temps de divisions et de partis, la calomnie, cet assassinat moral dont ses adversaires avaient fait et un fréquent usage et une naïve apologie, deux choses qui se corrigent l’une l’autre, mais ne se rachètent pas. Dans cette controverse, Pascal semble quelquefois se l’approcher d’une véhémence plus injurieuse que chrétienne. En repoussant la calomnie, il prodigue l’insulte. Son âme généreuse, profondément indignée du malheur de ses amis, ne peut plus modérer ses paroles. Fort de son génie, de son ressentiment, et du mystère qui couvrait encore son nom, il s’écrie, en s’adressant à tous ses adversaires : « Vous vous sentez frappés par une main invisible ; vous essayez en vain de m’attaquer en la personne de ceux auxquels vous me croyez uni. Je ne vous crains ni pour moi ni pour aucun autre. Tout le crédit que vous pouvez avoir est inutile à mon égard. Je n’espère rien du monde je n’en appréhende rien ; je n’en veux rien. Je n’ai besoin, par la grâce de Dieu, ni du bien ni de l’autorité de personne. Ainsi, mes Pères, j’échappe à toutes vos prises. »

Faut-il s’étonner que, dans cette situation si haute, et la seule qui fût digne de lui, Pascal se soit emporté jusqu’aux mouvements et à la liberté violente de la tribune antique ? Les occasions, les mœurs ont bien change mais l’éloquence est la même.

S’agit-il de quelque grand intérêt de patriotisme ou de gloire ? Non ; il s’agit de défendre quelques humbles religieuses accusées d’hérésie. Mais qu’importe le sujet ? écoutez l’accent de l’orateur et l’indignation de l’homme de bien : « Cruels et lâches persécuteurs, faut-il donc que les cloîtres les plus retirés ne soient pas des asiles contre vos calomnies ? etc. Vous retranchez publiquement de l’Église ces vierges saintes, pendant qu’elles prient dans le secret pour vous et pour toute l’Église. Vous calomniez celles qui n’ont point d’oreilles pour vous ouïr, ni de bouche pour vous répondre. »

Si Pascal, dans ses lettres, a réuni tous les secrets de l’éloquence la plus énergique et la plus passionnée, quelques-unes de ses pensées nous apprennent que ce talent s’appuyait sur la méditation de toutes les ressources de l’art, et sur une théorie très-profonde, qu’il inventait à son usage. Il est assez inutile de lire les principes sur le goût écrits par des hommes sans génie. Mais quand un grand écrivain expose quelques idées générales sur l’art de la parole, nécessairement il les approprie à son caractère, aux habitudes de son esprit ; il y met quelque chose de lui ; et cette révélation est plus instructive que les principes mêmes de l’art. Pascal, si profond géomètre, avait conçu, par la supériorité de sa raison, l’usage et les bornes de l’esprit scientifique porté dans les arts. Ce qu’il a écrit sur l’esprit de géométrie et sur l’esprit de finesse est la plus complète réfutation des paradoxes littéraires que Fontenelle, d’Alembert et Condillac ont publiés dans le siècle suivant. Pascal, dont le génie n’avait point de préjugés, parce qu’il n’avait pas de limites, fixe le caractère des sciences positives et celui des lettres, sans être arrêté par la crainte de s’ôter quelque chose à lui-même, en bornant le domaine de telle ou telle faculté, et comme sûr de retrouver sa place dans tous les partages de l’esprit humain. Pascal, en effet, réunissait au plus haut degré les deux puissances extrêmes de la pensée, le raisonnement et l’imagination. Sa vie, son caractère, ses ouvrages tiennent à cette alliance ; et elle se trouve marquée dans la plus grande œuvre qui ait occupé son génie. Personne, dans le même siècle, n’a reçu peut-être, avec un enthousiasme plus ardent et plus sincère, les vérités du christianisme ; mais le raisonnement, soulevé du milieu de son enthousiasme, l’agitait encore par les tourments du doute. Peut-on expliquer autrement cette prévoyance, qui lui montre tant d’objections peu familières à son siècle, et lui inspire la pensée de fortifier, de défendre ce que personne n’attaquait encore ? Les illustres contemporains de Pascal, remplis d’une conviction non pas plus pure, mais plus paisible, se bornaient à développer les conséquences d’une religion dont les principes ne rencontraient pas d’adversaires : ils élevaient la voûte du temple, sans craindre qu’aucune main fût assez hardie pour en saper les colonnes. Pascal seul, averti du péril par ses propres expériences, méditait un ouvrage où il espérait ne laisser sans réponse aucun des doutes du scepticisme que ce grand génie avait, pour ainsi dire, essayé en tous sens sur lui-même. La main de l’architecte est encore tout entière dans les ruines de ce monument commencé. Mais qui oserait le reconstruire en idée, et calculer l’assemblage de ses parties éparses et informes ?

Dans les sables de l’Égypte, on découvre de superbes portiques qui ne conduisent plus à un temple que les siècles ont détruit, de vastes débris, des vestiges d’une immense cité, et, sur les chapiteaux renversés, d’antiques peintures, dont les éblouissantes couleurs ne passeront jamais, et qui conservent leur frêle immortalité au milieu de ces antiques destructions : telles paraissent quelques pensées de Pascal, restes mutités de son grand ouvrage.

On sait qu’il le commença déjà mortellement atteint de cette douloureuse langueur qui devait sitôt consumer sa vie. N’ayant sur la terre d’autre action que celle de l’intelligence, il la continua jusqu’à ce qu’il eût achevé de mourir. Telle était cependant la violence de ses maux, qu’une autre préoccupation que celle des vérités morales lui devint nécessaire. Plus d’une fois, nous disent les historiens de sa vie, il reprit avec ardeur les plus laborieuses méditations de la géométrie, et s’y plongea tout entier, pour se distraire des douleurs physiques. N’était-ce pas plutôt contre d’autres douleurs qu’il cherchait ce remède ? N’y trouvait-il pas un repos contre l’inquiète activité de son âme trop assaillie de pensées ?

Que l’on considère en effet cette intelligence sublime, captive dans un corps misérable, fatiguée par tant de prodigieux efforts, et trouvant sans cesse devant elle tous ces grands problèmes de la destinée humaine, qui ne peuvent se résoudre, comme ceux de la science :

« Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce qu’est le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme : et cette partie même de moi, qui pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout, et sur elle-même, ne se connaît non plus que le reste. »

Cette terrible ignorance que Pascal retrace avec trop d’énergie pour n’en avoir pas souffert, voilà l’ennemi dont il travaille à secouer le joug plus accablant que la foi. Les mêmes incertitudes avaient agité les philosophes anciens ; elles les avaient quelquefois troublés jusqu’au désespoir. Ce tourment des plus hautes intelligences avait redoublé dans tous les grands renouvellements de la civilisation, à ce moment où l’homme, après avoir marché longtemps appuyé sur d’antiques croyances, les sent échapper dans une égale impuissance de s’en passer, ou de s’en servir. Ainsi, vers les derniers siècles de l’empire, quand le polythéisme tombait de toutes parts, et que les derniers disciples de Platon tâchaient en vain à se créer une foi, et à refaire un culte par les forces de la raison, le plus éloquent de ces philosophes, Porphyre, nous est représente dans une mélancolie qui va jusqu’au délire, prêt a se donner la mort[4] pour échapper au supplice du doute. Ainsi, chez plusieurs de ces spéculatifs allemands qui ont travaillé sur les ruines amoncelées par un siècle de scepticisme, la folie semble quelquefois naître de la contemplation trop habituelle et trop ardente des grands mystères de l’existence humaine. Le doute creusé en tous sens, et partout stérile, repousse ces esprits curieux vers une sorte de théurgie mystique ; comme si croire était un repos nécessaire à l’âme, comme si les illusions de l’enthousiasme étaient le premier bien pour elle après la vérité.

Pascal, à qui la supériorité de son génie avait fait parcourir d’avance tout le cercle des inquiétudes que peut éprouver l’esprit humain, dans une civilisation de plusieurs siècles, Pascal, instruit de tout par le combat que s’étaient livré les puissances de son âme, se jette dans l’asile de la foi chrétienne. Elle seule lui explique l’origine de la vie humaine, la grandeur et la misère de l’homme. Mais que d’enorts inquiets pour arriver à ce repos ! « En regardant, dit-il, tout l’univers muet, et l’homme sans lumière abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il est venu y faire, ce qu’il deviendra en mourant, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une ile déserte, et qui s’éveillerait sans connaitre où il est. Je vois d’autres personnes, auprès de moi, de semblable nature. Je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi, et ils me disent que non et sur cela, ces misérables égarés, ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants, s’y sont donnés, et s’y sont attachés. Pour moi, je n’ai pu m’y arrêter, ni me reposer dans la société de ces personnes semblables à moi, misérables comme moi, impuissantes comme moi. »

Ne sent-on pas, dans ces paroles, toute la souffrance, tout le travail de ce grand génie, pour trouver la vérité ? Peut-on être surpris maintenant de la profondeur de tristesse et d’éloquence qui anime sous sa plume quelques pensées métaphysiques jetées au hasard ? Que sont tous les intérêts de la terre, que sont toutes les passions auprès de ce grand intérêt de l’être spirituel se cherchant lui-même ? Dans une intelligence qui voit tout, le combat contre le doute est le plus grand effort de la pensée humaine. Pascal lui-même y succombe quelquefois : il cherche des secours bizarres contre un si grand péril. Vous vous étonnez qu’une fois il mette à croix ou pile l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, et qu’il détermine sa conviction par un calcul de probabilité. Souvenez-vous de Rousseau, plus faible et plus capricieux, faisant dépendre d’une pierre qu’il lance l’espoir de son salut éternel. Il faut reconnaitre ici cette impuissance, et, pour ainsi dire, ce désespoir de la pensée, après de longs efforts pour pénétrer l’incompréhensible. Ce fut le tourment de Pascal, tourment d’autant plus grand, qu’il se proportionnait a son génie. Une religion positive put seule l’affranchir et le soulager. Elle lui rendait quelque sécurité, en le domptant à force de croyance. Quand on lit que Pascal en était venu à porter sous ses vêtements un symbole formé de paroles mystiques, une espèce d’amulette, on sent que cette puissante intelligence avait reculé jusqu’à ces pratiques superstitieuses, pour fuir de plus loin une effrayante incertitude. C’était là sa terreur. Le précipice imaginaire que, depuis un accident funeste, les sens affaiblis de Pascal croyaient voir s’entr’ouvrir sous ses pas, n’était qu’une faible image de cet abîme du doute qui épouvantait intérieurement son âme.

Ainsi donc se partagea la vie trop courte de ce grand homme. D’abord il chercha à émanciper la raison humaine, il réclama l’indépendance de la pensée et l’autorité de la conscience ; ensuite il se consuma d’efforts pour élever des digues et des barrières contre l’invasion illimitée du scepticisme. Cet esprit puissant et inflexible embrasse d’une conviction profonde, comme une sauvegarde, les dogmes du christianisme, et leur donne, par sa soumission, le plus grand peut-être des témoignages humains. Mais si la conviction est entière, la démonstration est imparfaite, les preuves ne sont pas réunies, le raisonnement n’est pas achevé ; et il reste quelques indices de la lutte qu’avait subie Pascal et quelques marques extraordinaires de sa force, plutôt qu’un monument complet de sa victoire. Quoi qu’il en soit, ces débris sont là pour étonner le pyrrhonisme frivole, pour le mettre en doute de lui-même, et faire longtemps méditer les savants et les sages.

On a dit que Pascal ne parlait pas au cœur ; que sa religion avait l’air d’un joug qu’il impose, plutôt que d’une consolation qu’il promet. Vincent de Paul et Fénelon auraient obtenu sans doute plus de conversions que Pascal. On ne sent pas en lui cette tendresse d’âme, cette affection pour l’humanité qui respire dans l’Évangile, et qui fit la puissance de la loi nouvelle. Toutefois il intéresse profondément ; il est si peu déclamateur et si vrai ! Ses paroles amères contre la nature humaine ne sont pas des invectives ce sont des cris de douleur sur lui-même. On demeure frappé d’une sorte de triste respect, en voyant le mal intérieur de cette sublime intelligence. Sa misanthropie semble une expiation de son génie : il en est lui-même plus humilié qu’enorgueilli. Il n’est pas comme le stoïcien de l’antiquité, un contemplateur impassible de nos misères il les porte toutes en lui : « Mais, dit-il, malgré la vue de toutes ces misères qui nous touchent, et qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève. » Cet instinct de spiritualisme opposé à notre faiblesse mortelle, ce contraste de grandeur et de néant remplit seul les chapitres sublimes de Pascal sur la nature de l’homme. Il lui inspire des mouvements d’une incomparable éloquence, et des pensées d’une effrayante profondeur. On s’étonne de le voir descendre de cette haute métaphysique à des vérités d’observation, surprendre les moindres secrets du cœur, et pénétrer l’homme tout entier d’un vaste et triste regard.

Pascal ne fait pas, comme La Bruyère, des descriptions, des portraits ; mais il saisit et exprime d’un trait le principe des actions humaines. Il écrit l’histoire de l’espèce, et non celle de l’individu. Jugeant les choses de la terre avec une liberté et un désintéressement tout philosophique, il arrive souvent par une route bien opposée au même but que les plus hardis novateurs ; mais il ne s’y arrête pas, il voit au delà. Quelquefois il a l’air d’ébranler les principes mêmes de la société, de la propriété, de la justice ; mais bientôt il les raffermit par une pensée plus haute. Il est sublime de bon sens autant que de génie. Le style porte en lui l’empreinte de ces deux caractères. Nulle part vous ne trouverez plus d’audace et de simplicité, plus de grandeur et de naturel, plus d’enthousiasme et de familiarité. Un écrivain célèbre a remarqué qu’il est peut-être le seul génie original que le goût n’ait presque jamais le droit de reprendre : on le conçoit ; mais on n’y songe pas en le lisant.

  1. Œuvres de Pascal, V. 111.
  2. Mémoires de Port-Royal, par Fontaine.
  3. Siècle de Louis XIV, t. II.
  4. Plotinus, in vita Porphiria.