Librairie Hachette et Cie (p. 343-349).

XXX

Tout est fini ; n’en parlons plus


Tout le monde se trouvant satisfait, on hâta les préparatifs du mariage. Le général alla avec Mme de Saintluc voir une dernière fois le château des Castelsot en compagnie de ses sœurs, beaux-frères, nièces et neveu.

On trouva l’ensemble très beau ; les choses de mauvais goût étaient faciles à changer. Le général acheta la terre, qu’il paya six cent mille francs, et lui rendit son nom, qui était Valjoli.

Il fit, aussitôt après, les démarches nécessaires pour se faire remplacer en Algérie et se faire mettre en disponibilité.

« J’ai vingt-deux ans de service et presque autant de campagnes, dit-il ; je ne me sens pas le courage de quitter ma femme et ma famille. S’il y a une guerre sérieuse, je demanderai un commandement, jusque-là je vivrai tranquille chez moi. »

Quinze jours après, il s’installa à Valjoli avec sa charmante femme en sortant de la messe de mariage. Un grand déjeuner était préparé pour la famille. Un bouquet magnifique, offert par Diloy, occupait le milieu de la table. Les enfants s’amusèrent beaucoup ; ils coururent partout, visitèrent tous les recoins du château. Le jardinier les laissa cueillir des fleurs en quantité ; ils en firent des bouquets pour leur bonne. On les ramena en voiture ; ils traversèrent le bois où s’était passée la rencontre de Diloy et de l’ours. Ce souvenir leur causait toujours de l’émotion.

Le soir, en se mettant à table, chacun soupira en pensant au général et à sa femme.

« Quel dommage que mon oncle nous ait quittés ! dit Gertrude en soupirant. Et ma tante Pauline aussi. Ils vont bien nous manquer.

Madame de Soubise.

C’est vrai, chère enfant ; mais ils sont si heureux, que nous ne pouvons les regretter beaucoup.

Gertrude.

Aussi mes regrets ne sont que pour notre vie à nous, maman, qui sera moins agréable sans eux.

Peu de jours après le mariage du général, M. et Mme de Soubise et leurs enfants retournèrent chez eux en Bretagne. Félicie regretta sa cousine, mais pas assez vivement pour se trouver attristée de son départ. Il y avait en elle un fond d’égoïsme et de jalousie que réveillait sans cesse la grande affection que tout le monde, sans exception, témoignait à Gertrude.

Quand elle resta seule, elle ralentit ses bonnes œuvres, ses visites de charité aux gens du village, aux pauvres, aux malades. Elle continua pourtant à témoigner un certain intérêt aux Diloy, et à leur rendre de temps en temps de petits services.

À son retour de Paris, on la trouva fort embellie, car son visage avait changé d’expression ; il avait pris beaucoup plus de douceur et de bonté. Elle a dix-sept ans maintenant, et ceux qui ne la connaissent pas intimement la trouvent très jolie.

Gertrude vient d’épouser le fils du duc de La Folotte, jeune homme charmant âgé de vingt-cinq ans, fort raisonnable, et qui avait aidé son père à refaire une grande partie de son ancienne fortune. C’est le général qui a organisé ce mariage ; il réunissait souvent les jeunes gens à Valjoli. Le jeune duc ne fut pas longtemps à reconnaître les charmantes qualités de Gertrude. Il vint un matin déclarer au général qu’il désirait vivement unir sa vie à celle de Gertrude, et que, si elle n’y donnait pas son consentement, il irait s’engager comme soldat en Algérie.

Le général lui promit de parler à Mme de Soubise et à Gertrude elle-même le plus tôt possible, c’est-à-dire avant la fin du jour. Le consentement de Mme de Soubise fut donné une heure après. De chez sa sœur, le général alla chez sa nièce, qu’il trouva peignant une vue de Valjoli.

Le général.

Gertrude, ma fille, veux-tu te marier ?

— Cela dépend du mari que vous m’aurez choisi, mon oncle, répondit Gertrude en rougissant.

Le général.

Oh ! quant à cela, c’est un mari de premier choix : tout ce qu’il faut pour te rendre heureuse. Bon chrétien, bon fils, garçon sage et rangé, joli garçon, de l’esprit, de l’instruction, des goûts tranquilles ; il t’aime comme un fou. En veux-tu ?

Gertrude.

D’après le portrait que vous en faites, mon oncle, ma réponse est facile à deviner, si toutefois maman veut bien y consentir.

Le général.

C’est fait ; elle a dit oui.

Gertrude.

Alors je dis comme elle, mon oncle.

Le général.

Et tu ne demandes seulement pas son nom ?

Gertrude

En faisant son éloge, vous l’avez nommé, mon oncle.

Le général.

Bravo ! voilà qui est bien répondu. Ne bouge pas d’ici. Je reviens dans deux minutes. »

Le général sortit précipitamment. Il ne tarda pas à rentrer, suivi du jeune duc.

« La voilà, mon ami ; tout le monde a dit oui. Arrangez-vous ensemble maintenant. »

Et il sortit, laissant le duc en face de Gertrude, tous deux fort embarrassés.

Gertrude avait encore sa palette et ses pinceaux à la main. Le jeune homme restait debout à la contempler, aussi embarrassé qu’elle du tour que leur jouait le général.

Un sourire de Gertrude coupa court à cet embarras, et ils s’entendirent probablement très bien, car, une heure après, ils allaient ensemble chez Mme de Soubise, qui les reçut dans ses bras.

Ce fut une fête générale à Valjoli et à Orvillet. Un mois après, le mariage se fit en grande pompe à Valjoli. Les deux villages furent invités à la noce. Gertrude en fit les honneurs avec une grâce charmante. Félicie fut assez aimable ; les Robillard, les Moutonet furent particulièrement soignés. On dansa jusqu’à la nuit ; Félicie, cette fois, dansa la première contredanse avec Diloy ; Anne dansa avec les six Moutonet. Laurent et Anne s’en donnèrent à cœur joie ; les petits Diloy les accompagnaient partout avec le jeune Germain.

Le général a deux enfants : l’aîné, Pierre, qui a quatre ans, tient le poêle sur la tête des jeunes mariés pendant la cérémonie ; le second, Paul, regardait et battait des mains ; tous deux sont charmants comme père et mère.

Les Castelsot ont disparu, mais on sait qu’ils se sont ruinés, qu’ils ont quitté la France, et qu’ils sont allés refaire fortune en Californie. Le bruit a couru qu’ils avaient été pris par les Indiens et massacrés.

Le pauvre Moutonet est plus mouton que jamais. Amanda règne et gouverne dans le ménage. Elle est même parvenue à se faire craindre de sa belle-mère, de son beau-père Moutonet, et de tous les Moutonet du pays, garçons et filles.

Laurent a fait sa première communion l’année dernière ; lui et Anne sont de charmants enfants ; leur bonne les aime tendrement.

Juliette est très gentille ; elle est de plus en plus jolie, aussi jolie que Félicie et Anne ; mais elle n’a pas ce charme de Gertrude qui attire tout le monde.

Diloy est le plus heureux des hommes ; il a fait de son jardin un potager merveilleux qu’on vient voir de dix lieues à la ronde ; il aime de plus en plus ses excellents maîtres. Sa femme est la plus heureuse des femmes ; les enfants sont très gentils ; Gustave aide déjà son père au jardinage ; le père cherche à en faire un jardinier de premier ordre pour le placer chez le général qui en a un assez médiocre, mais qu’il garde pour attendre les vingt ans de Gustave.

Le général est à la veille de marier son vieux valet de chambre avec Valérie, qui hésite à cause de Laurent et Anne. Elle demande trois ans encore. Le général ne lui accorde que la fin de l’année. Mme d’Orvillet l’engage à se marier et à ne pas sacrifier tout son avenir à un dévouement inutile, Laurent et Anne n’ayant plus besoin de ses soins et restant dans le voisinage. On est presque sûr que Valérie acceptera.