II


Le soir de ce jour, les Rozel arrivèrent les premiers, et un grand garçon blond comme les blés, long et maigre comme on l’est à dix-sept ans, en pleine venue, en pleine transformation, vint passer ses bras autour du cou de Michelle :

« Quelle fête d’avoir congé, Madame, je puis au moins venir complimenter Henri !

— Sur son grade d’officier de guérite, n’est-ce pas, mon petit Georges ? Tu as raison, Henri sera très fier de porter l’uniforme d’officier de guérite.

— Chère amie, fit Mme Rozel les mains tendues, vous triomphez ce soir, je vous ai amené le filleul de mon fils, je suis allée le chercher rue Lhomond pour cette réunion de famille.

— Le fils d’une vaillante comme vous, Michelle, dit l’abbé Rozel, ne pouvait manquer d’arriver à son but.

— Oh ! ce n’a pas été sans peine, en effet. Ce qu’il m’a fallu de courses, de papiers, de réclamations pour mettre mon fils au régiment n’est pas croyable. Nous n’arrivions pas à avoir les lettres de naturalisation, nous restions sous cette perpétuelle menace d’être qualifié de déserteur dans l’armée allemande.

— Enfin, c’est fini !

— Grâce à Dieu !

— Père vient de m’envoyer un télégramme de félicitations pour Henri, s’écria le grand collégien ; lisez Madame. »

Michelle prit le papier.

« Compliments de cœur à Henri et surtout à sa mère.
Minihic. »

« Tes bons parents prennent toujours part à ce qu’il m’arrive d’heureux, mon enfant, tu les remercieras pour moi dans ta première lettre.

— Mon parrain m’écrit de Chine que papa pourrait être nommé à Paris si seulement il consentait à faire des démarches.

— Sans doute, ajouta l’abbé Rozel, le colonel Lahoul ne sort pas des frontières. Il s’obstine à ne rien demander, à laisser aller les événements : Aide-toi, le ciel t’aidera, a dit la Sagesse des nations.

— Ah, bien ! moi, je me remuerai, reprit Georges ; l’an prochain, je serai à Saint-Cyr. Après, je demanderai la Bretagne pour garnison, afin d’être près de grand-père et de tante Yvonne.

— Oh ! celui-là est un débrouillard, reprit Mme Rozel avec un sourire affectueux, il fera son chemin dans l’armée.

— Père m’a si bien montré la route.

— Tu as raison, conclut Michelle, tu peux, à tous les titres, être fier de ton père. »

Mme Carlet était aussi venue ; la pauvre femme ne s’était pas aperçue des luttes successives de sa fille. Elle avait continué de vivre dans sa tranquille sérénité.

Les Rosaroff aussi envoyèrent une dépêche datée de Saint-Enogat en réponse à celle adressée le matin par Henri à son cousin.

Avec l’âge, les deux époux avaient cessé leur vie errante.

Ils ne faisaient plus que du « cabotage », ainsi que le disait en riant le prince, jusqu’au grand embarquement pour l’autre monde.

Ils consacraient leur temps aux victimes de la mer et leur grande fortune était employée à fonder des asiles pour les vieux matelots, des écoles et des orphelinats pour les enfants, des secours pour les veuves.

Les Lahoul et la vieille Rosalie les aidaient de tout leur pouvoir. Yvonne, sous la cornette de religieuse Trinitaire, ne quittait pas ses grèves, tout en accomplissant sa vocation. À chaque congé, Minihic, sa femme et son fils venaient en Bretagne. La Roche-aux-Mouettes glissait à la mer par fractions, chaque année, de plus en plus ; bientôt le nid de la petite Mouette ne serait qu’un souvenir. Ces télégrammes ramenèrent la pensée des convives vers le temps passé, et ils causèrent doucement, unis, liés par tant d’événements communs, jusqu’à une heure tardive.

À présent, la vie allait encore changer de cadre pour Michelle et son fils. Après un séjour en Allemagne, auprès de leur famille, ils reviendraient prendre garnison à Montbéliard, où était le régiment de Minihic Lahoul. Henri et François, devançant l’appel, avaient le droit de choisir, et naturellement ils avaient choisi le colonel Lahoul pour chef.