Dieu et les hommes/Édition Garnier/Chapitre 19

Dieu et les hommesGarniertome 28 (p. 167-168).
CHAPITRE XIX.
De la religion juive au retour de la captivité de Babylone.

Plusieurs savants, après avoir conféré tous les textes de la Bible, ont cru que les Juifs n’eurent une théologie bien constatée que du temps de Néhémie, après la captivité de Babylone. Il ne restait que deux tribus et demie de toute la race juive ; leurs livres étaient perdus ; le Pentateuque même avait été très-longtemps inconnu. Il n’avait été trouvé que sous le roi Josias, trente-six ans avant la ruine de Jérusalem et la captivité.

Le quatrième livre des Rois[1] dit qu’un grand prêtre, nommé Helcias, trouva ce livre en comptant de l’argent : il le donna à son secrétaire Saphan, qui le porta de sa part au roi ; le grand prêtre Helcias pouvait bien prendre la peine de le porter lui-même. Il s’agissait de la loi de la nation, d’une loi écrite par Dieu même. On n’envoie pas un tel livre à un souverain par un commis avec un compte de recette et de dépense. Les savants ont fort soupçonné ce prêtre Helcias, ou Helciah, ou Helkia, d’avoir lui-même compilé le livre. Il peut y avoir fait quelques additions, quelques corrections, quoiqu’un livre divin ne doive jamais être corrigé ni amplifié. Mais le grand Newton pense que le livre avait été écrit par Samuel, et il en donne des preuves assez spécieuses. Nous verrons, dans la suite de cet ouvrage, sur quoi les savants se sont fondés en assurant que le Pentateuque ne pouvait avoir été écrit par Moïse.

Quoi qu’il en soit, presque tous les hommes versés dans la connaissance de l’antiquité conviennent que ce livre n’a été public chez les Juifs que depuis Esdras, et que la religion juive n’a reçu une forme constante que depuis ce temps-là. Ils disent que le mot seul d’Israël suffit pour convaincre que les Juifs n’écrivirent plusieurs de leurs livres que pendant leur captivité en Chaldée, ou immédiatement après, puisque ce mot est chaldéen ; cette raison ne nous paraît pas péremptoire. Les Juifs pouvaient très-bien avoir emprunté ce mot longtemps auparavant, d’une nation voisine.

Mais ce qui est plus positif, et ce qui semble avoir plus de poids, c’est la quantité prodigieuse de termes persans qu’on trouve dans les écrits juifs. Presque tous les noms qui finissent en el ou al sont ou persans, ou chaldéens. Babel, porte de Dieu ; Bathuel, venant de Dieu ; Phégor-Béel, ou Béel-Phégor, Dieu du précipice ; Zébuth-Béel, ou Béel-Zébuth, Dieu des insectes ; Béthel, maison de Dieu ; Daniel, jugement de Dieu ; Gabriel, homme de Dieu ; Jabel, affligé de Dieu ; Jaïel, la vie de Dieu ; Israël, voyant Dieu ; Oziel, force de Dieu ; Raphaël, secours de Dieu ; Uriel, le feu de Dieu.

Les noms et le ministère des anges sont visiblement pris de la religion des mages. Le mot de Satan est pris du persan. La création du monde en six jours a un tel rapport à la création que les anciens mages disent avoir été faite en six gahambârs, qu’il semble en effet que les Hébreux aient puisé une grande partie de leurs dogmes chez ces mêmes mages, comme ils en prirent l’écriture, lorsqu’ils furent esclaves en Perse.

Ce qui achève de persuader quelques savants qu’Esdras refit entièrement tous les livres juifs, c’est qu’ils paraissent tous du même style.

Que résulte-t-il de toutes ces observations ? Obscurité et incertitude.

Il est étrange qu’un livre écrit par Dieu même pour l’instruction du monde entier ait été si longtemps ignoré ; qu’il n’y en ait qu’un exemplaire trente-six ans avant la captivité des deux tribus subsistantes ; qu’Esdras ait été obligé de le rétablir ; qu’étant fait pour toutes les nations, il ait été absolument ignoré de toutes les nations ; et que la loi qu’il contient étant éternelle, Dieu lui-même l’ait abolie.


  1. Rois, liv. IV, chap. xxii, v. 8 ; et IIe Paralip., chap. xxxiv, v. 14. (Note de Voltaire.)