Payot (p. 298-300).


XXVI


Cent cinquante mille travailleurs accompagnent un dimanche le corbillard qui porte le cercueil au cimetière de Pantin. C’est un matin splendide. À peine sorti des rafales de mars, le printemps se pare de soleil. Les oriflammes des syndicats flottent sur la foule. Comme sur les trottoirs, derrière la police et la garde, il y a encore des hommes qui saluent le cortège par des cris révolutionnaires, puis des camelots qui vendent églantines et immortelles, c’est une cérémonie funèbre pleine de vie. Les habits propres des artisans témoignent qu’ils sont émancipés de la tâche ; voici le Comité confédéral et le drapeau de la C. G. T., le Conseil fédéral du bâtiment, le Conseil syndical des terrassiers, puis les milices immenses de l’industrie, les velours sombres, les ceintures cramoisies des taupiers, la maçonnerie-pierre, la charpente, la couverture, la métallurgie, l’alimentation, les transports, les postes, les chemins de fer, la délégation du Parti qui prennent possession des faubourgs. Loin, derrière eux, stationnent les voitures et les tramways, le mouvement est suspendu comme à l’aube de cette grève générale vers laquelle allait la pensée de Didier. L’effectif de la Révolution, celui de la Préfecture de police et des brigades centrales sont dehors, tandis que la garnison de Paris est consignée dans les casernes, tout cela parce qu’on mène au champ d’asile un cercueil si léger, que le poids en étonne les croque-morts. Dans les autos qui suivent doucement le cortège, et qui ronflent pour dépenser leur force, comme énervées de ne pouvoir prendre l’essor, il y a les ingénieurs de la Ville, les conseillers municipaux et le nouveau Président du Conseil, M. Dranis.

À la porte du cimetière où se masse un peuple, quelques-uns reconnaissent le chef du Gouvernement qui est l’objet d’une manifestation hostile. La police devient nerveuse. Vers les tombes, illuminées de soleil, un ouvrier dit à son camarade :

— Nous avons perdu un bon militant !



Fin