Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe/Précis historique/III/II

Julien Remy Pesche
(Tome 1p. LXVII-LXXXII).

§. II. Sous Charlemagne et ses descendans.

Le règne des Carlovingiens avait réellement commencé sous Charles Martel, quoique ce maire du palais n’ait pas eu le titre de roi, ce qui empêche qu’on puisse le dater d’avant l’élévation au trône de Pépin son fils, surnommé le Bref, en 751. Pépin étant mort à S.-Denis, en 768, laissa son royaume et sa puissance à Charles et à Carloman, ses fils, le premier desquels fut décoré par ses contemporains du surnom de Grand, tellement inséparable de son nom propre, que sous celui de Charlemagne, Carolus Magnus, ces deux mots n’en ont plus fait qu’un. La Neustrie, dont le Maine faisait partie, échut au premier des deux frères ; mais la mort du second réunit bientôt sous un seul sceptre, toutes les parties de l’empire des Francs.

778. — Quelques années après, Charlemagne allant en Espagne faire la guerre aux Sarrasins, passa par le Mans. A la demande et sur les représentations de l’évêque Mérole, qui y siégeait alors, il chercha à rétablir l’ordre relativement aux dilapidations des biens de l’Eglise, dont nous avons parlé à la fin du paragraphe précédent. Nous traitons cet objet un peu plus en détail à la chronologie des évêques du Mans. Ce fut à son retour d’Espagne, dans une gorge des Pyrénées, nommée la vallée de Roncevaux, que son arrière-garde surprise par la trahison de Loup, duc de Gascogne, son vassal, fut massacrée et laissa sur la place l’élite de ses guerriers, dont on a fait les premiers chevaliers, et parmi lesquels on compte Olivier et son cousin Roland, fils de Milon, comte d’Angers et du Mans, et de Berthe, sœur de Charlemagne ; Roland dont la chanson et la renommée électrise encore nos guerriers et les fait marcher au combat avec ardeur.

Roland, avant l’expédition d’Espagne, avait été chargé de défendre les côtes, marches ou frontières de la Bretagne, fonctions qui donnèrent lieu depuis au titre de marquis, comme on donne celui de duc à ceux qui commandaient une province, de comte à ceux à qui la garde et le gouvernement d’une ville ou d’une place forte étaient confiés 818. — Charlemagne étant mort, en 814, Louis-le-Débonnaire, son fils, qu’il s’était associe à l’empire un an auparavant, lui succéda et vint deux fois au Mans, en 818, lorsqu’il fut obligé d’envoyer ses troupes contre les Bretons, qui de nouveau s’étaient déclarés indépendans. Les Bretons ayant été vaincus par les troupes du roi, et leur chef tué, ce fut dans la ville du Mans que Louis reçut leur soumission.

832. — La révolte de Pépin, que Louis, son père, avait fait roi d’Aquitaine, attira ce monarque à Tours : l’élection d’Aldric, son confesseur, et pour ainsi dire son ami, à l’évêché du Mans, l’engagea à l’y venir visiter. Il y arriva quelques jours après l’intronisation de cet éveque, et y passa les fêtes de Noël.

840. — Le Maine tomba dans le partage de Charles-le-Chauve, fils de Louis-le-Débonnaire, après la mort de cet empereur : mais cette province fut disputée par Lothaire, frère de Charles, qui s’empara du Mans et en chassa l’éveque Aldric, qui avait toujours témoigné de rattachement pour le monarque défunt. Les troupes de Lothaire, assure Morand, commirent dans la province des atrocités dont les nations les plus barbares ne se seraient pas rendues coupables.

843. — C’est à l’époque de cette occupation que les chroniqueurs de la province placent la fondation de la ville de Laval. Valla, personnage peu connu, s’il n’est tout à-fait apocryphe, ravageait le Bas-Maine à cette époque, disent ces chroniques, et construisit un fort, là où se forma ensuite la ville de Laval. Dans le même tems, les Normands qui faisaient de fréquentes descentes sur les côtes de la Bretagne, pénétrèrent plusieurs fois dans la province et y causèrent d’horribles dévastations.

Le traité de Strasbourg, de l’an 844, ayant rétabli la paix entre les fils de Louis-le-Débonnaire, le Maine rentra sous l’autorité de Charles-le-Chauve, qui s’y transporta, afin de le mettre à couvert des entreprises des Bretons et des Normands. Ce traité de Strasbourg est curieux, en ce qu’il est écrit en deux langues, la romane, mélange de franc et de latin corrompu, qui est devenu la langue française ; et la tudesque, celle que parlaient et avaient apportée les Francs, laquelle on employa pour l’intelligence des Allemands, dont le pays se trouvait dans le partage de Louis-le-Germanique, l’un des contractans.

C’est de cette langue romane, qu’ont pris le nom de romans, des poèmes historiques écrits à cette époque, et qui sont des chroniques extrêmement curieuses, sous le rapport des faits, du langage et des mœurs de cet âge, où l’on ne trouve point d’autres historiens dignes de foi. Ce qu’on nomme romans aujourd’hui, n’a aucun espèce de rapport avec ceux dont nous parlons.

Pendant son séjour au Mans, Charles-le-Chauve y assembla un concile, qui tint dans le village de Coulaines, situé peu au-delà de ses faubourgs. Nous en parlons avec quelques détails dans la chronologie des évéques, à l’article de S. Aldric. Seulement, nous faisons ici la remarque que ce concile ne fut point une simple assemblée du clergé, qu’il fut composé, comme ceux dont nous avons parlé plus haut, des grands de l’état, des principaux bénéficiers, leudes, évêques et abbés.

844. — Charles ayant quitté le Mans, laissa le gouvernement de la province au comte Gausbert, avec des forces suffisantes pour s’opposer aux entreprises des Bretons et à celles des Normands, qui ne cessaient de l’insulter. Ce comte se signala d’abord par une victoire qu’il remporta sur le comte de Nantes, Lambert ; mais ensuite Néomené, duc de Bretagne, ayant pris parti pour Lambert, s’avança contre Charles qui, étant revenu au Mans, fut lui-même à la rencontre du rebelle : battu près de Vallon, Charles fut obligé de fuir jusqu’à Chartres et d’abandonner le Mans, dont Néomené et Lambert s’emparèrent, après en avoir fait le siège : cependant, la paix se fit entre Néomené et Charles, en 845[1]. Les hostiles recommencèrent en 849 ; le Maine et la ville du Mans furent de nouveau occupés par les Bretons, et la paix ne se rétablit cette fois, que lorsque l’empereur eut consenti à laisser prendre à Néomené le titre de roi de Bretagne.

867. — Les Normands, sous les ordres d’Hastings, gouverneur de Bier, surnommé Côte-de-Fer, fils d’un roi de Danemarck, ayant pénétré par l’embouchure de la Loire jusqu’à Angers, et s’étant même avancés jusqu’à Tours, en pillant, incendiant et massacrant tout sur leur passage, Charles-le-Chauve chargea le vaillant comte Robert-le-Fort, lige de la dynastie régnante, de la défense de tout le pays situé entre la Loire, la Seine et la mer, territoire qui était celui de l’ancienne Armorique, et que l’on nomma le duché de France alors. Ce brave guerrier ayant été tué à Brissarthe, dans une affaire contre ces pirates, Hugues, son frère, fut nommé pour le remplacer. Hugues battit les Normands et les Bretons qui s’étaient alliés avec eux. Cependant, ces barbares s’étant emparés d’Angers, en firent leur place d’arme et y appelèrent leurs femmes et leurs enfans. C’est delà que, comme un torrent dévastateur, ils se répandirent dans toute la contrée environnante, et qu’ils envoyèrent des partis jusqu’au Mans, dont ils pillèrent et brûlèrent les faubourgs, l’an 873, Charles-le-Chauve n’ayant pu envoyer de troupes dans la province pour la secourir. Peu de tems après, Charles, ayant fait la paix, et s’étant allié avec Salomon, roi de Bretagne, chassa les Normands d’Angers, et ne leur permit la retraite que sur la promesse de n’y plus revenir ; promesse qu’ils violèrent bientôt, comme on le verra. Charles repassa par le Mans, de retour de cette expédition.

878. — Louis II, surnommé le Bègue, ayant succédé à Charles-le-Chauve, fut obligé de venir lui-même dans le Maine, s’opposer aux vexations et aux brigandages de Geoffroi, l’un des principaux seigneurs de la province, qui y commettait toutes sortes d’excès.

880. — Le règne de Louis-le-Bègue ne dura que deux ans. Suivant l’ancien usage, qui avait causé la chute de la dynastie précédente, le royaume fut partagé entre ses deux fils, Louis III et Carloman : la Neustrie échut à Louis.

Les Normands ayant de nouveau remonté la Loire et recommencé leurs dévastations dans l’Anjou et le Maine, Louis quitta le siège de Vienne en Dauphiné, dont Bozon, son oncle, s’était emparé, pour venir au secours de ces deux provinces : étant mort en chemin, son frère Carloman, occupé au même siège, le quitta également, accourut au-devant de ces dévastateurs, et, à l’aide des Bretons ses alliés, les battit, les chassa et leur fit reprendre la mer.

894. — Charles-le-Gros, fils de Louis-le-Germanique, succéda à son père et à son oncle Carloman, au préjudice d’un fils posthume de Charles-le-Chauve, qui était élevé en Angleterre, d’où il fut appelé par un parti puissant de seigneurs neustriens, qui le firent couronnera Rheims. L’histoire a donné le nom de Charles-le-Simple à ce faible roi. D’un autre côté, Eudes, comte de Paris, fils de Robert-le-Fort, avait été proclamé roi à Compiègne, par un autre parti, et sacré par l’évêque de Sens ; de sorte que, lorsque Charles-le-Simple, ayant envoyé un comte nommé Rotgaire ou Roger pour commander dans la province, celui-ci trouva les habitans si attachés à la mémoire de Robert-le-Fort, à celle de Hugues, surnommé l’Abbé, qui avait commandé dans la province, et au parti du roi Eudes, que pour les punir de cet attachement, qu’il traitait de rébellion, il exerça contre eux toutes sortes de rigueurs, jusqu’à ce que Robert, fils d’Eudes, vint l’assiéger, en 898, et le forçât à capituler. Mais Eudes ayant été tué dans un combat, Gauzelin, à qui Robert avait donné le Maine à gouverner, fut obligé de se retirer. Alors Roger s’empara de nouveau du pouvoir, au nom de Charle-le-Simple, recommença à maltraiter les habitans, chassa l’évêque Gontier et ses chanoines de la ville du Mans, et se saisit du domaine de l’Eglise en entier.

905. — De nouvelles bandes de Normands pénétrent comme les premières, par la Loire qu’elles remontent, s’avancent de nouveau jusque dans le Maine, dans les premières années du 10.e siècle, et viennent encore une fois désoler le Mans. Mais une invasion plus considérable de ces hommes du Nord, fut celle de Rollon, Rolf ou Rou, prince de Norwège,[2] qui, après avoir fait une descente en Angleterre, remonta la Seine vers 892, s’empara de Rouen, marcha sur Paris, et força Charles-le-Simple à lui donner sa fille en mariage, et à lui céder une partie de ses états. La France fut inondée de sang sous ces dévastateurs : rien ne demoura, et tuoient hommes, femmes et petits enfans. Cependant, lorsque Rollon fut devenu possesseur, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, en 912, d’une partie de la Neustrie, qu’on nomma alors le duché de Normandie, ou duché des hommes du Nord, l’ordre se rétablit, et de chef de brigands, sanguinaire et dévastateur, Rollon devint un prince sage, juste, puissant et législateur. « Plusieurs places dans l’Anjou et le Maine, dit Morand, dont les Normands s’étaient emparés, leur furent laissées. » Nous voyons ailleurs, et cela paraît plus probable et plus naturel, que la rivière de Sarthe servit de limite aux possessions de Rollon. Il est à croire que cette rivière borna le Maine, et le sépara du duché de Normandie, comme le Couesnon le limita du côté de la Bretagne, qui en est limitrophe. Aussi, trouvons-nous à cette époque, sur notre territoire, plusieurs seigneurs ou possesseurs de fiefs, qui n’ont pas d’autres noms que celui de Normann, homme du Nord : Voir l’article asnières et plusieurs autres. Quelques historiens veulent que le Maine, comme Baveux, n’ait été cédé à Rollon, que par un traité postérieur à celui de Saint-Clair, en 923.

Cette cession, qu’elle qu’en soit l’époque, n’empêcha pas que des pirates Danois, autres que les compagnons de Rollon, ne continuassent à remonter la Loire, à faire des descentes en Anjou et en Touraine et à dévaster le Maine, qui ne s’en délivrait que par des tributs, jusqu’à ce que Raoul, duc et comte de Bourgogne, qui s’était fait sacrer roi en 923, les eût entièrement défaits, ce qui en délivra le pays. En 937, Louis-d’Outremer, fils de Charles-le-Simple, quand il fut monté sur le trône, chassa du Mans un normand nommé Riolt, qui s’en était emparé à la faveur des troubles des règnes précédens.

L’histoire du Maine offre peu de particularités pendant le reste du règne des Carlovingiens ; et ses comtes sont en général peu connus et fort irrégulièrement établis, pendant toute cette période. Nous présentons à leur égard quelques considérations générales, en tête de la chronologie que nous en donnons, à la suite de celle des évêques du Mans.

Le règne des Carlovingiens se termine par la mort de Louis V, dit le Fainéant, en 987. Charles, son oncle, fils de Louis-d’Outremer, aurait dû régner après lui : mais la faiblesse dé ces princes, l’attachement et l’estime qu’avaient inspirés à la nation les descendans de Robert-le-Fort, pendant le court règne d’Eudes, et le gouvernement de Robert-l’Abbé, firent appeler au trône Hugues-Capet, arrière-petit-fils de Robert-le-Fort. La dynastie carlovingienne régna pendant 236 ans seulement, à partir du couronnement de Pépin-le-Bref, pendant lequel tems elle donna treize monarques à la France, sans compter les doubles emplois.

Faisons, pour cette seconde partie de la troisième période, ce que nous avons fait pour la première, l’examen des institutions et des usages qui s’établirent pendant ces deux siècles et demi.

On ne peut se dissimuler que le partage du trône entre les enfans de chaque monarque, sans distinction de primogéniture et de légitimité ou d’illégitimité, n’ait été le principal germe de l’affaiblissement du pouvoir royal et de la perte du trône par les deux premières dynasties. Nous avons une preuve de l’usage dangereux dont il s’agit, et par le fait même, et par une disposition du testament de Charlemagne, fait en 806, confirmé par les seigneurs français et par le pape Léon, qui laisse aux peuples des états dont il fait le partage entre ses trois fils, la liberté de se choisir un souverain, après la mort de ces princes, pourvu qu’il soit du sang royal. Une autre coutume s’étant établie sous la troisième race, non par des lois écrites, mais par l’usage, la plus forte des lois, l’ordre de primogéniture a conservé la couronne dans cette dynastie jusqu’à nos jours.

Si la fin du règne des Mérovingiens semble être celle des connaissances humaines de tout genre, leur résurrection date aussi du commencement de celui de leurs successeurs. Charlemagne ayant établi le chant grégorien en France, institua une école dans son palais, qui devint le modèle de plusieurs autres et ranima le goût de l’instruction. On sait qu’il y appela plusieurs savans étrangers, et qu’il forma de cette école une espèce d’académie, dont chacun des membres prenait un nom particulier : l’empereur, qui lui-même en faisait partie, y portait le nom de David.

« Le silence de l’auteur du Pontifical, sur l’objet important de l’instruction publique, que cet empereur avait si fort à cœur, dit P. Renouard, nous paraît un sûr garant de l’exécution exacte de ses ordres dans la ville du Mans, pour l’établissement ou le rétablissement des écoles publiques. » L’histoire écrite s’oppose à cette conclusion, toute d’induction. Un passage de Morand nous paraît faire connaître toute la vérité à cet égard. « Ce fut, dit-il, dans cet intervalle, que le clergé du Mans, à qui l’administration du diocèse était déférée, s’excusa sur la vacance de l’évêché, de changer les anciennes rubriques et cérémonies, en celles de l’église romaine, que Charlemagne voulait introduire dans le royaume. L’on fit paraître tant d’attachement pour les anciens usages, et l’on témoigna tant d’aversion pour la nouveauté, que l’empereur, appelé ailleurs par ses affaires, laissa à chacun sa liberté. »

Après la publication des Capitulaires d’Aix-la-Chapelle, de l’an 800, Charlemagne envoya dans les provinces des Missi dominici, officiers charges de faire exécuter ces réglemens. Dans la suite ces commissaires se transportèrent dans les provinces tous les ans, pour y tenir des assemblées, plaids ou assises, y rendre la justice au nom du roi, connaître la situation, les besoins, l’état du commerce ; faire exécuter les lois et réformer les abus : l’empereur les choisissait parmi les grands et les prélats les plus instruits, et les plus amis du bien public. Plus tard, on appela ces envoyés Commissaires départis, puis Intendans, quand ils furent placés à demeure dans les provinces pour présider à l’administration. Quelques articles de ces mêmes Capitulaires d’Aix-la-Chapelle sont destinés à sévir contre les comtes qui ne rendaient plus la justice qu’à prix d’argent.

Dans le partage que fait Louis-le-Débonnaire de ses états à ses enfans, il permet à tout homme libre et sans seigneur, c’est-à-dire à tout propriétaire franc-aleu, de se rendre vassal de celui de ces princes qu’il choisira : c’était un moyen de fortifier le pouvoir royal aux dépends des seigneurs particuliers à qui on s’adressait, comme nous l’avons vu, pour offrir la suzeraineté de ces alleux. Une ordonnance de ce règne exempte les religieux du droit de présent et du service militaire.

Cette époque fut celle des épreuves : la première était le serment, ensuite venait le duel ou combat singulier, pour lequel il y avait au besoin des champions de profession ; ensuite venaient celles du fer chaud, de l’eau bouillante, etc. ; et, ce qui est le plus extraordinaire, c’est que ce moyen était employé, même au civil, pour obtenir la solution de toutes les questions sur lesquelles les avis étaient partagés. Le jugement de la croix, qui donnait gain de cause à celui qui tenait le plus longtems les bras étendus horisontalement, était également pratiqué à cette époque. Nous avons dit page lxiv, de ce précis, quelle était l’origine de ces pratiques enfantées par l’ignorance et l’erreur.

L’or et l’argent étaient rares encore à cette époque ; on en peut juger par leur valeur comparative avec les denrées nécessaires aux premiers besoins. En 846, la contribution d’un minot de froment, d’un minot d’orge, d’une mesure de vin et d’un agneau, que chaque curé devait à son évêque, était estimée deux sous. Ce fut Charlemagne qui introduisit l’usage de compter par livres, sous et deniers, livre qui était réelle et de poids.

La bataille de Fontenai, qui eut lieu en 841, entre Charles-le-Chauve et Louis-de-Bavière, d’une part ; et de l’autre, Lothaire et le jeune Pépin, enleva une telle quantité de noblesse, que les anciennes coutumes de Champagne établirent que désormais le ventre, c’est-à-dire la mère, ennoblirait, quoique le père fut roturier : néanmoins cette noblesse n’était point mise au même rang d’estime que celle de parage, ou procédant du père. Cette même bataille donna lieu à cette autre loi « que la noblesse ne serait contrainte de suivre le roi à la guerre, que lorsqu’il s’agirait de défendre l’état contre une incursion étrangère. » Ajoutons que la plupart des édits, ordonnances, canons, etc., rendus pour une partie du territoire de la France, à cette époque où son territoire était divisé en plusieurs états, ont fini par se fondre dans le corps général du droit public français.

Pépin et Charlemagne s’intitulèrent rois par la clémence de Dieu ; Pépin fut qualifié de roi très-chretien, par le pape Etienne III, et Charles-le-Chauve, par le concile de Savonières, en Touraine, en 859 ; mais ce titre ne devint la qualification ordinaire de nos rois, que sous Louis XI, en 1469 ; enfin, ceux de la troisième race se dirent dans leurs ordonnances, rois par la grâce de Dieu « autant par piété que pour marquer leur indépendance des papes, qui prétendaient alors disposer des couronnes à leur gré. »

C’est au règne de Robert, compétiteur de Charles-le-Simple, que finissent, en 929, les capitulaires de nos rois. Les anciens titres relatifs au gouvernement de l’état, qui succèdent aux capitulaires, ne commencent qu’à Louis-le-Gros, en l’an 1100.

L’ institution des fiefs, sous une forme régulière, malgré les antécédens que nous avons indiqués, ne date que du règne de Raoul, en 923. « Rien n’était plus opposé à l’autorité royale, dit le président Hénault : le vassal du roi avait ses droits pour lui refuser l’obéissance, et les arrières-vassaux de la couronne, sujets à-la-fois du roi et de leur vassal immédiat, étaient toujours dans une situation douteuse et ne savaient auquel entendre. » On peut ajouter, que par les mutations de divers genres de ces fiefs, il arrivait qu’on pouvait être suzerain et vassal tout-à-la-fois d’un même individu.

C’est en 978, que la dignité de Grand-Sénéchal du royaume, fut attachée héréditairement à la maison des comtes d’Anjou, dans la personne de Geoffroi Grise-Gonelle, dont nous aurons occasion de parler.

Loin que les femmes apportassent une dot à leurs maris, à cette époque, c’étaient elles qui en recevaient des présens, dont elles pouvaient disposer, comme le témoigne une donation faite par Hildegarde, comtesse d’Amiens, à une abbaye, d’un alleu qu’elle a reçu en se mariant de son seigneur, « suivant l’usage de la loi salique, y est-il dit, qui oblige les maris à doter leurs femmes. »

Dans la même période, la lèpre affligea l’Occident, et pendant plusieurs siècles, la médecine n’eut aucun remède à lui opposer. De-là les nombreux établissemens et fondations qui eurent lieu sous les noms de ladreries, léproseries, maladreries, etc., non pour secourir cette infirmité, mais principalement pour s’opposer à la contagion, en reléguant les malheureux qui en étaient atteints, loin des lieux habités. Un règlement du synode de Compiègne permet le divorce aux époux, dont l’un serait attaqué de ce mal contagieux.

La cavalerie, si peu nombreuse sous les règnes précédens, s’augmenta à tel point sous les premiers Carlovingiens, par la vanité des leudes qui, en s’enrichissant, trouvaient dans cette arme une plus belle occasion de briller, qu’on fut obligé de reculer au mois de mai les assemblées du Champ-de-Mars, afin de se procurer des fourrages plus facilement.

L’établissement de la dîme, date de Charlemagne et de ses premiers successeurs : on la divisa en quatre parts, la première destinée à l’évêque, la seconde au clergé, la troisième aux pauvres, la quatrième à l’entretien des églises.

Les guerres particulières entre les seigneurs ou leudes, avaient commencé dès le règne de Charlemagne, qui chercha à s’y opposer, par un de ses capitulaires, en les défendant expressément. Ses successeurs les tolérèrent, ne pouvant les empêcher, en décidant qu’il ne serait permis à personne de commencer les hostilités, sans une déclaration ou défi, fait aux parens et vassaux de celui qu’on voudrait attaquer, lequel devait précéder l’attaque de quarante jours : la suspension des hostilités, fut aussi ordonnée, dès que le roi serait en guerre lui-même, avec quelqu’ennemi extérieur. Enfin, pour mettre un dernier frein à ces guerres de seigneur à seigneur, de château à château, auxquelles chaque vassal, noble ou roturier, et jusqu’aux vilains, serfs et esclaves, étaient obligés de prendre part, ou, d’une manière ou d’une autre, de supporter le faix, et qui semblaient être celles d’une troupe de loups, déterminés à se dévorer jusqu’au dernier, on inventa la trêve de Dieu, qui défendait de se battre à certains jours consacrés au Seigneur.

Si l’on voulait tracer un tableau complet des mœurs, des usages, des lois de cette époque, il faudrait faire des volumes de ce seul objet, et copier tous les capitulaires de Charlemagne et de ses successeurs, qui ne laissent rien à désirer sur ce sujet. C’est surtout relativement aux mœurs, à celles des nobles et du clergé de ce tems, que nous sommes forcés à un silence absolu. Nous ne pourrions pas copier aujourd’hui les historiens les plus timorés, sans paraître récriminer, sans être accusé d’esprit de parti ou d’exagération. Un mot seulement fera connaître la condition des serfs dans ces tems reculés : elle différait peu, ou plutôt elle était pire que celle des animaux domestiques. Non-seulement leurs maîtres les achetaient, les vendaient, pouvaient les battre et les tuer ; mais on leur coupait les oreilles, le nez, un pied, une main, on leur arrachait un œil pour les fautes graves ; et cent coups de fouet et plus, pour les fautes légères, étaient la punition qu’on leur infligeait.

Ce que l’on nomme Capitulaires, ou anciennes ordonnances de Charlemagne, de ses prédécesseurs et successeurs, ne sont point des lois émanées de la volonté de ces princes : c’étaient, d’abord, les décisions des assemblées du Champ-de-Mars ou de Mai, plus tard des Conciles, promulgués sous l’autorité du prince. Sous le règne de Charlemagne, les nobles y le clergé y étaient appelés, ainsi que les notables des villes ou des arrondissemens, qui y représentaient les hommes libres ou ingénus. Charles-le-Chauve cite encore, en tête d’un de ses capitulaires, cette maxime du droit public de l’époque. « La loi se fait par la volonté du peuple et par la constitution du roi. »

Charlemagne, qui voulut remettre les lettres et les sciences en honneur, et tirer l’Europe de l’obscurité profonde où l’ignorance l’avait plongée, commença par apprendre lui-même, pour engager les autres à l’imiter. Pierre de Pise lui enseigna la grammaire et la dialectique ; l’anglais Alcuin la rhétorique, l’histoire et l’astronomie ; Théodulphe, visigoth de nation, le poëte le plus correct et le plus pur de ce siècle, lui apprit la musique et la versification. L’hymne gloria, laus et honor tibi sit, rex Christe redemptor, que l’on chante encore à la procession du dimanche des Rameaux, est de ce Théodulphe ; mais ce qui est plus curieux, sous bien des rapports, c’est de connaître des vers de Charlemagne lui-même, faits à l’occasion de la mort du pape Adrien qu’il aimait.

« Post patrem lachrymans, Carolus, hæc carmina scripsi ;
Tu, mihi dulcis amor, te modo plango pater,
Nomina jungo simul titulis, clarissime, nostra ;
Adrianus, Carolus rex ego, tuque paler. »

« C’est en versant des larmes sur la mort d’un père chéri, que Charles traça ces vers. O toi, cher objet de mon affection, je te pleure aujourd’hui. Que nos deux noms à jamais réunis, rappellent toujours que le roi Charles eût pour père Adrien. »

Les rois poëtes sont rares, mais ce qui est plus rare encore c’est de voir, dans un siècle presque barbare, un prince être à-la-fois « le plus hardi guerrier, le plus rapide conquérant, le plus habile politique, le plus grand orateur et le plus savant homme de son tems. » Il est curieux de voir un tel monarque, à une époque où les domaines, fermes ou métairies, étaient le seul trésor des rois, s’occuper de régler, dans un capitulaire daté de l’an 800, le compte de la vente des grains, des fourrages, des fruits, des légumes, même des œufs que ces fermes lui produisaient.

  1. Nous devons déclarer ici, que les différentes invasions des Bretons dans le Maine, offrent beaucoup de confusion et d’obscurité, quant aux époques de la bataille de Vallon et au siège dont nous venons de parler, que les uns fixent à cette première époque, les autres à l’an 849. Nous avons adopté l’opinion qui nous a paru la plus probable et la mieux appuyée de preuves : elle ne détruit en rien, d’ailleurs, la réalité d’une nouvelle invasion et d’une nouvelle occupation du Mans, par les Bretons, en 849.
  2. On n’a fait aucune distinction, jusqu’ici, dans notre histoire du Maine, entre les Saxons et les Normands, et on y confond tous les hommes du Nord, sous la seconde de ces dénominations. Nous traiterons cet objet avec quelque détail, à l’article Saosnois.