Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Chapel

Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance
VE A. MOREL ET CIE, ÉDITEURS (tome 5p. 265-272).

CHAPEL, s. m. (capel de fer, chapeline, hanepier). Le chapel, habillement de tête, n’est autre chose qu’une cervelière avec bord plus ou moins saillant tout autour du crâne.

Cette coiffure militaire remonte à une haute antiquité. On la voit figurer sur des monuments grecs et romains, et le moyen âge ne cessa guère de l’employer.

La forme la plus ancienne est celle d’une bombe avec rebord régulier peu saillant, renforcé d'un ourlet. Au xiie siècle, on posait ce chapel sur la coiffe et le camail de mailles, qui ne recouvrait pas entièrement cette coiffe (fig. 1[1]).

Les gens de guerre portaient alors aussi des chapels de cuir bouilli :

« Chapel ot en son chief d’un cuir qui fu bolis
Et d’un gambeson ert estroitement veslis[2]. »

Pendant le cours du xiiie siècle, il est souvent fait mention du chapel de fer, qui était plus maniable, moins lourd et étouffant que le heaume. Joinville fait mention plusieurs fois de cette coiffure : « ... Ainçois se parti di nostre ost touz seus, et s’adreça vers les Sarrazins, son gamboison vestu, son chapel de fer en sa teste, son glaive desouz l’essele, pour ce que li Sarrazin ne l’avisassent[3]. »

Ces chapels du milieu du xiiie siècle avaient des bords assez larges (fig. 2[4]). Ils étaient forgés de plusieurs plaques rivées et étaient fixés au camail au moyen de crochets. On voit aussi des arbalétriers, à cette époque, coiffés du chapel de fer par-dessus le camail de mailles.

Les mineurs, pionniers, en portaient aussi, à bords très-larges, pour se garantir des projectiles qu’on lançait sur eux du haut des murs. Ces chapels étaient, sur leurs têtes, de véritables pavois circulaires qui faisaient dévier ces projectiles. Ils étaient attachés, pardessus le camail, au moyen d’une courroie sous le menton :

« Et Robastre deslache sou capel, qui hou fu[5]. »

On donnait aussi le nom de hanepier à ces couvre-chef de fer.

La forme de ces chapels de fer se modifie pendant le cours du xive siècle. Très-bombés au commencement du xiiie siècle, ainsi qu’on vient de le voir, avec bords peu saillants, ces chapels abaissent peu à peu leur forme, élargissent leurs bords jusqu’à la fin du xiiie siècle. Au commencement du xive siècle, cette forme consiste en un

cône très-aplati, avec larges bords horizontaux (fig. 3[6]). Alors ils sont forgés de deux pièces rivées, le tymbre et l’avantail.
Vers 1350, un nerf est indiqué du frontal à la nuque, dans l’axe du tymbre, et les bords sont cambrés, la partie postérieure de l’avantail étant un peu plus saillante que la visière (fig. 4[7]).
Ces chapels sont forgés d’une seule pièce. Parfois une bavière goupillée sur une cervelière est posée sous le chapel vers la fin du xive siècle (voy. Bavière, fig. 1). Au commencement du xve siècle, la visière du chapel est percée de deux trous, pour permettre de voir,
en abaissant cette coiffure sur le visage (fig. 5[8]) : ces chapels prennent alors le nom de chapels de Montauban.
Ils sont de diverses sortes, bien que l’auteur anonyme du Costume militaire des Français en 1448 les décrive ainsi : « Les chappeaulx de Montaulban sont rons en teste à une creste au meilleu qui vait tout du long, de la haulteur de deux doiz, et tout autour y a ung avantal de quatre ou cinq doiz de large en forme de manière de chapeau[9]. » Les chapels que nous venons de montrer sont exactement conformes à cette description ; mais les miniatures du xve siècle en figurent de diverses sortes. Les uns (fig. 6[10]) n’ont pas de nerf dans l’axe, et affectent une forme cylindrique terminée par un cône aplati avec bords horizontaux. D’autres sont munis d’une doublure frontale et d’un nasal saillant (fig. 7[11]).
Cette forme étrange se rencontre assez souvent dans les miniatures de cette époque, et ne peut, par conséquent, passer pour une fantaisie d’artiste, d’autant que les vignettes du manuscrit que nous citons ici sont exécutées avec une précision et une recherche dans les détails qui indiquent une étude sur les objets eux-mêmes et d’après nature. Ce nasal saillant, en façon de visière étroite, se voit également figuré à la partie antérieure de quelques salades. La doublure frontale est rivée sur l'avantail du chapel et le nasal par-dessous. Ce personnage porte sous son plastron d’acier un haut collet de justaucorps de peau piquée.
Quelques-uns de ces chapels sont forgés en façon de bombes très-hautes, quelquefois cannelées, avec avantail peu saillant. Ceux-ci sont portés avec la bavière-colletin (fig. 8[12]), pourvue d’un haut gardenuque. Cet habillemeent de tête convenait aux gentilshommes, puisque l’artiste le donne à Porus, combattant Alexandre en champ clos. Dans ces
exemples, l’avantail n’est pas percé de vues. C’était en inclinant plus ou moins le chapel qu'ou pouvait voir au-dessus ou au-dessous de l’horizon.

De ces chapels de fer du milieu du xve siècle, quelques-uns, à bords très-inclinés, avec crête peu sentie sur l’axe de la bombe, sont posés sur la tête d'hommes d'armes montant à l’assaut (fig. 9[13]). Ces coiffures, qui donnent évidemment l’origine du morion du xvie siècle, sont portées par des fantassins ; mais il semble aussi que les hommes d’armes les mettaient pour combattre à pied, ce qu’on faisait souvent à cette époque. En A, on voit comment ce chapel formait un véritable toit, les parois latérales de l’avantail couvrant le bord supérieur des hautes spallières inclinées. Ainsi les projectiles lancés de haut en bas glissaient-ils sur ce triangle de fer. Le bacinet, plus lourd, plus gênant, ne permettant que difficilement de tourner la tête, ne convenait que pour charger à cheval, tandis que la salade et le chapel étaient de bonnes coiffures pour le combat à pied. Aussi les hommes d’armes bien équipés avaient-ils, depuis le règne de Charles v jusqu’à la fin du règne de Charles viii, trois sortes d’habillements de tête : le bacinet, ou, avec l’armure blanche, à dater de 1430, l’armet, la salade et le chapel de Montauban ; car alors on ne portait plus guère le heaume que dans les tournois, et est-il fait mention du chapel de fer dans les combats singuliers : « Quand les deux champions furent prests, ils issirent hors de leurs pavillons. Et estoit le chevalier du pas armé ainsi comme toujours avoit accoutumé, sans avoir harnas en sa jambe dextre. Et celuy Pitois avoit un harnas de teste qui n’estoit ni bacinet ni salade, mais estoit fait à la semblance et manière d’un capel de fer forgé et approprié pour ce faire, et avoit une haute bavière, tellement que de son viaire il n’apparoist que les yeux ; et, pardessus son harnas avoit vestu sa cotte d’armes ; lesquelles estoient écartelées, le premier quartier d’azur à une croix d’or ancrée, le second quartier lozangé d’or et d’azur[14]. »

  1. Manuscr. Biblioth. nation., Psalm., latin (premières années du xiiie siècle).
  2. La Conquête de Jérusalem, chant IV, vers 2779.
  3. Hist. de saint Louis, publ. par M. Nat. de Wailly, p. 79.
  4. Manuscr. Biblioth. nation., Naissance des choses, français.
  5. Gaufrey, vers 10161.
  6. Manuscr. Biblioth. nation., Lancelot du Lac, français (1310 à 1320).
  7. Manuscr. Biblioth. nation., Tristan et Iseult, français (1350 environ)
  8. Manuscr. biblioth. de Troyes, Tite-Live, français.
  9. Publ. par M. René de Belleval.
  10. Biblioth. nation., Froissart (1450 environ).
  11. Manuscr. Biblioth. nation., Miroir historial, français (1440 environ).
  12. Même manuscrit.
  13. Manuscr. Biblioth. nation., Boccace, français (1420 environ).
  14. Chron. de J. de Lalain, par G. Chastelain (Choix de chron. et mém. sur l’hist. de France, Buchou, p. 687).