Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Chanfrein

Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance
VE A. MOREL ET CIE, ÉDITEURS (tome 5p. 262-265).

CHANFREIN, s. m. Partie du harnais de guerre du cheval et tenant à la têtière. La têtière est l’habillement de tête du coursier de guerre ; le chanfrein est la pièce de fer qui garantit le front, l’entredeux des yeux et les narines de la bête.
Il ne paraît pas que les chevaux fussent armés avant la fin du xiiie siècle. Au moment où l’on commence à adopter quelques plates ou pièces d’acier sur le haubert de l’homme d’armes : ailettes, cubitières, arrière-bras, etc., on voit de petits chanfreins posés entre les deux yeux du cheval, par-dessus la housse d’étoffe. Les chanfreins sont légèrement busqués et fixés à la housse elle-même (fig. 1[1]), au moyen de rivets probablement. Quelquefois ces petits chanfreins possèdent une lame tranchante verticale, perpendiculaire au frontal (fig. 2) ; mais cette disposition n’apparaît guère que vers la fin du xive siècle[2].

Le musée d’artillerie de Paris possède une très-curieuse têtière avec son chanfrein (fig. 3). Cette défense est faite de feuilles de parchemin collées les unes sur les autres, et composant ainsi un carton très-résistant, prenant la forme du devant de la tête de la bête. Verticalement, est rivée une plaque d’acier qui protège le milieu. Les deux vues d’acier, en forme de coques, couvrent les yeux et sont rivées au carton, ainsi que les pièces qui garantissent les oreilles et les naseaux. En A, le chanfrein est présenté de profil. Cette pièce de harnais date de la fin du xive siècle ; les plaques de fer sont étamées.

On posait souvent alors la housse par-dessus cette défense, de telle sorte que les coques des yeux, les oreilles et l’armure des naseaux passaient à travers les ouvertures ménagées dans l’étoffe. Le xve siècle apporta une rare perfection et souvent même un grand luxe dans la façon des chanfreins.

« Le chanfrein que portait le cheval du comte de Saint-Pol au siège d'Harfleur, en 1449, était estimé 30 000 écus.
Le cheval du comte de Foix, lors de son entrée dans Bayonne reconquise par Charles VII, en avait un d’acier, orné d’or et de pierreries, prisé 150 000 écus d’or[3]. »

On fabriquait aussi, pendant les xive et xve siècle, des chanfreins en cuir bouilli, avec agréments et bossettes de cuivre, d’argent ou d’or.

Il y avait les chanfreins à vue et les chanfreins aveugles, c’est-à-dire qui cachaient les yeux du cheval, de manière qu’il ne pût voir devant lui. Ces derniers chanfreins étaient surtout destinés aux joutes, pendant lesquelles il était très-important que le cheval ne déviât pas de la ligne sur laquelle on le dirigeait et ne fît pas manquer le coup de lance par un écart. Il existe d’admirables chanfreins de la fin du xve siècle et du commencement du xvie, comme pièce de forge, repoussé, ciselure, niellure ou damasquinure. Ne pouvant guère séparer le chanfrein des autres pièces de l’armure du cheval, nous renvoyons aux article Harnois, Têtière.

  1. Manuscr. Biblioth. nation., Godefroy de Bouillon (premières années du xive siècle).
  2. Manuscr. Biblioth. nation., le Miroir historial, français.
  3. Voyez Du costume militaire des Français en 1446, par M. René de Belleval.