Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Bacinet

Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance
VE A. MOREL ET CIE, ÉDITEURS (tome 5p. 157-168).

BACINET, s. m. (bassinet). — Habillement de tête, dont l’origine remonte au commencement du xive siècle. L’habillement de tête consistait, avant cette époque, en un casque que l’on posait par-dessus la maille et le capuchon de peau, ou en une cervelière de fer tenant à la maille elle-même (voyez Armure, fig. 3, 4, 6, 7, 8, 13, 15, 28 et 31). Par-dessus cette calotte de fer, dès la fin du xiie siècle, les chevaliers posaient le heaume pour combattre. Mais le heaume, extrêmement lourd et gênant, ne pouvait être maintenu sur la tête longtemps. Il fallait le faire porter par l’écuyer ou le suspendre à l’arçon. Dans une action prolongée, on risquait donc, ou d’être étouffé, ou de charger à visage découvert.

On eut donc l’idée, vers l’année 1300, d’ajouter, à la calotte de fer à laquelle le camail de mailles était attaché, un viaire, c’est-à-dire une pièce de fer mobile couvrant le visage, pouvant s’enlever facilement ou se relever. Les premiers essais de ce supplément d’armure de tête sont assez étranges, mais indiquent clairement la nature des coups auxquels il s’agissait de parer ; car il est à observer, dans le système d’armes défensives appliqué pendant le moyen âge, que le combattant se préoccupe avant tout de se garantir contre les effets des armes nouvelles.

La nécessité de combattre de très-près, à l’arme blanche, obligeait chacun à chercher les moyens propres à se couvrir de la façon la plus sûre et la plus pratique.

À la fin du xiiie siècle, les gens d’armes, outre la lance, se servaient de l’épée large et lourde, et de la masse. Des coups portés par ces deux dernières armes, les plus dangereux étaient les coups obliques ou horizontaux. Les coups de pointe n’étaient à craindre qu’à pied, non qu’ils pussent percer les hauberts, mais parce que, dirigés par un bras vigoureux, ils renversaient l’adversaire. À cheval, les coups de taille, à la hauteur du cou ou du visage par-dessus le chef de l’écu, soit qu’ils fussent portés par l’épée ou par la masse d’armes, étaient violemment sentis à travers le camail ou brisaient le nez ou la mâchoire, malgré le heaume, qui alors était libre à sa partie inférieure, et dont la paroi s’appuyait sur le visage par l’effet du choc.

La cervelière étant bien fixée au crâne, on eut donc l’idée d’y ajouter un appendice proéminent et assez bien arrêté à cette cervelière pour ne pas dévier sous l’effort d’un coup de taille vigoureusement appliqué.

La figure 1 montre un des premiers essais d’application d’un viaire ou d’une visière à la cervelière[1]. Ce profil indique la visière
relevée et abaissée. A la cervelière est attacbé le camail de la broigne.

La figure 2 montre cet habillement de tête, la visière baissée et dont l’extrémité inférieure porte sur le col de la broigne. Cette sorte de trompe permettait de prendre la visière et de la relever facilement pour respirer à l’aise ; de plus, elle préservait l’homme d’armes des coups de taille portés sur le visage et le cou. Mais on dut reconnaître bientôt qu’un coup oblique, bien appliqué sur cette trompe, désarticulait la visière ou causait la plus dangereuse commotion à la tête. Aussi cet habillement de tête ne se trouve-t-il que rarement retracé dans nos monuments, et disparaît-il dès les premières années du xive siècle. On substitue, vers 1310, à cette visière en trompe, un accessoire défensif mieux entendu, terminé par le bas de manière à envelopper le devant du col de la broigne ou du camail de mailles (fig. 1 bis[2]). Tantôt ces visières primitives sont à pivots, tantôt à charnières, avec liche pouvant être facilement enlevée ; quelquefois elles s’ouvrent comme des volets et sont de forme ovoïde ou en façon de bec. Mais il y avait toujours à ces viaires un défaut : c’est qu’ils ne portaient pas, à la partie inférieure, sur une pièce d’armure rigide, et que, poussés par un choc trèsviolent, ils appuyaient leur bord inférieur sur le cou. Ce n’est que sous le roi Jean, c’est-à-dire vers 1330, que l’on voit le bacinet prononcer sa forme nettement.

La figure 3 donne le profil d’un de ces habillements de tête[3].
Aux parois inférieures du tymbre est fixée à pivots une bavière, et la visière vient porter sur cette pièce rigide lorsqu’elle est abaissée, de telle sorte qu’elle offre une résistance efficace aux coups.

La figure 4 montre ce véritable bacinet porté la visière relevée. La maille du camail est rivée au tymbre et ne laisse libre que le visage. Dans cet babillement de tête, toutes les formes sont déjà bien combinées pour faire dévier les coups de lance et pour ne pas présenter de surfaces normales aux coups de taille. La gorge est préservée efficacement, puisque le chef de l’écu débordait sur la bavière. Le tymbre descend jusqu’aux épaules et garantit parfaitement la nuque et les carotides. La visière relevée était simplement maintenue par le frottement que ses pattes exerçaient sur les parois du casque. La vue, c’est-à-dire les ouvertures permettant à l’homme d’armes de voir à travers la visière, est percée sur l’arête d’un nerf saillant, de manière à ne pas arrêter le fer de la lance ou de l’épée.

Vers la même époque, les hommes d’armes français portaient fréquemment des bacinets exportés de la haute Italie, qui de temps immémorial avait conservé le monopole de la fabrication des armes défensives : les heaumes de Pavie et de Milan sont mentionnés dès le xie siècle (voy. Barbute).

Ces bacinets italiens sont dépourvus de bavière (fig. 5[4]), mais les côtés de la visière portent sur les bords antérieurs du tymbre largement, ce qui empêche cette visière de rentrer sur le cou. Sa partie inférieure descend très-bas, de façon à tenir lieu de bavière. La figure montre ce bacinet porté la visière relevée. La maille du
camail est rivée aux bords du tymbre, et les têtes des rivets portent sur une bande de cuivre, afin de leur donner une prise plus épaisse et plus souple. On observera la forme remarquablement belle du tymbre qui couvre si bien la tête et le cou. La vue est composée d’une fente pratiquée sur l’arête d’un relief.

Mais nous arrivons au moment où les armures de plates, c’est-à-dire exclusivement composées de plaques de fer battu, allaient remplacer les armures mixtes, composées de hauberts ou de broignes avec parties d’acier, telles que, avant et arrière-bras, grèves et cuissots. Le bacinet allait donc s’adapter d’autant mieux à ce nouveau système d’armure (voyez Armure, de la figure 37 à la figure 44).

C’est vers 1380 que les armures de plates complètes commencent à paraître. C’est alors aussi que le bacinet atteint sa perfection et
ne laisse plus apparaître de tâtonnements. Les uns sont avec colletin de fer, auquel est attaché un camail de mailles ; les autres sont sans colletin de fer, avec camail de mailles seulement, comme le bacinet de Milan que donne la figure 6. Mais la forme française diffère de celle adoptée dans la haute Italie. Le tymbre du bacinet français est beaucoup plus incliné en arrière, pour offrir moins de résistance aux coups de lance. La visière est plus saillante et mieux close que n’est celle du bacinet italien (fig. 7[5]). Elle se relève, mais
peut aussi être complètement enlevée en retirant les fiches qui maintiennent les charnières voisines des pivots. Le camail de mailles était fixé au moyen d’un lacet qui passait par des trous percés au bord inférieur du tymbre ; une bande de cuir extérieure empêchait que ces lacets ne fussent coupés par le fer. Dans le tracé de face A, on voit que les trous ménagés à la partie inférieure de la visière, pour faciliter la respiration, sont tous percés du côté droit : c’est qu’en effet le choc de la lance portait sur le côté gauche du casque, afin de prendre le cavalier en écharpe et de le désarçonner plus sûrement. En B, est tracé l’un des rivets de cuivre, grandeur d’exécution, qui étaient destinés à maintenir la doublure intérieure de la visière, faite de soie ou de toile. Ce bacinet est d’une exécution
parfaite, et l’acier en est admirablement travaillé. Le corselet de fer passait sous le camail de mailles, qui n’était là que pour masquer la jonction du bacinet avec le liant du corselet. Mais la naissance du cou ne paraissait pas encore suffisamment garantie par ce camail ; aussi fit-on, à la même époque, des bacinets avec colletin d’acier qui couvrait la partie supérieure du corselet (fig. 8[6]). Ce beau bacinet présente un babillement de tête des plus complets de la fin du xive siècle. Il se compose d’un tymbre avec bavière (fig. 9) rivée aux bords antérieurs de la cervelière ; d’un colletin d’acier de deux pièces maintenues ensemble au moyen de deux pivots qui laissent à la partie antérieure une certaine flexibilité. La coiffe du tymbre était fixée à l’aide d’un lacet qui passait par des trous ménagés sur le frontal. Une bande de peau isolait ce lacet de l’acier. La visière, comme dans l’exemple précédent, pouvait être enlevée en tirant les fiches des charnières. Un camail court était rivé au bord inférieur du colletin.

Il y a dans cet habillement de tête une disposition pratique qu’on ne trouve pas au même degré dans le bacinet italien, dont la forme plus pure et plus belle ne présente pas, au point de vue de l’armement, une aussi bonne défense. Cette observation peut du reste s’appliquer à toutes les parties de l’armure défensive du xve siècle. L’habillement de fer français et anglais est plus pratique, plus efficace comme défense, que n’est l’habillement italien.

Le bacinet est conservé jusque vers 1430. Il en est question encore dans les chroniques du xve siècle relatant des faits de cette époque : « Et par expecial avoit sur les murs l’un d’eulx (des Anglois), qui estoit moult grant et groux, et armé de toutes pièces, portant sur sa teste ung bassinet, lequel se habandonnoit très fort et jettoit merveilleusement grosses pierres de fer et abatoit continuellement eschelles et hommes estant dessus[7]. »

Dans les exemples qui précèdent, on voit que rien n’arrêtait la visière lorsqu’elle était abaissée, de sorte qu’un coup de lance ou de pointe pouvait la relever, s’il était adressé de bas en haut. C’était un inconvénient ; aussi chercha-t-on, dès les premières années du xve siècle, à fixer la visière à la bavière. De plus, ces visières, en forme de bec et qui faisaient si bien dévier le fer de la lance dirigé de face, donnaient prise aux coups de masse et d’épée dirigés obliquement. Il en était de même pour les tymbres en pointe. On abandonna donc bientôt ces formes coniques, et l’on chercha à donner au bacinet une forme telle qu’il ne pût, sur aucun point, donner prise aux coups. Naturellement la forme qui remplissait le mieux cette condition était le sphéroïde ou l’ellipsoïde. En effet, de 1400 à 1410 on adopte un bacinet qui ne présente plus aux coups que des points normaux, et non des surfaces, ce qui diminuait beaucoup les chances de l’attaque ; car, pour si peu que le coup ne fût pas exactement perpendiculaire au plan tangent, il déviait. La figure 10[8] présente un de ces bacinets. La visière s’emboîtait dans le gorgerin-colletin articulé, et s’y fixait au moyen d’un loqueteau à ressort. Ce gorgerin-colletin laissait au bacinet une certaine mobilité et permettait
au tymbre de s’abaisser un peu sur le corselet. Ce bacinet était maintenu au corselet et à la dossière par deux courroies. Le camail de mailles était supprimé entièrement dans cet babillement de tête. La figure 11 présente le bacinet de face, la visière baissée. Celle-ci est percée de deux vues, la vue supérieure étant réservée pour le moment où le cavalier chargeait, dressé sur ses étriers et le corps penché en avant. Le tymbre était forgé d’une seule pièce (voy. la fig. 10) et se terminait, par derrière, en un large couvre-nuque auquel étaient fixées, par des pivots-rivets, les deux pièces du gorgerin-colletin. Cependant on remarquera que la suture entre la pièce supérieure du gorgerin et la visière pouvait permettre au fer de la lance ou à la pointe de l’épee de passer : c’était un défaut. Il ne paraît pas que cette forme de bacinet fut conservée longtemps, soit à cause du défaut que nous venons de signaler, soit parce qu’il était lourd et peu maniable. Nous ne pouvons présenter toutes les modifications de détail que subit
cet habillement de tête jusqu’au moment où il fut abandonné pour être remplacé, vers 1435, par la salade et l’armet (voyez ces deux mots), qui furent dès lors portés avec l’armure complète.

Il est à croire que Jeanne D’arc était armée encore du bacinet. Dans l’Inventaire des armes conservées au château d’Amboise[9] est mentionné cet article : « Harnoys de la Pucelle garny de garde-braz, d’une payre de mytons (gantelets), et d’un habillement de teste, où il y a un gorgerin de maille, le bort doré, le dedans de satin cramoisy, doublé de mesme. »

En effet, le camail de mailles n’était attaché qu’au bacinet. La salade et l’armet ne sont jamais accompagnés d’un appendice de mailles, et le dernier exemple que nous venons de donner est déjà une transition entre le bacinet et l’armet.

  1. Manuscr. Biblioth. nation., Miroir historial (environ 1300)
  2. Manuscr. Biblioth. nation., Histoire du livre et des articles de saint Louis (1310 environ)
  3. Manuscr. Biblioth. nation, Tite-Live, trad. franç. du trésor du roi Jean.
  4. Manuscr. Biblioth. nation., Lancelot du Lac (1360 environ), miniature de facture italienne.
  5. Musée d’artillerie de Paris
  6. Du musée de Pierrefonds (1390 environ).
  7. Journal du siège d’Orléans (voyez Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, publ. par J. Quicherat, t. IV, p. 171).
  8. Manuscr. Biblioth. nation., le Livre de Guyron le Courtois, français (1400 à 1410).
  9. Publié par M. Le Roux de Liucy, Biblioth. de l’École des Chartes, 2e série. t. IV, p. 412.