Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance/Épée

Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance
VE A. MOREL ET CIE, ÉDITEURS (tome 5p. 359-402).

ÉPÉE, s. f. (branc). Arme offensive de main, sur l’antiquité de laquelle il n’est pas besoin d’insister.

Il est, avant l’époque dont nous nous occupons spécialement, diverses formes d’épées. Les unes sont à deux tranchants, d’autres à un seul. Certaines lames sont plates, légèrement convexes sur la section transversale ; quelques-unes portent des gravures longitudinales, un ou plusieurs nerfs saillants. Les tranchants sont rectilignes ou courbés, concaves ou convexes, ou parallèles jusque près de la pointe. Il est de même une grande variété dans la forme des poignées.

Nous ne nous occuperons que très-accessoirement, et pour indiquer au besoin certaines origines, des épées antérieures à l’époque carlovingienne.

Pendant le moyen âge, les mots branc et épée sont employés pour désigner cette arme qui, avec la lance, composait l’armement offensif principal des gens d’armes. La lame était l’alemelle ou la lumelle ; la poignée, le helz, l’endeure, l’enheudeure, le heut ; le pommeau, le pont, le plommel ; les gardes, l’arestuel, les quillons ; le fourreau, le fourrel, le fuerre.

L’épée du fantassin romain, désignée sous le nom d’ibérique, et qui avait, été introduite dans l’armement par Scipion, avait 60 centimètres environ de longueur, compris la poignée, de 15 centimètres. La soie de cette épée de fer était garnie d’une poignée d’os, d’ivoire, ou de bois, avec bandes et pommeau de bronze. Son fourreau était fait de lamelles de bois avec revêtement de peau mince, et frettes, orles et bouterolles de bronze.

La figure 1 présente en A une lame d’épée de fantassin romain. La section de cette lame est donnée en C. En B, une autre épée un peu plus courte, possédant son fourreau complet de bois garni de bronze, et en D la section du fourreau avec le mode d’attache des deux anneaux a de la bélière[1]. Cette épée et le parazonium[2] constituèrent les seules armes de main conservées dans les troupes des conquérants du monde, jusqu’à la fin de l’empire. Les épées gauloises à lame de fer, trouvées dans des tombelles, sont habituellement plus longues que n’était l’épée romaine. Bien que les Gaulois connussent l’acier, ces épées étaient mal trempées, puisqu’elles se courbaient en combattant, et que les guerriers les redressaient avec le pied. Quant à l’épée des Francs, ou scramasaxe, c’était une arme courte, lourde, à un seul tranchant, et dont le dos était habituellement cannelé. Rien n’indique que les Francs, au moment de leur arrivée dans les Gaules, fissent usage d’épées longues à deux, tranchants. Cependant les tombes mérovingiennes en laissent voir quelques-unes dont la lame atteint 60 à 70 centimètres de longueur ; mais cette arme me semble n’avoir été portée que par les chefs. Le scramasaxe était l’arme habituelle du soldat franc, avec la framée, javeline à long fer, et la francisque, hache à court manche (voyez Hache). Mais le scramasaxe était plutôt un long couteau qu’une épée, et resta jusqu’au xive siècle l’arme des coutilliers, soit que la lame fût garnie d’une simple poignée d’os ou de bois, soit qu’elle fût emmanchée au bout d’un bois de 1 mètre 50 centimètres de longueur environ. Nous avons vu extraire de tombes datant évidemment de l’époque mérovingienne, quelques-unes de ces lames longues qui peuvent être rangées parmi les épées.

Les fouilles pratiquées à Londinières[3] et dans la forêt de Compiègne en ont mis au jour un très-petit nombre, mais bien caractérisées (fig. 2). La poignée de ces épées est garnie d’os, ou même de bronze.

La garde est parfois ornée d’argent. Les fragments de fourreaux montrent deux ais très-minces, de bois, garnis d’orles et de frettes de bronze, avec bielle pour attacher l’arme au ceinturon. En A, est donnée la section de la lame et d’un fourreau, figuré en B. Cette façon de fourreau se retrouve dans des tombes d’une époque beaucoup plus reculée, attribuées à des guerriers gaulois[4].

Il paraîtrait que les Gaulois établis au nord de l’Italie portaient aussi le parazonium, car on ne saurait donner un autre nom à l’arme que représente la figure 3, et qui a été trouvée dans une tombe gallo-italique près de Sesto-Calende, en 1867[5]. Cette arme de main est entièrement de fer, lame et poignée. Quant au fourreau A, il est fabriqué de feuilles de bronze très-minces, orlées et rivées. Cette tombe renfermait deux enémides ou jambières de bronze, et un casque bombé à bord saillant et égal, de bronze aussi ; le tout très-mince ; un long fer de javelot et, une pointe de flèche de fer.

L’épée provenant de la tombe de Childéric[6] et que reproduit la figure 4, est cependant d’une dimension très-médiocre : sa lame n’avait guère que 48 centimètres, si toutefois le fourreau actuel, dont les ornements seuls sont anciens, a été reproduit suivant la longueur primitive, ce qui peut faire l’objet d’un doute. Les frettes de ce fourreau sont d’or, sertissant de petites lames de verre purpurin posées sur un paillon d’or. La poignée de bois est revêtue d’une mince lame d’or, maintenue par quatre vergettes d’or. Le pommeau, qui a été brisé et dont il ne reste plus que le fragment A, formait béquille. En B, est tracée la plaque du bout du fourreau. Ces détails sont présentés moitié de l’exécution[7]. Mais cette arme de luxe ne peut donner qu’un renseignement très-vague sur la forme des épées adoptée par les grands personnages de l’époque mérovingienne, d’autant que la lame n’existe plus. Il en est autrement si l’on entre dans la période carlovingienne.

La mosaïque qui représentait Charlemagne dans la tribune de l’ancienne église de Sainte-Susanne à Rome, bâtie vers l’année 797, donnait à ce prince une longue épée[8].

Les vignettes des manuscrits des viiie et ixe siècle montrent habituellement les hauts personnages armés de longues épées. M. le comte de Nieuwerkerke possédait, dans sa belle collection d’armes du moyen âge, une admirable épée de l’époque carlovingienne que reproduit la figure 5. Cette épée, d’une longueur de 90 centimètres, compris la poignée, est d’une excellente fabrication. La lame porte une cannelure dans toute sa longueur, ainsi que l'indique la section A, faite près du talon. Le pommeau et la garde de la poignée sont plaqués d’argent. En B, est figurée, grandeur d’exécution, cette garde par-dessus, E étant la soie. Les feuilles d’argent sont striées et sur les stries étaient gravés une inscription à la partie du dessus et des enroulements aux côtés. La soie était garnie de bois avec fil d’argent.

Les fourreaux de ces épées sont figurés, sur les vignettes des manuscrits de cette époque, avec des bandelettes de peau ou d’étoffe s’entrecroisant et cet usage paraît s’être prolongé jusqu’au xiiie siècle. On observera que cette lame n’est pas retaillée, c’est-à-dire ne possède pas une pointe formant un triangle plus ou moins aigu. Les tranchants suivent deux lignes droites se rapprochant et terminées par un arrondi.

Cette disposition, particulière aux lames d’épée de l’époque carlovingienne au xiie siècle, indique qu’on ne se servait de cette arme que de taille. On la voit reproduite sur les broderies de la tapisserie de Bayeux (fig. 6). La forme des épées sur ce précieux monument est exactement celle de l’arme que nous venons de donner. Le personnage A porte l’épée au fourreau ; mais en B les épées sont nues et leur pointe est arrondie. Quant aux poignées, elles ne diffèrent pas de celles présentées figure 5. Il paraîtrait que ces épées étaient suspendues au ceinturon C à l’aide d’une bielle disposée comme celle de la figure 2.

L’épée étant l’arme noble dès l’époque carlovingienne, on attachait une grande importance à sa fabrication. On donnait des noms à ces armes, et quelques-unes ayant appartenu à des héros étaient considérées comme fées.

Dans la Chanson de Roland on lit ces vers :


« U est vostre espée ki Halteclere ad nom ?
« D’or est li helz e de cristal li punz[9]. »

« Oliver sent que à mort est ferut,
« Tient Halteclere dunt li acer fut bruns[10]. »


Et quand Roland mourant veut briser son épée, afin qu’elle ne tombe pas aux mains des Sarrasins, il frappe vainement la lame sur les pierres, l’acier ne s’ébrèche même pas. C’est un des plus beaux passages du poëme :


« Rollans ferit el perrun de sardonie ;
« Cruist li acer, ne briset ne n’esgrunie.
« Quant il ço vit que n’eu pout mie freindre,
« A sei-meisme la cumencet a pleindre :
« — E ! Durendal, cum es bele e clere e blanche !
« Cuntre soleill si luises e reflambes !
« Caries esteit es vais de Moriane
« Quant Deus del cel li mandat par sun angle
« Qu’il te dunast à un conte cataigne.
« Dune la me ceinst li gentilz reis, li magnes ;
« Jo l’en cunquis Namon e Bretaigne,
« Si l’en cunquis e le Peitou e le Maine ;
« Jo l’en cunquis Normendie la franche,
« Si l’en cunquis Provence et Équitaigue
« E Lumbardie e trestute Rormaine ;
« Jo l’en cunquis Baiver e tute Flandres
« E Burguigne et trestute Puillanie,
« Costentinnoble, dunt il out la fiance,
« E en Saisonie fait-il ço qu’il demandet ;
« Jo l’en cunquis e Escoce, Guales, Islonde

« E Engleterre que il teneit sa cambre ;
« Cunquis l’en ai païs e teres toutes
« Que Carles tient, ki ad la barbe blanche.
« Pur ceste espée ai dulor e pesance,
« Mietz vocill morir qu’entre paiens remaigne.
« Deus pere, n’en laiseit hunir France! »


De nouveau le héros frappe sur la pierre, dont il détache un grand morceau :


« L’espée cruist, ne fruisset ne ne brise,
« Cuntre ciel amunt est resortie. »


Quand Roland voit qu’il ne peut briser cette épée, doucement se dit-il à lui-même : « Ah ! Durendal, comme tu es belle et sainte. En ton pommeau as-tu assez de reliques ?... une dent de saint Pierre, du sang de saint Basile, des cheveux de monseigneur saint Denis, et aussi du vêtement de la vierge Marie. Il n’est pas juste que les païens te prennent. Tu dois appartenir à des chrétiens ; tomberais-tu entre les mains d’un lâche ! Avec toi j’ai conquis bien des provinces que possède Charles à la barbe fleurie. Par toi l’empereur est grand et riche. » Sentant la mort venir, Roland se couche sous un pin, et sur son corps il dépose l’épée et l’olifant, tournant la tête du côté de l’ennemi.

Le baron carlovingien s’adresse à son épée comme les héros de l’Iliade s’adressent à leurs chevaux. L’épée est un compagnon fidèle, aimé. Impuissant à s’en servir, le guerrier ne veut pas qu’elle soit déshonorée par la main d’un ennemi ou d’un lâche.

Ces allocutions à l’épée sont fréquentes dans les poëmes des xiie et xiiie siècle. Quand Ogier le Danois a reconquis ses armes qui lui avaient été volées :


« Il regarda son bon haubere dohlier,
« Sa bone sele et ansdeus estriés,
« Cortain[11] s’espée qi mult fist à prisier :
« — Brans! dist li dux, mult vos doi avoir chier.
« Sus maint païen vos ai fait essaier,
« En mainte coite m’avés eu mestier.
« Trait le du fuerre, mult le vi flambier,
« Or jura Deu qi tot a à jugier :
«  — Senpres au vespre, quant il iert anuitié,
« M’en istrai fors au tref Kallou lanchier ;

« Se m’i assallent serjaul et esquier,
« Esproverai se m’i arés mestier.
« Dreche l’amont, sus un perou le fiert,
« Ne le vit fraindre, esgriner ne ploier ;
« Mais du peron fist trenchier un quartier.
« — Brans, dist li dus, si m’ait saint Richier,
« Or ne quid mie qu’il ait millor sous ciel.
« II l’a ben terse[12], el fuerre l’embatié[13]. »


Le pommeau de l’épée renfermait ordinairement des reliques ; aussi jurait-on sur le pommeau et non sur la croix formée par les quillons, ainsi que quelques personnes l’ont supposé :


« Car l’empereres fist Joiouse[14] aporter,
« Ce est l’espiée où moult se pot fier.
« Enz el poing d’or avoit ensaielé
« Bonnes reliques don cors saint Honoré,
« Don bras saint Jorge, qui moult fait à louer,
« Et des chevox Nostre-Dame a planté[15]. »


Gaydon possède l’épée d’Olivier, Hauteclère ; et quand il a vaincu Thiébault :


« S’espée dresee contremont demanois,
« De toutes pars vit les coutiaus adrois :
« — Hé ! bonne espée, quel coutel ai en toi !
« Bien soit de l’arme cui tu fus devant moi,
« C’est d’Olivier, le chevalier cortois ![16] »


Des inscriptions étaient damasquinées en or ou en argent, soit sur la lame, soit sur la garde :


« .I. Sarrasins cuida Huon gaber ;
« A son escrin est maintenant alés,
« Si en a trait fors .1. branc d’achier Ictré,
« Vint à Huon, et se li a donné :
« — Vasal, dist il, cestui me porterés ;
« Je l’ai maint jor en mon escrin gardé.
« Hues le prent, du fuerre l’a gelé[17],

« De l’une part se trait lés .I. piler.
« Ce dist le letre qui fu el branc letré
« Qu’ele fu suer Durendal au puing cler ;
« Galans les fist, .II. ans mist à l’ouvrer,
« .X. fois les fist en tin achier couler.[18]»


Il est fait plusieurs fois mention de ce Galant et d’autres fabricants célèbres d'épées. Dans le roman de Ficrabras, l'auteur cite la plupart de ces épées historiques, ainsi que les noms de ceux qui les avaient faites. Ce passage est assez curieux pour que nous le donnions ici en entier :

« Fierabras d’Alixandre fut moult de grant tierlé :
« Il a çainte l’espée au senestre costé,
« Puis a pendu Bautisme à l’archon noieté,
« Et d’autre part Garbain au puing d’or esmeré.
« De ceus qui les forgierent vous dirai vérité,
« Car il furent .III. frère tout d’un père engerré.
« Galans en fu li uns, ce dist l’auctorité ;
« Munificans fu l’autres, sans point de fausité ;
« Aurisas fu li tiers, ce dit on par verté.
« Ceulx firent .IX. espées dont on a moult parlé.
« Aurisas fit Baptesme au puing d’or esmeré,
« Et Plorance et Garbaiu, dout li branc sont tempré :
« .XII. ans i mist anchois que fuisent esmeré.
« Et Munificans fist Durendal au puing cler,
« Musagine et Courtain, ki sont de grant bonté,
« Dont Ogiers li Danois eu a maint coup donné.
« a Et Galans fist Flobcrge ’a l’acier atempré,
« Hauteclere et Joiouse, où moul ot dignelé :
« Cele tint Karlemaines longuement en certé[19]. »


« Li rois çainst l’espée fort et dure.
« D’or fu li pons et toute la hendure[20],
« Et fu forgié en une combe[21] oscure.
« Galans la fist qui toute i mist sa cure.
« Fors Durendal qui fu li eslilure[22]
« De toutes autres fu eslite la pure[23]. »


Ces citations ne prouvent autre chose que l’importance attachée pendant les xiie et xiiie siècle à la valeur de l’épée. C’est beaucoup d’avoir confiance en l’arme dont on se sert, et la superstition aidait encore à cette confiance. On croyait en la vertu de certaines épces, et nous voyons au xve siècle Jeanne Darc demander la permission d’aller quérir une certaine épée qu’elle désigne : « Geste dite Pucelle, après qu’elle oult été examinée, requist au roy qu’il luy ploust bailler l’un de ses armeuriers pour aller à Saincte Katherine de Fierbois quérir une espée qui estoit en certain lieu de l’église, venue par la grâce de Dieu et en laquelle avoit emprainte de chaque costé cinq croix, laquelle chose luy fut adcordée, en luy demandant par le roy se elle avoit oncques esté au dit lieu, comment elle savoit la dite espée estre telle, et comment elle y avoit esté apportée. A quoy respondit que oncquez n’avoit esté ni entré en l’église de dite Saincte Katherine, mais bien sçavoit que icelle espée y estoit entre plusieurs vieilles ferrailles, comme elle le sçavoit par révélacion divine, et que par le moien d’icelle espée devoit expeller les ennemis du royaulme de France, et mener le roy enoindre et couronner en la ville de Rains[24]. »

L’épée est donc l’arme par excellence de la noblesse, de l’homme de guerre. Ne faut-il pas être surpris si l’on apportait les plus grands soins à sa fabrication.

Voici une de ces belles épées de la seconde moitié du xiie siècle (fig. 7[25]). Comme dans les derniers exemples donnés, la pointe est arrondie : c’est une arme de taille. La lame, allégée par une cannelure centrale, est très-large au talon (8 centimètres : voy. la section A). Les quillons de fer se développent et le pommeau est en forme de disque, ainsi que le fait voir le profil B. La soie est garnie de bois, avec un fil d’argent en spirale et très-délicates frettes perlées. C’est une belle arme, lourde, mais bien en main ; on observera la belle courbe des tranchants. Nous présentons un fourreau de la même époque copié sur des pierres tombales.

La figure 8 montre encore une de ces belles armes de la fin du xiie siècle[26], française. La lame est composée d’un acier excellent et d’une dureté peu commune. La soie, épaisse et longue, de fer, était garnie de peau ou de fil. En B, est donnée la section de la lame sur cd, et en A sur ab. La large cannelure longitudinale se perd vers les deux tiers de la lame, qui s’élargit un peu au talon, de manière à donner une légère concavité aux tranchants sur ce point ; caractère particulier aux épées à dater de la fin du xii siècle jusqu’au xive. La poignée est assez longue pour permettre de se servir de l’arme des deux mains.

Jusque vers le milieu du xiiie siècle, la forme de l’épée ne se modifie guère, mais les quillons commencent à se courber vers la lame. Les pommeaux sont en forme de disque le plus souvent ; on en voit cependant représentés en façon de vase trapu, dans lesquels on enfermait des reliques. C’est ainsi qu’est figure le pommeau de l’épée de la belle statue de saint George du portail sud de Notre-Dame de Chartres (fig. 9[27]). La poignée de cette épée est garnie d’un treillis de bandelettes de cuir, afin de bien tenir dans la main. Les quillons sont légèrement renversés vers la lame, et le fourreau est garni d’une chape avec bord de peau qui recouvre bien la garde, disposition qu’on trouve adoptée pour toutes les épées de cette époque.

Pendant la seconde moitié du xiiie siècle, il est deux genres d’épées, les épées à lames légères, cannelées, et les épées à lames lourdes et à section quadrangulaire. Les premières servaient de taille et les secondes d’estoc. Aussi les hommes d’armes en portaient-ils souvent deux : la première, très-longue, était attachée à l’arçon de la selle, et la seconde, plus courte, au baudrier, pour combattre à pied.

Il n’est pas bien certain que l’épée légère et longue possédât un fourreau. I1 se pourrait que ces armes fussent simplement passées dans un jeu de courroies. Il est un texte de Joinville, à ce propos, qu’il est bon de citer : « Je et mi chevalier acordames que nous iriens sus courre à plusours Turs qui chargoient lour harnois à main senestre en lour ost, et lour courûmes sus. Endementres que nous les chaciens parmi l’ost, je resgardai un Sarrazin qui montoit sur son cheval : unz siens chevaliers li tenoit le frain. Là où il tenoit ses deux mains à la selle pour monter, je li donnai de mon glaive[28] par desous les esseles et le getai mort ; et, quant ses chevaliers vit ce, il lessa son signour et son cheval, et m’apoia, au passer que je fis, de son glaive entre les dous espaules, et me coucha sur le col de mon cheval, et me tint si pressei que je ne pouoie traire m’espée que j’avoie ceinte ; si me convint traire l’espée qui estoit à mon cheval ; et quant il vit que j’oz m’espée traite, se tira son glaive à li et me lessa[29]. »

Ce passage ne laisse aucun doute sur l’usage des deux épées en campagne. Le récit du sénéchal de Champagne est d’une clarté saisissante. Étant poussé par le bois du Sarrasin sur l’arçon de la selle, le visage sur la crinière du cheval, il ne peut faire usage de l’épée qui était suspendue à son flanc gauche, mais peut tirer le branc attaché à l’arçon de devant de la selle.

La figure 10 présente deux de ces épées d’arçon, bonnes pour escrimer à cheval, de taille. Elles sont longues et les lames sont légères. Celle C, que possède le musée d’artillerie de Paris, est fort bonne. Sa lame est allégée par deux cannelures qui n’atteignent pas la moitié de sa longueur (voyez la section de cette lame près du talon, en A). Le pommeau est épais, lourd, afin de faire contrepoids. Cette arme est facile à manier et bien en main. L’épée D, dont la lame est exactement de la même longueur, est plus légère encore que n’est la précédente. La lame n’est allégée que par une seule cannelure (voyez en B la section de cette alemelle près du talon). Le pommeau, en forme de lentille, est bien pondéré avec la lame[30].

La figure 11 montre une épée d’estoc[31], plus courte que ne sont les précédentes et dont l’alemelle, très-forte au talon (voyez la section B), est diminuée jusque près de la pointe, qui est retaillée et aiguë. Si l’on se servait, au besoin, de cette arme à cheval, lorsqu’on ne pouvait plus faire usage de la lance, elle était surtout destinée

aux combats à pied. L’escrime alors consistait à fournir des coups de taille assez lourds pour se faire sentir à travers les mailles, et briser les bras ou l’épaule, et des coups droits très-dangereux (vov. Armure, fig. 35, et Écu, fig. 15).

Cependant, à la fin du xiiie siècle les poignées de ces épées lourdes n’étaient faites que pour une main, tandis qu'au xive siècle on combattait à pied, à deux mains ; les poignées étaient donc plus longues.

La figure 11 donne en A le fourreau usité à cette époque[32], et en C une des frettes de métal de ce fourreau, composé d’ais de bois recouverts de peau ou d’étoile de soie. En a, on voit le recouvrement de peau qui empêchait l’humidité de pénétrer dans le fourreau.

Au commencement du xive siècle, les épées à lames cannelées sont fort rares. Ce sont surtout des armes d’estoc. Et en effet on commençait alors à porter des plates, spallières, arrière-bras, cubitières, ailettes, avant-bras, cuissots et genouillères. Les longues épées de taille, légères, ne pouvaient rien sur ces pièces d’armure ; on paraît avoir renoncé à leur usage sous Philippe le Bel, et les hommes d’armes ne portent-ils que des épées dont les alemelles sont à section quadrangulaire, sans cannelures.

L’arme que nous donnons ici (fig. 12[33]) date du commencement du xive siècle. La section de la lame près du talon est tracée en B. Les tranchants sont droits jusqu’à la pointe, qui est faite en façon de carrelet. La soie est large, forte, et était simplement entourée de fil ou de peau collée. Le pommeau est finement forgé, avec petit évidement circulaire au centre, sertissant parfois un chaton sous lequel était déposé un fragment de relique. En D, est figuré ce pommeau, aux deux tiers de l’exécution, et en E la garde au centre. En C, est la section du fourreau, avec l’épaisseur des frettes[34].

Lorsque deux troupes de gens d’armes avaient fourni une charge à la lance, il arrivait que beaucoup de chevaux étaient renversés par le choc. Alors les hommes d’armes qui pouvaient se dégager mettaient l’épée à la main et combattaient à pied.

Il est souvent question de ce genre de combat dans les romans du xiiie siècle :

« Dont n’i ot plus, mes chascuns let
« Chevalz aler ; si s’entreviennent
« Es escuz ; des lances qu’ils tienent
« Se vont ferir de fier esles
« Si qu’il en font froissier les es
« Des escuz encontre leur piz,
« Et qu’il ont par force guerpiz
« Les frains, car les lances sont fortz ;
« Et il qui de si grant effortz
« Furent et si fort s’entrevont,
« Qu’il abatent tout en .I. mont,

« Chavalz et chevaliers ensemble ;
« Mes tost refurent, ce me semble,
« Li chevalier en pied, sailli ;
« Et si se sont entrasailli
« As espées tout de rechief ;
« Chascuns ot bien covert le chief ;
« Si s’entrevienent au devant[35]. »

« . . . . En piez revienent ;
« Les escuz qui mult leur avienent
« Metent avant ; espées traites
« S’entrevont et gietent retraites
« Sourmontées et entredens,
« Que nuls ne peüst entr’ex dens
« Veoir fors les espées nues
« Qui vont et vienent ; esmolues
« Sont les espées et trenchans,
« Et il fierent uns cox si grans
« Que trestouz as premerains cox
« Font des hyaumes voler les ciox,
« Si qu’il descerclent et prévoient ;
« Les hauberes que par forz tenoient
« Ne valent rien, tôt sont desront[36]. »

Du jour où les armures furent plus solides et composées en partie de plates, il fallut donner aux épées plus de poids, à la lame plus de force, et escrimer d’estoc plutôt que de taille ; de là ces épées à section quadrangulaire et à pointe très-solide. Même en escrimant de taille, ces épées, véritables barres de fer, faussaient les heaumes, les ailettes ou spallières.

La figure 13[37] montre deux chevaliers combattant à pied avec ces épées courtes, à poignées assez longues pour être saisies des deux mains ; l’un assène un coup de taille à son adversaire, qui répond par un coup d’estoc.

Dans les combats singuliers, on fichait des épées en terre ou des guisarmes et vouges, pour déterminer le champ dans lequel les hommes d’armes devaient combattre. Ils ne devaient pas franchir ces limites, sous peine de déshonneur.

Dans le Roman de Hugues Capet, qui date du xive siècle, il est souvent question de ces épées à deux mains :

« A Champignois fery sur le heaulme réon
« D’un espée à .II. mains, s’avoit le taillant bon[38].

« D’un espée à .II. mains se combatoit toudis[39]. »

« A l’entrez à la porte fu à baillez tout drois,
« De l’espée à .II. mains feroit les cos si rois
« Qu’il n’ateignoit nul homme qu’il ne soit mort tout frois[40]. »


En 1300, les Français se servaient d’épées relativement courtes, ainsi que le constate Guillaume Guiart :

« Les roides lances esmiées
« Et par pièces à terre mises,
« Espées viennent aus servises
« Qui sont de diverse semblance ;
« Mès François qui d’accoustumance
« Les ont courtes, assez légieres,
« Gietent aus Flamens vers les chieres,
« Et frapent maintes fois sur teles,
Ou l’en les met jusqu’aus cerveles[41]. »

Froissart rapporte qu’au combat des trente Bretons contre trente Anglais, en 1351, il y eut une première mêlée suivie d’un repos, car tous étaient hors d’haleine.

« Quand ils furent ainsi rafraischis, le premier qui se releva fit « signe et rappela les autres. Si recommença la bataille si forte « comme en devant, et dura moult longuement : et avoient courtes « espées de Bordeaux roides et aiguës, et épieux, et dagues, et les « aucuns haches ; et s’en donnoient merveilleusement grands horions, « et les aucuns se prenoient au bras à la lutte et se frappoient sans « eux épargner. »


Les parties d’armures de plates adoptées dès la fin du xiiie siècle firent renoncer à ces belles lames d’épée cannelées, tranchantes et longues, de la fin du xiie siècle et du commencement du xiiie. Après l’expédition de saint Louis en Égypte et en Syrie, les hommes d’armes usèrent de masses, et ne conservèrent plus que l’épée d’estoc dont parle Joinville. Cette arme demeura courte (75 centim. environ du talon à la pointe) jusqu’au règne de Charles V. Alors les lames s’allongèrent peu à peu, sans modifier la section du fer. Vers la fin du xive siècle, les alemelles avaient 90 centimètres de longueur et quelquefois plus (fig. 14[42]). En A, est donnée la section de la lame au talon ; en B, le pommeau aux deux tiers de l’exécution, et en C l’emmanchement de la garde avec la soie. Les plans de la section sont légèrement convexes, pour donner plus de puissance au fer. La trempe de cette arme est excellente.

Voici (fig. 15) une autre épée de la même époque[43], mais à deux mains, et dont la lame, très-longue, se termine par deux lignes courbes, bien que sa section soit toujours (quadrangulaire (voy. en A). Cette arme, admirable comme exécution, était trop longue pour pouvoir être portée au côté ; elle était attachée à l’arçon et ne servait guère que pour combattre à pied d’estoc et de taille. Son pommeau B et ses quillons sont délicatement forgés. En D, est donné le détail de la prise de la garde sur la lame ; en C, la section, grandeur d’exécution, de la poignée vers son milieu, et en E l’extrémité des quillons. Sur la lame est poinçonnée la fleur de lis G. Le cavalier dont le cheval était renversé dans la mêlée se faisait jour avec cette arme terrible, s’il savait la manier habilement. En faisant le moulinet au-dessus de sa tête, il traçait autour de lui un cercle de deux mètres de rayon au moins.

L’épée se perfectionne encore pendant les premières années du xve siècle, alors que les armures de plates remplaçaient définitivement les hauberts. Les armuriers très-habiles de cette époque en ont fabriqué d’admirables.

La figure 16[44] présente une de ces épées, dont la poignée à une
seule main est faite de corne et de cuivre jaune. Le pommeau A et

les quillons C sont de cuivre ; la partie B, de corne brune. En D, est donnée la section de la lame au talon ; les plans sont ici légèrement concaves, ce qui est habituel à dater du commencement du xve siècle. En E, est donné le poinçonnage empreint sur le cuivre : c’est un roc[45]. La main saisit bien cette poignée, composée avec une parfaite observation de la pression exercée par les doigts et la paume. Il serait possible que cette épée fût de fabrication italienne. Ce qui le pourrait faire croire, c’est que M. E. de Beaumont possédait une épée de fabrication identique, sur la lame de laquelle étaient gravées les armes des Visconti et de l’Empire[46]. D’ailleurs ces sortes de poignées et ces façons de pommeaux se rencontrent bien rarement dans les monuments figurés français. Cependant, à la fin du xive siècle et au commencement du xve la chevalerie française usait fréquemment des armes italiennes, comme plus tard, sous le règne de Louis xi, elle usa des armes et armures de Nuremberg et de Vienne, à l’instar de la cour de Bourgogne.

Le pommeau en forme de disque est toujours le plus fréquemment adopté pour l’épée française. Les exemples abondent. Voici, entre autres, l’épée de Louis ii, duc de Bourbon (fig. 17[47]). Le pommeau est orné de pierreries et d’un phylactère avec le mot espérance deux fois gravé. Un bracelet de joyaux pend sur les quillons, très-simples. Le fourreau est semé de fleurs de lis avec la bande. En A, est donnée la section hexagonale de la poignée.

Les xive et xve siècle fabriquèrent des épées d’une grande richesse : « Item pour une renge[48] d’espée, et pour le fourriau fait « en lissié, ouvré à besteletes, que la Royne donna au Roy[49]. » — « Pour faire et forger la garnison toute blanche d’une espée dont « l’alemelle estoit à fesnestres[50] C’est assavoir, faire la croiz (les quillons), le pommeau, la boucle et le mordant, et un coipel[51] ; « rendue ladite espée audit seingneur, et en pesoit l’argent 1 marc

« 1 once 10 estellins[52]...»
A l'entrée de Charles vii à Rouen, Poton de Xaintrailles portait

l’épée du roi, dont le pommeau et les quillons étaient d’or. « La ceinture et la guaine d’icelle espée couvertes de velours azuré, semé de fleurs de liz d’or, la boucle, le mordant, et la bouterolle de mesmes[53]. »

Il est souvent question, au xiiie siècle, d’épées néellées (noelées), notamment quand il est parlé des armes des Sarrasins, et les chrétiens paraissent les estimer fort, se vantent d’en posséder, de les avoir prises aux Turcs. Les lames anciennes et reconnues excellentes étaient remontées plusieurs fois à la mode du temps. C’est pourquoi, dans les collections publiques ou privées, on trouve souvent des épées dont la monture ne correspond pas à la date de l’alemelle.

Les poignées des épées du xiiie siècle ne convenaient plus aux habitudes de combattre des hommes d’armes de la fin du xive et du commencement du xve ; puis les trouvait-on trop simples et lourdes. On voulait alors des quillons allongés, des prises plus déliées et, enfin plus d’élégance et de richesse dans la monture. Il y avait du reste, alors, plus de variétés dans ces montures qu’aux temps antérieurs. Les quillons étaient épais aux deux bouts, ou fins et recourbés vers la lame, forgés d’ailleurs avec beaucoup de soin, quelquefois entrés à chaud dans la soie et soudés avec elle ; les prises étaient garnies de fil de chanvre ou de métal (laiton, fer, argent et or) ou plus souvent de peau.

Voici (fig. 18[54]) une épée dont la poignée est curieusement fabriquée. La prise est revêtue de peau, déchiquetée au pommeau et sur la garde, de manière à former des houppes. Cette garniture de peau est bridée par une fine lanière croisée, de même étoffe, qui empêche la main de glisser et consolide la garniture. Les quillons sont à section carrée et lourds. En A, est donnée la section du fourreau. On remarquera le baudrier enroulé autour de ce fourreau. Le musée d’artillerie possède deux épées du temps de Charles vii bien caractérisées, et qui peuvent être considérées comme des types des armes de main de cette époque.

La figure 19 donne le tracé de l’une d’elles. La lame est fine et rectangulaire au talon (voy. la section B). Les quillons de laiton sont recourbés vers la lame. La poignée, revêtue de vélin, est assez longue pour être prise à deux mains. Sur les faces du pommeau ovale, de laiton, sont poinçonnés ces trois mots : le men amis. En A est figuré le

pommeau, moitié d’exécution ; en B, la section de la lame, et en C le bout d’un des quillons, grandeur d’exécution.
La figure 20 donne le tracé de l’autre épée, dont la lame est de
Verdun. Le pommeau, circulaire, est large et lourd. La poignée, petite,

ne peut être saisie que d'une main. Les quillons sont chantournés. La lame est forte, lourde, à section quadrangulaire (voyez en A). Nous donnons en B le profil du pommeau, et en C le détail d’un des quillons.

La figure 21 présente une belle épée du même temps, mais beaucoup plus riche[55]. La lame est rectangulaire au talon, avec fine cannelure (voyez en A), puis passe à la section tracée en B. Sur les champs a étaient gravées des inscriptions effacées presque entièrement. Les quillons de fer, d’une extrême délicatesse de forge, sont reproduits en C. L’un des bouts est droit, l’autre chantourné. Le pommeau est montré renversé en E, aux deux tiers de l’exécution. La poignée, qui pouvait être saisie des deux mains, est de bois sur la soie, revêtue d’un fil de chanvre et de soie, ce dernier mêlé d’or. Le fil de chanvre est en travers, le fil de soie en long. En D, est donnée la gravure de fabrique, apparente sur la lame. Est-ce un lion, un cheval ou un sanglier ?

Cette belle arme, dont l’alemelle est d’une trempe excellente, date des premières années du règne de Louis XI. L’acier de ces épées du milieu du xve siècle est sombre et prend un beau poli. Ces lames, grâce aux nerfs uniques ou doubles, sont roides et permettaient de pointer sans faire ployer sensiblement l’arme.

On se servait aussi, vers le milieu du xve siècle, d’épées qui pouvaient être employées, soit pour combattre, soit pour la chasse, en guise d’épieu. Voici une jolie épée de ce genre (fig. 22)[56]. La poignée peut être saisie des deux mains ; elle est revêtue de peau sur fil de chanvre. Le pommeau d’acier, en forme de poire (voyez en A) reçoit un petit évidement qui pouvait renfermer une relique. La lame, très finement travaillée, est rectangulaire, concave sur ses deux grandes faces jusqu’à la moitié de l’arme ; là elle passe au losange (voyez les sections B sur bc et D sur de, moitié de l’exécution). En F, est percé un trou rectangulaire destiné à recevoir une traverse ou fausse garde, quand on voulait se servir de l’arme comme d’un épieu. En G, est tracé le bout d’un des quillons.

On voit que les lames d’épées du xve siècle sont rarement évidées, puisque, parmi les exemples que nous venons de donner, la figure 21 seule présente cette particularité. Cependant le musée d’artillerie de Paris possède une épée de 1450, dont la lame rappelle la forme de celles du xiiie siècle siècle, seulement la cannelure est plus étroite et plus creuse.
La figure 23 montre cette épée. La section de la lame, près du talon,

est tracée en A. La poignée est couverte de cuir. On observera que la cannelure finit en pointe vers le milieu de lame, qui alors ne représente plus que la section quadrangulaire. Cette épée étant longue et large, la cannelure l'allégissait un peu.

Il y avait des fabriques renommées d’alemelles d’épées, à Verdun, à Poitiers, à Bordeaux, dans plusieurs villes d’Allemagne, notamment à Vienne ; à Milan. Les épées italiennes devinrent fort à la mode à la fin du xve siècle, au moment des campagnes de Charles VIII. Par leur forme, elles ne différaient pas de celles portées par la gendarmerie française ; mais c’était d’Italie que venaient les armes de luxe, et il faut dire qu’elles étaient merveilleusement forgées et ciselées. Il suffit de visiter le musée des armes de Turin pour se convaincre de la délicatesse du travail des armes de main de la fin du xve siècle, dans le nord de l’Italie. Cependant aucune épée de cette époque, que nous sachions, n’atteint en beauté celle qui est entre les mains de la statue du roi Arthus, du monument de Maximilien à Innsbrück[57]. La planche VII donne la poignée de cette épée à deux mains. En A, est une des frettes du fourreau, et en B son extrémité. Une épaisse chape supérieure du fourreau enveloppe les quillons. Les prises des deux mains sont séparées par une bague ornée de perles ; des perles couvrent également ces deux prises. Le baudrier est composé d’une étoffe pelucheuse sur laquelle courent des chaînes retenues de distance en distance par des médaillons de métal. Des pierreries et des perles sont semées entre ces médaillons. Les doigts du gantelet sont enveloppés de peau ; les premières phalanges et le dos de la main sont garnis de lames d’acier à recouvrement (voy. Gantelet).

Il nous reste à parler des épées en usage chez les gens de pied. Jusqu’au milieu du xve siècle, les piétons (coutilliers) n’avaient que des épées assez courtes. Les archers et arbalétriers seuls en portaient dont la lame atteignait environ 80 centimètres de longueur, et souvent les quillons de ces épées, vers la première moitié du xve siècle, étaient chevauchés, l’un renversé sur la lame et l’autre sur la poignée (fig. 24[58]). L’un de ces quillons servait à engager l’arme de l’adversaire, l’autre à garantir les doigts. Ces épées étaient fortes, à tranchants droits et à section quadrangulaire, parfois avec une cannelure d’un seul côté (voyez en A la section au talon). Hormis cette particularité, les épées ressemblaient de tout point,
vers la fin du xive siècle et la première moitié du xve, aux armes les plus simples que l’on vient de voir ; mais alors les troupes d’infanterie commençaient à compter pour quelque chose en bataille. Indépendamment des archers et arbalétriers, on avait des hommes armés de fauchards, de vouges, de guisarmes, qui furent remplacés par les piquiers dans les troupes à pied du xvie siècle, comme les archers et arbalétriers furent remplacés par les pistoliers et arquebusiers. L’infanterie, vers la fin du règne de Charles VII, était distribuée par petits bataillons carrés pleins, habituellement disposés en échiquier ou en échelons, pour mieux résister aux charges de cavalerie. Sur les côtés des carrés, on plaçait quatre fronts de porteurs de fauchards, de vouges ou de guisarmes, et au centre les arbalétriers ou archers. Ces derniers sortaient des carrés pour opérer en tirailleurs et se réfugiaient dans les carrés s’ils étaient chargés. Alors les bataillons pouvaient se défendre sur les quatre faces. Mais cette organisation de

l’infanterie se prêtait peu aux mouvements rapides et était plutôt défensive qu’offensive. Les actions commençaient toujours par les combats de cavalerie, et l’infanterie ne prenait un rôle agressif que quand un des deux partis était entamé ou mis en désordre par une charge heureuse. Il fallait de la cavalerie pour soutenir l’infanterie, car ces bataillons ne pouvaient qu’opposer un obstacle aux gens d’armes ; si on les laissait livrés à eux-mêmes, ils étaient forcément entourés et dispersés par une série de charges.

Il semblerait que les populations qui ont voulu donner à l’infanterie un rôle plus actif sont celles qui ne pouvaient mettre en ligne une nombreuse cavalerie. Les Suisses étaient dans ce cas. Indépendamment des armes de trait et de main que possédaient les peuples voisins, ils avaient dans leur infanterie un certain nombre d’hommes porteurs d’énormes épées h deux mains qu’ils manœuvraient habilement, et avec lesquelles ils fauchaient dans les escadrons de cavalerie comme dans un champ. Nous ne saurions affirmer que les Suisses soient les premiers qui aient adopté cette arme terrible, mais il est certain qu’ils savaient s’en servir pendant la moitié du xve siècle : les batailles de Granson et de Morat en fournissent la preuve. Robustes, agiles, bons marcheurs, leur infanterie, en bataille, savait prendre l’initiative, s’avançait hardiment au devant des escadrons, recevait les charges avec ses épieux et fauchards, pendant que les porteurs d’épées à deux mains se jetaient sur les flancs des assaillants, brisaient les armures, estropiaient les chevaux et faisaient des trouées en mettant le désordre dans la gendarmerie compacte. Alors les porteurs de piques et de fauchards, poussant en avant, achevaient la déroute.

Il ne paraît pas que cette tactique ait été habituelle à l’infanterie française à la fin du xve siècle. Celle-ci conserva longtemps chez nous son rôle de protectrice de la gendarmerie ; on se ralliait derrière elle, comme derrière un obstacle, pour recommencer de nouvelles

charges, surtout lorsqu’à cette infanterie on adjoignit des

bouches à feu attelées, c'est-à-dire vers la fin du règne de Louis XI.

Voici donc un exemple de ces épées à deux mains pour fantassins (fig. 25[59]), qui date de la fin du xve siècle. La longueur totale de l’arme est de 1m,65.

Les tranchants de la lame sont ondes, afin d’arracher les pièces d’armures, de blesser plus dangereusement hommes et chevaux. A 19 centimètres de la garde est une fausse garde, forgée avec la lame, destinée à arrêter les coups d’épée de l’ennemi. En A, est donnée la section de la lame au talon, et en B au taillant sur ab. Cette section est plus forte près de la pointe que près de la fausse garde, ce qui augmentait la puissance des coups de taille. En D, est trace le détail d’une des contre-gardes. La poignée est nécessairement très-longue, car il fallait que les mains fussent assez distantes l’une de l’autre pour manœuvrer une barre de fer aussi lourde. Il est de ces lames qui ont jusqu’à cinq pieds et plus de longueur (1m,35). Elles sont habituellement d’une excellente fabrication et bien montées. L’intervalle entre la garde et la fausse garde était garni de peau, afin de permettre de porter la main droite sur ce point pour retenir le fouet de la lame ou fournir un coup droit.

Le musée d’artillerie de Paris possède une de ces épées qui est fort belle et qui date des dernières années du xve siècle. C’est une épée de parement, dont la poignée est revêtue d’un cuir avec fleurs de lis et L couronnées dorées, quillons et pommeaux à jour et dorés, lame damasquinée.

A propos des épées de parement, nous ne devons pas omettre de mentionner la belle épée de connétable que possède également le musée d’artillerie de Paris. Bien que cette arme de cérémonie appartienne à la fin du xve siècle, elle conserve la forme traditionnelle des épées de la fin du xive siècle. Sa lame est gravée d’un semis de fleurs de lis près du talon et dans un cercle vers le milieu du fer. Les quillons et le pommeau sont également semés de fleurs de lis en relief plat, obtenu par la gravure et le champlevage du fond. Le tout était doré, sauf l’acier lisse de la lame. La poignée est couverte de cuir. La figure 26 présente : en A, l’ensemble de l’arme ; en B, le profil de la poignée ; en C, le fourreau, recouvert de cuir, avec chappes et frettes de laiton doré et semis de fleurs de lis en relief ; en D, une des fleurs de lis du fourreau, grandeur d’exécution ; et en E, le bout d’un des quillons, de même, grandeur d’exécution. Les rives du pommeau et de la garde sont aussi semées de fleurs de lis. En F, est le détail de l’assemblage des frettes f sur le fourreau. On observera que les gravures de la poignée et de la lame sont faites de telle sorte que l'épée doit être tenue la pointe en haut, tandis que les reliefs du fourreau sont destinés à être vus ce fourreau suspendu au côté. C’est qu’en effet le connétable, ou le personnage qui portait l’épée devant le suzerain devait la tenir droite, la pointe vers le ciel.

Cette arme de parement date du règne de Louis XII. L’épée était en effet, pendant le moyen âge, considérée comme un symbole de souveraineté. On investissait quelqu’un par le bâton, la lance, l’épée : « Par la pointe de cette épée de douze livres pesant « d’or, je te rends le royaume que tu m’as volontairement donné[60]. » Dans les assemblées solennelles présidées par le suzerain, l’épée nue était posée sur une crédence au milieu du parquet.

Quand un ennemi était vaincu en combat singulier, et que le vainqueur voulait rendre hommage à sa bravoure, à sa loyauté, il posait sa propre épée sur le cadavre. Il arrivait même que cette coutume était observée à l’égard d’un ennemi vaincu, considéré comme traître. C’était un hommage qu’on rendait alors à la mort, une sorte d’oubli de l’injure [61].

Les armes à feu de main enlevèrent à l’épée la part importante qu’elle tenait dans les combats. Elle cessa d’être une arme de guerre dans l’infanterie dès le XVIe siècle, et fut remplacée dans la cavalerie par le sabre et la latte. En face des armes à feu modernes, ces dernières armes n’ont même plus l’importance qu’avait autrefois l’épée dans la gendarmerie.

  1. Musée de Naples.
  2. Sorte de dague courte, à lame à double tranchant, eu feuille de sauge, qui avait été adoptée par les Grecs, auxquels les Romains l'empruntèrent. Le parazonium se portait du côté gauche ; l’épée romaine, sur le flanc droit.
  3. Arrondissement de Neufchâtel (Seine-Inférieure). Voyez la Normandie Souterraine, par M. l’abbé Cochet, chap. XVII.
  4. Les fouilles d’Alesia ont fait découvrir quelques-uns de ces fourreaux ; d’autres, analogues, ont été découverts dans les habitations lacustres du lac de Bienne.
  5. Musée archéol. de l’Académie de Milan.
  6. Musée du Louvre.
  7. Voyez, dans l’Hist. des arts et industr. au moyen âge, la description que M. Labarte donne de cette épée (tome I, p. 447 et suiv.).
  8. Voyez Ciampini, Vetera monumenta, secunda pars, cap. xxiv.
  9. Chanson de Roland, str. civ.
  10. Ibid., str. cxliv
  11. Le nom donné à son épée.
  12. « Essuyée. »
  13. Ogier l’Ardenois, vers 8533 et suiv. (xiiie siècle).
  14. Joiouse, Joyeuse, nom de l’épée de Charlemagne.
  15. Gaydon, vers 1305 et suiv. (xiiie siècle).
  16. Ibid, vers 1810 et suiv.
  17. « Le tire du fourreau. »
  18. Huon de Bordeaux, vers 7558 et suiv. (xiiie siècle).
  19. Fierabras, vers 638 et suiv. (xiiie siècle).
  20. Le pommeau et la poignée.
  21. « En une caverne. »
  22. « Préférable. »
  23. Raoul de Cambrai, ch. xx.
  24. Jean Charlier, Chron. de Charles vii, publ. par M. Vallet de Viriville, t. Ier, P. 69.
  25. De l'ancien musée de Pierrefonds.
  26. Musée d’artillerie de Paris. Le pommeau actuel de cette épée, fait de laiton, date de la fin du xiiie siècle. Nous avons mis a la place un pommeau de l’époque de la lame.
  27. Cette statue date de 1250 environ.
  28. Lance.
  29. Histoire de saint Louis par le sire de Joinville, publ. par M. N. de Wailly, p. 78.
  30. Cette belle épée faisait partie de la collection de M. le comte de Nieuwerkerke.
  31. Provenant de la même collection : ces trois épées datent de la fin du xiiie siècle.
  32. Statue tombale, musée de Toulouse (seconde moitié du xiiie siècle).
  33. De la collect. de M. le comte de Nieuwerkerke.
  34. Ce fourreau est pris sur une gravure tombale de cette époque.
  35. Méraugis de Porlesguez, par Raoul de Hourdene, publ. par M. Miehelant, p. 30.
  36. Ibid., p. 191.
  37. Manuscr. Biblioth. nation., Tristan et Yseult (xive siècle).
  38. Vers 682 et suiv.
  39. Vers 895.
  40. Vers 982 et suiv.
  41. Branche des royaux lignages, vers 6284 et suiv. (1300).
  42. De l’ancienne collection de M. le comte de Nieuwerkerke (fin du xive siècle).
  43. Provenant de la même collection.
  44. De l’ancienne collection de M. le comte de Nieuwerkerke.
  45. Fer de lance émoussé, pour les joutes.
  46. Cette épée appartint plus tard a M. le comte de Nieuwerkerke, qui était parvenu à réunir la plus complète collection de ces armes que nous ayons vue, du xiie siècle au xviie.
  47. De la statue de ce prince, mort en 1410, et dont le tombeau est placé dans l’ancienne abbatiale de Souvigny, près de Moulins.
  48. Le baudrier.
  49. Compte de Geoffroi de Fleury (1316).
  50. La lame était ajourée.
  51. Coipel est un copeau. Nous ne savons ce que signifie ce mot ici.
  52. Compte d’Étienne de la Fontaine (1352).
  53. Alain Chartier.
  54. Statue de saint Paul, musée de Toulouse (commencement du xve siècle).
  55. De la même collection.
  56. De l'ancienne collect. de M. le comte de Nieuwerkerke.
  57. Cette statue, fondue sur cire perdue, est due a un artiste italien : c’est une œuvre merveilleuse de beauté.
  58. Manuscr. Biblioth. nation., Froissart, français (milieu du xve siècle) (voy. Dague).
  59. De l’ancien musée de Pierrefonds.
  60. Dudo, De moribuss Normannorum.
  61. Gaydon, duel entre Gaydon et Thiébaut, vers 1808 et suiv.