Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Retable

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RETABLE, s. m. Nous expliquons, à l’article Autel, comment les retables n’existaient pas sur les autels de la primitive Église. Thiers[1], auquel il est toujours utile de recourir lorsqu’il s’agit de l’ancienne liturgie, s’exprime ainsi à propos des retables : « Les anciens autels qui avoient pour caractère particulier la simplicité, étoient disposés de telle sorte que les évêques ou les prestres qui y célébroient les mystères divins, et les personnes qui étoient derrière, se pouvoient voir les uns les autres. En voici deux raisons qui me paroissent dignes de considération.

« La première est prise des siéges ou throsnes épiscopaux… Ces siéges étoient placés derrière les autels et afin que les prélats s’y pussent asseoir, et afin qu’y étant assis, ils eussent en vuë leur clergé et leur peuple… et qu’ils fussent eux-mêmes en vuë à leur clergé et à leur peuple. Ainsi, où il y avoit des siéges épiscopaux, il n’y avoit point de retables ; il y avoit des siéges épiscopaux au moins dans toutes les églises cathédrales…

« La seconde raison est tirée de l’ancienne cérémonie pour laquelle, aux messes solennelles, le sous-diacre, après l’oblation, se retiroit derrière l’autel avec la patène, qu’il y tenoit cachée en regardant néanmoins le célébrant… »

Or, le retable étant un dossier posé sur une table d’autel et formant ainsi, devant le célébrant, une sorte d’écran, les retables ne furent donc placés sur les autels principaux qu’à dater de l’époque où les chœurs et les sièges épiscopaux s’établirent en avant, et non plus autour de l’abside. Et même alors, dans les cathédrales du moins, le retable ne fut guère admis pour les maîtres autels (voy. Autel). Dans son Dictionnaire, Quatremère de Quincy définit ainsi le retable : « Ouvrage d’architecture fait de marbre, de pierre ou de bois, qui forme la décoration d’un autel adossé. » Il y a là une erreur manifeste. D’abord les autels n’étaient pas et ne devaient pas être adossés, puisque certaines cérémonies exigeaient que l’on tournât autour ; puis les retables n’étaient pas et ne pouvaient pas être ce qu’on appelle un ouvrage d’architecture, mais bien un simple dossier décoré de bas-reliefs et de peintures.

Les autels primitifs n’étaient qu’une table posée horizontalement sur des piliers isolés, table sur laquelle, dans l’Église grecque comme dans l’Église d’Occident, jusqu’au XIVe siècle, on ne posait que l’Évangile et le ciboire au moment de l’office. Dans les chœurs, le célébrant pouvait ainsi être vu de tous les points de l’abside. Mais vers la fin du XIe siècle, en Occident, sans adosser jamais les autels aux parois d’un mur, puisque certaines cérémonies exigeaient qu’on en fît le tour, on plaça parfois des retables sur les tables de l’autel, pour former derrière celui-ci un réduit propre à renfermer des reliques. Ces retables étaient même le plus souvent mobiles[2], en orfèvrerie ou en bois, quelquefois recouverts d’étoffes[3]. Nous n’avons à nous occuper ici que des retables fixes, et nous n’en connaissons pas en France qui soient antérieurs au commencement du XIIe siècle. Celui que nous donnons ici (fig. 1) est un des plus intéressants.
Il appartient à la petite église de Carrieres-Saint-Denis près Paris, et date de cette époque. Il est taillé dans trois morceaux de pierre de liais, et représente, au centre, la Vierge tenant l’enfant Jésus sur ses genoux ; à gauche l’annonciation, et à droite le baptême du Sauveur. Un riche rinceau encadre les bas-reliefs latéralement et par le bas.

Ce retable n’a qu’une faible épaisseur : c’est une dalle sculptée qui masquait une capsa, un coffre, un reliquaire[4]. On ne pouvait placer au-dessus ni un crucifix, ni des flambeaux. En effet, ce ne fut que beaucoup plus tard qu’on plaça le crucifix sur le retable ; jusqu’au XVIe siècle, on le posait sur l’autel. Les flambeaux étaient placés sur les marches à côté de l’autel, sur une table voisine, ou parfois sur la table même de l’autel. Quant aux autels majeurs des cathédrales, ils n’avaient, comme nous l’avons dit, jamais de retables fixes ; beaucoup même n’en possédaient point de mobiles : ils consistaient en une simple table sur des colonnes. Les retables paraissent avoir été plus particulièrement adoptés d’abord dans les églises conventuelles qui possédaient des reliques nombreuses et qui les suspendaient au-dessus et derrière l’autel. Nous avons indiqué, à l’article Autel (fig. 13, 13bis, 14, 15 et 16), comment étaient disposés ces reliquaires, et comment les fidèles pouvaient se placer, en certaines circonstances, au-dessous d’eux[5]. Cet arrangement nécessitait un retable qui servait ainsi de support à la tablette sur laquelle était posé le reliquaire, et qui formait une sorte de grotte (voy. Autel, fig. 14, 15 et 16).

Voici (fig. 2) une des positions fréquemment adoptées pour les autels secondaires des églises. Le retable masquait et supportait le reliquaire, sous lequel on pouvait se placer, suivant un ancien usage, pour obtenir la guérison de certaines infirmités.
Cet exemple, tiré d’une représentation de l’autel des reliques de l’église d’Erstein, indique l’utilité du retable. Plus tard, on plaça les reliquaires sur le retable lui-même, et cet usage est encore conservé dans quelques églises.

On comprend comment les retables devinrent pour les sculpteurs, à dater du XIIIe siècle, en France, un motif précieux de décoration. Et en effet, ces artistes en composèrent un nombre considérable. Habituellement, c’était sur un retable qu’on représentait la légende du saint sous le vocable duquel était placé l’autel. Ces bas-reliefs, dont les figures sont d’une petite dimension, sont exécutés avec une grande délicatesse et empreints parfois d’un beau style. Il est peu d’ouvrage de statuaires d’un meilleur caractère que le retable de la chapelle de Saint-Germer, déposé aujourd’hui au Musée de Cluny. L’église de Saint-Denis possède de charmants retables en liais, avec fonds de verre damasquiné, ou enrichis de peintures et de gaufrures dorées. Ces bas-reliefs sont encadrés d’une moulure et de forme quadrilatère ; jamais une porte de tabernacle ne s’ouvre dans leur milieu. L’usage des tabernacles ainsi disposés ne date que de deux siècles[6]. Le clergé du moyen âge, en France, ne pensait pas que ces amas d’ornements, de flambeaux, de vases, de boîtes à ciboires, dont on surcharge aujourd’hui les autels de nos églises, valussent une disposition simple, calme, facile à saisir d’un coup d’œil et d’un aspect monumental.

  1. J. B. Thiers, Dissertation ecclésiastique sur les principaux autels des églises, 1688, p. 181.
  2. Voyez le Dictionnaire du mobilier français, art. Retable.
  3. Voyez l’article Autel, l’autel matutinal de Saint-Denis (fig. 7), les autels des cathédrales d’Arras et de Paris (fig. 8 et 9).
  4. Ce retable, enlevé à l’église de Carrieres-Saint-Denis, fut replacé en 1847 dans cet édifice par les soins de la Commission des monuments historiques. Il est bien conservé ; une partie de l’ornement inférieur a seule été brisée.
  5. Voyez la disposition des autels des chapelles de la sainte Vierge et de saint Eustache à Saint-Denis, fig. 13 et 17.
  6. Voyez le Dictionnaire du mobilier français, l’art. Tabernacle.