Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Hôtellerie

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HÔTELLERIE. Il existait, à l’époque gallo-romaine, sur les grands chemins, des hôtelleries à distances assez rapprochées pour que le voyageur pût trouver un gîte à la fin de chaque journée. Ces auberges, mansions, étaient de grandes hôtelleries dans lesquelles on trouvait des chevaux de poste, un gîte, à boire et à manger. Elles servaient d’étapes pour les soldats et étaient placées sous la surveillance d’inspecteurs, frumentarii et curiosi, qui veillaient à leur bonne tenue et qui étaient chargés d’espionner les voyageurs. Les hôtelleries devenaient ainsi des lieux utiles à la police secrète des préfets du prétoire, et cependant, pour avoir droit de gîte dans les mansions, il fallait se munir d’une sorte de carte de circulation, diploma tractatorium. D’ailleurs, les mansions servaient de gîte non-seulement aux simples particuliers et aux soldats, mais aux magistrats et préteurs en tournée, et à l’empereur lui-même lorsqu’il voyageait. C’est dans une mansion du pays des Sabins que Titus fut pris de la fièvre dont il mourut peu de jours après. S’il fallait montrer sa carte de circulation pour coucher dans une mansion, à plus forte raison ne pouvait-on se procurer des chevaux de relais qu’avec des lettres de poste.

Après l’invasion des barbares, cette institution des hôtelleries impériales fut, bien entendu, entièrement ruinée. Les races germaines pratiquaient largement l’hospitalité. Un Franc, un Bourguignon, ne croyaient pas pouvoir refuser l’entrée de sa maison à un étranger ; aussi, dans les voyages, pendant les premiers siècles du moyen âge, avait-on pour habitude, à chaque couchée, de demander le gîte et la nourriture dans les habitations que l’on rencontrait sur son chemin. Si le propriétaire auquel on s’adressait était trop pauvre ou trop à l’étroit pour pouvoir vous satisfaire, il vous accompagnait chez un voisin mieux partagé, et tous ensemble prenaient leur repas. « Aucune autre nation, dit Tacite en parlant des Germains[1], n’accueille ses convives et ses hôtes avec plus de générosité ; fermer sa maison a une personne, quelle qu’elle fût, serait un crime[2]. Selon sa fortune, chacun reçoit l’hôte, offre un repas ; et lorsque les provisions sont épuisées, celui qui, tout à l’heure, recevait, indique un autre asile et y conduit : ils entrent chez ce nouvel hôte sans invitation, et sont accueillis avec une égale bonté : connus, inconnus, sont, quant aux droits d’hospitalité, traités avec les mêmes égards. » En faisant la part de l’exagération dans le tableau tracé par Tacite, il est certain toutefois que les conquérants barbares des Gaules regardaient l’hospitalité comme un devoir dont on ne pouvait s’affranchir.

Cependant, du temps de Grégoire de Tours, il existait des auberges, puisqu’il en signale quelques-unes. Les établissements monastiques répandus sur le sol des Gaules dès le IXe siècle exerçaient l’hospitalité, et dans les abbayes ou prieurés des XIe et XIIe siècles il est toujours fait mention de la maison des hôtes, bâtie proche la porte d’entrée. Il n’en existait pas moins, au XIIe siècle, un nombre prodigieux d’hôtelleries sur les grands chemins et dans les faubourgs des villes, et ces hôtelleries, moins bien surveillées que ne l’étaient celles du temps de l’Empire, étaient le refuge des voleurs, des assassins, des femmes perdues, des joueurs et des débauchés. La légende de l’Enfant prodigue le représente toujours, à cette époque, dans une hôtellerie, au milieu de femmes qui l’enivrent et lui dérobent son argent. Courtois d’Arras est dépouillé dans une auberge où on lui présente tout ce qui peut séduire un jeune homme : car les hôtelleries alors étaient bien garnies, pourvues de bons lits mous de plumes, de bon vin à foison, souvent frelaté cependant, de volaille et de venaison ; des filles étaient attachées à l’établissement et servaient d’appât pour attirer, retenir et dépouiller les voyageurs.

Au XIIIe siècle, les hôtelleries, tavernes, étaient le refuge de la lie des villes, et les ordonnances des rois restaient sans effet devant ces repaires de la canaille. Sous Philippe Auguste, en 1192, et pendant la régence de la reine Blanche de Castille, en 1229, des rixes terribles eurent lieu entre des écoliers de l’Université et des cabaretiers de Paris ; le prévôt fut incarcéré à la suite de la première, et l’Université renvoya les clercs à la suite de la seconde, sous le prétexte qu’on ne leur rendait pas justice. Au XIVe siècle, ces désordres ne firent que s’accroître ; la plupart des hôteliers étaient coupeurs de bourses, détrousseurs de passants ; si bien qu’en 1315, pour ôter aux aubergistes l’envie d’assassiner les étrangers qui s’arrêtaient chez eux, il fut rendu une ordonnance dans laquelle il était dit que « l’hoste qui retient les effets d’un étranger mort chez lui doit rendre le triple de ce qu’il a retenu[3]. » C’est dans une hôtellerie de la rue Saint-Antoine, à l’enseigne de l’Aigle, que Jeanne de Divion vint s’installer pour fabriquer les faux à l’aide desquels Robert d’Artois prétendait s’emparer de la succession de la comtesse de Mahaut. Ce lieu, dit M. Le Roux de Lincy, « était un petit séjour situé au bord de la rivière et plus loin que la Grève, partie de la ville alors presque déserte. » Les hôtelleries servaient aussi de repaire aux faux monnayeurs, ainsi que le témoigne ce passage du Renart contrefait[4] :

« C’est hostel de gloutonnie
Plain de trestoute ribandie
Recept de larrons et houlliers
De bougres, de faux monnoiers.
Quant tous malvais vœullent trichier
Es tavernes se vont muchier
Hostel de bourdes et vantance
Plain de male perseverance. »

C’était aussi dans les hôtelleries que venaient discourir les fauteurs de troubles publics, que se cachaient les espions[5].

On comprendra que ces établissements n’étaient autre chose que des maisons, le plus souvent isolées, et n’ayant d’autre marque distinctive qu’une enseigne pendue à la porte.

  1. Germania, cap. XXI.
  2. La loi ripuaire faisait de l’hospitalité un devoir impérieux, et punissait d’une amende ceux qui y manquaient. — Les Capitulaires de Charlemagne commandent l’hospitalité sous les mêmes peines.
  3. Laurière.
  4. Manuscrit de la Bib. imp., no 6985, f. Lancelot, fo 32.
  5. Voy. les Hôtelleries et Cabarets au moyen âge, par Franc. Michel et Éd. Fournier : t. I. Le Livre d’or des métiers.