Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Collége

Collatéral <
Index alphabétique - C
> Colombier
Index par tome

COLLÉGE, s. m. Établissement destiné à l’enseignement des lettres, des arts et des sciences, élevé par suite d’une fondation particulière. Sauval nous donne de curieux détails sur l’origine de ces établissements dans la ville de Paris[1]. Nous indiquons, dans l’article sur l’Architecture Monastique , quelques-unes des raisons qui déterminèrent les riches abbayes à fonder des collèges dans Paris ou dans d’autres villes populeuses et puissantes. Les cathédrales (voy. Cathédrale, Cloître) possédaient, la plupart, sous l’ombre de leurs clochers, des écoles, dont quelques-unes devinrent célèbres. Jusqu’au XIIe siècle, l’enseignement ne sortit pas de l’enceinte des cloîtres des abbayes ou des églises épiscopales ; mais, à cette époque déjà, il se répandit au dehors. Abailard fut un des premiers qui enseignât la dialectique, la théologie et la philosophie, en dehors des écoles alors seules reconnues ; son succès fut immense : après avoir battu ses adversaires, il vit le nombre de ses élèves s’accroître sans cesse autour de sa chaire, jusqu’au moment où le pape Innocent II, confirmant le jugement du concile de Sens qui condamnait la doctrine d’Abailard, lui interdit l’enseignement. Il n’entre pas dans le cadre de notre Dictionnaire de traiter les questions qui alors divisaient le monde enseignant ; il nous suffira d’indiquer ici le mouvement extraordinaire des esprits vers les études philosophiques, mouvement qui, malgré les persécutions dont Abailard fut l’objet, comme le sont tous les professeurs qui prétendent quitter les voies de la routine, entraîna bientôt les prélats, les abbayes et même les particuliers, à fonder, à Paris principalement, un grand nombre d’établissements moitié religieux, moitié laïques, qui s’ouvrirent à la jeunesse avide de savoir. Sous Louis VII, les écoles du cloître Notre-Dame ne pouvant contenir le nombre des étudiants qui venaient s’y presser, le chapitre de la cathédrale de Paris souffrit que les écoliers passassent la rivière et s’établissent autour de Saint-Julien-le-Pauvre. Ce fut là que Guillaume de Champeaux, le maître et bientôt après l’adversaire malheureux d’Abailard, vint enseigner. De Saint-Julien, l’école des humanistes et des philosophes fut transférée à Saint-Victor. « Depuis, dit Sauval, le nombre des écoliers de dehors étant venu à s’augmenter, les écoles des Quatre-Nations furent bâties à la rue du Fouare ; ensuite on fonda le collège des Bons-Enfants, celui de Saint-Nicolas-du-Louvre, et le collège Sainte-Catherine-du-Val des écoliers. Il fut permis même, en 1244, d’enseigner les sciences partout où l’on voudroit, et dans les maisons que les régents trouveroient les plus commodes. Mais afin que pas un d’eux ne dépossédât son compagnon de celle qu’il avoit louée, Innocent IV fit des défenses expresses là-dessus, par deux bulles consécutives, l’une donnée à Lyon le deux des nones de mars, l’an deuxième de son pontificat ; l’autre, sept ans après, datée de Péronne le troisième des calendes de juin, avec commandement au chancelier de l’Université de faire taxer le louage des maisons où ils demeuroient. Dans tout ce temps-là, et même jusqu’au règne de saint Louis, il n’y eut point à Paris de collèges, bien que nous apprenions de Rigord en la vie de Philippe-Auguste, et même de l’Architremius de Joannes Hantivillensis, qu’en 1183 on y comptoit plus de dix mille écoliers ; et nonobstant cela, il est constant qu’ils n’avoient point de quartier affecté, et se trouvoient dispersés de côté et d’autre dans la ville, de même que les écoles et les régents ; personne encore ne s’étant avisé de fonder des collèges ou hospices. Je me sers du mot hospice, non sans raison ; car les collèges qu’on vint à bâtir d’abord n’étoient simplement que pour loger et nourrir de pauvres étudiants. Que si depuis on y a fait tant d’écoles, ce n’a été que longtemps après, et pour perfectionner ce que les fondateurs, en quelque façon, n’avoient qu’ébauché. »

Sous le règne de saint Louis cependant furent fondés et rentés les collèges de Calvi, de Prémontré, de Cluny et des Trésoriers. « Mais, ajoute Sauval, comme depuis ce temps-là, tant les rois que les reines, les princes, les évêques, outre beaucoup de personnes riches et charitables, en firent d’autres presque à l’envi, insensiblement il s’en forma un corps, dont l’union fut cause que ce grand quartier où ils se trouvèrent prit le nom d’Université… Or par ce moyen des collèges tout le quartier devint si plein d’écoliers, que quelquefois ils ont forcé, tant le Parlement que ceux de Paris, et les rois eux-mêmes, à leur accorder ce qu’ils demandoient, quoique la chose fût injuste. Et de fait leur nombre étoit si grand, que, dans Juvénal des Ursins, il se voit qu’en 1409 le recteur alla en procession à Saint-Denis en France pour l’assoupissement des troubles, et, lui n’étant qu’aux Mathurins (Saint-Jacques), les écoliers néanmoins du premier rang, et qui marchoient à la tête des autres, entroient déjà dans Saint-Denis. »

Dès le XIIIe siècle, Paris était devenu la ville des lettres, des arts et des sciences en Europe. Les élèves y affluaient de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Italie[2]. Les écoliers, réunis d’abord dans des maisons que louaient des recteurs ou que donnaient des particuliers, purent bientôt s’assembler dans des établissements construits pour les contenir. En 1252, saint Louis institue le collège de la Sorbonne. Robert de Sorbone fonde le collège de Calvi. En 1246, les Bernardins, moines de l’ordre de Cîteaux, érigent les écoles des Bernardins. En 1255, l’abbé de Prémontré achète neuf maisons de la rue des Étuves afin de bâtir à leur place un collège pour les religieux. En 1269, Ives de Vergé, abbé de Cluny, fonde un collège au-dessus de la rue de la Sorbonne pour les religieux de son ordre. Devant la porte de l’Hôtel-Dieu, sur le parvis Notre-Dame, existait une maison où étaient logés dix-huit pauvres écoliers. Cette fondation fut transférée devant le collège de Cluny. En 1269, Guillaume de Saona, trésorier de l’église de Notre-Dame de Rouen, fonde un collège dans la rue de la Harpe pour vingt-quatre écoliers. En 1280, Raoul de Harcourt, chanoine de l’église Notre-Dame de Paris, fonde un autre collège rue de la Harpe. En 1289, Jean Cholet, évêque de Beauvais, laisse par testament 6, 000 livres pour fournir aux frais de la guerre d’Arragon ; mais Gérard de Saint-Just et Évrard de Nointel, ses exécuteurs testamentaires, convertissent ce legs en achat de quelques maisons près de l’église Saint-Étienne-des-Grès, lesquelles ils érigent en collège. En 1302, le cardinal J. le Moine établit un collège sur des terrains situés entre la rue Saint-Victor et la Seine. En 1304, Jeanne, femme de Philippe le Bel, fonde le collège de Navarre ; c’était un des plus beaux colléges de Paris. En 1308, Guillaume Bonnet, évêque de Bayeux, bâtit le Collège de Bayeux. En 1313, Gui de Laon et Raoul de Preelles, secrétaire de Philippe le Bel, établissent un collège au bas du mont Saint-Hilaire pour les pauvres étudiants de Laon et de Soissons. En 1314, Gilles Aiscelin, archevêque de Rouen, achète, proche l’église de Sainte-Geneviève, un terrain sur lequel il bâtit le collège appelé depuis de Montaigu. En 1317, Bernard de Forges, archevêque de Narbonne, fonde le collège de Narbonne. En 1322, Geoffroi du Plessis, notaire du pape Jean XXII et secrétaire de Philippe le Long, affecte son hôtel, situé rue Saint-Jacques, à l’établissement d’un collège. Vers 1325, Jeanne de Bourgogne, reine de France, fonde le collège de Bourgogne. En 1332, Nicolas le Candrelier, abbé de Saint-Vaast, fonde le collège d’Arras pour de pauvres étudiants de l’Artois. André Chini, Florentin, évêque d’Arras, élève un collège en faveur des écoliers italiens. En 1332, onze boursiers sont institués dans ce collège par trois seigneurs italiens. En 1333, Étienne de Bourgueil, archevêque de Tours, fait édifier le collège de Tours. En 1336, Gui de Harcourt, évêque de Lizieux, laisse par testament une somme suffisante pour louer une maison propre à entretenir vingt-quatre écoliers. En 1334, Jean Huban, conseiller du roi, fonde le collège de l’Ave-Maria. En 1341, Pierre Bertrand, cardinal, évêque d’Autun, érige, rue Saint-André-des-Arcs, le collège d’Autun. En 1343, Jean Mignon, conseiller du roi, achète plusieurs maisons tenant à l’ancien hôtel de Vendôme qu’il destine à l’érection d’un collège. En 1348, les trois évêques de Langres, de Laon et de Cambrai, laissent par testament la somme nécessaire à la fondation du collège de Cambrai. En 1342, Guillaume de Chanac, évêque de Paris, institue un collège en l’honneur de saint Michel pour les pauvres étudiants du Limousin, son pays. En 1353, Pierre de Boucourt, chevalier, fonde le collège de Boucourt et de Tournay. En la même année, Jean de Justice, chanoine de l’église Notre-Dame de Paris, achète plusieurs maisons rue de la Harpe pour y établir le collège de Justice. En 1359, Étienne de Boissé laisse quelques maisons, situées derrière l’église Saint-André-des-Arcs, pour être converties en collège.

Vers la même époque, un autre collège est érigé derrière les Mathurins-Saint-Jacques par Maistre Gervais, médecin de Charles V. En 1365, le cardinal Jean de Dormans, évêque de Beauvais, chancelier de France, élève le collège dit de Dormans. En 1380, Michel de Dainville, chanoine archidiacre de Noyon, conseiller du roi Charles V, fonde le collège de Dainville. La même année, le collège de Cornouailles est fondé par Galeran Nicolas. En 1391, Pierre de Fortet, chanoine de Notre-Dame de Paris, ordonne qu’un collège soit érigé sur ses biens. En 1400, le collège de Tréguier est établi par Guillaume Coëtman, chantre de l’église de Treguier. Ajoutons à cette longue liste de fondations celles des collèges de Reims, de Coquerel, de la Marche, de Sées, de la Merci, du Mans, de Sainte-Barbe, des Jésuites et des Grassins, élevés pendant les XVe et XVIe siècles.

La ville de Paris possédait, en dehors de ces établissements, plusieurs écoles publiques : l’école des Quatre-Nations, rue du Fouare, citée par Pétrarque. En 1109, Guillaume de Champeaux avait fondé une école rue Saint-Victor. En 1182, il existait plusieurs écoles pour les Juifs. En 1187, il y avait à Saint-Thomas-du-Louvre une école pour cent soixante pauvres prêtres. En 1208, Étienne Belot et sa femme donnent un arpent de terre, près le cimetière Saint-Honorat, pour établir le collège des Bons-Enfants. En 1415 est bâtie l’École de droit. En 1472, l’École de médecine est construite rue de la Bucherie. L’École des beaux-arts n’existait pas alors ; les arts plastiques et l’architecture s’enseignaient dans le sein des corporations qui avaient leurs traditions et leur enseignement. De tous ces collèges, plusieurs, à la fin du dernier siècle, conservaient encore quelques-uns de leurs anciens bâtiments. De nos jours, nous avons encore vu, à la place qu’occupe aujourd’hui la bibliothèque Sainte-Geneviève, le collège de Montaigu, qui présentait quelques traces de ses dispositions primitives.

Les collèges élevés pendant les XIIIe et XIVe siècles n’avaient pas les dimensions que l’on a dû donner depuis à ces établissements ; ils ne contenaient qu’un nombre assez restreint de pensionnaires ; c’était des asiles ouverts aux écoliers de province qui obtenaient la faveur d’être envoyés à Paris pour étudier les lettres et les sciences. Mais ils réunissaient dans les classes un personnel assez nombreux d’externes logés au dehors, pour que, dans les temps de troubles, cette population flottante fût un véritable danger pour la ville de Paris. Aussi, pendant le XVIe siècle, la plupart de ces établissements furent-ils augmentés, afin de pouvoir contenir des pensionnaires en plus grand nombre ; mais l’espace manquait dans une ville aussi populeuse, et les bâtiments s’aggloméraient successivement autour du premier noyau sans qu’il fût possible de donner de l’unité à leur réunion. Les collèges de Paris ne purent jamais présenter un ensemble de constructions élevées d’un seul jet, tels que ceux que nous voyons encore à Oxford et à Cambridge en Angleterre. C’est dans ces deux villes qu’il faut aller pour prendre une idée exacte de ce qu’était un collège pendant le moyen âge, car les universités d’Oxford et de Cambridge ont conservé à peu près intacts leurs immenses revenus et maintiennent leurs vieilles coutumes. Chacun de ces collèges contient une vaste chapelle, une bibliothèque, un réfectoire, des cuisines et leurs dépendances, un logement pour le principal, des chambres pour les élèves, des logements pour les associés, fellows[3], des salles, des jardins, des prés, une brasserie, quelquefois un jeu de paume. Tous ces grands établissements, richement dotés, admirablement entretenus, bien situés, entourés de jardins magnifiques, présentent l’aspect de l’abondance et du calme. Si on devait leur adresser un reproche, c’est d’habituer les jeunes gens à une existence princière ; mais les mœurs anglaises ne ressemblent pas aux nôtres. Les collèges d’Oxford et de Cambridge semblent n’être faits que pour les classes élevées de la société. Depuis deux cents ans, nous sommes tombés en France dans l’excès opposé ; la plupart de nos collèges, établis dans de vieux bâtiments, resserrés, sans air, sans verdure autour d’eux, ou bâtis avec une parcimonie déplorable, tristes en dedans ou au dehors, accumulant les étages les uns sur les autres, les bâtiments à côté les uns des autres, ne montrant aux écoliers que des murs nus et noirs, des cours fermées et humides, des couloirs sombres, partout la pauvreté avec ses tristes expédients, semblent destinés à faire regretter la maison paternelle aux écoliers qui doivent y passer huit ou dix années de leur jeunesse. Dans ces tristes demeures, l’art n’entre pas, il semble exclu ; tout ce qui frappe les yeux de la jeunesse est dépouillé, froid, maussade, comme si ces établissements étaient destinés à froisser les âmes délicates, celles qui sont les plus propres à former des artistes, des hommes de lettres, des savants, celles chez qui l’étude ne pénètre qu’en se parant d’une enveloppe aimable. Avant de jeter l’épithète de barbares aux siècles qui sont déjà loin de nous, portons nos regards sur nous-mêmes, et demandons-nous si un peuple intelligent, sensible, facile à émouvoir pour le bien comme pour le mal, si un peuple qui tient le premier rang dans les travaux de l’esprit, n’a besoin que de routes, de ponts, de larges rues, de marchés magnifiques et de boutiques splendides ; s’il n’est pas nécessaire d’élever la jeunesse dans des établissements sains, bien disposés, agréables à la vue, dans lesquels le goût et l’art interviennent pour quelque chose.

Les entrées de nos collèges du moyen âge étaient élégantes, décorées par les statues de leurs fondateurs. L’écolier qui venait s’enfermer dans ces demeures consacrées à l’étude n’éprouvait pas ce sentiment de répulsion qui, dès l’abord, s’empare des nôtres aujourd’hui lorsqu’ils se trouvent devant ces portes nues, sombres, qui ressemblent à l’entrée d’un pénitencier. À Oxford comme à Cambridge, les entrées des collèges sont de jolis monuments, élégants, couverts de sculpture, et protégés par les images des bienfaiteurs de ces établissements ; les cours entourées de portiques délicatement travaillés ou de bâtiments construits avec luxe, les réfectoires larges, hauts, bien aérés et éclairés, ces verts gazons qui tapissent les préaux, ces fontaines, ces loges qui rompent la monotonie des longues façades, égayent l’imagination au lieu de l’attrister. Combien est-il d’enfants en France qui, sortant de la maison paternelle, où tout semble disposé pour plaire aux regards, ont éprouvé, en entrant dans un collège, ce sentiment de froid qui saisit toute âme délicate en présence de la laideur et de la pauvreté ? Supposez que nos collèges aient des fellows, il est certain que pas un sur dix ne remettra jamais les pieds dans les demeures maussades et nauséabondes où ils ont dû passer leurs premières années d’études. Regardons près de nous toutes les fois que nous voudrons juger le passé ; s’il est plein d’abus et de préjugés, peut-être sommes-nous trop pleins de vanité.

  1. Hist. et Antiq. de la ville de Paris, t. II, p. 352 et suiv.
  2. C’est là un fait que devraient détruire d’abord les personnes qui, nous ne savons pour quel motif ne veulent pas admettre une influence purement française sur les arts du moyen âge. Que cette influence dérange les systèmes qu’elles veulent faire prévaloir, cela est fâcheux ; mais il serait bon d’opposer autre chose que des phrases banales à des faits dont tout le monde peut reconnaître l’importance. Ce XIIIe siècle, livré à la barbarie et à l’ignorance, couvre tout un quartier de Paris d’établissements destinés non-seulement à l’enseignement, mais encore au logement gratuit des écoliers pauvres ; des rentes attachées à ces établissements sont affectées au payement des professeurs et à la nourriture des élèves. Il est certain qu’une ville qui pense à bâtir des collèges et à réunir dans son sein des écoliers venus de tous les coins de l’Europe, même aux dépens de sa tranquillité intérieure, avant de songer à aligner ses rues, à élever des marchés, des abattoirs, à faire des trottoirs et des égouts, est une ville peuplée de sauvages laissant dans l’histoire un pernicieux exemple.
  3. Les fellows sont d’anciens élèves qui demeurent associés au collège par un privilège particulier ; les fellows conservent toute leur vie durant le droit d’avoir un logement dans le collège, d’y entretenir un cheval, d’y prendre la bière. Il est des collèges d’Oxford ou de Cambridge qui entretiennent jusqu’à quinze et vingt fellows.