COLOMBIER, s. m. Pigeonnier. Bâtiment destiné à contenir des troupes de pigeons et à leur permettre de pondre et de couver leurs œufs à l’abri des intempéries.
Pendant le moyen âge, la construction d’un colombier était un privilège réservé à la féodalité. Le paysan ne pouvait avoir son four ; il fallait qu’il apportât son pain au four banal du château ou de l’abbaye, et qu’il payât une redevance pour le faire cuire. Il ne lui était pas permis non plus d’avoir un pigeonnier à lui appartenant. Il en était des pigeons comme des troupeaux de bêtes à cornes et à laine, ils appartenaient au seigneur, qui seul en pouvait tirer un produit. Les troupes de pigeons étant un rapport, ceux qui avaient le privilège de les entretenir cherchaient tous les moyens propres à en rendre l’exploitation productive. La construction d’un pigeonnier était donc une affaire importante. Tous les châteaux possédaient un ou plusieurs pigeonniers ; les manoirs, demeures des chevaliers, petits châteaux sans tours ni donjons, pouvaient encore posséder un pigeonnier. Il n’est pas besoin de dire que les abbés, qui étaient tous seigneurs féodaux, et qui possédaient les établissements agricoles les mieux exploités pendant le moyen âge, avaient des pigeonniers dans les cours des abbayes, dans les fermes qui en dépendaient, les prieurés et les obédiences.
Les propriétaires de trente-six arpents avaient le droit de joindre à leur habitation, non un colombier construit en maçonnerie, mais un pigeonnier en bois de seize pieds de hauteur et pouvant contenir seulement de soixante à cent vingt boulins. On entend par boulins (du grec βῶλος) les trous pratiqués dans les colombiers et destinés à la ponte des œufs de pigeons. De là on est venu à donner le nom de boulins aux trous réservés dans la maçonnerie pour recevoir les pièces de bois horizontales des échafauds, et par suite à ces pièces de bois elles-mêmes (voy. Échafaud).
Les colombiers sont généralement bâtis en forme de tour cylindrique avec toit conique, bien fermés de murs épais et distribués à l’intérieur avec un soin tout particulier. Nous en connaissons plusieurs dans les provinces françaises du nord qui ont été bâtis pendant les XIVe et XVe siècles, et qui sont dignes d’être étudiés. Il en existe un dans une ferme du village de Creteil près Paris, rue des Mèches, 14, qui paraît appartenir aux dernières années du XIVe siècle. Il est bâti en tour ronde et est divisé en deux étages. Le rez-de-chaussée était destiné à contenir des bestiaux, des moutons probablement. Le premier était réservé aux pigeons.
Voici (1) le plan au niveau du rez-de-chaussée. En A est la porte de l’étable, en A′ celle de l’escalier, en B des fenêtres, en C une auge, en D l’escalier qui monte au pigeonnier, en E une colonne en pierre dont l’usage est indiqué dans la coupe (2). Ainsi que l’indique cette coupe prise sur GH, une forte poutre porte sur la colonne et deux consoles en pierre incrustées dans le mur. Des solives reposent sur cette poutre et reçoivent le plancher. Un arbre vertical, muni de deux pivots en fer à chacune de ses extrémités et formant l’axe de la rotonde, reçoit trois potences auxquelles est accrochée une échelle que la disposition des potences, qui ne sont pas sur un même plan, oblige d’incliner. Cet arbre muni de son échelle permettait, en pivotant, aux gens de la ferme, de visiter facilement tous les boulins et de dénicher les pigeonneaux. Au niveau du plancher, en F, est un trou en pente traversant la muraille et destiné à l’extraction du guano. Le comble est hermétiquement fermé par des bardeaux à l’intérieur, enduits de plâtre aujourd’hui. Le parement de la tour contient vingt-cinq rangs de soixante boulins chacun environ, ce qui fait quinze cents couvées de pigeons. De cinq en cinq rangs de boulins est une petite saillie permettant aux personnes qui vont dénicher les pigeonneaux de poser le pied, afin d’être plus à l’aise pour procéder à cette opération. Une fenêtre et une lucarne, celle qui donne entrée aux pigeons, sont les seules ouvertures qui laissent pénétrer le jour et l’air dans l’intérieur de la tour. La fig. 3 donne le détail de la construction des boulins ; le colombier est entièrement bâti en pierre et moellons. Sur la clef de la porte est sculpté l’écu armoyé dont nous présentons (4) la copie. Pour compléter la description de cette curieuse bâtisse, nous donnons (5) son plan pris au niveau KL de la coupe (fig. 2)[1]. Un autre colombier assez semblable à celui-ci, et qui appartient à la même époque, existe encore à Nesle (Oise), dans une ferme près de l’église. Le rez-de-chaussée du colombier de Nesle ne contient pas une étable, mais un poulailler possédant six rangs de boulins. Une colonne en pierre se dresse dans l’axe, comme dans le pigeonnier de Créteil, et porte un arbre à pivots muni de potences doubles recevant deux échelles au lieu d’une. Les boulins pour les pigeons sont plus nombreux qu’à Créteil, et sont au nombre de près de deux mille ; ils sont construits en moellons et brique, c’est-à-dire qu’une assise de brique sépare chaque rang de boulins et que l’intérieur de ceux-ci est entièrement maçonné en brique ; cette matière avait paru probablement plus chaude et moins humide que le moellon. L’arbre central pivotant est disposé ainsi que l’indique la fig. 6. Les pièces AB sont des moises doubles qui ne sont pas sur un même plan afin de pouvoir donner une certaine inclinaison aux deux échelles. On ne monte au pigeonnier que par une échelle extérieure que l’on dresse devant la porte donnant sur le plancher du premier étage. Du reste, le pigeonnier de Nesle porte les mêmes dimensions que celui de Créteil, 6m,80 de diamètre intérieur et 1m,00 d’épaisseur de mur. Il est construit avec grand soin, et l’entrée des pigeons se fait par trois jolies lucarnes de pierre ménagées dans la hauteur du comble, l’une à l’est et les deux autres au sud-ouest et au nord-ouest. La fig. 7 reproduit la vue extérieure du pigeonnier de Nesle : ses bandeaux, sa corniche et ses lucarnes sont en pierre ; le reste de la bâtisse, à l’extérieur, est fait en moellon enduit ; à l’intérieur, en moellon proprement taillé et en belles briques. Nous figurons (8) une des lucarnes ; les constructeurs ont eu le soin de ménager en avant une saillie, sorte de petit balcon dépassant le relief de la corniche, qui permet aux pigeons de se réunir en troupe avant d’entrer dans le colombier, ce qui est dans leurs habitudes. On remarquera même les deux petits épaulements B destinés à les garantir du vent lorsqu’ils viennent se reposer sur l’appui de la lucarne. Ces deux exemples de pigeonniers des provinces du nord indiquent assez le soin et l’étude apportés par les constructeurs du moyen âge jusque dans les bâtisses les plus ordinaires.Il existe encore, près de Rouen, à Saint-Jacques, un très-beau colombier bâti en briques de diverses couleurs, et qui appartient au commencement du XVIe siècle. Trois lucarnes en bois s’ouvrent dans le comble. Ses dispositions rappellent le colombier de Nesle. Cependant l’étage supérieur est porté en encorbellement sur le soubassement, ce qui donne à cette construction une certaine grâce.
Dans les provinces méridionales, les colombiers affectent, jusqu’au XVIe siècle, la forme circulaire, comme ceux du nord ; mais leur couronnement présente une disposition toute particulière et qui appartient à ces contrées : c’est une sorte d’abri destiné à garantir les pigeons contre les grands vents et à leur permettre de se rassembler en nombre sur le toit de l’édifice. Ces pigeonniers sont généralement plus petits que ceux des provinces septentrionales, mais ils sont en revanche très-abondants.
Un des plus anciens que nous connaissions est un pigeonnier dépendant autrefois de l’abbaye de Saint-Théodard, près Montauban. Ce pigeonnier, dont nous donnons (9) l’aspect sur deux faces, est entièrement bâti en brique, terminé par une voûte hémisphérique percée d’une lucarne avec claire-voie. On aperçoit en A le mur renforcé de trois tourelles pleines, et qui ne sont qu’un ornement, dépassant la couverture et formant l’abri dont nous venons de parler. Il faut dire que, dans ces contrées, les grands vents viennent régulièrement du même point de l’horizon, et qu’ainsi cet abri opposé à la direction invariable des vents violents est parfaitement motivé. Une seule porte à rez-de-chaussée donne entrée dans le colombier, qui, à l’intérieur, est muni de boulins ménagés dans les parements. Un chéneau avec crénelage et gargouille accompagne la coupole. Ce petit édifice n’a que 4m, 60 de diamètre sur environ 11m,50 du sol au sommet des trois pinacles[2]. La disposition habituelle des colombiers du Languedoc, à partir du XVIe siècle, est celle d’un bâtiment carré couronné par un toit à une seule pente avec abri, presque toujours accompagné de pinacles aux angles, afin de signaler cet édifice aux pigeons. Voici (10) un de ces colombiers, comme on en trouve en si grand nombre dans les environs de Toulouse et de Montauban. Des carreaux de brique vernissée incrustés dans l’enduit extérieur, ainsi qu’il est figuré en A, empêchent les belettes de monter jusqu’à l’ouverture réservée aux pigeons. Il en est aussi qui sont bâtis sur quatre colonnes isolées, afin de soustraire les pigeons aux approches de leurs ennemis acharnés. Quatre poitraux en bois posés sur les quatre colonnes portent la maçonnerie de brique, et un trou percé au centre du plancher, auquel on adapte une échelle volante, permet d’entrer dans le pigeonnier.