Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Bague

Baée, Bée <
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BAGUE, s. f. On désigne par ce mot un membre de moulure qui divise horizontalement les colonnes dans leur hauteur. Lorsqu’au XIIe siècle on remplaça les grosses piles carrées ou cylindriques dans les édifices par des faisceaux de colonnettes d’un faible diamètre, ces colonnettes, durent être tirées de morceaux de pierre posés en délit, qui n’avaient pas une longueur suffisante pour ne former qu’un seul bloc de la base au chapiteau. Leur petit diamètre relativement à leur longueur obligeait les constructeurs à ménager un ou plusieurs joints dans leur hauteur ; ces colonnettes étaient d’autant plus minces qu’elles se trouvaient adossées à une pile ou à un mur, et leurs joints devaient être d’autant plus fréquents qu’elles étaient plus minces. Les joints étaient une cause de dislocation ; force était donc d’empêcher les ruptures ou les dérangements sur ces points. La nécessité de parer à ces inconvénients devint immédiatement un motif de décoration. En intercalant entre les longs morceaux des colonnettes en délit une assise basse de pierre dure reliée au massif des piles ou des murs, les architectes du XIIe siècle les rendirent stables et les fixèrent à la construction. Pour nous faire mieux comprendre, nous donnons ici une bague disposée comme nous venons de l’indiquer (1) ;
la figure A présente la bague avant la pose des fûts de colonnettes, et la figure B la bague après la pose des fûts. Ce principe une fois admis, on ne cessa de l’appliquer que lorsque les colonnettes firent partie des assises de la construction, lorsque les matériaux employés furent assez grands et assez résistants pour permettre d’éviter les joints dans leur hauteur, ou lorsqu’au milieu du XIIIe siècle on évita systématiquement de couper les lignes verticales de l’architecture par des lignes horizontales. Les raisons de construction qui avaient fait adopter les bagues bien comprises (voy. Construction), nous allons présenter une suite d’exemples de ce membre d’architecture, si fréquemment employé pendant le XIIe siècle et le commencement du XIIIe. Au XIIe siècle, les bagues étaient souvent décorées par des feuilles, des perles, des pointes de diamant. Voici des exemples, 1o d’une bague ornée de feuilles tenant aux colonnettes du bas-côté du tour du chœur de la cathédrale de Langres (2) (milieu du XIIe siècle) ;
et 2o d’une bague des colonnettes des bas-côtés de la nef de la cathédrale de Sens (3) (fin du XIIe siècle) présentant un large profil avec billettes.
Au commencement du XIIIe siècle, les bagues ne se composent plus que de profils minces sans ornements, ainsi qu’on peut l’observer dans le bas-côté du croisillon sud de la cathédrale de Soissons, dans la nef de la cathédrale de Laon, dans le chœur de l’église de Vézelay (4) et dans un grand nombre d’édifices du nord et de l’est de la France. Quelquefois aussi les bagues tiennent à des colonnes isolées et ne sont alors qu’un ornement, un moyen de décorer la jonction de deux morceaux de fûts. Un des plus beaux exemples de ce genre de bagues se trouve dans le réfectoire du prieuré de Saint-Martin-des-Champs à Paris (5). Les colonnes qui portent les grandes voûtes divisent la salle en deux travées. Ces colonnes sont très-hautes et composées de deux morceaux de pierre réunis par une bague ; la bague est d’autant plus nécessaire ici, que le morceau inférieur est d’un diamètre plus fort que le fût supérieur (voy. Colonne). Voici encore un exemple d’une bague ou tambour mouluré, divisant une colonne en deux portions de fûts (5 bis).
La bague est ici une véritable assise entre deux morceaux de pierre posés en délit.
Cette colonne appartient à l’une des maisons du XIIIe siècle de la ville de Dol en Bretagne[1]. Nous ne pouvons omettre les bagues de métal qui maintiennent les colonnettes de la cathédrale de Salisbury, bien que cet édifice n’appartienne pas à l’architecture française ; mais cet exemple est trop précieux pour ne pas être mentionné. La cathédrale de Salisbury, comme chacun sait, est construite avec un grand soin ; les piles de la nef, élevées par assises, et qui, en plan, donnent une figure composée de quatre demi-cercles, sont cantonnées, dans les angles curvilignes rentrants, de quatre colonnettes dont les fûts sont en deux morceaux dans leur hauteur. Les joints qui réunissent ces fûts, placés au même niveau pour toutes les piles, sont maintenus par des bagues ou colliers de bronze scellés dans la pile au moyen d’une queue de carpe (6) ; A représente une de ces bagues avec sa queue de carpe, et B la coupe du cercle de bronze.

On donne aussi le nom de bague aux moulures saillantes, ornées ou simples, qui entourent la base des fleurons des couronnements de pinacles ou de pignons, etc. (Voyez Fleuron.)

  1. Nous devons ce curieux dessin à M. Ruprich Robert.