APPLICATION, s. f. On désigne par ce mot, en architecture, la superposition de matières précieuses ou d’un aspect décoratif sur la pierre, la brique, le moellon ou le bois. Ainsi on dit l’application d’un enduit peint sur un mur ; l’application de feuilles de métal sur du bois, etc. Dans l’antiquité grecque l’application de stucs très-fins et colorés sur la pierre, dans les temples ou les maisons, était presque générale. À l’époque romaine on remplaça souvent ces enduits assez fragiles par des tables de marbre, ou même de porphyre, que l’on appliquait au moyen d’un ciment très-adhérent sur les parois des murs en brique ou en moellon. Cette manière de décorer les intérieurs des édifices était encore en usage dans les premiers siècles du moyen âge en Orient, en Italie et dans tout l’Occident. Les mosaïques à fond d’or furent même substituées aux peintures, sur les parements des voûtes et des murs, comme plus durables et plus riches. Grégoire de Tours cite quelques églises bâties de son temps, qui étaient décorées de marbres et de mosaïques à l’intérieur, entre autres l’église de Châlon-sur-Saône, élevée par les soins de l’évêque Agricola. Ces exemples d’application de mosaïques, si communs en Italie et en Sicile, sont devenus fort rares en France, et nous ne connaissons guère qu’un spécimen d’une voûte d’abside décorée de mosaïques, qui se trouve dans la petite église de Germigny-les-Prés, près de Saint-Benoît-sur-Loire, et qui semble appartenir au Xe siècle. Depuis l’époque carlovingienne jusqu’au XIIe siècle le clergé en France n’était pas assez riche pour orner ses églises par des procédés décoratifs aussi dispendieux ; il se préoccupait surtout, et avec raison, de fonder de grands établissements agricoles, de policer les populations, de lutter contre l’esprit quelque peu désordonné de la féodalité. Mais pendant le XIIe siècle, devenu plus riche, plus fort, possesseur de biens immenses, il put songer à employer le superflu de ses revenus à décorer d’une manière somptueuse l’intérieur des églises. De son côté, le pouvoir royal disposait déjà de ressources considérables dont il pouvait consacrer une partie à orner ses palais. L’immense étendue que l’on était obligé alors de donner aux églises ne permettait plus de les couvrir à l’intérieur de marbres et de mosaïques ; d’ailleurs ce mode de décoration ne pouvait s’appliquer à la nouvelle architecture adoptée ; la peinture seule était propre à décorer ces voûtes, ces piles composées de faisceaux de colonnes, ces arcs moulurés. L’application de matières riches sur la pierre ou le bois fut dès lors réservée aux autels, aux retables, aux jubés, aux tombeaux, aux clôtures, enfin à toutes les parties des édifices religieux qui, par leur dimension ou leur destination, permettaient l’emploi de matières précieuses. Suger avait fait décorer le jubé de l’église abbatiale de Saint-Denis par des applications d’ornements en bronze et de figures en ivoire. Il est souvent fait mention de tombeaux et d’autels recouverts de lames de cuivre émaillé ou d’argent doré. Avant la révolution de 1792, il existait encore en France une grande quantité de ces objets (voy. Tombeau) qui ont tous disparu aujourd’hui. Sur les dossiers des stalles de cette même église de Saint-Denis, qui dataient du XIIIe siècle, on voyait encore du temps de D. Doublet, au commencement du XVIIe siècle, des applications de cuirs couverts d’ornements dorés et peints. Les portes principales de la façade étaient revêtues d’applications de lames de cuivre émaillées et d’ornements de bronze doré (D. Doublet, t. 1, p. 240 et suiv. Paris, 1625).
Nos monuments du moyen âge ont été complètement dénaturés dans le dernier siècle, et radicalement dévastés en 1793 ; nous ne voyons plus aujourd’hui que leurs murs dépouillés, heureux encore quand nous ne leur reprochons pas cette nudité. Le badigeon et la poussière ont remplacé les peintures ; des scellements arrachés, des coups de marteau sont les seules traces indiquant les revêtements de métal qui ornaient les tombes, les clôtures, les autels. Quant aux matières moins précieuses et qui ne pouvaient tenter la cupidité des réformateurs, on en rencontre d’assez nombreux fragments. Parmi les applications le plus fréquemment employées depuis le XIIe siècle jusqu’à la renaissance, on peut citer le verre, la terre cuite vernissée et les pâtes gaufrées. Les marbres étaient rares dans le nord de la France pendant le moyen âge, et souvent des verres colorés remplaçaient cette matière ; on les employait alors comme fond des bas-reliefs, des arcatures, des tombeaux, des autels, des retables ; ils décoraient aussi les intérieurs des palais. La Sainte-Chapelle de Paris nous a laissé un exemple complet de ce genre d’applications. L’arcature qui forme tout le soubassement intérieur de cette chapelle contient des sujets représentant des martyrs ; les fonds d’une partie de ces peintures sont remplis de verres bleus appliqués sur des feuilles d’argent et rehaussés à l’extérieur par des ornements très-fins dorés. Ces verres d’un ton vigoureux, rendus chatoyants par la présence de l’argent sous-apposé, et semés d’or à leur surface, jouent l’émail. Toutes les parties évidées de l’arcature, les fonds des anges sculptés et dorés qui tiennent des couronnes ou des encensoirs sont également appliqués de verres bleus ou couleur écaille, rehaussés de feuillages ou de treillis d’or. On ne peut concevoir une décoration d’un aspect plus riche, quoique les moyens d’exécution ne soient ni dispendieux ni difficiles. Quelquefois aussi ce sont des verres blancs appliqués sur de délicates peintures auxquelles ils donnent l’éclat d’un bijou émaillé. Il existe encore à Saint-Denis de nombreux fragments d’un autel dont le fond était entièrement revêtu de ces verres blancs appliqués sur des peintures presque aussi fines que celles qui ornent les marges des manuscrits. Ces procédés si simples ont été en usage pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, mais plus particulièrement à l’époque de saint Louis.
Quant aux applications de terres cuites vernissées, elles sont devenues fort rares, étant surtout employées dans les édifices civils et les maisons particulières ; nous citerons cependant comme exemple une maison en bois de Beauvais, de la fin du XVe siècle, dont tous les remplissages de face sont garnis de terres cuites émaillées de diverses couleurs.
À partir du XIIe siècle, les applications de pâtes gaufrées se trouvent fréquemment sur les statues et les parties délicates de l’architecture intérieure. Ces applications se composaient d’un enduit de chaux très-mince sur lequel, pendant qu’il était encore mou, on imprimait des ornements déliés et peu saillants, au moyen d’un moule de bois ou de fer. On décorait ainsi les vêtements des statues, les fonds de retables d’autels (voy. Retable), les membres de l’architecture des jubés, des clôtures ; quelquefois aussi la menuiserie destinée à être peinte et dorée ; car il va sans dire que les gaufrures que l’on obtenait par ce procédé si simple, recevaient toujours de la dorure et de la peinture qui leur donnaient de la consistance et assuraient leur durée. Nous présentons ici (1) un exemple tiré des applications de pâtes dorées qui couvrent les arcatures du sacraire de la Sainte-Chapelle ; cette gravure est moitié de l’exécution, et peut faire voir combien ces gaufrures sont délicates. Ce n’était pas seulement dans les intérieurs que l’on appliquait ces pâtes ; on retrouve encore dans les portails des églises des XIIe et XIIIe siècles des traces de ces gaufrures sur les vêtements des statues. À la cathédrale d’Angers, sur la robe de la Vierge du portail nord de la cathédrale de Paris, des bordures de draperies sont ornées de pâtes. Au XVe siècle l’enduit de chaux est remplacé par une résine, qui s’est écaillée et disparaît plus promptement que la chaux. Des restaurations faites à cette époque, dans la Sainte-Chapelle du Palais, présentaient quelques traces visibles de gaufrures non-seulement sur les vêtements des statues, mais même sur les colonnes, sur les nus des murs ; c’étaient de grandes fleurs de lis, des monogrammes du Christ, des étoiles à branches ondées, etc.Pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, on appliquait aussi, sur le bois, du vélin rendu flexible par un séjour dans l’eau, au moyen d’une couche de colle de peau ou de fromage ; sur cette enveloppe, qui prenait toutes les formes des moulures, on étendait encore un encollage gaufré par les procédés indiqués ci-dessus ; puis on dorait, on peignait, on posait des verres peints par-dessous, véritables fixés que l’on sertissait de pâtes ornées (voy. Fixé). Il existe encore dans le bas côté sud du chœur de l’église de Westminster à Londres, un grand retable du XIIIe siècle exécuté par ces procédés ; nous le citons ici parce qu’il appartient à l’école française de cette époque, et qu’il a dû être fabriqué dans l’Île-de-France (voy. Retable). Le moine Théophile, dans son Essai sur divers arts, chap. XVII, XVIII et XIX, décrit les procédés employés au XIIe siècle pour appliquer les peaux de vélin et les enduits sur les bois destinés à orner les retables, les autels, les panneaux. Il paraît que du temps du moine Théophile on appliquait des verres colorés par la cuisson sur les verres des vitraux, de manière à figurer des pierres précieuses dans les bordures des vêtements, sans le secours du plomb. Il n’existe plus, que nous sachions, d’exemples de vitraux fabriqués de cette manière ; il est vrai que les vitraux du XIIe siècle sont fort rares aujourd’hui (voy. Theophili presb. et monac. Diversarum artium schedula. Paris. 1843).