Dictionnaire pratique et historique de la musique/Orchestre
Orchestre, n. m. 1. Dans le théâtre antique, place qu’occupait, en avant de la scène, le chœur (qui prenait part à l’action) et ses accompagnateurs. || 2. On a pris l’habitude, dans les temps modernes, de désigner sous ce nom le groupe d’instrumentistes qui occupent la même place, et que l’on appelait précédemment symphonie (voy. ce mot). Aucun ordre, aucun principe logique, ne présidait aux rassemblements hétéroclites d’instruments qui formaient les premiers orchestres. Les mélanges de sonorités se faisaient au hasard et selon la présence de tel ou tel instrumentiste. Les anciennes descriptions s’extasient sur le nombre des musiciens, non sur leur agencement. Un seul musicien devait savoir jouer de plusieurs instruments. Ce n’est pas du fait des paiements que l’on peut inférer la composition des orchestres princiers, mais plutôt des relations de fêtes, etc. Au moyen âge on ne voit guère de classement qu’entre les hauts instruments (bruyants) et les bas (doux). Aux instruments antiques, d’origine gréco-romaine ou barbare, représentés par la chalemie, la flûte, la cithare, le psaltérion, la rote, le tambourin, on avait adjoint peu à peu, à partir du xvie s. environ, les instruments à archet, des types à cordes pincées empruntés à l’Orient (luth, guitare), ou aux peuples du Nord (harpe), diverses variétés de tambours et timbales, et perfectionné pour l’usage musical trompettes et cornets. Au xive s., un orchestre important pouvait comprendre les instruments dont Guillaume de Machaut donne de précieuses listes, comprenant les familles des vièlles (gigues, rotes, rubèbes, monocordes) ; du psaltérion (canon, micanon) ; les luths, guitares, citoles, harpes ; les flûtes (droite et traversière), flageolets ; les anches (chalemelle, demi-douçaine, èle, frestiau, cornemuses et chevrettes) ; les cors et trompettes (cor sarrazinois, cor douçaine, trompe, buisine) ; la chifonie à roue ; les tambours, timbales, cimbales, trépied ; les orgues portatives ; l’échiquier, ancêtre du clavecin ; enfin, le grand orgue, déjà nommé « le roy des instrumens ». Les archets, flûtes, luths, étaient en très forte proportion ; on avait des trompettes de toute taille, jusqu’à celles qui donnent le ré grave au-dessous de la portée de clef de fa, et qui sont devenues la sacquebute ou trombone (terme qui, en italien, signifie trompe grave). Au xvie s., les imprimeurs publient des recueils de pièces « convenables tant aux instruments qu’aux voix », sans préciser rien quant au mélange des instruments. C’était affaire aux exécutants de choisir la partie qui correspondait à l’ambitus et aux facilités de leur instrument. Quelquefois le titre, plus large encore disait : « toutes sortes d’instruments ». L’orchestre de cour, dans le xvie s. et jusqu’au commencement du xviie s., est une réunion incohérente, de laquelle se détachent probablement des groupes par familles, mais où l’idée de richesses obsède les exécutants et les spectateurs, et conduit à ces étranges symphonies des intermèdes et des ballets. Aux noces de François de Médicis et de Jeanne d’Autriche (1565), le premier intermède comprenait 4 clavecins « doubles », 4 violes, 2 trombones, 2 flûtes « ténor », 1 cornet, 1 flûte traversière, 2 luths. Une Ballade d’Al. Striggio comportait successivement 2 clavecins, 4 violons, 1 luth « mezzano », 1 cornet, 1 trombone, 2 flûtes droites, puis pour renforcer le chœur, 2 clavecins, 1 gros luth, 1 contrebasse de viole, 1 autre flûte, 4 flûtes traversières et 1 trombone. Une comédie représentée à Lyon en 1548 pour l’entrée de Henri ii faisait entendre, dans un intermède, un solo accompagné de 2 épinettes, et 4 flûtes allemandes ; le chœur à quatre voix était renforcé de 4 violes de gambes et de 4 flûtes.
(Missae solemnes, 1589.)
Nous savons
par le détail les instruments qu’employa
Orlande de Lassus à Munich,
entre autres lors des fêtes qui eurent
lieu pour le mariage de Guillaume
de Bavière et de Renée de Lorraine, en
1568 ; on y trouve successivement des
pièces polyphoniques accompagnées
par les groupes suivants : un motet
à six voix de Lassus, soutenu par 5 cornets
et 2 trombones ; un madrigal (sans
doute à voix d’hommes) d’Al. Striggio,
avec 6 « gros » trombones dont un
trombone-basse ; un motet de Cyprien
de Rore, avec 6 violes à bras, une
Bataille d’Annibal Paduano, jouée
avec trombones et cornets aigus ; un
intermède dont le solo était accompagné
au luth, et le chœur par 5 violes ;
un autre à 4 voix, (en quatuor soli)
avec 2 luths, 1 clavecin, 1 cornemuse
et 1 basse de viole. Enfin, d’autres
ensembles instrumentaux non moins
curieux, parmi lesquels voici la composition
de deux entrées : 6 grosses
gambes « accordées à une quarte plus
bas qu’à l’ordinaire », 6 flûtes, 1 clavecin ;
— 1 clavecin, 1 trombone,
1 flûte, 1 luth, 1 cornemuse, 1 cornet
« mué », 1 gambe, 1 piffaro. Une pièce
à trois chœurs avait 4 gambes pour
soutenir le 1er chœur, le 2e avait 4
grosses flûtes, le 3e, 1 douçaine, 1 cornemuse,
1 piffaro, 1 cornet. Une autre
encore groupe à la fois 8 gambes et
8 violes à bras, 1 basson, 1 cornemuse,
1 cornet alto, 1 cornet mué et 1 gros
cornet, 1 musette, 1 douçaine, et
1 trombone grave. L’orchestre de
l’Orfeo de Monteverde (1607) est un
rassemblement de tous ou presque tous
les instruments connus en son temps.
Le musicien les emploie par groupes
ou familles, soit dans une intention
dramatique, soit par simple recherche
de la variété et étalage des richesses
instrumentales. On a déposé la vérité
en assurant qu’il avait caractérisé les
personnages par des instruments particuliers.
« Le choix de tel ou tel ne
paraît jamais déterminé par des raisons
bien péremptoires. Le souci de varier
les sonorités, en dehors de toute intention plus significative, a dû guider
seul le compositeur. » (Quittard).
Voici d’ailleurs cet ensemble : 2 clavecins,
1 harpe double, 2 théorbes,
2 petits violons « à la française »,
10 violes à bras, 3 violes de gambe,
2 contrebasses de violes, 2 orgues
de bois (petits positifs), 1 régale,
2 flûtes, 2 hautbois, 4 trompettes,
2 cornets, 5 trombones, soit trente-neuf
instrumentistes. Monteverde aime
à réunir, seuls ou sur une basse,
deux parties d’instruments de dessus
dans une teinte de douceur : 2 flûtes,
2 hautbois, 2 violons, et, dans les
passages éclatants, emploie des ensembles
de trois, quatre, cinq parties de
trompettes, caractéristiques qui resteront
encore en usage un siècle plus
tard, chez Lulli. Un orchestre décrit
par Bottrigari (1531-1612) comprenait :
1 grand clavicembalo, 1 épinette,
3 luths, une grande quantité de violes
et une autre de trombones, 1 cornet,
1 cornetto torto, 2 rebecs, plusieurs
flûtes diverses, 1 harpe double, 1 lyre.
Les Italiens du commencement du
xviie s. ne tardent pas à opérer une
division de l’orchestre en 2 groupes, les
instruments de fond (fondamento) et
d’ornement (ornamento), dont les premiers
(orgue, cembalo, théorbe, etc.)
formaient l’appareil harmonique, et
les seconds, (luth, harpe, violes, etc.)
rendaient l’harmonie plus sonore et
plus agréable par des scherzi et des
contre-points.
Le premier essai de régularisation fut la constitution des familles instrumentales. On forma des groupes de cornets, ou de violes, ou de flûtes, répondant aux groupes vocaux. Artusi († 1613) propose de classer les instruments en 3 groupes, selon leur accord : i, Instr. tempérés donnant le ton égal et le demi-ton inégal, orgue, clavicembalo, monocorde, harpe (soit instr. à sons fixes) ; ii, Instr. qui se jouent de toutes les façons, voix humaines, trombone, trompette, cornet, flûte, douçaine (instr. à embouchure), rebec ; iii, Instr. qui donnent le ton divisé en 2 parties égales et le demi-ton égal, luth, viole, lyre, cistre. Ce classement, dit Artusi, indique ceux que l’on peut faire entendre ensemble, c’est-à-dire i avec ii ou ii avec iii, mais non i avec iii, ce qui offenserait l’ouïe. À partir de la seconde moitié du siècle, l’orchestre tend à s’équilibrer tel qu’il le restera jusqu’à nos jours. (Voy. l’article Violon pour les « Vingt-quatre violons du Roy ».) L’orchestre de l’Opéra de Paris, au temps de Lulli, comprenait 40 à 45 musiciens : quintette à cordes, flûtes traversières, hautbois, bassons, trompettes et timbales. Mais on avait toujours pour les récitatifs et les airs l’habitude de l’accompagnement au clavecin et aux théorbes, réalisant la basse renforcée elle-même de quelques violes de gambe. Lulli aime employer deux dessus d’instruments doux : flûtes, violons, ou hautbois, pour les opposer aux ensembles. Dans les passages en fanfare, il y a des sonneries de trompettes à trois, quatre, cinq parties (comme déjà chez Monteverde). Chez Bach et Hændel, on constate un semblable équilibre, avec une affection marquée pour les bois à anche : hautbois employés en masse, ou en famille : hautbois, hautbois de chasse, hautbois d’amour, cor anglais ; on sait l’exquis effet obtenu par Bach dans sa Pastorale de l’Oratorio de Noël, et l’admirable ensemble de hautbois dans Le Messie de Hændel tel qu’il a été écrit. Ces effets allaient être oubliés lors de l’introduction progressive de la clarinette qui, sur un seul instrument, réalise la jonction de plusieurs registres de l’antique famille des chalumeaux (voy. ces mots). L’introduction dans l’orchestre classique du cor simple avec tons de rechange, dit « cor d’harmonie » (voy. Cor), allait, vers la même époque, contribuer à donner la couleur complète du grand orchestre symphonique tel qu’il subsiste jusqu’à notre temps, exception faite d’œuvres de grande importance, où les innovations des instruments à piston ont agrandi la part des cuivres, et suggéré aux compositeurs la recherche d’effets nouveaux ou pittoresques soit par l’invention de nouveaux instruments, soit par la remise en honneur de moyens archaïques. En 1752, l’orchestre de l’Opéra, à Paris, comprenait 2 batteurs de mesure, 1 claveciniste, 16 violons, 6 altos, 12 basses, 9 hautbois, flûtes et bassons, 2 joueurs de timbales et trompette (48 musiciens). En 1767, cet orchestre fut augmenté de 15 musiciens et disposé « comme en Italie, c’est-à-dire qu’une moitié des musiciens regarde l’autre en face, et que tous présentent le côté au public, au lieu de lui tourner le dos », disent les journaux du temps. L’orchestre du Concert Spirituel comprenait vers 1750 : 16 violons, 2 altos, 6 basses, 2 contrebasses, 5 flûtes et hautbois, 3 bassons, 1 organiste (35 musiciens). L’orchestre du Concert Spirituel en 1775 : 2 chefs (violons, Gaviniés, Leduc), 13 premiers violons, 11 seconds violons, 4 altos, 10 basses, 4 contrebasses, 2 flûtes, 3 hautbois, 4 bassons, 2 clarinettes, 2 cors, 2 trompettes, 1 timbalier. — Les musiciens des orchestres princiers portaient livrée : on sait comment Mozart était froissé de cet usage, tandis que Haydn s’en accommodait sans difficulté. En certaines fêtes, les musiciens d’orchestre étaient costumés ; à un concert donné à l’Ambassade de France à Rome en 1751, on vit un orchestre « composé de 80 musiciens vêtus d’habits de théâtre et ayant une couronne de fleurs sur la tête ».
Il est intéressant de comparer un grand ensemble d’orchestre de théâtre depuis un siècle, en prenant trois œuvres caractérisées par leur puissance ou leurs variétés.
1o Meyerbeer, dans la Marche du sacre du Prophète (1849), emploie : petite flûte et 2 parties de grande flûte, 2 parties de clarinette et 2 de hautbois, bassons, 4 parties de cors (en mi bémol et si bémol grave) ; 2 parties de trompettes à pistons ; 2 de cornets à pistons ; un quatuor de trombones et d’ophicléides ; 3 timbales ; cymbales, grosse caisse, tambours, le quintette à cordes.
2o Wagner, pour l’emploi des cuivres graves, dans la Marche funèbre de Siegfried : 3 parties de trompettes à pistons, une « bass-trompete », 2 tubas tenor, 2 tubas basse, 1 tuba contrebasse, 2 timbales, groupes des archets (sans violons), les altos et les violoncelles étant divisés (voir autre exemple ci-après).
3o D’Indy, La Queste de Dieu dans la Légende de saint Christophe (voir ci-après).
(Richard Wagner).
Petite Flûte.
1re Grande Flûte.
2e et 3e Grande Flûte.
3 Hautbois.
3 Clarinettes en si bémol.
3 Bassons.
1er et 2e Cors chromatiques, en fa.
3e et 4e - - -
1re et 2e Trompettes chromatiques en ut.
3e Trompette chromatique en ut.
Trompette basse.
4 Trombones.
2 Ténor-Tuben en mi bémol.
2 Bass-Tuben en si bémol.
Contrebasse Tuba.
3 1res Harpes.
3 2es Harpes.
4 Timbales sol-ré.
Triangle.
Grosse Caisse.
Tambour.
Cordes et Contrebasse.
(V. d’Indy).
Petite Flûte.
2 Grandes Flûtes.
2 Hautbois.
1 Cor anglais.
2 Clarinettes en la.
1 Clarinette basse.
3 Bassons.
6 Cors (parties doublées).
1 Trompette en ré aigu.
2 Trompettes en ut.
1er Bugle en mi bémol.
2e Bugle en si bémol.
3 Trombones.
1 Trombone contrebasse.
2 Harpes.
Timbales chromatiques.
Triangle.
Grosse Caisse.
Tambour.
Cymbales.
Cordes et Contrebasse.