Dictionnaire pratique et historique de la musique/Motet
Motet, n. m. Plusieurs acceptions qui se sont peu à peu fondues en une seule, ont été données à ce terme depuis le moyen âge. À l’époque des premiers essais de contrepoint (xiie -xiiie s.), le M. est une petite chanson (Motetus, Motellus, petit mot, petite pièce de poésie) en langue vulgaire et en un seul couplet, que les déchanteurs superposent à un « ténor » latin, emprunté au répertoire liturgique et principalement aux répons du graduel, et auquel ils associent une troisième et quelquefois une quatrième partie harmonique, également formée de quelque chanson vulgaire. La périodicité d’un rythme régulièrement ternaire marque les points d’appui des diverses parties et les coïncidences des consonances parfaites. Le M., placé à la voix supérieure, donna bientôt son nom à la composition tout entière. Selon Jean de Grocheo (fin du xiiie s.), le M. « est un chant à plusieurs voix avec paroles différentes pour chacune d’elles, produisant un ensemble harmonique ». Dans les mss. où sont conservés ces anciens monuments de la polyphonie, la partie de ténor ne porte généralement pas d’autres paroles que le premier mot de son texte, ce qui l’a fait considérer par certains musicologues modernes comme instrumentale. Cette hypothèse n’expliquerait pas l’introduction du M. dans le service de l’église, d’où le pape Jean xxii essaya de le bannir, en y condamnant le mélange de « M. vulgaires » (1322).
Au xiiie s., le pseudo-Aristote, et plus tard Walter Odington († 1335) s’accordent pour affirmer que le M. est une composition avec paroles ; Jean de Muris, au xive, dit, comme Jean de Grocheo, qu’il consiste en une composition avec paroles différentes aux différentes parties. Tinctoris (1475) le définit « un chant de médiocres dimensions, dont les paroles traitent de matières quelconques, mais généralement religieuses ».
Il n’est plus question de
mélange des textes ; la signification primitive
du terme, la « petite chanson »,
est oubliée ; et, en effet, les
progrès de l’art du contrepoint
vocal ont créé, sous ce
titre légèrement dérangé de
son sens, une forme spéciale
de composition religieuse,
embrassant toutes les variétés
de pièces ne faisant
pas partie de l’ordinaire de
la messe, mais pouvant
s’introduire, selon l’ordre
de l’année liturgique, dans
l’une ou l’autre partie de
l’office. Telle était, dès la
fin du xve s., la richesse
de ce répertoire, que l’imprimeur
Petrucci pouvait
réunir, dans ses premiers
recueils, 186 M. à 3, 4
et 5 voix, dont les auteurs
appartenaient, en grande
majorité, à l’école gallo-belge,
initiatrice de l’Europe
aux splendeurs de la
polyphonie vocale. Le terme
français de M. prévalait
partout pour cette forme
d’art. Un recueil de 1520
s’intitule : Liber selectarum
Cantionum, quos vulgo
mutetas appellant. Les éditeurs
dénomment leurs
publications d’après des
emblèmes gravés au frontispice :
les Motetti de la
Corona, del Fiore, del Fruto,
de la Simia, sont des
recueils célèbres, parus en
Italie tout au début du
xvie s. Un style de M.
s’y dévoile, qui se différencie
du style de messe
par des dimensions plus
restreintes, des formes plus
concises, plus claires et
plus expressives, où se
font plus rares les recherches,
les « artifices » de
contrepoint et de notation.
Dans le développement de
ce style, les historiens s’efforcent
de dénombrer des
périodes distinctes qui ne
s’isolent point, d’ailleurs,
des faits connexes et des
vicissitudes générales de
l’art. Au début du xvie s.,
avec Josquin Després (†
1521), le style de M. s’épanouit
en une richesse
magnifique d’invention et
de formes ; dans la seconde
moitié du même siècle, avec Palestrina
(† 1594), il atteint l’apogée de sa
perfection. Les préceptes que pose
Cerone (1613) résument ses caractères
principaux à cette époque. Il faut, dit-il, que les parties vocales
se meuvent avec gravité
et majesté et que les valeurs
de longue et de courte durée
se fassent équilibre, et il compte
8 manières de traiter un thème
de plain-chant choisi pour servir
de soutien à toute la composition.
Mais cet article n’implique
pas l’obligation de se
baser sur un thème préexistant,
et au contraire, le thème
principal du M. est alors le plus
souvent librement inventé par
l’auteur, après quoi il est
fréquent de rencontrer des
messes disposées sur un thème
emprunté à quelque M. fameux.
Le nombre des voix
est le plus souvent fixé à quatre,
mais les œuvres écrites
à 6, à 8, à 12 voix, ne sont
pas très rares. Les maîtres
s’appliquent à servir les prescriptions
de la liturgie, en
composant des séries suivies
de M. pour les périodes successives
de l’année ou pour
telle ou telle partie de l’office.
Ainsi trouve-t-on dans l’œuvre
de Palestrina des livres
spéciaux d’offertoires, de répons,
d’hymnes, traités en
forme de M. Nombreuses sont
également, dans la seconde
moitié du siècle, les collections
de M. empruntés à différents
maîtres, soit qu’ils fussent
puisés dans les recueils déjà
existants, soit qu’ils fussent
inédits. Le Thesaurus musicus
publié à Nuremberg en
1564, sous l’inspiration sans
doute d’Orlande de Lassus,
est des plus précieux pour
l’étude du répertoire des M.
de cette époque et de tout
l’art « a cappella ». Mais
déjà, Lassus lui-même donne
l’exemple de la transformation
qui se produit alors
dans le style du M. ; son
Magnificat du 3e ton contient
des duos de pure virtuosité
qui posent déjà les principes
de style de Gabrieli
et de Monteverde.
Après l’adoption de la monodie et du chant accompagné, le style de musique religieuse y compris, celui du M. fut profondément modifié. On vit les compositeurs donner place à des effets de virtuosité vocale et à un genre d’expression rapproché de celui de la cantate. profane et de la musique dramatique, et les chanteurs introduire dans l’ancien répertoire polyphonique une surcharge choquante d’ornements vocaux. En Italie, le M. donna naissance au dialogue et à l’oratorio. En France, pendant la première moitié du xviie s., il reste, selon la définition de Mersenne, (1636), « une pleine musique figurée, enrichie de toutes les subtilités de cette science », et Auxcousteaux et Du Mont lui conservent sa « gravité ». Mais sous l’impulsion de Louis xiv et pour répondre à l’agrandissement des moyens employés dans la chapelle royale réorganisée (1683), Lulli, puis La Lande, inaugurent le « Grand M. » ou « M. à grand chœur », qui équivaut, pour les proportions à l’ « Antienne » des maîtres anglais, à la « Cantate d’église » des Allemands, et qui consiste en une succession variée de morceaux sur les versets d’un psaume ou d’un autre texte liturgique latin, traités, les uns à voix seule ou à 2 voix en solo, avec ou sans instruments concertants, les autres à 4 ou à 8 voix, avec orchestre et basse continue. Exécuté chaque jour, en remplacement des anciennes compositions de l’Ordinaire de la messe, pendant la « messe du roi », dans la chapelle royale, le « Grand M. » devint la pierre angulaire du répertoire au Concert Spirituel (1725). Après La Lande, dont les œuvres en ce genre remplissent 20 volumes, le « Grand M. » fut cultivé jusqu’à la fin de l’ancien régime par les maîtres de chapelle de la cour et ceux des églises principales, et la tradition en fut encore renouée sous l’Empire par Lesueur à la chapelle des Tuileries, mais tomba ensuite en désuétude.
En dehors du grand M., et en même temps, les musiciens cultivaient le genre plus accessible du « Petit M. » à voix seule, ressource des églises modeste. Toutes les formes et jusqu’aux pires arrangements de pièces profanes ou de fragments d’œuvres instrumentales, se heurtent aujourd’hui dans l’innombrable répertoire du M., malgré les défenses de l’autorité ecclésiastique, impuissante contre la foule des maîtres de chapelle de mauvais goût. * Mais, comme pour la messe, et plus encore que pour celle-ci, le mouvement de rénovation de la musique religieuse commencé vers la fin du xixe s., a amené la composition et la mise en usage de M. modernes dignes de la belle époque de cette forme d’art ; parmi eux, ceux publiés en France par la Schola Cantorum tiennent la première place. On doit encore citer les dernières œuvres que Th. Dubois a écrites sous la même inspiration et qui marquent l’évolution profonde du genre dans son retour aux saines traditions du quatuor vocal a cappella.
La liturgie catholique admet l’emploi complémentaire des M. dans la célébration de la messe, au moment de l’offertoire, de la communion, pendant l’exposition du Saint-Sacrement, les processions, les saluts, les cérémonies où aucun autre chant n’est prescrit. Dans l’usage habituel, le terme de M. a encore été étendu à des pièces de chant liturgique qui ne sont point en elles-mêmes des M., mais que l’on exécute ad libitum dans les mêmes circonstances que ceux-ci ; on dit par exemple, en employant cette impropriété de termes : « les M. grégoriens du salut ».