Dictionnaire pratique et historique de la musique/Messe

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Messe, n. f. Principale fonction de la liturgie catholique. Dans le culte catholique romain, on distingue la messe basse, simplement récitée à voix basse, et la messe haute ou messe solennelle, dite vulgairement grand’messe, dont presque toutes les parties sont chantées, soit par l’officiant, soit par le chœur, soit par la communauté des fidèles. Les parties chantées sont : l’Introït, qui est une antienne suivie d’un verset de psaume et du Gloria Patri ; le Kyrie eleison ; le Gloria in excelsis ; le Graduel suivi de l’Alleluia, qui est remplacé par le Trait les jours de pénitence ; la Prose, ou Séquence ; le Credo ; l’Offertoire ; la Préface, suivie du Sanctus avec le Benedictus, le Pater noster, l’Agnus Dei et la Communion. De ces parties successives, cinq restent invariables, quant au texte et forment ce que l’on nomme l’ « Ordinaire de la M. » ; ce sont : le Kyrie eleison, le Gloria in excelsis, le Credo, le Sanctus suivi du Benedictus et de l’Agnus Dei. Les autres, dont les textes varient au cours de l’année liturgique, appartiennent au « propre du temps » ou au « propre des saints ». Dans la messe des morts, les chants de joie (Gloria Patri, Gloria in excelsis et Alleluia) et le Credo sont supprimés et les paroles Dona eis requiem remplacent les mots Miserere nobis dans l’Agnus Dei. Trois genres de composition se sont établis peu à peu et subsistent parallèlement aujourd’hui pour l’ « Ordinaire de la M. » : le chant liturgique, ou grégorien, répondant à ce que l’on nomme communément une messe en plain-chant ; la polyphonie vocale ; la composition pour chœur avec accompagnement d’orgue ou d’instruments, avec ou sans solos de chant, qui répond au titre habituel de messe en musique. On regarde comme probable qu’à l’origine de la liturgie, les textes des cinq parties invariables de l’Ordinaire de la M. n’eurent chacun qu’une mélodie. C’est à partir du ixe s. que s’observe l’introduction de mélodies différentes sur les mêmes paroles, et leur destination à des fêtes particulières ou à des dates déterminées. La réunion et le classement de ces diverses mélodies a formé peu à peu le répertoire qu’en dernier lieu l’édition vaticane des livres de chant liturgique a définitivement fixé. L’introduction de l’harmonie dans le chant de la messe remonte à son invention même ; mais la plus ancienne composition complète d’une M. en musique qui nous soit parvenue date du xive s. et a été publiée sous le titre de M. de Tournai ; elle représente l’un des premiers monuments de l’art harmonique, mais est formée de pièces juxtaposées. La Messe de Guillaume de Machaut, qui se présente ensuite, et qui appartient aussi au xive s., marque un progrès réel : elle est la première composée sur un plan d’ensemble, et la première aussi qui emploie l’écriture à quatre voix mixtes. Au milieu du xve s., le répertoire s’augmente rapidement et le style polyphonique vocal devient pour ainsi dire le collaborateur du chant grégorien pour remplir parallèlement avec celui-ci, les obligations de la liturgie, tout en y apportant l’embellissement d’un art très riche et très subtil. Aucun maître de cette époque ne manque à l’usage que les modernes ont enfreint, de laisser au célébrant l’intonation des deux parties de l’ordinaire de la messe, dont les premiers mots sont Gloria in excelsis Deo et Credo in unum Deum ; le travail du musicien et le rôle du chœur commencent, pour le Gloria, sur les paroles Et in terra pax hominibus et pour le Credo, sur Patrem omnipotentem, qui servent en effet de titre aux morceaux de M., depuis Dufay († 1474) et Ockeghem († 1495), jusqu’à Palestrina († 1594) et à ses successeurs. Pendant cette longue et florissante période, où l’art polyphonique vocal atteint sa perfection, tout en se révélant le plus fidèle interprète du sentiment religieux, les 5 morceaux d’une même messe se composent à 4, 5, 6, 8 voix, et exceptionnellement davantage, sans accompagnement instrumental, sur un seul et même thème, choisi soit parmi les mélodies liturgiques, soit dans le répertoire du chant profane, et traité avec toutes les ressources et tous les artifices du contrepoint. Par ce maintien d’un seul thème fondamental, diversement présenté, développé et entouré, l’unité de composition des parties successives est assurée et la M., comme la symphonie, forme un tout complet en soi-même et logiquement indivisible. La décision de divers synodes qui ont interdit de chanter autrement qu’en simple chant liturgique, à l’unisson, le credo de l’Ordinaire de la M. a donc eu pour conséquence d’amputer d’une de leurs parties, et précisément de la plus considérable, les partitions de M. anciennes et modernes, y compris celles dont les maîtres du style vocal polyphonique ont, au xvie s., doté le répertoire modèle de la Chapelle pontificale. Sauf quelques M. désignées par leur tonalité (M. primi toni, M. quarti toni, etc.) ou par quelque particularité musicale (M. cujusvi toni, d’Ockeghem, M. ad fugam, etc.), la coutume s’était tout naturellement imposée de leur donner pour titre les premiers mots de la mélodie qui leur servait de thème (M. Ave Maria, M. Salve sancta parens, etc.) lors même que cette mélodie était empruntée au répertoire profane (M. l’homme armé, M. Se la face ay pâle, etc.). C’est ainsi que beaucoup de M. se trouvèrent distinguées par des titres singuliers, de l’apparence la moins religieuse du monde et propres à inspirer des railleries et des jugements d’une extrême sévérité, à des historiens quelquefois foncièrement indifférents aux questions liturgiques et très souvent mal préparés à connaître par eux-mêmes le rôle et l’effet du thème dans le travail contrepointique. Pour la justification ou l’excuse des maîtres qui ont jadis composé ces fameuses Messes sur des chansons, il est nécessaire d’insister sur ce que, premièrement, la plupart des thèmes qu’ils employaient et qu’ils se reprenaient l’un à l’autre en une féconde émulation d’habileté et de talent, provenaient d’une époque déjà assez ancienne pour que les paroles en fussent parfois oubliées (c’est le cas pour la célèbre mélodie de L’homme armé, qui a été traitée vingt-sept fois comme sujet de M., depuis Dufay jusqu’à Carissimi, et dont aucun imprimé, aucun ms., n’a conservé le texte littéraire ; son premier vers seul « l’homme armé doit-on redouter » a pu être retrouvé grâce à une citation de Molinet, 1475 environ) ; et que, secondement, les modifications introduites dans le caractère et le mouvement de la mélodie, étirée en longues notes ou découpée en petits fragments, sa situation au ténor, c’est-à-dire au centre de l’édifice harmonique où elle était enveloppée par les voix qu’elle soutenait, la richesse des dessins et des réponses


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(G. Dufay, Kyrie de la Messe : Se la face ay pale.)
qui s’entrecroisent autour d’elle, la

rendaient insaisissable par l’oreille pendant l’exécution, impossible à isoler et souvent même à reconnaître. La meilleure définition du rôle assigné au thème de chanson dans la composition de la M. a été donnée par Ambros, lorsqu’il l’a comparé à la légère armature de fer sur laquelle un sculpteur appuie la terre glaise lorsqu’il modèle une statue et qui disparaît entièrement, au cœur de son travail.

Pendant plus d’un siècle et demi, le style de M. fut cultivé dans un même esprit par les musiciens de toutes nationalités. Leurs œuvres destinées aux chapelles souveraines ou aux chœurs des églises cathédrales ou collégiales, se comptent par milliers. On connaît plus de vingt messes de Ockeghem († 1495), vingt-cinq à trente de Josquin Després († 1521), quarante-six d’Orlande de Lassus, presque autant de Victoria, quatre-vingt-douze de Palestrina. Elles furent parfois réservées aux seuls chœurs pour lesquels on les avait composées. L’ensemble de toutes ces M. est parvenu jusqu’à nous soit dans quelques mss. précieux de la Chapelle Sixtine, de la cathédrale de Trente et de quelques églises fameuses d’Espagne et d’Italie, soit dans les recueils qui furent publiés en grand nombre aussitôt que fonctionnèrent les premières presses musicales. L’un des plus célèbres est le Liber quindecim Missarum dédié au pape Léon x par l’imprimeur André de Antiquis, en 1516, où sont réunis des ouvrages de maîtres français et flamands, Jean Mouton, Brumel, Fevin, Pierre de la Rue, Pipelare, Josquin, et une de l’Italien P. Roselli.

C’est parce qu’il mit, dans la seconde moitié du xvie s., le dernier sceau à la beauté du style de M. et de motet polyphonique vocal, que Palestrina († 1594) mérita l’honneur de laisser son nom à l’art où il avait su condenser et fondre en une manière harmonieuse les résultats les plus admirables et les plus délicats de l’immense labeur de plusieurs générations de compositeurs. Il n’était pas possible de surpasser après lui la perfection de la « musique palestrinienne ». Ses successeurs cherchèrent donc de nouvelles voies et firent appel à l’accompagnement instrumental, qui s’établissait alors dans le domaine de l’opéra et de la musique de chambre à voix seule avec basse continue. Sans doute, le mélange des instruments et des voix se pratiquait depuis le moyen âge et il avait pu pénétrer, par caprice ou par nécessité, sous la voûte des églises ; des témoignages précis rappellent, par exemple, que des solos de cornet furent exécutés pendant la M., à « la façon d’Espagne », par un virtuose renommé au temps de Charles-Quint et de François Ier ; que pendant la M. célébrée en plein air, au Camp du drap d’or, les « saquebutes du roi » se firent entendre avec ses chantres ; et que, de temps en temps, quelque maître de chœur se voyait autorisé par un chapitre à faire venir « du dehors » un ou deux instrumentistes, pour suppléer « au défaut des voix ». Tout cela constituait l’exception, non la règle, et si forcément l’interprétation de leurs M. restait soumise, comme elle l’est de nos jours, aux risques du moment, du moins faut-il rester convaincu que dans leur pensée, comme dans leurs notations, les compositeurs du xve et du xvie s. les destinaient aux voix. Une fois la participation des instruments régulièrement admise et prévue, l’orientation du style de M. changea brusquement ou, plus exactement, se confondit avec celle de l’art en général, qui tendait vers l’expression et les formes dramatiques. Les textes très variés des motets offrant à cet égard un terrain plus favorable, les musiciens inclinèrent davantage vers ce genre qui ne tarda guère à faire presque abandonner la composition de l’ « Ordinaire de la M. ». Lorsqu’ils se tournent encore vers celle-ci, les maîtres italiens de la fin du xviie s., Benevoli, Berretta, essaient d’en renouveler l’intérêt par l’accumulation des moyens vocaux ; ils écrivent des M. à seize, à vingt-quatre voix. En France, La Lande, qui compose vingt livres de Grands Motets pour la chapelle de Louis xiv, ne laisse pas de M., et Dumont, remarquable aussi dans le répertoire du motet, ne participe à celui de la M. que par des œuvres homophones, en « plain-chant musical ». En Allemagne, le luthérien J.-Sébastien Bach écrit une M. catholique, la M. en si mineur (1733), magnifique et gigantesque, l’un de ses chefs-d’œuvre et l’un des chefs-d’œuvre de la musique tout entière, dont les proportions, incompatibles avec le service d’aucun culte, dépassent tout ce qui avait été tenté auparavant sur le même texte. Le Gloria et le Credo se divisent chacun en 8 morceaux dont les formes, airs avec da capo, chœurs fugués, sont identiques à celles des grandes cantates religieuses protestantes du même auteur. Le genre de la « M. de concert », sorte de grande cantate, ou de M. oratorio, se trouve inauguré par cette partition splendide. Ni les 14 M. de Haydn, ni les 16 M. de Mozart, n’approchent de sa beauté ; insuffisantes pour le concert, elles n’ont rien qui justifie leur emploi dans le service de l’église, où les noms glorieux de leurs auteurs portent seuls certaines maîtrises à les admettre. Des deux messes de Beethoven, la seconde, la M. en ré, op. 123, composée de 1818 à 1823, regardée, auprès ou au-dessus de la Neuvième Symphonie, comme l’œuvre capitale de son auteur, s’égale en importance à la M. en si mineur, de Bach, et la surpasse en profondeur dans l’expression à la fois humaine et mystique du sentiment religieux, portée, en dehors des cadres liturgiques, à son maximum d’émotion et de puissance. Tout pâlit à côté d’une telle partition. Les M. de Weber et de Schubert, d’un intérêt secondaire, celles de Cherubini (M. en ré, 1821 ; M. du sacre, 1825) froides et factices, malgré la belle qualité de leur écriture, la Graner-Messe de Liszt, ainsi nommée de sa destination, pour la dédicace de l’église de Gran (1856), la petite M. solennelle de Rossini (1869), comptent à divers titres parmi les M. les plus célèbres, composées au xixe s. On doit faire une place à part à Gounod. Après avoir écrit dans les formes habituelles en son temps sa M. de Sainte-Cécile (1855), on le vit, sur la fin de sa carrière, tenter de se rapprocher des traditions palestriniennes, dans lesquelles ses convictions religieuses en même temps que ses goûts d’artiste lui faisaient reconnaître le langage musical le mieux adapté aux exigences et à l’esprit de la liturgie catholique. Ses M. de Jeanne d’Arc (1887) et du B. de la Salle (vers 1890) sont moins des pastiches que des essais de transaction entre deux styles et deux conceptions opposées d’une même art et d’un même but. * Depuis cette époque, et surtout sous l’influence des idées de rénovation de la musique religieuse par la Schola Cantorum de Bordes, Guilmant et d’Indy, les conditions liturgiques et l’expression plus vraiment religieuse de la M. ont amené la composition d’œuvres intéressantes et variées, dont l’a cappella utilisant tous les moyens et procédés harmoniques modernes, forme la base, œuvres surtout de but pratique. En dehors de ce mouvement de réforme, il convient de signaler, comme œuvres intéressantes au point de vue musical sur les paroles de la M., celle de Widor (op. 36) à deux orgues, avec chœur à quatre voix mixtes et 2e chœur à l’unisson, et celle de Louis Vierne (1900), œuvre plutôt symphonique — et partant plus éloignée de la conception rationnelle de la M. — mais donnant une juste idée de l’inspiration des compositeurs modernes en dehors du style d’église proprement dit M. des Morts. (Voy. Requiem)