Dictionnaire pratique et historique de la musique/Flûte
Flûte, n. f. Instrument à vent, en
bois ou en métal, dont l’origine
remonte à la plus haute antiquité et
qui, dans les temps modernes, a formé
deux familles : celle des F. à bec, ou
F. droites, et celles des F. traversières,
ou obliques. La F. à bec, aujourd’hui
abandonnée, était appelée quelquefois
F. douce, F. d’Angleterre ;
elle se construisait en bois, en ivoire ;
son tube, de perce conique, était renversé,
en sorte que l’embouchure se
trouvait placée à l’extrémité la plus
large ; ses divers modèles, qui mesuraient
de 40 cm. jusqu’à 135 cm. formaient
une famille dont Prætorius
(1619) énumère huit variétés, les principales :
dessus, haute-contre, taille,
quinte et basse, constituant un « concert »
complet à 5 parties. C’est le type
de la F. à bec que jouaient jusqu’à
Louis xiii et Louis xiv les musiciens
de l’Écurie et ceux de l’orchestre de
Lulli. Le nombre des trous était ordinairement
de huit ou neuf trous, le
neuvième à destination des instrumentistes
gauchers ; les grands modèles
étaient munis de quatre clefs, et le plus
grave, de deux ressorts qui se poussaient
avec le pied pour la manœuvre
des clefs. Les Hotteterre étaient renommés vers 1700 comme joueurs
et faiseurs de F., et le plus célèbre
d’entre eux, Louis Hotteterre, dit le
Romain, publiait en 1707 une méthode
Flûtes à bec.
pour la F. traversière, la F. à bec
et le hautbois. À cette
époque, la F. à bec
touchait à son déclin.
Le flageolet ou le flûtet ou galoubet en sont les derniers descendants. La F. traversière, qui est caractérisée par l’emplacement de l’embouchure, percée latéralement dans la partie supérieure de l’instrument, existait au moyen âge à côté de la F. à bec, et fournissait, au temps d’Agricola (1529) une famille de 4 instruments : soprano, alto, ténor et basse ; on y ajouta plus tard les variétés appelées F. tierce, sonnant une tierce mineure au-dessous de la F. ordinaire en ré, ou ténor, et les F. dites grandes et petites F. quartes, distantes d’une quarte au-dessus ou au-dessous de la même F. en ré.
Le tube de la F. traversière était cylindrique et offrait peu de justesse. Elle possédait 6 trous latéraux libres. Vers le milieu du xviie s., sa construction subit de grandes modifications.
On la divisa en quatre parties : la tête,
le premier corps, le second corps, le
pied, qui s’emboîtaient variaient de
manière à permettre, par le changement
de diapason. Le joueur de F. disposait
de cinq ou six corps de rechange
contenus dans un étui que les musiciens
militaires portaient à leur côté.
La première clef fut ajoutée à la F. en
1690 ; la seconde, ainsi que l’allongement
du pied, qui transforma la F. en
ré en F. en ut, datant de 1722. Pendant
le xviiie s., les perfectionnements de
l’instrument, par l’addition de nouvelles
clefs et l’adoption de la perce
conique, s’accomplirent lentement.
L’auteur anonyme des Observations
sur la musique (1757) constatait
qu’« il est très difficile de jouer juste
de cet instrument » et que la chose lui
eût semblé impraticable, si Blavet ne
lui eût prouvé le contraire. La rareté
des bons flûtistes n’empêchait pas les
compositeurs de tirer un heureux
parti de cet instrument, joué en solo
ou en dialogue avec la voix ou un autre
instrument ; Lulli s’en était servi
notamment dans Isïs (1677) ; Hændel
précisait sur ses partitions l’indication
de la German flute, F. allemande,
qui se rattachait à la F. traversière ;
mais on n’osait pas, dans les orchestres
nombreux, l’employer par masses,
ainsi que les autres instruments à
vent ; dans l’imposant ensemble instrumental
réuni à Londres pour les fêtes
de la « Commémoration de Hændel »
(1784) 6 F. seulement s’opposaient à
26 hautbois, 26 bassons, 12 trompettes
et 12 cors. Dans la musique de chambre
la F. occupait un rang qu’elle a perdu
aujourd’hui. Non seulement elle possédait
en la personne de
l’Allemand J.-J. Quantz
(1697-1773) un exécutant
modèle et un compositeur
infatigable, dont Frédéric
Kuhlau (1786-1832) fut seul
à égaler, un demi-siècle
plus tard, la fécondité, mais
elle jouissait d’une vogue
particulière dans le monde
des amateurs, où, à l’exemple
du roi de Prusse Frédéric
ii, du roi de Pologne
Stanislas, du prince de Carignan,
du fermier général La Pouplinière,
il était de bon ton de jouer, tant
bien que mal, de la F., et de se
faire portraiturer, la F. en main.
Les perfectionnements essentiels que
Th. Bœhm apporta, depuis 1821, à la
facture de la F., et qui rencontrèrent
tout d’abord une vive opposition,
de la part notamment de Tulou
(1786 + c. 1865), portèrent l’instrument
à un degré de justesse et de
facilité inconnu jusque-là. Telle que
nous la connaissons aujourd’hui, et
que l’ont faite Bœhm et ses successeurs,
la F. combine la perce cylindrique
d’un tube, pour le corps, et la perce
conique, pour la tête ; ce tube est
fermé à sa partie supérieure ; sa longueur
se mesure depuis le centre de
l’ouverture latérale qui sert d’embouchure,
jusqu’à l’extrémité du tuyau ;
la colonne d’air y est ébranlée par les
intermittences d’un courant d’air dirigé par les lèvres contre l’angle de
cette ouverture, dont le diamètre est
plus petit que celui du tuyau. L’emplacement
des trous est déterminé par la
division géométrique de la longueur
du tuyau, qui pour la grande F. en
ut, anciennement F. en ré, est de
0 m. 657. Un système de clefs, que
régissent les doigts de l’exécutant et
que complètent des anneaux mobiles,
donne les plus grandes facilités
de doigté. Le son le
plus grave étant fourni
par la résonance du tube
entier, les douze degrés de
la première octave s’obtiennent
par le doigté, qui
reste le même lorsque, par
une pression de plus en
plus forte du souffle, on
force l’instrument à octavier,
c’est-à-dire à produire les harmoniques
2, 3, 4 ou 5. « Aucun instrument,
dit Gevaert, n’est comparable
aux F. pour la facilité d’émission. »
Gammes, traits, trilles, répercussion
d’un même son par le
double coup de langue, sauts obtenus
malgré les mouvements les plus
rapides, toutes les formules mélodiques
du style le plus léger et le plus fleuri
sont possibles à un habile soliste ; aussi
en a-t-on souvent quelque peu abusé.
On construit en France, de préférence,
les F. en métal, et souvent en argent ;
les pays étrangers en fabrique beaucoup
en bois, avec tête de métal ; on
en a fait en cristal, en ivoire et même
en marbre, qui sont des curiosités de
facture. Plusieurs modèles existent,
nommés, d’après leur son le plus grave,
F. en ut, en ré bémol, en mi bémol, en
fa. Le type principal est presque le
seul employé de nos jours est la F. en
ut, autrefois dite en ré, lorsque son
étendue au grave ne comprenait pas
encore le son fondamental qui la dénomme
aujourd’hui.
Elle fournit l’échelle chromatique des trois octaves à partir de l’ut central : | |
Une nouvelle clef récemment ajoutée permet de produire le si bémol, un ton plus bas que cet ut. |
On note la partie de F. en notes réelles, en clef de sol 2e ligne. Dans les anciennes partitions, on la trouve souvent écrite en clef de sol 1re ligne. La F. alto, construite par Th. Bœhm a pour son fondamental le sol, une quarte au-dessous de l’ut ; son emploi, que justifierait l’intensité de sa sonorité au grave, est demeuré très rare. Rimsky-Korsakow en a fait usage dans Mlada (1892) et dans la 2e version de La Pskovitaine. En général, le timbre de la F. passe pour « froid », et on ne peut, en effet, lui demander en aucun cas les effets d’émotion pathétiques où excelle la clarinette. Mais cette froideur même a servi les desseins des maîtres, lorsqu’ils se sont proposé d’exprimer la plénitude d’un sentiment de douce sérénité, comme Gluck, dans la scène des Champs-Élysées, d’Orphée (1774) :
ou de peindre l’atmosphère vaporeuse
d’un paysage antique, comme
Debussy dans le Prélude à l’après-midi
d’une faune (1892) :
Wagner s’est relativement assez peu servi du timbre de la F. ; Verdi, en le mettant en évidence dans la scène du temple, d’Aïda (1871), a visé à la couleur locale ou à la reconstitution historique. D’autres maîtres ont demandé et obtenu de la F. les effets les plus séduisants de coquetterie et de volubilité ; le scherzo du Songe d’une nuit d’été, de Mendelssohn (1845), la danse des jeunes Amalécites, dans L’Enfance du Christ, de Berlioz (1854), en sont des exemples connus. La petite F., dite en ital. F. piccolo, ou ottavino, sonne à l’octave de la F. C’est l’instrument le plus aigu de l’orchestre moderne. Elle fournit une étendue chromatique de 2 octaves et une sixte, dont les derniers sons, stridents et durs, prêtent aux intentions descriptives bruyantes, aux scènes fantastiques, etc., et s’associent, dans les plus violents crescendos, aux sonorités bruyantes des instruments de percussion. Elle remplace actuellement le fifre, dans les bandes militaires des nations qui associaient autrefois cet instrument au tambour, et notam- ment en Allemagne et en Angleterre. Des bandes spéciales de petites et grandes F. existent dans l’armée britannique, où elles exécutent des airs nationaux et militaires à trois parties. L’effet réel d’un de ces morceaux sonne à l’octave supérieure de la notation :
De nombreuses méthodes de F. ont été publiées, depuis le xviie siècle : celles de Furstenau, de Hotteterre (avant 1707), de Devienne ont été longtemps les plus estimées. || Dans l’orgue, le nom de F. désigne, avec de grandes variétés de compléments, une série de jeux dont le timbre se rapproche plus ou moins de celui des F. d’orchestre. Le jeu dit simplement jeu de F. est formé de tuyaux ouverts à bouche, à grand diamètre, en 4 ou 8 pieds, ayant toute l’étendue du clavier. La F. principale de 8 pieds est d’une sonorité joyeuse ; la F. douce de 4 et 8 pieds, en tuyaux de bois, se distingue, comme son nom l’indique, par sa sonorité veloutée ; la F. harmonique et la F. traversière, également en bois, octavient ; la F. creuse quintoye et fournit des sons graves et adoucis ; la F. à fuseau, la F. à cheminée, sont ainsi nommées de la forme de leurs tuyaux ; le flageolet, le flautino, le flauto piccolo imitent les sons aigus de la petite F. ; le jeu intitulé unda maris est un jeu de F. ondulant. Les orgues modernes allemandes, américaines, anglaises baptisent des noms de clarabella, melodia, melodica, philomela, F. d’amour, F. amabile, des variétés plus ou moins distinctes des mêmes jeux ; on désigne encore sous le nom de F. de concert ou F. viennoise un jeu de caractère brillant propre à la mélodie en solo. (Voy. Arigot, Fifre, Flageolet, Galoubet, Jeu, Orgue.)