Dictionnaire portatif de cuisine, d’office, et de distillation/SUCRE

inconnu
Lottin le Jeune (p. 693-696).

SUCRE : cette substance dont nous faisons un si grand usage, & que les anciens ne connoissoient pas, est le sel essentiel d’une canne, ou espece de roseau, qui croît naturellement dans l’Amérique : nous n’entrerons point ici dans le détail des préparations qu’on fait subir à cette substance, avant de nous la faire passer ; il nous suffira de dire ici, qu’on en distingue de deux especes, le brut & le raffiné. Les diverses préparations qu’on fait de ces deux especes, en sont encore du sucre candi, du sucre d’orge, & autres. Le sucre candi n’est autre chose que du sucre crystallisé par l’ébullition. Celui qui est blanc, se fait avec le sucre fin ; le jaune, avec la cassonade ; le rouge, avec la moscoüade. Dans les provinces du nord de la France, en Flandres, en Hollande, & autres pays du nord de l’Europe, on une beaucoup du sucre candi, parce qu’étant plus dur, il se fond lentement, & que la salive ayant le tems de s’en imprégner, il émousse l’acrimonie des phlegmes, incise & attenue l’humeur pituiteuse.

Le sucre d’orge se fait avec du sucre cuit sur un feu modéré, dans une décoction d’orge mêlée avec des blancs d’œufs fouettés qu’on écime bien. On passe ensuite ce sucre à la chauffe, & on le fait rebouillir, jusqu’à ce qu’il forme de larges bulles. On le verse ensuite sur une table de marbre, frotée legérement d’huile d’amandes douces. Lorsque les bulles cessent, & que les extrémités tendre à se rapprocher du centre de la masse ; alors on la roule en bâtons qu’on laisse refroidir & durcir.

Le sucre qu’on doit employer dans l’office, doit être le plus blanc & le plus net : il faut le choisir dur, sonnant, leger, & d’un goût agréable. Quand il est ainsi choisi, il faut moins de travail pour le clarifier. Si l’on se sert de cassonnade, quelque nette qu’elle soit, il faut la clarifier, & avec beaucoup d’attention.

On distingue environ quinze degrés de cuisson dans le sucre, dont le premier est la clarification, qui se fait ainsi. Fouettez un blanc d’œuf dans un demi-septier d’eau, pour cinq à six livres de sucre ; deux blancs d’œufs, dans chopine d’eau, pour dix à douze livres de sucre, & de même en proportion pour le plus ou le moins. Faites bouillir votre sucre jusqu’à ce qu’il ait monté à trois différentes reprises, en calmant l’ébullition par un peu d’eau que vous y mettrez à mesure qu’il montera. Retirez-le de dessus le feu ; laissez-le reposer, & l’écumez. Remettez-y un peu d’eau pour le faire rebouillir ; écumez-le encore, & le passez à l’étamine mouillée.

Comme la base de l’art de confire dépend des différens degrés de cuisson du sucre, nous les allons détailler, pour que rien n’arrête dans les procédés : nous commencerons par le sucre clarifié, parce que celui-là n’exige pas d’être clarifié.

Sucre grillé. Faites bouillir du sucre à grand feu, en le remuant avec un peu d’eau, jusqu’à ce qu’il soit de couleur de cannelle un peu pâle, pour vous en servir bien chaud. Si, par hazard, on avoit manqué une cuisson, on y remettroit un peu d’eau, & on feroit rebouillir le sucre jusqu’à ce qu’il fût revenu au degré qu’on veut.

Sucre au petit lissé. Faites-le clarifier, & bouillir ensuite jusqu’à ce qu’il forme un fil entre les doigts, qu’il se rompe & reste en goutte aux doigts entre lesquels on le presse.

Sucre au grand lissé. À ce degré il faut que le sucre, en le pressant entre les doigts, forme un fil plus fort que le précédent.

Sucre au petit perlé. À ce degré, votre sucre doit former entre les doigts un fil qui ne se rompe point, à quelque ouverture que soient le pouce & l’index entre lesquels on le presse.

Sucre au grand perlé. On connoît que le sucre est cuit au grand perlé, lorsque le bouillon forme des especes de perles rondes & élevées.

Sucre en petite queue de cochon. Pour connoître si le sucre est cuit à ce degré, il fait tremper l’écumoire dans le sucre bouillant : si le sucre, en retombant, se tortille, il est au degré qu’on cherche.

Sucre en grande queue de cochon. Le sucre est à ce degré, lorsqu’il tombe de l’écumoire, en faisant une plus grosse queue.

Sucre à soufflé. Pour voir si le sucre est cuit à soufflé, trempez l’écumoire dans la poële, & la secouez ; puis soufflez à travers : s’il s’envole par feuilles, il est au degré recherché ; s’il coule encore, il n’est pas suffisamment cuit.

Sucre à la plume. On connoît que le sucre est cuit à la plume, lorsqu’après quelques bouillons de plus que pour la cuisson précédente, en soufflant à travers l’écumoire, ou en secouant la spatule, les étincelles ou boules qui sortent des trous, ou se détachent de la spatule, sont plus grosses & s’élevent en haut.

Sucre à la grande plume. Lorsqu’après avoir essayé à plusieurs reprises le degré de cuisson, les bouteilles paroîtront plus grosses, & en plus grande quantité, de sorte qu’elles semblent se lier les unes aux autres ; alors votre sucre sera cuit à la grande plume.

Sucre au petit boulet. Pour connoître si le sucre est cuit à ce degré ; ayez un gobelet plein d’eau fraîche ; trempez-y vos doigts pour prendre du sucre. Remettez-les promptement dans l’eau. Si, en refroidissant, le sucre se roule & se manie comme la pâte, le sucre est cuit au petit boulet.

Sucre au gros boulet. Ce degré de diffère du précédent, que parce que le sucre roulé entre les doigts est plus ferme que le précédent.

Sucre au cassé. Pour s’assurer de ce degré de cuisson, il faut que le sucre qu’on aura roulé dans ses doigts, comme à la cuisson précédente, se casse net.

Sucre au caramel. On lui donne quelques bouillons de plus que celui au cassé, pour le mettre au degré du caramel. On peut éclaircir ce sucre, en y mettant du jus de citron. Il faut observer de l’arrêter au degré que nous venons de dire, sans quoi il brûleroit, & prendroit un goût âcre & désagréable.

Observation médecinale.

Cette substance végétale est adoucissante, calmante, stomachique, très-nourrissante ; facilite la digestion ; détruit les engorgemens & obstructions legeres. Son usage convient fort aux personnes sédentaires, à celles qui ne digerent pas bien, ni assez promptement ; aux gens sujets à des douleurs d’estomac, des intestins ; aux fiévres, aux maladies putrides, à la pituite épaissie dans la poumons, & à la toux.