Dictionnaire philosophique/portatif - 6e ed. - Londres (1767)/Arius

ARIUS


Voici une question incompréhensible qui a éxercé depuis plus de seize cents ans la curiosité, la subtilité sophistique, l’aigreur, l’esprit de cabale, la fureur de dominer, la rage de persécuter, le fanatisme aveugle & sanguinaire, la crédulité barbare ; & qui a produit plus d’horreurs que l’ambition des princes qui pourtant en a produit beaucoup. Jésus est-il verbe ? S’il est verbe est-il émané de Dieu dans le temps ou avant le temps ? S’il est émané de Dieu est-il coéternel & consubstantiel avec lui ? Ou est-il d’une substance semblable ? Est-il distinct de lui ou ne l’est-il pas ? Est-il fait ou engendré ? Peut-il engendrer à son tour ? A-t-il la paternité ou la vertu productive sans paternité ? Le St. Esprit est-il fait, ou engendré, ou produit, ou procédant du père, ou procédant du fils, ou procédant de tous les deux ? Peut-il engendrer, peut-il produire ? Son hypostase est-elle consubstantielle avec l’hypostase du pere & du fils ? Et comment ayant précisément la même nature, la même essence que le père & le fils peut-il ne pas faire les mêmes choses que ces deux personnes qui sont lui-même.

Je n’y comprends rien assurément ; personne n’y a jamais rien compris ; & c’est la raison pour laquelle on s’est égorgé.

On sophistiquait, on ergotait, on se haïssait, on s’excommuniait chez les chrétiens pour quelques-uns de ces dogmes inaccessibles à l’esprit humain avant les temps d’Arius & d’Athanase. Les Grecs Égyptiens étaient d’habiles gens, ils coupaient un cheveu en quatre, mais cette fois-ci ils ne le coupèrent qu’en trois. Alexandros Évêque d’Alexandrie s’avise de prêcher que Dieu étant nécessairement individuel simple une monade dans toute la rigueur du mot, cette monade est trine.

Le Prêtre Arios ou Arious, que nous nommons Arius est tout scandalisé de la monade d’Alexandros ; il explique la chose différemment, il ergote en partie comme le Prêtre Sabellious, qui avait ergoté comme le phrygien Praxeas grand ergoteur. Alexandros assemble vite un petit Concile de gens de son opinion, & excommunie son Prêtre. Eusébios Évêque de Nicomédie prend le parti d’Arios, voilà toute l’Église en feu.

L’Empereur Constantin était un scélérat, je l’avoue, un parricide qui avait étouffé sa femme dans un bain, égorgé son fils, assassiné son beau père, son beaufrère & son neveu, je ne le nie pas ; un homme bouffi d’orgueil & plongé dans les plaisirs, je l’accorde ; un détestable tyran ainsi que ses enfans, transeat : mais il avait du bon sens. On ne parvient point à l’empire, on ne subjugue pas tous ses rivaux sans avoir raisonné juste.

Quand il vit la guerre civile des cervelles scolastiques allumée, il envoya le célèbre Évêque Ozius avec des lettres déhortatoires aux deux parties belligérantes. Vous êtes de grands fous, (leur dit-il expressément dans sa lettre) de vous quereller pour des choses que vous n’entendez pas. Il est indigne de la gravité de vos ministères, de faire tant de bruit sur un sujet si mince.

Constantin n’entendait pas par mince sujet ce qui regarde la divinité ; mais la manière incompréhensible dont on s’efforçait d’expliquer la nature de la divinité. Le Patriarche Arabe qui a écrit l’Histoire de l’Église d’Aléxandrie fait parler ainsi Ozius en présentant la lettre de l’empereur.

« Mes frères, le Christianisme commence à peine à jouir de la paix, & vous allez le plonger dans une discorde éternelle. L’Empereur n’a que trop raison de vous dire que vous vous querellez pour un sujet fort mince. Certainement si l’objet de la dispute était essentiel, Jesus-Christ que nous reconnaissons tous pour notre législateur en aurait parlé ; Dieu n’aurait pas envoyé son fils sur la terre pour ne nous pas apprendre notre catéchisme. Tout ce qu’il ne nous a pas dit expressément est l’ouvrage des hommes, & l’erreur est leur partage. Jésus vous a commandé de vous aimer, & vous commencez par lui désobéïr en vous haïssant, en excitant la discorde dans l’Empire. L’orgueil seul fait naître les disputes, & Jésus votre maître vous a ordonné d’être humbles. Personne de vous ne peut savoir si Jésus est fait ou engendré. Et que vous importe sa nature pourvu que la vôtre soit d’être justes & raisonnables ? qu’a de commun une vaine science de mots avec la morale qui doit conduire vos actions ? Vous chargez la doctrine de mystères, vous qui n’êtes faits que pour affermir la religion par la vertu. Voulez-vous que la Religion Chrétienne ne soit qu’un amas de sophismes ? est-ce pour cela que le Christ est venu ? Cessez de disputer, adorez, édifiez, humiliez vous, nourrissez les pauvres, appaisez les querelles des familles au lieu de scandaliser l’Empire entier par vos discordes. »

Ozius parlait à des opiniâtres. On assembla le Concile de Nicée, & il y eut une guerre civile de trois cent années dans l’Empire Romain. Cette guerre en amena d’autres, & de siécle en siécle on s’est persécuté mutuellement jusqu’à nos jours.


Section Seconde.

S’il y a des Athées, à qui doit-on s’en prendre, sinon aux tyrans mercenaires des ames qui en nous révoltant contre leurs fourberies, forcent quelques esprits faibles à nier le Dieu que ces monstres déshonorent ? Combien de fois les sangsues du peuple ont-ils porté les citoyens accablés jusqu’à se révolter contre le Roi ! (Voyez fraude.)

Des hommes engraissés de notre substance nous crient : soyez persuadés qu’une ânesse a parlé ; croyez qu’un poisson a avalé un homme & l’a rendu au bout de trois jours sain & gaillard sur le rivage ; ne doutez pas que le Dieu de l’univers n’ait ordonné à un Prophête Juif de manger de la merde, & à un autre. (Ezéchiel) Prophête d’acheter deux putains, & de leur faire des fils de putains. (Osée) Ce sont les mots qu’on fait prononcer au Dieu