Dictionnaire philosophique/La Raison par alphabet - 6e ed. - Cramer (1769)/Secte

Cramer (Tome 2p. 153-157).

SECTE.



Toute secte, en quelque genre que ce puisse être est le ralliement du doute & de l’erreur. Scotistes, Thomistes, Réaux, Nominaux, Papistes, Calvinistes, Molinistes, Jansénistes, ne sont que des noms de guerre.

Il n’y a point de secte en géométrie ; on ne dit point un Euclidien, un Archimédien.

Quand la vérité est évidente, il est impossible qu’il s’élève des partis & des factions. Jamais on n’a disputé s’il fait jour à midi.

La partie de l’astronomie qui détermine le cours des astres & le retour des éclipses, étant une fois connue il n’y a plus de dispute chez les astronomes.

On ne dit point en Angleterre, Je suis Newtonien, je suis Lockien, Halleyen ; pourquoi ? parce que quiconque a lû, ne peut refuser son consentement aux vérités enseignées par ces trois grands hommes. Plus Newton est révéré, moins on s’intitule Newtonien ; ce mot supposerait qu’il y a des anti-Newtoniens en Angleterre. Nous avons peut-être encor quelques Cartésiens en France ; c’est uniquement parce que le systême de Descartes est un tissu d’imaginations erronées, & ridicules.

Il en est de même dans le petit nombre de vérités de fait qui sont bien constatées. Les actes de la Tour de Londres ayant été autentiquement recueillis par Rymer, il n’y a point de Rymériens, parce que personne ne s’avise de combattre ce recueil. On n’y trouve ni contradictions, ni absurdités, ni prodiges, rien qui révolte la raison, rien, par conséquent, que des sectaires s’efforcent de soutenir ou de renverser par des raisonnements absurdes. Tout le monde convient donc que les actes de Rymer sont dignes de foi.

Vous êtes mahométan, donc il y a des gens qui ne le sont pas, donc vous pourriez bien avoir tort.

Quelle serait la Religion véritable, si le Christianisme n’existait pas ? c’est celle dans laquelle il n’y a point de sectes ; celle dans laquelle tous les esprits s’accordent nécessairement.

Or, dans quel dogme tous les esprits se sont-ils accordés ? Dans l’adoration d’un Dieu & dans la probité. Tous les philosophes de la terre qui ont eu une religion, dirent dans tous les tems, Il y a un Dieu, & il faut être juste. Voilà donc la religion universelle établie dans tous les tems & chez tous les hommes.

Le point dans lequel ils s’accordent tous est donc vrai, & les systêmes par lesquels ils diffèrent, sont donc faux.

Ma secte est la meilleure, me dit un brame ; mais, mon ami, si ta secte est bonne, elle est nécessaire ; car si elle n’était pas absolument nécessaire, tu m’avoueras qu’elle serait inutile ; si elle est absolument nécessaire, elle l’est à tous les hommes ; comment donc se peut-il faire que tous les hommes n’ayent pas ce qui leur est absolument nécessaire ? Comment se peut-il que le reste de la terre se moque de toi & de ton Brama ?

Lorsque Zoroastre, Hermès, Orphée, Minos, & tous les grands-hommes disent, Adorons Dieu, & soyons justes, personne ne rit ; mais toute la terre siffle celui qui prétend qu’on ne peut plaire à Dieu, qu’en tenant à sa mort une queuë de vache, & celui qui veut qu’on se fasse couper un bout de prépuce, & celui qui consacre des crocodiles & des oignons, & celui qui attache le salut éternel à des os de morts qu’on porte sous sa chemise, ou à une indulgence plénière qu’on achète à Rome pour deux sous & demi.

D’où vient ce concours universel de risée & de sifflets d’un bout de l’univers à l’autre ? Il faut bien que les choses dont tout le monde se moque, ne soient pas d’une vérité bien évidente. Que dirions-nous d’un secrétaire de Séjan, qui dédia à Pétrone un livre d’un stile ampoulé, intitulé, La Vérité des oracles sibyllins prouvée par les faits ?

Ce secrétaire vous prouve d’abord qu’il était nécessaire que Dieu envoyât sur la terre plusieurs sibylles l’une après l’autre ; car il n’avait pas d’autres moyens d’instruire les hommes. Il est démontré que Dieu parlait à ces sibylles : car le mot de sibylle signifie conseil de Dieu. Elles devaient vivre longtems ; car c’est bien le moins que des personnes à qui Dieu parle, aient ce privilège. Elles furent au nombre de douze, car ce nombre est sacré. Elles avaient certainement prédit tous les événements du monde, car Tarquin le superbe acheta trois de leurs livres cent écus d’une vieille. Quel incrédule, ajoute le secrétaire, osera nier tous ces faits évidents qui se sont passés dans un coin à la face de toute la terre ? Qui pourra nier l’accomplissement de leurs prophéties ? Virgile lui-même n’a-t-il pas cité les prédictions des sibylles ? Si nous n’avons pas les premiers exemplaires des livres sibyllins, écrits dans un tems où l’on ne savait ni lire ni écrire, n’en avons-nous pas des copies authentiques ? Il faut que l’impiété se taise devant ces preuves. Ainsi parlait Houtevillus à Séjan. Il espérait avoir une place d’augure qui lui vaudrait cinquante mille livres de rente, & il n’eut rien.

Ce que ma secte enseigne est obscur, je l’avoue, dit un fanatique : & c’est en vertu de cette obscurité qu’il faut la croire ; car elle dit elle-même qu’elle est pleine d’obscurités. Ma secte est extravagante, donc elle est divine ; car comment ce qui paraît si fou aurait-il été embrassé par tant de peuples s’il n’y avait pas du divin ? C’est précisément comme l’Alcoran que les Sonnites disent avoir un visage d’ange & un visage de bête ; ne soyez pas scandalisés du mufle de la bête, & révérez la face de l’ange. Ainsi parle cet insensé ; mais un fanatique d’une autre secte répond à ce fanatique, C’est toi qui es la bête, & c’est moi qui suis l’ange.

Or, qui jugera ce procès ? Qui décidera entre ces deux énergumènes ? L’homme raisonnable, impartial, savant d’une science qui n’est pas celle des mots ; l’homme dégagé des préjugés & amateur de la vérité & de la justice ; l’homme enfin qui n’est pas bête, & qui ne croit point être ange.