Dictionnaire philosophique/La Raison par alphabet - 6e ed. - Cramer (1769)/Batême

Cramer (Tome 1p. 73-77).

BATÊME



Baptême, mot grec qui signifie immersion. Les hommes qui se conduisent toûjours par les sens, imaginèrent aisément que ce qui lavait le corps, lavait aussi l’ame. Il y avait de grandes cuves dans les souterrains des temples d’Égypte pour les prêtres & pour les initiés. Les Indiens de tems immémorial se sont purifiés dans l’eau du Gange, & cette cérémonie est encor fort en vogue. Elle passa chez les Hébreux ; on y batisait tous les étrangers qui embrassaient la loi Judaïque, & qui ne voulaient pas se soumettre à la circoncision, les femmes surtout, à qui on ne faisait pas cette opération, & qui ne la subissaient qu’en Éthiopie, étaient baptisées ; c’était une régénération ; cela donnait une nouvelle ame, ainsi qu’en Égypte. Voyez sur cela Épiphane, Maimonide, & la Gemmare.

Jean baptisa dans le Jourdain, & même il baptisa Jésus, qui pourtant ne baptisa jamais personne, mais qui daigna consacrer cette ancienne cérémonie. Tout signe est indifférent par lui-même, & Dieu attache sa grace au signe qu’il lui plaît de choisir. Le Batême fut bientôt le premier rite & le sceau de la religion chrétienne. Cependant, les quinze premiers Évêques de Jérusalem furent tous circoncis, il n’est pas sûr qu’ils fussent baptisés.

On abusa de ce sacrement dans les premiers siècles du christianisme ; rien n’était plus commun que d’attendre l’agonie pour recevoir le Batême. L’exemple de l’Empereur Constantin en est une assez bonne preuve. Voici comme il raisonnait. Le Batême purifie tout ; je peux donc tuer ma femme, mon fils & tous mes parents, après quoi je me ferai baptiser, & j’irai au ciel, comme de fait il n’y manqua pas. Cet exemple était dangereux ; peu à peu la coutume s’abolit d’attendre la mort pour se mettre dans le bain sacré.

Les Grecs conservèrent toûjours le Batême par immersion : les Latins vers la fin du huitième siècle, ayant étendu leur religion dans les Gaules & la Germanie, & voyant que l’immersion pouvait faire périr les enfans dans des pays froids, substituèrent la simple aspersion, ce qui les fit souvent anathématiser par l’Église grecque.

On demanda à St. Cyprien évêque de Carthage, si ceux-là étaient réellement baptisés, qui s’étaient fait seulement arroser tout le corps ? il répond dans sa 76e lettre, que plusieurs Églises ne croyaient pas que ces arrosés fussent chrétiens ; que pour lui il pense qu’ils sont chrétiens, mais qu’ils ont une grace infiniment moindre que ceux qui ont été plongés trois fois selon l’usage.

On était initié chez les chrétiens dès qu’on avait été plongé ; avant ce tems on n’était que catéchumène. Il fallait pour être initié avoir des répondants, des cautions, qu’on appelait d’un nom qui répond à parrains, afin que l’Église s’assurât de la fidélité des nouveaux chrétiens, & que les mystères ne fussent point divulgués. C’est pourquoi dans les premiers siècles, les gentils furent généralement aussi mal instruits des mystères des chrétiens, que ceux-ci l’étaient des mystères d’Isis & d’Éleusine.

Cyrille d’Alexandrie, dans son écrit contre l’empereur Julien, s’exprime ainsi ; Je parlerais du Batême si je ne craignais que mon discours ne parvînt à ceux qui ne sont pas initiés.

Dès le second siècle, on commença à batiser des enfans ; il était naturel que les chrétiens désirassent que leurs enfans, qui auraient été damnés sans ce sacrement, en fussent pourvûs. On conclut enfin qu’il fallait le leur administrer au bout de huit jours, parce que chez les Juifs c’était à cet âge qu’ils étaient circoncis. L’Église Grecque est encor dans cet usage. Cependant au troisième siècle la coutume l’emporta de ne se faire batiser qu’à la mort.

Ceux qui mouraient dans la première semaine étaient damnés, selon les Pères de l’Église les plus rigoureux. Mais Pierre Chrisologue au cinquième siècle, imagina les limbes, espèce d’enfer mitigé, & proprement bord d’enfer, faubourg d’enfer, où vont les petits enfans morts sans Batême, & où étaient les patriarches avant la descente de Jésus-Christ aux enfers. De sorte que l’opinion que Jésus-Christ était descendu aux limbes, & non aux enfers, a prévalu depuis.

Il a été agité, si un chrétien dans les déserts d’Arabie pouvait être baptisé avec du sable ; on a répondu que non : si on pouvait baptiser avec de l’eau-rose, & on a décidé qu’il fallait de l’eau pure, que cependant on pouvait se servir d’eau bourbeuse. On voit aisément que toute cette discipline a dépendu de la prudence des premiers pasteurs qui l’ont établie.


Idée des unitaires rigides sur le Batême.

« Il est évident pour quiconque veut raisonner sans préjugé, que le batême n’est ni une marque de grace conférée, ni un sceau d’alliance, mais une simple marque de profession.

« Que le batême n’est nécessaire, ni de nécessité de précepte, ni de nécessité de moyen.

« Qu’il n’a point été institué par Jésus-Christ, & que le chrétien peut s’en passer sans qu’il puisse en résulter pour lui aucun inconvénient.

« Qu’on ne doit pas baptiser les enfans ni les adultes, ni en général aucun homme.

« Que le baptême pouvait être d’usage dans la naissance du christianisme à ceux qui sortaient du paganisme, pour rendre publique leur profession de foi, & en être la marque authentique, mais qu’à présent il est absolument inutile & tout à fait indifférent. »

(Tiré du Dictionnaire encyclopédique à l’article des Unitaires.)

Addition importante.

L’Empereur Julien le philosophe dans son immortelle Satire des Césars, met ces paroles dans la bouche de Constance fils de Constantin : « Quiconque se sent coupable de viol, de meurtre, de rapine, de sacrilège, & de tous les crimes les plus abominables, dès que je l’aurai lavé avec cette eau, il sera net & pur. »

C’est en effet cette fatale doctrine qui engagea tous les Empereurs chrétiens & tous les grands de l’empire à différer leur batême jusqu’à la mort. On croyait avoir trouvé le secret de vivre criminel & de mourir vertueux.

(Tiré de Mr. Boulanger.)
Autre addition.

Quelle étrange idée tirée de la lessive qu’un pot d’eau nettoie tous les crimes ! aujourd’hui qu’on batise tous les enfans, parce qu’une idée non moins absurde les supposa tous criminels, les voilà tous sauvés jusqu’à ce qu’ils aient l’âge de raison & qu’ils puissent devenir coupables. Égorgez-les donc au plus vîte pour leur assurer le paradis. Cette conséquence est si juste qu’il y a eu une secte dévote qui s’en allait empoisonnant ou tuant tous les petits enfans nouvellement baptisés. Ces dévots raisonnaient parfaitement. Ils disaient : « Nous faisons à ces petits innocens le plus grand bien possible. Nous les empêchons d’être méchants & malheureux dans cette vie, & nous leur donnons la vie éternelle. »

(de Mr. l’abbé Nicaise.)