Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Enfers

Éd. Garnier - Tome 18
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ENFERS[1].

Notre confrère qui a fait l’article Enfer n’a pas parlé de la descente de Jésus-Christ aux enfers ; c’est un article de foi très-important : il est expressément spécifié dans le symbole dont nous avons déjà parlé[2]. On demande d’où cet article de foi est tiré, car il ne se trouve dans aucun de nos quatre Évangiles ; et le symbole intitulé des apôtres n’est, comme nous l’avons observé, que du temps des savants prêtres Jérôme, Augustin et Rufin,

On estime que cette descente de notre Seigneur aux enfers est prise originairement de l’Évangile de Nicodème, l’un des plus anciens.

Dans cet Évangile, le prince du Tartare et Satan, après une longue conversation avec Adam, Énoch, Élie le Thesbite, et David, « entendent une voix comme le tonnerre, et une voix comme une tempête. David dit au prince du Tartare : Maintenant, très-vilain et très-sale prince de l’enfer, ouvre tes portes, et que le roi de gloire entre, etc. Disant ces mots au prince, le Seigneur de majesté survint en forme d’homme, et il éclaira les ténèbres éternelles, et il rompit les liens indissolubles ; et, par une vertu invincible, il visita ceux qui étaient assis dans les profondes ténèbres des crimes, et dans l’ombre de la mort des péchés[3]. »

Jésus-Christ parut avec saint Michel ; il vainquit la Mort ; il prit Adam par la main ; le bon larron le suivait portant sa croix. Tout cela se passa en enfer en présence de Carinus et de Lenthius, qui ressuscitèrent exprès pour en rendre témoignage aux pontifes Anne et Caïphe, et au docteur Gamaliel, alors maître de saint Paul.

Cet Évangile de Nicodème n’a depuis longtemps aucune autorité. Mais on trouve une confirmation de cette descente aux enfers dans la première Épître de saint Pierre, à la fin du chapitre iii : « Parce que le Christ est mort une fois pour nos péchés, le juste pour les injustes, afin de nous offrir à Dieu, mort à la vérité en chair, mais ressuscité en esprit, par lequel il alla prêcher aux esprits qui étaient en prison. »

Plusieurs Pères ont eu des sentiments différents sur ce passage, mais tous convinrent qu’au fond Jésus était descendu aux enfers après sa mort. On fit sur cela une vaine difficulté. Il avait dit sur la croix au bon larron : « Vous serez aujourd’hui avec moi en paradis. » Il lui manqua donc de parole en allant en enfer. Cette objection est aisément répondue en disant qu’il le mena d’abord en enfer et ensuite en paradis.

Eusèbe de Césarée dit[4] que « Jésus quitta son corps sans attendre que la Mort le vînt prendre ; qu’au contraire, il prit la Mort toute tremblante, qui embrassait ses pieds, et qui voulait s’enfuir ; qu’il l’arrêta, qu’il brisa les portes des cachots où étaient renfermées les âmes des saints ; qu’il les en tira, les ressuscita, se ressuscita lui-même, et les mena en triomphe dans cette Jérusalem céleste, laquelle descendait du ciel toutes les nuits, et fut vue par saint Justin ».

On disputa beaucoup pour savoir si tous ces ressuscités moururent de nouveau avant de monter au ciel. Saint Thomas assure dans sa Somme[5] qu’ils remoururent. C’est le sentiment du fin et judicieux Calmet. « Nous soutenons, dit-il dans sa dissertation sur cette grande question, que les saints qui ressuscitèrent après la mort du Sauveur moururent de nouveau pour ressusciter un jour. »

Dieu avait permis auparavant que les profanes Gentils imitassent par anticipation ces vérités sacrées. La fable avait imaginé que les dieux ressuscitèrent Pélops ; qu’Orphée tira Eurydice des enfers, du moins pour un moment ; qu’Hercule en délivra Alceste ; qu’Esculape ressuscita Hippolyte, etc., etc. Distinguons toujours la fable de la vérité, et soumettons notre esprit dans tout ce qui l’étonne, comme dans ce qui lui paraît conforme à ses faibles lumières.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
  2. À l’article Hérésie, section ire, publié dès 1771 et à l’article Symbole, publié en 1772, dans le même volume que l’article Enfers ; ce dernier toutefois n’était qu’un supplément. Voyez aussi le chapitre x de l’Examen important de milord Bolingbroke (Mélanges, année 1767). (B.)
  3. Voyez le paragraphe xxi de l’Évangile de Nicodème, dans la Collection d’anciens évangiles (Mélanges, année 1769). (B.)
  4. Évangile, chapitre ii. (Note de Voltaire.)
  5. IIIe part., quest. liii. (Note de Voltaire.)


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