Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Charles IX

Éd. Garnier - Tome 18
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CHARLES IX[1].

Charles IX, roi de France, était, dit-on, un bon poëte. Il est sûr que ses vers étaient admirables de son vivant. Brantôme ne dit pas, à la vérité, que ce roi fût le meilleur poëte de l’Europe ; mais il assure qu’il « faisoit des quadrains fort gentiment, prestement, et in promptu, sans songer, comme j’en ay veu plusieurs... quand il faisoit mauvais temps, ou de pluye ou d’un extrême chaud, il envoyoit quérir messieurs les poëtes en son cabinet, et là passoit son temps avec eux, etc.[2] »

S’il avait toujours passé son temps ainsi, et surtout s’il avait fait de bons vers, nous n’aurions pas eu la Saint-Barthélemy ; il n’aurait pas tiré de sa fenêtre avec une carabine sur ses propres sujets[3] comme sur des perdreaux. Ne croyez-vous pas qu’il est impossible qu’un bon poëte soit un barbare ? Pour moi, j’en suis persuadé.

On lui attribue ces vers, faits en son nom pour Ronsard :

Ta lyre qui ravit par de si doux accords,
Te soumet les esprits dont je n’ai que les corps ;
Le maître elle l’en rend, et te sait introduire
Où le plus fier tyran ne peut avoir d’empire.

Ces vers sont bons, mais sont-ils de lui ? Ne sont-ils pas de son précepteur ? En voici de son imagination royale, qui sont un peu différents :

Il faut suivre ton roi qui l’aime par sus tous,
Pour les vers qui de toi coulent braves et doux ;
Et crois, si tu ne viens me trouver à Pontoise,
Qu’entre nous adviendra une très-grande noise.

L’auteur de la Saint-Barthélemy pourrait bien avoir fait ceux-là. Les vers de César sur Térence sont écrits avec un peu plus d’esprit et de goût. Ils respirent l’urbanité romaine. Ceux de François Ier et de Charles IX se ressentent de la grossièreté welche. Plût à Dieu que Charles IX eût fait plus de vers, même mauvais ! Une application constante aux arts aimables adoucit les mœurs.

Emollit mores, nec sinit esse feros.

(Ovid., II, de Ponto, ix, 48.)

Au reste, la langue française ne commença à se dérouiller un peu que longtemps après Charles IX. Voyez les lettres qu’on nous a conservées de François Ier. Tout est perdu fors l’honneur[4] est d’un digne chevalier ; mais en voici une qui n’est ni de Cicéron, ni de César.

« Tout à steure ynsi que je me volois mettre o lit est arrivé Laval, qui m’a aporté la serteneté du lèvement du siége. »

Nous avons quelques lettres de la main de Louis XIII, qui ne sont pas mieux écrites. On n’exige pas qu’un roi écrive des lettres comme Pline, ni qu’il fasse des vers comme Virgile ; mais personne n’est dispensé de bien parler sa langue. Tout prince qui écrit comme une femme de chambre a été fort mal élevé.


  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)
  2. Brantôme, Vie des hommes illustres, etc., discours lxxxviii.
  3. Cette circonstance horrible de la vie de Charles IX, révoquée en doute par quelques personnes, surtout depuis qu’on a abattu le poteau qui avait été mal placé sur le quai du Louvre, est rapportée par Brantôme. Voyez tome IX, page 427 de l’édition de 1740 des Œuvres de cet auteur. (B.)
  4. On attribue faussement à François Ier ce billet laconique : Madame, tout est perdu, fors l’honneur, qu’il aurait écrit à la duchesse d’Angoulême, sa mère, après la défaite de Pavie, le 24 février 1525. Voici le véritable texte de la seule lettre qu’il lui adressa. Elle est datée du 10 novembre 1525, et fut apportée de la citadelle de Pizzighitone, où il était détenu, par Nicolas Ladam, roi d’armes de Charles-Quint :

    « Pour vous advertir comment se porte le ressort de mon infortune, de toutes choses ne m’est demouré que l’honneur et la vie, qui est sauve, et sera que, en notre adversité, cette nouvelle vous fera quelque peu de réconfort.

    « J’ai prié qu’on me laissât vous escripre ces lettres, ce qu’on m’a agréablement accordé, vous suppliant ne volloir prendre l’extrémité vous-meismes, en usant de vostre accoustumée prudence : car j’ai espoir en la fin que Dieu ne m’abandonnera point ; vous recommandant vos petits-enfants et les miens ; vous suppliant faire donner leur passage pour aller, et le retour en Espagne à ce porteur qui va vers l’empereur pour savoir comme il faudra que je sois traité.

    « Et sur ce, très-humblement me recommande à votre bonne grâce.

    « Votre humble et obéissant fils,

    « François. »


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