Dictionnaire national et anecdotique par M. De l’Épithète/Section complète - P

P.

PAPIER-MONNOIE : tout le monde sait ce que c’est ; nos peres nous l’ont appris ; quelques vieillards pleurent encore lorsqu’ils en parlent ; les Anglo-Américains ont eu un papier-monnoie dans leur guerre avec les Anglo-Européens, & ils donnoient pour un dollard le billet qui en valoit dix. Malgré ces petites leçons, nous avons des gens qui soupirent après le papier-monnoie. C’est le seul moyen, vous disent-ils, de sauver la France, de ranimer le commerce & de vivifier tout ce qui est dans un état de mort… Ces bonnes gens, qu’ils connoissent peu ce dont nos agioteurs sont capables !… Écoutez sur-tout ce pauvre diable de rentier qui n’a que 45 liv. à recevoir, & à qui l’on présente un billet de caisse de 200 liv. : Ah ! Monsieur, s’écrie-t-il d’une voix que les sanglots étouffent ; ah ! Monsieur, si j’avois eu à vous rendre, je ne me serois pas traîné jusqu’ici. Pourquoi n’avez-vous pas fait de petits billets ? Je vais mourir de faim contre les vôtres. — Eh ! mon ami, c’est le repentir d’en avoir fait des gros qui nous empêche d’en faire des petits. Nous étions perdus si nous eussions commis cette bévue, & ce peu de monnoie de cuivre que l’avidité de nos marchands d’argent dédaigne, ils nous l’auroient enlevé. Nous étions sans espoir, au lieu que bientôt — que m’importe ton bientôt, répond l’homme aux 45 liv., si quand il arrivera je ne serai plus. La situation de ce bon homme consterne toute ame qui n’est point celle d’un marchand d’argent, mais les circonstances qui l’ont produite pouvoient en amener de pire encore.

PAROLE : dans l’ancien régime, le don de la parole étoit le don des phrases. Il y avoit des paroliers en titre d’office comme il y avoit des perruquiers. Ces ceux communautés avoient leurs jurés & leur tableau. On n’étoit retranché de celui des perruquiers qu’en cas de vente ou de décès, mais on rayoit du tableau des paroliers celui qui étoit parvenu à se rendre digne d’y être inscrit. Ce statut étoit bizarre ; cette communauté en avoit de plus bizarres encore, ne fût-ce que celui de se qualifier de corps.

Dans le nouveau régime, le don de la parole sera comme chez tous les peuples libres, le moyen qui conduira à tous les moyens ; & les François qui perfectionnent tout & n’inventent rien, à ce que disent les Anglois qui n’inventent plus, les François pousseront l’art de parler en public beaucoup plus loin que ne l’ont fait les Démosthenes & les Cicéron. Non-seulement les assemblées nationales, les communes auront les leurs ; mais encore il ne sera point de petite municipalité, de district de fauxbourg qui n’ait le sien. Autrefois nos vaudevilles couroient l’Europe, désormais ce sera nos discours qu’on exportera. Ce sera peut-être l’un & l’autre, car il n’est pas impossible de faire un discours en vaudevilles[1].

Demander la parole, avoir la parole, &c. Voyez Assemblée, Motion, &c.

PATRIE : quel mot autrefois ! & quel mot aujourd’hui ! Quand on sortoit du college, & de lire les belles harangues de Tite-Live, on avoit alors sur ce mot patrie à-peu-près la même idée que nous en avons aujourd’hui. Mais au bout de 20 ans qu’on s’étoit livré aux affaires & aux hommes qui les font, on se souvenoit de la patrie comme des bottes de sept lieues de l’ogre dont on avoit lu l’histoire en même temps que celle des romains. D’où venoit donc cette indifférence ? — D’où ? de ce que le mot de patrie n’étoit alors qu’un vain son ; parce qu’il n’y a point de Patrie où il y a des courtisans & des mangeurs de pension ; qu’il n’y a point de Patrie où il y a des courtisans & des mangeurs de pension ; qu’il n’y a point de patrie où il y a des bastilles ; qu’il n’y a point de patrie où il y a des Pret…s & des Parl…ts ; qu’il n’y a point de patrie enfin où il n’y a point de patrie. Mais aujourd’hui que nos courtisans sont épars comme nos pigeons, que les bastilles ne sont plus, que les Pret…s seront ce qu’ils doivent être, & que les Parl…ts ne feront plus ce qu’ils font encore, il y aura une patrie ; elle sera tout pour nous, nous serons tout pour elle. L’éducation de nos enfans sera patriotique, devenus hommes, ils seront comme leurs peres de zélés patriotes, & le derniers comme que peres & fils prononceront sera ce mot sacré de patrie.

PATRIOTE, substantif masculin & féminin : celui ou celle qui aime sa patrie & cherche à lui être utile. Nous allons avoir autant de patriotes que nous avions d’impatriotes.

PATRIOTIQUE, adj. : ce qui est du patriote, ce qui qualifie les actions du patriote. Voyez don patriotique, contribution patriotique, &c. Nous avons aussi des journaux soi-disans patriotiques, parce qu’ils font bâiller les patriotes ; & d’autres qui sont anti-patriotiques, pour égayer les aristogustins.

PENSION : dans l’ancien régime ce mot étoit employé au propre & au figuré. Dans la premiere acception, il signifioit une rente viagere dont l’intrigue avoit fait les fonds ; elle étoit souvent reservible sur une ou plusieurs têtes, car point d’hydre qui ait eu autant de têtes que l’intrigue.

Au figuré, pension étoit une récompense pécuniaire accordés pour ce qu’on appeloit alors services rendus à l’état. Cette définition est d’autant plus vraie, que dans les différentes listes qui ont été publiées on lit : pour raison de services, à M. de Saint-Maurice, 64,000 liv. ; à sir Henri-Léonard Tibern, 69,000 liv. ; à la veuve du général Blanckart, 42,000 liv., &c., &c., &c., & l’univers entier sait quelle a été l’importance des services de ces illustres pensionnés, ou de leurs ayant-causes. J’aime, par exemple, les service du ganaral Victor, ce sont de rudes services que ceux-là ! sur-tout les derniers qu’il a voulu nous rendre.

Les services de Humenil sont de plaisans services, & ceux d’Algier des services plaisans. Ceux du Tonnelier sont d’étranges services ; ceux du général la Croix de petits services, ceux du mestre-de-camp d’Havreville des services de toute espece, & ceux du Dalécarlien des services d’ami.

Frantoque n’ose parler des siens, je défie qu’on parle de ceux du Prétorien du Castille, & qu’on devine ceux du fils de la marquise d’Amasage. L’édile Négroni rougit des siens, & ce n’étoit pas avec de l’argent qu’il falloit reconnaître ceux d’Alexandre Colonna ou d’Auguste Sabotier. Le prince de Saint-Just, Raymond-Pierre, Guillaume de Combelle, le chevalier de Sainte-Beaume, lord Erard, sir Blacme, &c. soutiennent qu’on a joué un tour quand on leur a imputé des services. On me l’a joué aussi, s’écrie de Vaumont, car je n’ai jamais rien fait de ma vie. La fille de Latone n’en dit pas autant, ses services ont fait époque en France ; ils ont hâté la révolution. Cette femme, qui est une vraie baleine, eût avalé le trésor royal, comme celle de l’écriture avala Jonas ; mais celle-ci rendit, & les visceres de l’autre ne rendent rien. Il faut avouer que le pouvoir rémunératif a sur-passé à son égard la générosité des Césars, qui donnoient des royaumes à leurs favoris.

Cette longue liste de serviteurs, dont je n’ai cité que les plus méritans, coûtoit plus de neuf millions à l’état ; & le ratelier où ils venoient ruminer de l’or, étoit celui de la cour qu’on remplissoit de préférence.

Dans le nouveau régime, sans doute on pensionnera ; mais les bienfaits de la nation ne se répandront que sur des citoyens qui s’en seront rendus dignes. Une prodigalité absurde ne décrétera point de brevet de 80,000 livres. Cette somme qu’un courtisan recevoit avec dédain pour la partager avec une prostituée, cette somme sera répartie sur plusieurs familles qui l’emploieront à élever des citoyens à cette patrie qui les aura nourris.

En effet, la postérité aura peine à croire qu’il ait jamais existé des pensions au-dessus de 20,000 livres, puisqu’une pension est une récompense pécuniaire dont on gratifier un particulier pour améliorer sa fortune, & que 20,000 livres sont plus que suffisantes pour quelque particulier que ce soit, & dans quelque classe de citoyens qu’on le prenne. Quiconque désire davantage a des caprices ou des fantaisies à satisfaire ; & l’homme aux fantaisies n’est plus celui que la nation doit pensionner. Avec les 30,000 livres de ce fameux Jules, on eût récompensé seize Harné, quatre Bailly & autant de la Fayette.

POSER UNE QUESTION : voyez Assemblée.

Un président, bon poseur de question, est un homme rare dans un district ; on ne devroit jamais l’envoyer au Perron.

PRÉOPINANT : voyez Opinant.

PRÉALABLE : voyez Question.

PRÉSIDENT : l’ancien régime avoit bien des chanceliers & des vice-chanceliers ; mais il n’eût point de vice-président : ce vice de plus eût encore hâté la révolution.

On parvenoit à la présidence à force de sacs d’argent, parce que le sac d’argent investissoit alors de toutes les charges, depuis le président jusqu’à l’huissier à verge. Mais la fortune qui avoit l’espiéglerie des aveugles, mettoit quelquefois l’ame d’un recors dans l’embrion destiné à la présidence, & celle du président dans l’embrion plébéien. Indè. La charge du premier-président, sur-tout celle du parlement de Paris, étoit la plus belle de la haute robe. Cette place étoit rarement vacante, quoique très-difficile à remplir[2].

Depuis la révolution, nous avons des présidens dans toutes nos assemblées nationales ou citoyennes. Ces places sont électives, & c’est presque toujours le mérite qui est élu.

La plus belle, la plus ambitionnée des présidences est celle de l’assemblée nationale. Les noms de ceux qui en ont été revêtus passeront à la postérité pour être prononcés avec autant de reconnoissance que de vénération. Ceux-là seuls à qui le fauteuil a été fatal, ceux-là seuls frémissent de l’immortalité qui sera pour eux le réveil des réprouvés.

Les aristocrates qui ont faits de vains efforts pour se tapir dans ce fauteuil, se sont vengés de ceux qui l’ont occupé ou l’occupent avec distinction en essayant de les ridiculiser. Pour être président, ont-ils dit, on fera désormais preuve de force de poignet, parce que la sonnette est lourde, & qu’elle en faut autant que celui qui l’agite. Eh ! messieurs les railleurs, le renard des murs fut toujours l’emblême d’un sot gascon, dont les gascons mêmes se moquent ; personne n’est plus renard que vous, sur-tout depuis cette petite catastrophe qui vous est commune avec cet autre renard pris dans le piege dont parle la Fontaine.

PROCLAMATEURS : c’est le nom que doivent porter les colporteurs quand les municipalités seront organisées. Le nombre en sera fixé. Ils ne proclameront que les papiers qui leur seront indiqués par le comité de police, & ils auront une médaille où seront gravés les attributs de la liberté.

Proclamer : depuis la révolution, signifie crier, publier quelque chose.

Anecdote qui définit ce mot.

Un colporteur arrêté pour avoir crié l’ami du peuple, est conduit à la ville ; interrogé par le comité de police pourquoi il a proclamé cet écrit ? A répondu ne pas entendre ce qu’on lui demande ; on lui explique que proclamer veut dire crier dans les rues. — Messieurs, replique le colporteur, depuis que la proclamation des vieux chapeaux & de l’almanach de Liege ne va plus, je proclame des amis du peuple.

Il est vrai que dans l’ancien régime proclamer ne signifioit pas ce qu’il signifie au Perron. Mais un colporteur aujourd’hui, qui est un homme public, & dont les discours influent sur les opinion ; un colporteur, dis-je, doit être un homme instruit, & messieurs du Perron ont fort bien fait de le tancer.

PROVISOIRE : ce qui se fait par provision ou en attendant mieux. Ce mot est très-souvent mis en usage, & presqu’aussi heureusement que dans l’ancien régime, où vous aviez des arrêts provisoires qui vous pulvérisoient le fond comme la foudre de frêles atomes.

POUVOIR : puissance, force.

Pouvoir législatif : c’est la puissance qui fait les loix ; elle n’est rien sans le pouvoir exécutif, qui est la force qui soutient les loix & les fait observer. Dans l’ancien régime le pouvoir législatif ou éditif étoit si étroivement lié au pouvoir exécutif, qu’ils ne faisoient qu’un. Ils étoient dans une seule main ou plutôt dans un seul bras, tellement organisé, que quand la loi parloit, le bras se levoit ; & dans le cas où le bras se fût levé avant que la loi n’eût parlé, il y avoit une espece de détente, que l’œil seul de l’artiste appercevoit, avec laquelle on mettoit la loi en mouvement pour la faire parler, en raison du geste ou des gestes qu’avoit fait le bras. Cet heureux mécanisme étoit dû au cardinal de Richelieu, à qui le fameux pere Joseph en avoit découvert tous les développemens. Nous avons eu depuis quelques ministres, amis des arts, qui en ont fait le plus grand cas & l’usage le plus fréquent, sur-tout l’archevêque de S…s, car les prélats aiment les ressorts à la Richelieu. Lam…g…n, dont on auroit pu faire aussi un cardinal plus aisément qu’on n’en eût fait un homme de bien, Lam…g…n, à force de se servir de la machine l’a détraquée ; la révolution qu’il a hâtée & qui n’aime point les ressorts, a fini par tout briser ; elle a détaché les deux pouvoirs qui n’auroient jamais dû être unis. Le pouvoir législatif a été rendu à la nation à qui il appartenoit de droit, & l’exécutif est resté entre les mains du prince. Séparés l’un de l’autre, ces deux agens ont d’abord eu mille peines à marche de concert ; ils n’y marcheroient pas encore si le monarque ne s’étoit pas chargé personnellement de mette en action celui qui lui étoit confié. L’habitude avoit tellement gâté des ministres qu’ils vouloient toujours du ressort, quoique leur maître leur criât sans cesse qu’il ne vouloit que de la justice. Voilà quels ont été les motifs de ces retard qui ont tant fait bavarder les politiques de nos cafés, lorsque les décrets de l’assemblée nationale de parvenoient point à leur adresse ou demeuroient à poste restante.

Je trouve dans le dictionnaire raisonne de M…, que dans l’église le pouvoir législatif appartenoit à Saint-Pierre, comme prince des apôtres ; l’assertion, toute ultra-mondaine qu’elle soit, est lumineuse, & le lexicographe qui a le tic de parler latin, cite à ce sujet un aperiens Petrus os suum dixit[3], qui est pittoresque ; on croit voir encore au bout de dix-huit siecles l’apôtre qui ouvre la bouche & reste dans cette attitude. Le génie a une touche qui est à lui.

POUVOIR CONSTITUANT : c’est celui qui s’occupe ou a le droit de s’occuper de la constitution, c’est notre assemblée nationale ; il n’y a pas long-temps qu’on distingue ce pouvoir du législatif, dont il semble faire partie, cette distinction & autres semblables n’appartiennent qu’à la haute politique.

  1. L’auteur de ce dictionnaire a deviné nos talens ; car il vient de paroître un discours en vaudevilles sur la liberté, qu’on attribue à M. l’abbé Chaufet ; c’est la touche de Panard ; la musique est du virtuose M. l’abbé Multo. Note fournie par un des auteurs de l’Almanach des Muses.
  2. On divise les gens de robe en haute & basse robe. M. Roubaud, qui a fait quatre gros volumes de synonymes, qu’il travaille à réduire à un, a soutenu, dit-on, que pour parler conséquemment, il falloit dire votre hauteur, au lieu de votre grandeur, en parlant à la haute robe. Si la remarque étoit adoptée, il faudroit donc dire aussi votre bassesse, en parlant à la basse robe. C’est à l’usage, qui a l’empire des mots, à prononcer sur ces innovations.
  3. Pierre parla, on dit en ouvrant la bouche.