Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Secrets merveilleux

Henri Plon (p. 602-604).
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Secrets merveilleux. Faites tremper une graine quelconque dans la lie de vin, puis jetez-la aux oiseaux ; ceux qui en tâteront s’enivreront et se laisseront prendre à la main. Mangez à jeun quatre branches de rue, neuf grains de genièvre, une noix, une figue sèche et un peu de sel, pilés ensemble, vous vous maintiendrez en parfaite santé, dit le Petit Albert. Qu’on pile et qu’on prenne dans du vin une pierre qui se trouve dans la tête de quelques poissons, Avicenne dit qu’on guérira de la pierre. Mizaldus prétend que les grains d’aubépine, pris avec du vin blanc, guérissent de la gravelle. La grenouille des buissons, coupée et mise sur les reins, fait tellement uriner, si l’on en croit Cardan, que les hydropiques en sont souvent guéris.

Qu’on plume, qu’on brûle et qu’on réduise en poudre la tête d’un milan, qu’on en avale dans de l’eau autant qu’on peut en prendre avec trois doigts, Mizaldus promet qu’on guérira de la goutte. Cardan assure encore qu’une décoction de l’écorce du peuplier blanc, appliquée sur les membres souffrants, guérit la goutte sciatique. Wecker déclare qu’une tasse de thé guérit les morsures des vipères.

On voit dans Thiers qu’on fait sortir les ordures des yeux en crachant trois fois.

Ce ne sont là que des secrets de santé. Leloyer dit que, pour se garantir des enchantements, il faut cracher sur le soulier du pied droit, et qu’on se préserve des maléfices en crachant trois fois sur les cheveux qu’on s’arrache en se peignant, avant de les jeter à terre.

Un ancien assure qu’une vierge arrête la grêle en en mettant trois grains dans son sein. Nous entrons là dans les secrets plus mystérieux. On empêche un mari de dormir en mettant dans son lit un œuf d’hirondelle.

Mettez un œuf dans le vin : s’il descend de suite au fond, le vin est trempé ; s’il surnage, le vin est pur. Qu’on mêle l’herbe centaurée avec le sang d’une huppe femelle, et qu’on en mette dans une lampe avec de l’huile, tous ceux qui se trouveront présents se verront les pieds en l’air et la tête en bas. Si on en met au nez de quelqu’un, il s’enfuira et courra de toutes ses forces. Celui-ci est d’Albert le Grand, ou du moins du livre de secrets merveilleux qu’on lui attribue. Qu’on mette pourrir la sauge dans une fiole, sous du fumier, il s’en formera un ver qu’on brûlera. En jetant sa cendre au feu, elle produira un coup de tonnerre. Le même livre ajoute que, si on en mêle à l’huile de la lampe, toute la chambre semblera pleine de serpents.

La poudre admirable que les charlatans appellent poudre de perlimpinpin, et qui opère tant de prodiges, se fait avec un chat écorché, un crapaud, un lézard et un aspic, qu’on met sous de bonne braise jusqu’à ce que le tout soit pulvérisé[1]. On pourrait citer une foule de secrets pareils, car nous en avons de toutes les couleurs ; mais ceux qu’on vient de lire donnent une idée de la totalité. Voy. Charmes, Enchantements, Maléfices, Prières, Superstitions, etc.

Pline assure qu’un certain Babilius fit en six jours la traversée de la Sicile à Alexandrie, par la vertu d’une herbe dont il ne dit pas le nom. On cite d’autres voyageurs qui ont fait en un jour cent lieues à pied au moyen de la jarretière du bon voyageur. Voy. Jarretière.

Il y a des livres très-gros, uniquement consacrés aux formules des secrets dits naturels et des secrets dits magiques. Nous devons donner une idée textuelle de cette partie de l’encyclopédie infernale.

 
SECRETS DE L’ART MAGIQUE DU GRAND GRIMOIRE.
 

« Composition de mort, ou la pierre philosophale. — Prenez un pot de terre neuf, mettez-y une livre de cuivre rouge avec une demi-chopine d’eau-forte que vous ferez bouillir pendant une demi-heure : après quoi vous y mettrez trois onces de vert-de-gris que vous ferez bouillir une heure ; puis vous mettrez deux onces et demie d’arsenic que vous ferez bouillir une heure ; vous y mettrez trois onces d’écorce de chêne, bien pulvérisée, que vous laisserez bouillir une demi-heure, une potée d’eau rose bouillie douze minutes, trois onces de noir de fumée que vous laisserez bouillir jusqu’à ce que la composition soit bonne. Pour voir si elle est assez cuite, il faut y tremper un clou : si elle y prend, ôtez-la ; elle vous procurera une livre et demie de bon or ; et si elle ne prend point, c’est une preuve qu’elle n’est pas assez cuite ; la liqueur peut servir quatre fois.

 
 

» Pour faire la baguette divinatoire et la faire tourner. — Dès le moment que le soleil paraît sur l’horizon, vous prenez de la main gauche une baguette vierge de noisetier sauvage et la coupez de la droite en trois coups, en disant : Je te ramasse au nom d’Eloïm, Matrathon, Adonai et Semiphoras, afin que tu aies la vertu de la verge de Moïse et de Jacob, pour découvrir tout ce que je voudrai savoir. Et pour la faire tourner, il faut dire, la tenant serrée dans ses mains par les deux bouts qui font la fourche : Je te recommande au nom d’Eloïm, Matrathon, Adonài et Semiphoras, de me relever…

» Pour gagner toutes les fois qu’on met aux loteries. — Il faut, avant de se coucher, réciter trois fois cette oraison, après quoi vous la mettrez sous l’oreiller, écrite sur du parchemin vierge, sur lequel vous aurez fait dire une messe du Saint-Esprit…, et pendant le sommeil le génie de votre planète vient vous dire l’heure où vous devez prendre votre billet : Domine Jesu Christe, qui dixisti ego sum, via, veritas et vita, ecce enim veritatem dilexisti, incerta et occulta sapientiæ tuæ manifestasti mihi, adhuc quæ révélés in hac nocte sicut ita revelatum fuit parvulis solis, incognita et ventura unaque alia me doceas, ut possim omnia cognoscere, si et si sit ; ita monstra mihi montem ornatum omni vino bono, pulclirum et gratum pomarium, aut quamdam rem gratam, sin autem ministra mihi ignem ardentem, vel aquarum currentem, vel aliam quamcunque rem quæ Domino placeat, et vel Angeli Ariel, Rubiel et Barachiel sitis mihi multum amatores et factores ad opus istud obtinendum quod cupio scire, videre, cognoscere et prævidere per ilium Deum qui venturus est judicare vivos et mortuos, et sæculum per ignem. Amen. Vous direz trois Pater et trois Ave Maria pour les âmes du purgatoire…

» Pour charmer les armes à feu. — Il faut dire : — Dieu y ait part et le diable la sortie, — et lorsqu’on met en joue, il faut dire en croisant la jambe gauche sur la droite : — Non tradas Dominum nostrum Jesum Christum. Mathon. Amen…

» Pour parler aux esprits la veille de la Saint-Jean-Baptiste. — Il faut se transporter, de onze heures à minuit, près d’un pied de fougère, et dire : — Je prie Dieu que les esprits à qui je souhaite parler apparaissent à minuit précis. — Et aux trois quarts vous direz neuf fois ces cinq paroles : Bar, Kirabar, Alli, Alla-Tetragramaton.

» Pour se rendre invisible. — Vous volerez un chat noir, et vous achèterez un pot neuf, un miroir, un briquet, un pierre d’agate, du charbon et de l’amadou, observant d’aller prendre de l’eau au coup de minuit à une fontaine ; après quoi, allumez votre feu, mettez le chat dans le pot, et tenez le couvert de la main gauche sans bouger ni regarder derrière vous, quelque bruit que vous entendiez ; et, après l’avoir fait bouillir vingt-quatre heures, vous le mettez dans un plat neuf ; prenez la viande et la jetez par-dessus l’épaule gauche, en disant ces paroles : Accipe quod tibi do, et nihil amplius[2] ; puis vous mettrez les os un à un sous les dents du côté gauche, en vous regardant dans le miroir ; et si ce n’est pas le bon os, vous le jetterez de même, en disant les mêmes paroles jusqu’à ce que vous l’ayez trouvé, et sitôt que vous ne vous verrez plus dans le miroir, retirez-vous à reculons en disant : Pater, in manus tuas commendo spiriturn meum…

» Pour faire la jarretière de sept lieues par heure. — Vous achèterez un jeune loup au-dessous d’un an, que vous égorgerez avec un couteau neuf à l’heure de Mars, en prononçant ces paroles : Adhumalis cados ambulavit infortitudine cibi illius ; puis vous couperez sa peau en jarretières larges d’un pouce, et y écrirez dessus les mêmes paroles que vous avez dites en l’égorgeant, savoir, la première lettre de votre sang, la seconde de celui du loup, et immédiatement de même jusqu’à la fin de la phrase. Après qu’elle est écrite et sèche, il faut la doubler avec un padoue de fil blanc, et attacher deux rubans violets aux deux bouts pour la nouer du dessus au-dessous du genou ; il faut prendre garde qu’aucune femme ou fille ne la voie ; comme aussi la quitter avant de passer une rivière, sans quoi elle ne serait plus assez forte.

» Composition de l’emplâtre pour faire dix lieues par heure. — Prenez deux onces de graisse humaine, une once d’huile de cerf, une once d’huile de laurier, une once de graisse de cerf, une once de momie naturelle, une demi-chopine d’esprit-de-vin et sept feuilles de verveine. Vous ferez bouillir 16 tout dans un pot neuf jusqu’à demi-réduction ; puis vous en formez les emplâtres sur de la peau neuve, et, lorsque vous les appliquez sur la rate, vous allez comme le vent. Pour n’être point malade quand vous le quittez, il faut prendre trois gouttes de sang dans un verre de vin blanc.

» Composition de l’encre pour écrire les pactes. — Les pactes ne doivent point être écrits avec l’encre ordinaire. Chaque fois qu’on fait une appellation à l’esprit, on doit en changer. Mettez dans un pot de terre verpissé neuf de l’eau de rivière et la poudre décrite ci-après. Alors prenez des branches de fougère cueillie la veille de la Saint-Jean, du sarment coupé en pleine lune de mars ; allumez ce bois avec du papier vierge, et dès que votre eau bouillira, votre encre sera faite. Observez bien d’en changer à chaque nouvelle écriture que vous aurez à faire. Prenez dix onces de noix de galle et trois onces de vitriol romain, ou couperose verte ; d’alun de roche ou de gomme arabique, deux onces de chacun ; mettez le tout en poudre impalpable, dont, lorsque vous voudrez faire de l’encre, vous préparerez comme il est dit ci-dessus.

» Encre pour noter les sommes qu’on prendra dans les trésors cachés et pour en demander de plus fortes à Lucifuge[3] dans les nouveaux besoins. — Prenez des noyaux de pêche sans en ôter les amandes, mettez-les dans le feu pour les réduire en charbons bien brûlés ; alors retirez-les, et, lorsqu’ils sont bien noirs, prenez-en une partie, que vous mêlerez avec autant de noir de fumée ; ajoutez-y deux parties de noix de galle concassées ; faites dans l’huile desséchée de gomme arabique quatre parties ; que le tout soit mis en poudre très-fine et passée par le tamis. Mettez cette poudre dans de l’eau de rivière. Il est inutile de faire remarquer que tous les objets décrits ci-dessus doivent être absolument neufs.

» Lecteur bénévole, dit pour sa conclusion l’auteur de ces recettes, dont nous ne donnons que le bouquet, pénétre-toi bien de tout ce que le grand Salomon vient de t’enseigner par mon organe. Sois sage comme lui, si tu veux que toutes les richesses que je viens de mettre en ton pouvoir puissent faire ta félicité. Sois humain envers tes semblables, soulage les malheureux ; vis content. Adieu. »

Il est triste de savoir que de tels livres se vendent en grand nombre dans nos campagnes. Les voltairiens se plaignent de l’innocente diffusion de quelques petites brochures pieuses qui prêchent la paix ; ils ne disent rien des Grimoires et des Clavicules.


  1. Kivasseau.
  2. On disait à Belphégor :
    Accipe quod tibi do, stercus in ore tuo.
  3. Pour Lucifage (qui fait la lumière), voyez Pactes.