Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Ogres

Henri Plon (p. 501-502).
Oiarou  ►

Ogres. Sauf le nom, ces monstres étaient connus des anciens. Polyphème, dans l’Odyssée, n’est autre chose qu’un ogre ; on trouve des ogres dans les Voyages de Sindbad le marin ; et un autre passage des Mille et une nuits prouve que les ogres ne sont pas étrangers aux Orientaux. Dans le conte du Vizir puni, un jeune prince égaré rencontre une dame qui le conduit à sa masure : elle dit en entrant : — Réjouissez-vous, mes fils, je vous amène un garçon bien fait et fort gras. — Maman, répondent les enfants, où est-il, que nous le mangions ? car nous avons bon appétit. — Le prince reconnaît alors que la femme, qui se disait fille du roi des Indes, est une ogresse, femme de ces démons sauvages qui se retirent dans les lieux abandonnés et se servent de mille ruses pour surprendre et dévorer les passants, comme les sirènes, qui, selon quelques mythologues, étaient certainement des ogresses. C’est à peu près l’idée que nous nous faisons de ces êtres effroyables ; les ogres, dans nos opinions, tenaient des trois natures : humaine, animale et infernale. Ils n’aiment rien tant que la chair fraîche ; et les petits enfants étaient leur plus délicieuse pâture. Le Drac, si redouté dans le Midi, était un ogre qui avait son repaire aux bords du Rhône, où il se nourrissait de chair humaine. Il paraît que cette anthropophagie est ancienne dans nos contrées, car le chapitre lxvii de la loi salique prononce une amende de deux cents écus contre tout sorcier ou stryge qui aura mangé un homme.

Quelques-uns font remonter l’existence des ogres jusqu’à Lycaon, ou du moins à la croyance où l’on était que certains sorciers se changeaient en loups dans les orgies nocturnes, et mangeaient au sabbat la chair des petits enfants qu’ils pouvaient y conduire. On ajoutait que, quand ils en avaient mangé une fois, ils en devenaient extrêmement friands et saisissaient ardemment toutes les occasions de s’en repaître : ce qui est bien le naturel qu’on donne à l’ogre. On voit une multitude d’horreurs de ce genre dans les procès des sorciers ; on appelait ces ogres des loups-garous ; et le loup du petit Chaperon-Rouge n’est pas autre chose. Quant à l’origine du nom des ogres, l’auteur des Lettres sur les contes des fées de Ch. Perrault l’a trouvée sans doute. Ce sont les féroces Huns ou Hongrois du moyen âge, qu’on appelait Hunnigours, Oïgours, et ensuite par corruption Ogres. Les Hongrois, disait-on, buvaient le sang de leurs ennemis ; ils leur coupaient le cœur par morceaux et le dévoraient en manière de remède contre toute maladie. Ils mangeaient de la chair humaine, et les mères hongroises, pour donner à leurs enfants l’habitude de la douleur, les mordaient au visage dès leur naissance.

C’était en effet un terrible peuple que ces païens, dont les hordes innombrables, accourues des extrémités septentrionales de l’Asie, dévastèrent pendant deux tiers de siècle l’Italie, l’Allemagne et la France. Ils incendiaient les villes et les villages, égorgeaient les habitants ou les emmenaient prisonniers. La pitié leur était

 
Hongrois
Hongrois
Hongrois.
 
inconnue, car ils croyaient que les guerriers étaient servis dans l’autre monde par les ennemis qu’ils avaient tués dans celui-ci. Une défaite signalée que leur fit éprouver Othon, empereur d’Allemagne, délivra pour jamais de leurs ravages l’Europe occidentale. La terreur profonde qu’ils avaient inspirée se propagea longtemps encore après leur disparition, et les mères se servirent du nom des Hongrois, ogres, pour épouvanter leurs petits enfants. Voy. Fées, Omestès, etc.