Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Fées

Henri Plon (p. 264-266).
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Fées. Si les histoires des génies sont anciennes dans l’Orient, la Bretagne a peut-être le droit de réclamer les fées et les ogres. Nos fées ou fades (fatidicœ) sont assurément les druidesses de nos pères. Chez les Bretons, de temps immémorial, et dans tout le reste des Gaules, pendant la première race des rois francs, on croyait généralement que les druidesses pénétraient les secrets de la nature, et disparaissaient du monde visible. Elles ressemblaient en puissance aux magiciennes des Orientaux. On en a fait des fées. On disait qu’elles habitaient au fond des puits, au bord des torrents, dans des cavernes sombres. Elles avaient le pouvoir de donner aux hommes des formes d’animaux, et faisaient quelquefois dans les forêts les mêmes fonctions que les nymphes du paganisme. Elles avaient une reine qui les convoquait tous les ans en assemblée générale, pour punir celles qui avaient abusé de leur puissance et récompenser celles qui avaient fait du bien.

Dans certaines contrées de l’Écosse, on dit que les fées sont chargées de conduire au ciel les âmes des enfants nouveau-nés, et qu’elles aident ceux qui les invoquent à rompre les maléfices de Satan. On voit dans tous les contes et dans les vieux romans de chevalerie, où les fées jouent un très-grand rôle, que, quoique immortelles, elles étaient assujetties à une loi qui les forçait à prendre tous les ans, pendant quelques jours, la forme d’un animal, et les exposait, sous cette métamorphose, à tous les hasards, même à la mort, qu’elles ne pouvaient recevoir que violente. On les distinguait en bonnes et méchantes fées ; on était persuadé que leur amitié ou leur haine décidait du bonheur ou du malheur des familles. À la naissance de leurs enfants, les Bretons avaient grand soin de dresser dans une chambre écartée une table abondamment servie, avec trois couverts, afin d’engager les mères ou fées à leur être favorables, à les honorer de leur visite, et à douer le nouveau-né de quelques qualités heureuses. Ils avaient pour ces êtres mystérieux le même respect que les premiers Romains pour les carmentes, déesses tutélaires des enfants, qui présidaient à leur naissance, chantaient leur horoscope et recevaient des parents un culte.

On trouve des fées chez tous les anciens peuples du Nord, et c’était une opinion partout adoptée que la grêle et les tempêtes ne gâtaient pas les fruits dans les lieux qu’elles habitaient. Elles venaient le soir, au clair de la lune, danser dans les prairies écartées ; elles se transportaient aussi vite que la pensée partout où elles souhaitaient, à cheval sur un griffon, ou sur un chat d’Espagne, ou sur un nuage. On assurait que, par un caprice de leur destin, les fées étaient aveugles chez elles et avaient cent yeux dehors. Frey remarque qu’il y avait entre les fées, comme parmi les hommes, inégalité de moyens et de puissance. Dans les romans de chevalerie et dans les contes on voit souvent une bonne fée vaincue par une méchante qui a plus de pouvoir.

Les cabalistes ont aussi adopté l’existence des fées, mais ils prétendent qu’elles sont des sylphides, ou esprits de l’air. On vit, sous Charlemagne et sous Louis le Débonnaire, une multitude de ces esprits, que les légendaires appelèrent des démons, les cabalistes des sylphes, et nos chroniqueurs des fées. Corneille de Kempen assure que, du temps de Lothaire, il y avait en Frise quantité de fées qui séjournaient dans les grottes, autour des montagnes, et qui ne sortaient qu’au clair de la lune. Olaùs Magnus dit qu’on en voyait beaucoup en Suède de son temps. « Elles ont pour demeure, ajoute-t-il, des antres obscurs dans le plus profond des forêts ; elles se montrent quelquefois, parlent à ceux qui les consultent, et s’évanouissent subitement. » On voit dans Froissart qu’il y avait

Fée des cavernes.


également une multitude de fées dans l’île de Céphalonie ; qu’elles protégeaient le pays contre tout méchef, et qu’elles s’entretenaient familièrement avec les femmes de l’île. Les femmes blanches de l’Allemagne sont encore des fées ; mais celles-là étaient presque toujours dangereuses.

Leloyer conte que les Écossais avaient des fées, ou fairs, ou fairfolks, qui venaient la nuit dans les prairies. Ces fées paraissent être les striges, ou magiciennes, dont parle Ausone. Hector de Boëce, dans ses Annales d’Ecosse, dit que trois de ces fées prophétisèrent à Banquo, chef des Stuarts, la grandeur future de sa maison. Skakspeare, dans son Macbeth, en a fait trois sorcières. Il reste beaucoup de monuments de la croyance aux fées : telles sont ces grottes du Chablais qu’on appelle les grottes des fées. On n’y aborde qu’avec peine. Chacune des trois grottes a, dans le fond, un bassin dont l’eau passe pour avoir des vertus miraculeuses. L’eau qui distille dans la grotte supérieure, à travers le rocher, a formé, sous la voûte, la figure d’une poule qui couve ses poussins. À côté du bassin on voit un rouet, ou tour à filer, avec la quenouille. Les femmes des environs, dit un écrivain du dernier siècle, prétendent avoir vu autrefois, dans l’enfoncement, une femme pétrifiée au-dessus du rouet. Aussi on n’osait guère approcher de ces grottes ; mais depuis que la figure de la femme a disparu on est devenu moins timide. Auprès de Ganges, en Languedoc, on montre une autre grotte des fées, ou grottes des demoiselles, dont on fait des contes merveilleux. On voit à Merlingen, en Suisse, une citerne noire qu’on appelle le puits de la fée. Non loin de Bord-Saint-Georges, à deux lieues de Chambon, on respecte encore les débris d’un vieux puits qu’on appelle aussi le puits des fées ou fades, et sept bassins qu’on a nommés les creux des fades. On voit près de là, sur la roche de Beaune, deux empreintes de pied humain : l’une est celle du pied de saint Martial, l’autre appartient, suivant la tradition, à la reine des fées, qui, dans un moment de fureur, frappa si fortement le rocher de son pied droit qu’elle en laissa la marque. On ajoute que, mécontente des habitants du canton, elle tarit les sources minérales qui remplissaient les creux des fées, et les fit couler à Évaux, où elles sont encore. On voyait près de Domremy l’arbre des fées : Jeanne d’Arc fut même accusée d’avoir eu des relations avec les fées qui venaient danser sous cet arbre.

On remarque dans la petite île de Concourie, à une lieue de Saintes, une haute butte de terre qu’on appelle le Mont des fées. La Bretagne est pleine de vestiges semblables : plusieurs fontaines y sont encore consacrées à des fées, lesquelles métamorphosent en or. en diamant, la main des indiscrets qui souillent l’eau de leurs sources[1]. Le mail d’Amiens, appelé aujourd’hui promenade de la Hautoye, était autrefois le mail des fées.

Le comte d’Angeweiller épousa une fée, comme le rapporte Tallemant des Réaux ; elle lui donna un gobelet, une cuiller et une bague, trois merveilleux objets qui restèrent dans sa famille comme gages de bonheur. On lit aussi dans la légende de saint Armentaire, écrite en l’an 1300, quelques détails sur la fée Esterelle, qui vivait auprès d’une fontaine où les Provençaux lui apportaient des offrandes. Elle donnait des breuvages enchantés aux femmes. Le monastère de Notre-Dame de l’Esterel était bâti sur le lieu qu’avait habité cette fée. Mélusine était encore une fée ; il y avait dans son destin cette particularité, qu’elle était obligée tous les samedis de : prendre la forme d’un serpent dans la partie inférieure de son corps. La fée qui épousa le seigneur d’Argouges, au commencement du quinzième siècle, l’avait, dit-on, averti de ne jamais parler de la mort devant elle ; mais un jour qu’elle s’était fait longtemps attendre, son mari, impatienté, lui dit qu’elle serait bonne à aller chercher la mort. Aussitôt la fée disparut en’laissant les traces de ses mains sur les murs, contre lesquels elle frappa plusieurs fois de dépit. C’est depuis ce temps que la noble maison d’Arj gouges porte dans ses armes trois mains posées en pal, et une fée pour cimier. L’époux de Mé ! I usine la vit également disparaître pour n’avoir, pu vaincre la curiosité de la regarder à travers la porte dans sa métamorphose du samedi L La reine des fées est Titania, épouse du roi ; Obéron, qui a inspiré à Wieland un poëme céi lèbre en Allemagne.

  1. Le Quimpérois racontait, il y a quinze ans, une singulière aventure arrivée auprès de Châteaulin :

    « Le bateau à vapeur le Parisien, revenant du pardon de Sainte-Philomène à Landévénec, coula dan ? la rivière de Chàteaulin. Il faisait nuit ; les dames j qui se trouvaient à bord furent débarquées comme les autres passagers sur la plage. Elles se dirigèrent vers une métairie située à quelque distance pour y demander l’hospitalité. Le fermier, qui était couché, vint à leur appel ouvrir sa porte. Mais aussitôt qu’il les eut vues dans leurs élégantes et blanches parures, il ferma vivement son huis et refusa obstinément de les re revoir, les prenant pour des fées ou pour des fantômes. Le jour, toute la ferme eût été à leur disposition, elles y eussent été reçues comme des reines ; la nuit, elles en furent chassées comme des esprits malfaisants. Si pareille aventure arrivait à tel de nos poètes ou antiquaires celtiques, on les verrait sans doute moins épris des naïves et touchantes superstitions de la Bretagne. »