Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Lettre Y

Henri Plon (p. 707-711).
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Y

Yaga-Baba  • Yakouts  • Yan-gant-y-tan  • Yasdh  • Ychain-bonawgs  • Yen-vang  • Yesdhoon  • Yermoloff  • Yeux  • Yffrotte  • Yormoungandour  • Youf  • Youma

Yaga-Baba, monstre décrit dans les vieux contes russes sous les traits d’une femme : horrible à voir, d’une grandeur démesurée, de la forme d’un squelette, avec des pieds décharnés, tenant en main une massue de fer, avec laquelle elle fait rouler la machine qui la porte (espèce de vélocipède). Elle paraît remplir l’emploi de Bellone ou de quelque autre divinité infernale.

Yakouts. Voy. Mangtaar.

Yan-gant-y-tan, espèce de démon qui circule la nuit dans le Finistère, il porte cinq chan-

 
Yan-gant-y-tan
Yan-gant-y-tan
 


delles sur ses cinq doigts, et les tourne avec la rapidité d’un dévidoir. Sa rencontre est d’un mauvais, augure pour les Bretons.

Yasdh. Le même que Yesdhoon.

Ychain-bonawgs, bœufs monstres qui hantent les montagnes de l’Ecosse, que l’on ne voit jamais et qui sont assez forts pour fendre au besoin leur montagne et la déplacer. Leurs mugissements, qu’on entend quelquefois, sont épouvantables et font trembler les vitres à dix lieues.

Yen-vang, roi de l’enfer chez les Chinois. Il exerce des châtiments terribles sur ceux qui n’ont rien à lui offrir.

Yesdhoon. Le missionnaire hébraïsant Wolff s’entretint, à Ispahan, avec des adorateurs du feu, sectateurs de Zoroastre ; nous leur donnons le nom de Guèbres, ils s’appellent entre eux Bedhin. Ils adorent un dieu unique qu’ils désignent par le mot d’Yesdoon-Urmuzd (Ormusd) et auquel ils attribuent, mille et un noms (ce nombre de 1,001 a toujours passé en Orient comme doué d’une vertu mystique) ; ils rendent de plus un culte à trois anges qui protègent l’un le feu, l’autre l’eau, le troisième les arbres et les moissons. Ils entretiennent, avec du bois d’aloès et de santal, un feu constamment allumé et dont ils n’approchent qu’avec une extrême vénération. Une de leurs légendes raconte que Zoroastre, entra dans un brasier ardent, s’y promena tout à son aise, y coucha, y dormit, en sortit frais comme un homme qui vient de se plonger dans les flots limpides d’un torrent.

Ces sectaires prétendent être en possession, du livre Yashd, dont voici la propriété : celui qui se sert de ce livre pour faire ses prières meurt, il est vrai, tout comme un autre, mais, après son trépas, son cadavre répand un parfum délicieux. Les exemplaires du livre Yashd sont d’une rareté insigne. Les Bedhin croient que le monde doit finir par être réduit en cendres ; ils avouent ne pas savoir quand, mais ils n’ignorent point que dès qu’il aura été détruit, Dieu en refera un autre et que cette création nouvelle se reproduira dix-huit mille fois de suite. Un Bedhin reçoit à l’âge de sept ans une ceinture qu’il ne doit jamais quitter une seule minute ; cette ceinture est garnie de quatre boutons ; c’est un emblème des quatre prières à faire par jour. Si sa maison devient la proie d’un incendie, il se garde bien de faire quoi que ce soit pour essayer d’éteindre le feu ; il se prosterne et regarde brûler[1].

Yermoloff, général russe contemporain, savant très-spirituel. Il a placé dans ses Mélanges, qui sont charmants, un récit très-curieux d’une maison hantée. Cette maison est à Moscou.

Yeux. Boguet assure que les sorcières ont deux prunelles dans un œil. Les sorcières illyriennes avaient la même singularité dans les deux yeux. Elles ensorcelaient mortellement ceux qu’elles regardaient et tuaient ceux qu’elles fixaient longtemps.

Il y avait dans le Pont des sorcières qui avaient deux prunelles dans un œil et la figure d’un cheval dans l’autre. Il y avait en Italie des sorcières qui, d’un seul regard, mangeaient le cœur des hommes et le dedans des concombres… On redoute beaucoup, dans quelques contrées de l’Espagne, certains enchanteurs qui empoisonnent par les yeux. Un Espagnol avait l’œil si malin qu’en regardant fixement les fenêtres d’une maison, il en cassait toutes les vitres. Un autre, sans même y songer, tuait tous ceux sur qui sa vue s’arrêtait. Le roi, qui en fut informé, fit venir cet enchanteur et lui ordonna de regarder quelques criminels condamnés au dernier supplice. L’empoisonneur obéit ; les criminels expiraient à mesure qu’il les fixait. Un troisième faisait assembler dans un champ toutes les poules des environs, et sitôt qu’il avait fixé celle qu’on lui désignait, elle n’était plus[2].

Les Écossais redoutent beaucoup, dans ce sens, ce qu’ils appellent le mauvais œil, Parmi leurs superstitions les plus vulgaires, celle qui attribue au regard de certaines personnes la faculté de produire de fâcheux effets est la plus généralement répandue. Dalyel raconte qu’il y a peu d’années, un domestique de sa famille étant mort de la petite vérole, la mère de ce dernier soutint qu’il avait péri victime d’un mauvais œil. Il ajoute que, maintenant encore, il existe dans les plaines une femme dont le regard, au dire de ses voisins, suffit pour aigrir le lait, rendre les chèvres stériles et quelquefois même pour faire périr les troupeaux. Une cheville de fer rouillée peut seule détourner le maléfice. Les Irlandais ont des sorcières qui, par des contre-charmes, paralysent l’effet du mauvais œil.

Dans le Péloponnèse, à peine le nouveau-né a-t-il vu le jour, que la sage-femme le couvre d’un voile et lui étend sur le front un peu de boue prise au fond d’un vase où l’eau a longtemps séjourné. Elle espère ainsi éloigner de lui l’esprit malin, autrement dit mauvais œil, dont les Grecques croient voir partout la funeste influence.

Un soldat, dans l’expédition du maréchal Maison, faisait des sauts de force, mangeait des étoupes et rendait de la fumée par la bouche. On le prit pour le mauvais-œil ou esprit malin[3].

On a prétendu que l’on devenait aveugle lorsqu’on regardait le basilic. Voy. ce mot.

À Plouédern, près de Landerneau, dans la Bretagne, si l’œil gauche d’un mort ne se ferme pas, un des plus proches parents est menacé de cesser d’être[4].

Le mauvais œil est un des maléfices les plus reprochés aux gitanos ou bohémiens. Le docteur Géronimo d’Alcala en parle comme il suit :

« Dans la langue des gitanos, querelar nazula signifie jeter le mauvais œil, c’est-à-dire rendre quelqu’un malade par la simple influence du regard. Les enfants sont surtout exposés à cette influence perfide. Une corne de cerf est regardée comme un préservatif. On rencontre encore en Andalousie plus d’un enfant au cou duquel pend une petite corne montée en argent et attachée à un cordon fait avec les crins d’une jument blanche. Heureusement, si les gitanos peuvent, de leur propre aveu, jeter le mauvais œil, ils ont aussi dans leur pharmacie le remède du mal qu’ils font : quant à moi, je n’y aurais pas grande confiance ; ce remède, à ma connaissance, étant la même poudre qu’ils administrent aux chevaux malades de la morve.

» La superstition du mauvais œil se retrouve en Italie et en Allemagne ; mais elle vient originairement d’Orient ; les rabbins en parlent dans le Thalmud. Si vous vous trouvez avec des juifs ou des mahométans, évitez de fixer trop longtemps vos regards sur leurs enfants ; ils croiraient que vous voulez leur jeter le mauvais œil. L’effet du mauvais œil est d’altérer d’abord les organes de la vision par lesquels il se communique au cerveau. On prétend aussi que le mauvais œil jeté par une femme est plus funeste que celui que vous jette, un homme. Voici comment cette maladie, est traitée chez les juifs de Barbarie :

» Dès qu’ils se sentent frappés, ils envoient chercher le médecin le plus renommé pour cette espèce de cas. En arrivant, le docteur prend son mouchoir ou sa ceinture, fait un nœud à chaque bout, mesure trois palmes avec sa main gauche, fait un nœud à chaque mesure, et se ceint trois fois la tête de la ceinture ou du mouchoir, en prononçant beraka ou bénédiction : Ben porat Josef, ben porat ali ain (Joseph est un rameau fécond, un rameau près d’une source) ; puis il se remet à mesurer la ceinture ou le mouchoir, et s’il trouve trois palmes et demie au lieu de trois qu’il a mesurées auparavant, il pourra vous nommer la personne qui a jeté le mauvais œil. La personne étant connue, la mère, la femme ou la sœur du patient sort en prononçant à haute voix le nom du coupable ; elle ramasse un peu de terre devant la porte de sa maison et un peu encore devant celle de sa chambre à coucher ; on lui demande ensuite de sa salive le matin avant son déjeuner ; on va chercher au four sept charbons ardents qu’on éteint dans l’eau du bain des femmes. Ces quatre ingrédients, la terre, la salive, les charbons, l’eau, étant malaxés dans un plat, le patient en avale trois gorgées, et le reste est enterré par quelqu’un qui fait trois pas à reculons en s’écriant : « Puisse le mauvais œil être enseveli sous terre ! » Voilà comment on procède si le coupable est connu ; mais dans le cas contraire on prend un verre, on se tient sur la porte, et l’on force tous les passants de jeter dans ce verre un peu de salive. Le mélange avec le charbon et l’eau du bain a lieu ensuite, et l’on applique la mixtion à l’œil du patient, qui a soin de s’endormir sur le côté gauche : le lendemain matin il se réveille guéri.

» Peut-être cette superstition comme beaucoup d’autres est-elle fondée sur une réalité physique. J’ai observé que l’on croit surtout au mauvais œil dans les pays chauds où la lune et le soleil ont un rayonnement très-éclatant. Que dit l’Écriture, ce livre merveilleux, où l’on trouve à éclaircir tous les mystères ? « Ni le soleil ne te frappera le jour, ni la lune la nuit. » (Ps. cxxxi, 6.) Que ceux qui veulent éviter le mauvais œil, au lieu de se fier aux amulettes, aux charmes et aux antidotes des gitanos, se gardent du soleil, car il a un mauvais œil qui produit des fièvres cérébrales ; qu’ils ne dorment pas la tête découverte sous les caressants rayons de la lune, car elle a aussi un regard empoisonné qui altère la vision et frappe même de cécité. »

Yffrotte, roi de Gothie et de Suède, qui mourut sur le bord de la mer où il se promenait, frappé des cornes d’une vache que l’on pensa être certainement une sorcière convertie en icelle, laquelle se voulait venger de cette manière de ce roi pour quelque tort qu’elle avait reçu de lui[5].

Yormoungandour, serpent monstrueux des mythologies scandinaves, tellement grand qu’il peut entourer la terre de ses replis.

Youf (Marie-Anne), grosse paysanne qui se fit traiter il y a quelques années par un sorcier, avec les circonstances que voici, qui se sont exposées devant le tribunal correctionnel de Saint-Lô.

Elle avait mal au genou ; les médecins n’y faisant rien, elle apprend qu’elle peut être guérie par un sorcier d’Écrammeville nommé Lebrun. Elle va trouver Marie Ledezert, qui est l’intermédiaire habituelle de cet homme, lui donne de l’argent, des denrées de toute espèce, et la supplie d’aller consulter ce grand docteur, ce savant sorcier qui guérit tous les maux. Marie Ledezert se laisse toucher ; accompagnée de mademoiselle Lamare, que ses trente-six ans auraient dû rendre plus sage, on va consulter le devin. La justice, jalouse de ses succès, le tenait alors sous les verrous, dans la prison de Coutances, comme prévenu d’avoir causé la mort d’une fille en lui administrant des drogues pernicieuses. On se rend à Coutances, on régale le sorcier dans sa geôle ; on en revient avec une précieuse consultation qui doit, avant trois mois, désanchiloser le malheureux genou. Le remède du reste n’était pas difficile à composer : de l’if, du lierre terrestre, de la fumeterre, quelque peu d’arsenic, et… quelqu’autre chose que nous ne pouvons désigner qu’en nous servant de l’expression des témoins, de la boue de blé ; le tout était bien et dûment pilé dans un mortier emprunté chez un pâtissier, qui entendait énumérer à l’audience, au milieu du rire général, les curieux ingrédients dont on aime à croire que sa pâtisserie n’a rien emprunté.

Tout ceci semble bien vulgaire, mais l’efficacité du remède consistait dans ce qui suit. Avant le lever du soleil, il fallait qu’une branche de sureau fût coupée par une jeune fille vierge ; on en mettait ensuite un morceau sur chaque croisée et sous chaque porte ; tous les gens de la famille portaient au cou un petit sachet rempli de sel bénit, avec une conjuration et le nom de celui que l’on soupçonnait du maléfice ; puis, en médicamentant le malade, on lui faisait tenir un cierge, et Marie Ledezert récitait à haute voix la conjuration suivante (nous respectons l’orthographe et le style) :

« Ô Dieu de la mystérieuse cabale, gouverneur des astres, présidant au premier mouvement de tes disciples ! quel mal a fait Marie-Anne Youf, pour la retenir sous ton pouvoir diabolique ? Père de tous les astres, si saint et si pur, mets, ô grand Dieu, Marie-Anne Youf dans les renforts, afin que ses ennemis ne peuvent jamais l’atteindre, Agla, Ada, Manisite, Jofi et Jofil ; couvre Marie-Anne Youf de tes boucliers.

» Gresus, que le mal qu’on veut faire à Marie-Anne Youf retombe sur celui ou celle qui ont des intentions perMes et illicites. Je me dévoue à jamais au désir de faire le bien. Secourez, Seigneur, la plus honnête et la plus soumise de vos servantes. Tabat tabac tabat Sabaoth ! que ses ennemis soient confondus et renversés pour l’éternité par la vertu du grand Jéova ; je te conjure de quitter le corps de Marie-Anne Youf au nom d’Abra et d’Anayaa et d’Adoni.

» Alla machrome arpayon alamare, bourgosi serabani veniat a lagarote. »

On joignit à cela des sangsues et d’excellents déjeuners, suivis de dîners semblables. Les témoins ont dit que Marie Ledezert était traitée comme une princesse, et encore qu’elle n’était pas contente ; mais le mal était, plus opiniâtre que le remède, et comme la bourse baissait et que la guérison n’avançait pas, la confiance diminua et finit par s’éteindre non pas tout à fait dans le sorcier, mais dans son émissaire. Marie Ledezert n’ayant pas eu l’esprit de se taire, des reproches en étant venue aux injures, le procureur du roi, qui paraît ne pas aimer les sorciers, finit par provoquer une instruction ; et une citation en police correctionnelle amena Marie Ledezert à se justifier d’une accusation d’escroquerie. La prévention a été soutenue avec force par M. Lecampion, substitut. Le tribunal, reconnaissant sans doute la nécessité de combattre par une condamnation exemplaire le préjugé qui fait croire aux sorciers, a prononcé six mois d’emprisonnement.

Mais il faut remarquer bien haut que les sorciers vont, comme les vampires, avec les philosophes ; et que les misérables qui consultent les sorciers ne fréquentent pas les sacrements et ne vont guère à la messe.

Youma. Dans le gouvernement de Cazan, les Tchérémisses adorent un Dieu suprême, auquel ils donnent le nom de Youma et qu’ils supposent présent partout. C’est ainsi probablement que tous les peuples d’origine finnoise appelaient jadis le Dieu le plus puissant de leur Olympe ; du moins voit-on que les Finnois des rives de la mer Baltique invoquent encore aujourd’hui le Dieu des chrétiens sous le nom de Youmala emprunté à leur ancien culte. Le pouvoir du Youma des Tchérémisses n’est pas illimité, il le partage avec son épouse, Youman-Ava, et avec une foule d’autres divinités, enfants de ce couple, qui n’ont ni les mêmes noms ni les mêmes attributs dans toutes les communes. Différant sous ce rapport de presque tous les autres païens, les Tchérémisses n’ont point d’images, ni de leurs dieux, ni du génie du mal qui, d’après leur mythologie, habite au fond des eaux, et qui est puissant et dangereux surtout à midi, au moment où le soleil est à son apogée. Du reste, ce peuple, bien que fort attaché à sa religion, n’a cependant que très-rarement recours à ses dieux, et à l’exception des grandes fêtes célébrées de temps en temps, quelquefois après plusieurs années d’intervalle, ce n’est guère que dans les cas d’une grande calamité qu’on songe à apaiser leur courroux, ou à se les rendre propices.

Dans ces cas, lorsqu’une épidémie qui ravage le pays, ou une sécheresse prolongée qui menace de détruire les moissons, réveille en eux la crainte de leurs dieux, plusieurs familles, quelquefois tous les habitants d’un village, se réunissent pour préparer un sacrifice. Tout homme qui veut prendre part à la prière est obligé de présenter quelque victime, quelque offrande propre, d’après leurs idées, à être présentée aux dieux ; que ce soit un poulain, une vache, un mouton, un canard, une poule, ou bien une certaine mesure de miel ou de bière ; même quelques gâteaux sont jugés nécessaires. Tout étant ainsi préparé, on se rend au bois sacré, au pied de quelque vieux chêne, autour duquel on a eu soin d’égaliser le terrain en le débarrassant des broussailles et des pierres qui pouvaient s’y trouver jusqu’à une distance assez considérable. Un vieillard, auquel on donne le titre de youmlane, est chargé des rites ; chacun de ceux qui y assistent apporte un bâton fait d’une branche de noisetier, au bout duquel il a attaché un cierge. Au moment où la cérémonie commence, on fixe ces bâtons dans la terre de manière à former un cercle autour du chêne ; en même temps, le youmlane orne le tronc de l’arbre sacré de rubans d’écorce de tilleul ; il suspend à une de ses branches un petit morceau d’étain muni à cet effet d’une anse ; quatre petites branches de sapin et deux de tilleul réunies en faisceau et auxquelles le youmlane a fait un nombre d’entailles égal à celui des personnes qui ont contribué au sacrifice, sont également attachées à l’arbre sacré. Au. moment où le youmlane immole une des victimes, on éteint les cierges pour les allumer de nouveau lorsque l’animal frappé par lui a expiré, pendant que le prêtre frotte du sang du poulain ou de la vache qu’il vient de tuer les rubans d’écorce dont il a décoré le chêne. Ensuite, on fait bouillir la chair des victimes immolées dans des chaudières suspendues à des espèces de chevalets autour de l’arbre ; les cierges, éteints pendant ce temps, sont derechef allumés lorsque le festin commence ; on jette dans un grand feu allumé à cet effet au pied du chêne le premier morceau tiré de chaque chaudière, ainsi que les os ; le reste est partagé entre les convives, et chaque fois qu’on rallume les cierges, le youmlane prononce des prières, dans lesquelles il a soin de faire expressément mention du motif qui amène les suppliants dans la forêt consacrée aux dieux. Le repas fini, chacun s’éloigne ; les bâtons fixés dans la terre autour de l’arbre ainsi que le lingot d’étain et les rubans d’écorce restent à leurs places ; on n’emporte que les restes des cierges.

Les grandes fêtes célébrées, tantôt à un an, tantôt a deux, trois et même quatre années d’intervalle, sont désignées sous le nom de Youman-Bairam, et les prêtres ont toutes sortes de moyens de deviner l’époque à laquelle il convient d’offrir un pareil hommage aux dieux. Une des manières les plus usitées de consulter le sort est de jeter des fèves par terre, et les prêtres jugent, d’après la manière dont elles tombent, si le moment est favorable ou non. Les rites du Youman-Bairam diffèrent de ceux des sacrifices expiatoires que nous venons de décrire, surtout en ce qu’on allume alors dans la forêt sacrée jusqu’à sept feux, dont le premier est consacré à Youma, le second à Youman-Ava, et les autres aux divinités inférieures. Chacun de ces feux est placé sous la garde d’un kort, d’un mouschane ou d’un oudsché : noms sous lesquels sont désignés les prêtres de différents degrés.

Quelquefois aussi, surtout lorsque quelqu’un de la famille est dangereusement malade, on se réunit pour apaiser le Schaïtane, le génie du mal, par un sacrifice. En conduisant à la forêt la victime qu’on a choisie, et qui est toujours un poulain, on se fait un devoir de le battre, de le maltraiter de toutes les manières, et aussitôt qu’on arrive sur les lieux consacrés à cet usage, on enferme le poulain dans une espèce de petite caisse quadrangulaire qu’on couvre de bois, de broussailles et de paille, et, après y avoir mis le feu de tous les côtés à la fois, tout le monde s’enfuit en poussant des cris. Quelque temps après on revient pour arracher du corps de la victime étouffée ainsi trois côtes et le foie qu’on donne à manger au malade. Le reste est enterré sous les cendres. Nous ajouterons encore que le nom de kérémet, que les Tchérémisses donnent aux forêts sacrées, a pour eux quelque chose de terrible ; prêts à jurer par leurs dieux, ils ne peuvent jamais se résoudre à jurer par le kérémet.


  1. Mémoires et correspondance de Wolff, analysés dans le Quotidienne.
  2. Voyage de Dumont, liv. III.
  3. Mangeart, Souvenirs de la Morée, 1830.
  4. Cambry, Voyage dans le Finistère, t. I, p. 470. Il y a encore des gens qui, à l’heure qu’il est, et tout près de Paris, croient au mauvais œil, aux donneurs de sort, etc. Nous empruntons ce récit à un journal parisien : la nommée X…, fille d’un cultivateur des environs, en est un exemple ; seulement cette pauvre fille se croit le don fatal de porter malheur à ceux qu’elle affectionne, et voici pourquoi : Il y a trois ans, la jeune paysanne était sur le point de se marier avec un de ses cousins. Accordailles, dispenses, publications de bans, tout était fini, lorsque son fiancé est atteint de la fièvre typhoïde, et meurt en trois jours : premier deuil et en même temps premier doute sur la mauvaise chance attachée à sa personne. Un an après, un autre prétendu se présente, sa demande est accordée, les préparatifs se font de nouveau, mais quatre jours avant celui fixé pour le mariage, il est frappé tout à coup d’aliénation mentale, on est obligé de l’enfermer, et six mois plus tard il était mort. « Décidément, se dit-on dans le pays, Marianne n’a pas de chance avec ses marieux ! » et il n’y eut désormais que les moins poltrons pour oser la faire danser. Pourtant, comme Marianne est très-jolie, il finit par se présenter un troisième prétendant, dont la demande est encore acceptée, et cette demande était faite il y a trois mois. Cette fois encore ont lieu tous les préparatifs nécessaires ; époque est prise pour un jour du mois d’avril ; et le jeune homme part pour son pays, afin d’en ramener certains parents qu’il désire avoir à sa noce ; mais, la veille de ce jour tant désiré, le père de Marianne reçoit une lettre qui lui annonce la mort de son futur gendre : le malheureux jeune homme était allé tirer quelques lapins qu’il voulait rapporter, son fusil était parti à l’improviste et l’avait atteint dans le côté gauche ; il était mort presque sur le coup.
  5. Torquemada, Hexameron, p. 428.