Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Fêtes dans l’Inde

Henri Plon (p. 269-270).

Fêtes dans l’Inde. Nous donnons ici une idée du culte public en un pays où les Anglais, depuis cent ans, auraient porté la lumière s’ils étaient restés catholiques : c’est la fête que les Hindous célèbrent au commencement d’octobre, en l’honneur de la déesse Dourga, épouse de Siva, appelée aussi Bhavani, et de sa fille Cali, née de son œil, appelée encore Mohakali, la noire, la grande noire, et Roudrani, la mère des larmes. Cette fête est l’une des plus magnifiques, des plus coûteuses et des plus populaires du culte hindou. Voici les détails que donne, à propos de ces cérémonies religieuses, l’India, de J.-Th. Stocqueler :

Les préliminaires seuls prennent plus de temps que l’adoration, qui dure cependant trois jours.

Pendant toute cette période, les affaires sont suspendues, et chacun se livre sans mesure au plaisir et à la gaieté. Le premier jour on donne la vue et l’existence à l’idole destinée à devenir l’objet de la vénération générale. Un brahmes en acquitte en touchant les joues, les yeux, la poitrine et le front de la divinité, en disant : « Puisse l’âme de Dourga être longtemps heureuse dans ce corps ! » D’autres cérémonies, ainsi que l’immolation d’un grand nombre de bestiaux, tels que des bisons, des moutons, des chèvres, etc., succèdent à celle-là. La chair et le sang des victimes sont offerts en holocauste aux images de la déesse et des divinités qui l’entourent. Les cérémonies et les sacrifices qui s’accomplissent le deuxième et le troisième jour sont presque semblables à ceux du premier. À la fin, lorsque tous les animaux ont été immolés, la multitude se couvre de boue et de sang coagulé, puis danse avec frénésie au lieu même où elle s’est prosternée. Le lendemain des fêtes, l’idole est dépouillée de ses pouvoirs par le même brahme qui l’en avait revêtue.

Cette statue, l’une des plus révoltantes qu’on puisse imaginer, représente Dourga ou Cali, personnifiant la mort : c’est une horrible femme très-noire, quelquefois bleue, qui tient d’une de ses quatre mains un cimeterre, de l’autre une tête de géant qu’elle a saisie par les cheveux ; de la troisième, étendue tout ouverte, elle semble bénir, et de la quatrième elle défend d’avoir peur. Ses boucles d’oreilles sont deux squelettes ; son collier une rangée de crânes. Sa langue tombe jusqu’au bas de son menton, en témoignage de la honte qu’elle éprouve en s’apercevant que, dans sa fureur indomptable, elle a foulé aux pieds son mari Siva. Des têtes de géants coupées entourent sa taille d’une ceinture, et ses nattes tombent jusque sur ses talons. Comme elle a bu le sang des géants qu’elle a tués pendant le combat, ses sourcils ont pris la couleur du breuvage qui l’a désaltérée, et un ruisseau vermeil, de la même nature, s’échappe de sa poitrine ; ses yeux sont rouges comme ceux d’un ivrogne ; elle est debout, un pied sur la poitrine de son mari, l’autre sur sa cuisse.

Cette statue est placée par les prêtres sur une estrade de bambous et transportée, accompagnée d’une foule immense, au bruit des tambours, des cornets et d’autres instruments hindous, sur la rive du fleuve sacré ; on la précipite dans les flots, en présence d’un concours de tous rangs et de toutes conditions, tandis que les prêtres invoquent la déesse et lui demandent la vie, la santé et la prospérité, la suppliant, elle, leur mère universelle, comme ils disent, de retourner momentanément dans ses domaines, pour revenir plus tard au milieu d’eux.

Pendant ces trois jours d’adoration, les maisons des riches Hindous sont splendidement illuminées la nuit, et ouvertes le jour à tout venant.

Mais tout n’est pas fini : le jour suivant on apporte des villages, souvent fort éloignés du fleuve, des idoles que l’on vient y jeter, et le tumulte, la confusion qui règnent alors sont indescriptibles. Les statues exhibées en pareille occasion sont faites de foin, de morceaux de bois, d’argile, et quelques-unes atteignent dix à douze pieds de haut.

Ces fêtes absorbent des sommes immenses ; une partie, et c’est la plus considérable, est distribuée en aumônes, employées à nourrir et à vêtir les prêtres et les mendiants ; le reste est consacré aux réjouissances publiques et à enrichir les bayadères qui dansent devant la déesse.

Les Anglais n’ont jamais porté la lumière dans ces hideuses ténèbres ; et ils n’ont rien fait pour empêcher ces abominations.