Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Éternument

Henri Plon (p. 252-253).
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Éternument. On vous salue quand vous éternuez, pour vous marquer, dit Aristote, qu’on honore votre cerveau, le siège du bon sens et de l’esprit. Cette politesse s’étend jusque chez les peuples que nous traitons de barbares. Quand l’empereur du Monomotapa éternuait, ses sujets en étaient avertis par un signal convenu, et il se faisait des acclamations générales dans tous ses États. Le père Famien Strada prétend que, pour trouver l’origine de ces salutations, il faut remonter jusqu’à Prométhée ; que cet illustre contrefacteur de Jupiter, ayant dérobé un rayon solaire dans une petite boîte pour animer sa statue, le lui insinua dans les narines comme une prise de tabac, ce qui la fit éternuer aussitôt. Les rabbins soutiennent que c’est à Adam qu’il faut faire honneur du premier éternument. Dans l’origine des temps, c’était, dit-on, un mauvais pronostic et le présage de la mort. Cet état continua jusqu’à Jacob, qui, ne voulant pas mourir pour cause aussi légère, pria Dieu de changer cet ordre de choses ; et c’est de là qu’est venu, selon ces docteurs, l’usage de faire des souhaits heureux quand on éternue. On a trouvé une autre raison de cette politesse ; c’est que, sous le pontificat de saint Grégoire le Grand, il y eut en Italie une sorte de peste qui se manifestait par des éternuments ; tous les pestiférés éternuaient ; on se recommanda à Dieu, et c’est de là qu’est venue l’opinion populaire que la


coutume de se saluer tire son origine d’une maladie épidémique qui emportait ceux dont la membrane pituitaire était stimulée trop vivement.

En général l’éternument chez les anciens était pris tantôt en bonne, tantôt en mauvaise part, suivant les temps, les lieux et les circonstances. Un bon éternument était celui qui arrivait depuis midi jusqu’à minuit, et quand la lune était dans les signes du Taureau, du Lion, de la Balance, du Capricorne et des Poissons ; mais s’il venait de minuit à midi, si la lune était dans le signe de la Vierge, du Verseau, de l’Écrevisse, du Scorpion ; si vous sortiez du lit ou de la table, c’était alors le cas de se recommander à Dieu[1]. L’éternument, quand on l’entendait à sa droite, était regardé chez les Grecs et les Romains comme un heureux présage. Les Grecs, en parlant d’une belle personne, disaient que les amours avaient éternué à sa naissance. Les Siamois admettent un enfer. Ils disent que, dans cet affreux séjour, il y a des juges qui écrivent sûr un grand livre tous les péchés des hommes, que leur chef est continuellement occupé à parcourir ce recueil, et que les personnes dont il lit l’article ne manquent jamais d’éternuer au même instant. De là, disent-ils, est venue la coutume de souhaiter une longue vie ou l’assistance divine à ceux qui éternuent. Lorsque le roi de Sennaar éternuait, ses courtisans lui tournaient le dos, en se donnant de la main une claque sur la fesse droite.

  1. M. Salgues, Des erreurs et des préjugés. Quelques savants, entre autres Perkains et Voet, ont blâmé la coutume de saluer l’éternument, parce que cette coutume nous est venue des Juifs et des gentils, comme si nous devions rejeter tous les usages honnêtes qui nous sont venus des uns et des autres. Ils ajoutent qu’elles doivent passer pour criminelles, puisque les Pères de l’Eglise les ont condamnées. Mais, ajoute Chevreau, « ils n’ont condamné que la superstition et les augures que l’on tirait d’éternuer le soir, le matin ou à minuit, à certaines heures, à droite ou à gauche, une fois ou deux, sous le signe du Bélier, du Taureau, du Sagittaire, du Capricorne, etc. ; et il ne faut que le sens commun pour être assuré que cela ne présage ni bien ni mal. Mais si nous souhaitons bonheur et santé à nos parents et à nos amis quand ils s’embarquent pour un long voyage, ou qu’ils entreprennent une grande affaire, où est le mal de leur dire : Dieu vous soit en aide ! quand ils éternuent, puisque l’éternument est une espèce de convulsion et d’épilepsie de courte durée ; qu’il est nuisible quand il est violent et redoublé ; que nous savons, des historiens et des médecins, qu’il a été suivi de la mort en quelques rencontres, et qu’il en est même quelquefois un signe ? »