Dictionnaire idéologique (Robertson)/Préface

A Derache - Librairie pour les langues étrangères (p. i-ii).

Préface.


Lorsque je rédigeais la Synthèse de la langue anglaise, après un long travail préparatoire, le hasard me mit entre les mains le Thesaurus of English words and phrases (Trésor des mots et des phrases de la langue anglaise), par P.-M. Roget.

J’avais employé des années à réunir et à classer mes matériaux. En examinant l’ouvrage de M. Roget, je reconnus que le recueil, qui devait servir de base à mon travail, était déjà tout fait ; qu’il était plus complet que celui qui m’avait coûté tant de soins, et qu’il lui était bien supérieur sous le rapport de la classification. L’idée, qui n’était pour moi qu’un accessoire, un moyen d’atteindre le but que j’avais en vue, M. Roget en avait fait l’objet d’un travail profond et impérissable.

Tout en regrettant le temps que j’avais perdu, faute d’avoir eu plus tôt ce précieux instrument à ma disposition, je m’empressai d’enrichir mon texte des expressions qui jusqu’alors avaient échappé à mes recherches. Si l’histoire de Charles Saville est, comme je le crois fermement, le recueil le plus complet des difficultés de la langue anglaise, c’est donc en partie à M. Roget que je le dois, et je suis heureux de lui payer publiquement ce tribut de reconnaissance.

J’aurais dû lui rendre cet hommage en publiant ma Synthèse. Voici pourquoi je ne l’ai pas fait. Frappé de l’utilité du Thesaurus, j’avais résolu de suspendre toute autre occupation pour appliquer à la langue française le plan suivi dans cet excellent ouvrage ; et je ne me souciais pas de me créer des concurrents, en donnant prématurément l’éveil en France sur l’importance d’une entreprise à l’exécution de laquelle j’allais sacrifier deux années.

Le Dictionnaire idéologique est pour l’écrivain ce qu’est la palette toute chargée pour le peintre. Il lui fournit à profusion toutes les expressions dont il a besoin pour traiter un sujet donné. Je dirai plus, il lui fournit des idées et lui rend plus facile l’élaboration de sa pensée.

On verra que je n’exagère pas, en lisant l’Introduction, calquée sur celle du Thesaurus, avec quelques modifications. On le verra surtout en faisant usage du livre, qui est un véritable compendium de métaphysique, de logique et de rhétorique, et qui révèle non-seulement l’homme érudit, mais encore le philosophe et le savant[1].

Cependant, comme chaque esprit envisage les choses à sa manière et à son point de vue de prédilection, je dois dire que l’admirable classification établie par M. Roget n’est pas celle que j’aurais adoptée, si j’avais eu la gloire de l’initiative. Je n’aurais probablement pas fait mieux, mais j’aurais fait autrement.

Quoi qu’il en soit, j’ai religieusement conservé cette classification. En m’écartant de mon modèle, j’aurais eu l’air de vouloir lui enlever son originalité à mon profit. Or, les travaux qui me sont propres ont été assez souvent exploités à mon préjudice, sous le nom de méthodes nouvelles, pour que je comprenne mieux que personne l’odieux d’un pareil procédé, et que je saisisse l’occasion de donner au troupeau des imitateurs une leçon de modestie et de bonne foi.

T. Robertson.
Mai 1859.
  1. M. Roget est en effet docteur en médecine et membre du Sénat de l’Université de Londres.