Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Remarques 3


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PRÉFACE
De l’édition de Paris.

Ce n’est point une critique du Dictionnaire de Moréri que je donne au public ; je n’ai pas assez de témérité pour tenter une pareille entreprise. M. Bayle, après de grands efforts, ne l’a pas entièrement consommée [1] : M. Leclerc, qui est venu après lui, et qui a profité de ses lumières, n’a fait que nous donner de nouvelles fautes, ajoutées aux anciennes, qu’il ne s’est pas donné la peine de corriger : en effet l’édition qu’il donna en 1699 n’est exacte, à proprement parler, que dans les articles qui ont quelque conformité avec ceux que l’on trouve dans le Dictionnaire critique de Rotterdam [2]. Les deux éditions qui ont paru coup sur coup à Paris ne sont pas à beaucoup près si défectueuses que les premières, et ceux qui en ont pris soin, les ont purgées de plusieurs fautes que l’on trouve encore dans l’édition de 1699. La dernière surtout paraît avoir été portée au degré de perfection où un ouvrage de cette nature peut atteindre : la chronologie a été réformée ; de variable qu’elle était en plusieurs endroits, elle a été fixée à un ordre certain. Les articles ont été mis dans une forme plus commode pour le lecteur et purgés de bien des faits apocryphes, qui ne servent qu’à étouffer la vérité, et à faire douter des points les plus fondamentaux de l’histoire, lorsque les auteurs ont eu l’indiscrétion de les confondre : tout y est enfin dans un ordre agréable pour un lecteur avide, et utile pour un savant : et on doit dire à la louange de M. Vaultier, qui s’est chargé seul du poids immense de ce travail, qu’il fallait un homme de sa patience et de son assiduité, pour ne pas succomber sous une si grande entreprise ; surtout quand on saura qu’il n’a été secouru de personne, et qu’à un religieux près, dont les lumières sont bornées à un certain genre d’érudition, tout le monde l’a abandonné. Et est vrai qu’on pourrait lui répondre qu’il a reçu des mémoires, et que s’il avait marqué en faire quelque cas, on lui en aurait fourni davantage dans le cours de l’impression, et à proportion de l’accueil qu’en aurait vu qu’il aurait fait aux premiers. Mais ce n’est pas de quoi il s’agit ici, et en mon particulier je n’ai aucune plainte à porter contre lui au tribunal du public.

Après un tel détail, on jugera aisément de la nature de ce petit ouvrage : il ne contient que quelques remarques qui[a] ont échappées à M. Vaultier ; ce sont même, si l’on veut, quelques fautes dans lesquelles tout autre auteur, surchargé d’un aussi grand travail, serait infailliblement tombé : heureux s’il n’en eût pas fait de plus grossières ! Dans le nombre de ces fautes, il y en a quelques-unes de particulières à certaines nations, à certains pays, et même à certains cantons, et qui par conséquent n’intéressent guère un lecteur qui n’aura vu ces pays que dans la carte ; mais comme j’espère que ces remarques pourront servir à la première édition qu’on donnera du Dictionnaire de Moréri, je n’ai pas voulu négliger de relever ces légères fautes, persuadé qu’en les[b] ressemblant dans un petit volume, un éditeur aura plus de commodité de les mettre à profit. Et y a d’autres fautes dans nombre de celles que j’ai relevées, qui seront d’une plus sérieuse considération, et dont un lecteur tant soit peu habile jugera que la correction était essentielle à la perfection du dictionnaire historique.

Peut-être, par exemple, ne se serait-on jamais avisé dans les nouvelles éditions que l’on pourra donner à l’avenir, de réfléchir qu’il n’y eut jamais de pont de pierre sur le Rhin ; et peut-être aussi que, sans la remarque que je donne sur ce sujet, tel éditeur qui se sera pu trouver au dernier siége de Brisach[c] ne laisserait pas d’écrire, après M. Moréri, qu’on y passe le Rhin sur un beau pont de pierre. La remarque est triviale, je le veux ; cependant elle sert à corriger une faute qui a constamment passé dans douze éditions, et dans laquelle M. Leclerc, cet habile géographe, qui se mêle de critiquer Quint-Curce[d], est tombé comme les autres : c’est une faute d’inattention, je le veux encore, elle ne peut pas même être[e] d’une autre espèce ; mais en est-elle moins une faute ? Et combien de ces petits auteurs qui n’ont d’autre fonds pour faire des livres, que le grand Dictionnaire historique, croiront dans la suite qu’on passe le Rhin à Brisach sur un beau pont de pierre ? Ces petits livres, qui sont copiés les uns des autres, ayant une fois donnés au cours à cette fausse tradition, il n’en faudrait pas davantage dans quelques siècles, pour faire une opinion probable de celle qui porte aujourd’hui, qu’il y a un pont de pierre à Brisach : et de là des contestations entre les géographes, de la nature de celle que nous voyons de nos jours, entre M. Leclerc et M. Perizonius, sur des passages du célèbre historien d’Alexandre le Grand.

L’opinion que commence à établir la nouvelle édition du Dictionnaire de Moréri, sur l’année de la mort du roi Jacques II, ne fera-t-elle pas aussi un jour la matière d’un procès entre les chronologistes ? Fondés sur des titres incontestables, les uns placeront cette mort sous l’année 1701, les autres viendront, l’édition de 1704 à la main, soutenir que ce prince n’est mort[f] qu’en 1702. Les écrits se multiplieront, et peut-être aussi les injures, et tout cela : par la négligence d’un historien.

Par ces deux traits, choisis d’entre plusieurs autres, on peut juger de l’utilité de ces remarques, qu’on n’a répandues que sur le fonds même des choses ; car si on se fût voulu arrêter aux fautes d’impression, il y eût eu de quoi faire un gros volume.



  1. Voici l’un des provincialismes (voyez ci-dessus, pag. 376) que l’on n’a point voulu corriger dans cette nouvelle édition. Il ressemble à celui qu’on trouve ci-dessous dans cette préface : une faute qui a constamment passée, et à celui qui suit peu après : Ces petits livres... ayant une fois donnés un cours. Voyez la note (a) de l’article Actor, la note (b) de l’article Beaupoil, la note (a) de l’article Bellay, et ailleurs. Rem. de M. Bayle.
  2. Il eût été plus conforme au génie de la langue française de dire qu’en les trouvant rassemblées dans un petit volume, un éditeur, etc., ou qu’en les rassemblant dans un petit volume, je serais cause qu’un éditeur aurait, etc. Rem. de M. Bayle.
  3. Il y a ici trop d’hyperbole : il n’est nullement vraisemblable qu’un éditeur qui aurait vu de ses propres yeux que le pont de Brisach n’était point de pierre eût néanmoins négligé de corriger cette faute de Moréri. Rem. de M. Bayle.
  4. Il fallait dire Quinte-Curce. Voyez ci-dessous l’article Quinte-Curce, Rem. de M. Bayle.
  5. Notre auteur me permettra de lui dire que non-seulement la faute qu’il marque peut être d’une autre espèce que les fautes d’inattention ; mais qu’elle est aussi effectivement d’une autre espèce, car il n’y a point d’attention aux paroles de Moréri qui puisse faire juger qu’il s’est trompé en disant que le pont de Brisach est un pont de pierre. Il n’y a que ceux qui savent d’ailleurs que cela est faux qui puissent connaître qu’il s’est trompé. Mais voici l’exemple d’une faute d’inattention. Moréri, en parlant d’une rivière nommée le Morin, avait dit qu’elle est dans la Brie, qu’elle a sa source auprès de Sédane, qu’elle passe par la Ferté-Gaucher, par Colmier, etc. Il n’avait pas bien copié ce dernier mot, car le sieur Coulon son original a dit Colomier (il devait dire Colomiers ;) mais pour le mot de Sédane, il l’a fidèlement copié. Ceux qui ont corrigé Moréri ont changé Sédane en Sédan, quoique sans doute ils sussent assez de géographie pour ne pas ignorer que Sédan est bien éloigné de la Brie. C’est donc faute d’attention qu’ils ont mis dans leurs éditions du Moréri que le Morin, rivière de France dans la Brie, a sa source auprès de Sédan. Il fallait dire auprès de Sézane. Pour ce qui est de Colmier, ils ont pu croire qu’il y avait dans la Brie un lieu de ce nom ; mais en s’appliquant un peu plus, ils eussent appris qu’il allait mettre Colomiers, et non pas Colmier. (Dans l’édition de 1725, on dit que cette rivière a sa source auprès de Sézanne, et qu’elle passe par Coulomier. Nouv. Observ.) Peut-être que M. Moréri avait embrassé plus qu’il ne fallait la coutume de plusieurs Français, de prononcer à deux syllabes les noms qui s’écrivent en trois. C’est ainsi que des auteurs qui ont écrit contre M. de Vallemont, l’appellent Valmont, et que d’autres nomment Malment un auteur qui écrit son nom Mallement. Cela sera cause un jour que les bibliographes donneront un auteur nommé Vallemont, et un autre nommé Valmont, etc. : mais M. Moréri ne serait point excusable sur la coutume qu’il aurait prise de prononcer Colgne et non pas Cologne, Colnie et non pas Colonie. Il devait écrire les noms propres, non pas selon sa prononciation, mais selon leur orthographe. Rem. de M. Bayle.
  6. Je crois que cette fausse date est une faute d’impression ; néanmoins le critique n’a pas été obligé de rechercher si elle venait de l’éditeur ou des imprimeurs. C’est le destin des auteurs qu’il faut qu’ils portent la peine de la négligence des correcteurs d’imprimerie. Je ne prétends pas assurer en général qu’un auteur ne se trompe quelquefois sur des époques insignes et toutes fraîches, L’auteur du Supplément de Moréri croyait bonnement que M. de Turenne fit toute la campagne de l’an 1675 ; il ne se souvenait pas d’une chose que tout le monde savait : c’est que M. de Turenne fut tué d’un coup de canon, le 27 de juillet 1675, Voici les paroles de l’auteur de ce Supplément dans l’article Montécuculi : Mais en 1675, Montécuculi ne put rien exécuter dans l’Alsace, parce que le maréchal de Turenne rompit tous ses desseins. Rien de plus faux que cela, car Montécuculi ne passa en Alsace qu’après la mort du maréchal de Turenne (Cela avait passé dans les éditions de 1707 et 1712. On l’a effacé dans celle de 1725 : Nouv. Observ.) Je dirai par occasion, que non-seulement on devait corriger cette bévue dans les éditions de Hollande, mais remédier aussi à la sécheresse de cet article. Il pas fallait pas s’attendre que l’auteur du Supplément s’étendit beaucoup sur la gloire du comte Montécuculi. Ce général n’était point aimé en France ; on le regardait comme la cause principale de la perte de toutes les conquêtes de l’an 1672 ; mais par cette même raison, les éditions de Hollande devaient donner un long article de ce général des armées impériales, et l’orner des plus beaux éloges dont il fût digne. Une telle omission est plus condamnable que la participation à l’erreur que l’on n’a point corrigée touchant l’âge de M. de Montécuculi. Le Supplément dit que ce général mourut l’an 1680, âgé de plus de 80 ans. Il est pourtant vrai qu’il n’a vécu que 72 ans et 8 mois. Il était né l’an 1608 ; c’est ce qu’on voit dans sa Vie, imprimée au devant de ses Mémoires, à Genève, l’an 1704 ; et par-là l’on corrige la faute des imprimeurs de cette Vie, qui marquent sa mort au 16 octobre 1681 au lieu de 1680. (Cela avait aussi passé dans les éditions de 1707 et 1712. Dans celle de 1725, on a mis que le comte Montécuculi mourut le 16 octobre 1680, âgé de 72 ans 8 mois ; et à la fin de son article on remarque qu’il avait présenté à l’empereur, en 1665, ses Mémoires composés pendant ses campagnes de Hongrie, donnés au public en 1704. par M. Hayssen, gentilhomme allemand, gouverneur du prince de Moscovie. Nouv. Observ.)
  1. Notre auteur prétend que M. Bayle a entrepris dans son Dictionnaire de relever toutes les fautes de celui de Moréri ; mais qu’après de grands efforts, il n’a pas entièrement consommé cette entreprise. M. Bayle n’a jamais eu ce dessin. Il ne critique Moréri que lorsqu’il donne un article qui se trouve aussi dans le Dictionnaire de cet auteur. J’ai mis à part dans une remarque, dit-il dans sa préface, les erreurs que j’ai imputées à M. Moréri. Je n’ai point touché à celles qui se rencontrent dans les articles qu’il donne et que je ne donne pas, quoiqu’elles ne soient pas moins considérables que dans ceux que j’ai donnés. Et plus bas : En faveur de la jeunesse, dit-il, qui a besoin qu’on lui forme un peu le goût, et qu’on lui donne des idées de l’exactitude la plus scrupuleuse, j’ai relevé jusqu’aux plus petites fautes de M. Moréri, dans les matières que nous traitons lui et moi ; car pour ce qui est des fautes qui sont ailleurs, je les ai laissées en repos, comme je l’ai déjà dit. Voilà une preuve bien sensible de l’inexactitude de notre critique. Ses remarques sont presque toutes tirées du Dictionnaire de M. Bayle, comme on le fera voir dans la suite ; et cependant il n’a fait aucune attention à ce que M. Bayle a marqué si expressément dans la préface. Nouv. Observ.
  2. On ne rend point ici justice à M. Leclerc, qui a corrigé un nombre infini de fautes dans les éditions de Hollande du Dictionnaire de Moréri, et qui y a fait des additions très-considérables. Notre auteur n’a point vu ces éditions : il n’en parle qu’après le réviseur de Paris, qui, pour faire mieux valoir son travail, avait méprisé celui de M. Leclerc, dans le temps même qu’il en profitait. M. Leclerc fit voir l’injustice de son procédé, dans un Mémoire inséré dans les Nouvelles de la République des Lettres, février 1700, art. VII, pag. 207 et suiv. Il remarqua même que le réviseur de Paris avait laissé passer des fautes, qui étaient corrigées dans les dernières éditions de Hollande : par exemple à l’article Cab, il y avait Cumbertund au lieu de Cumberland. Cette faute se trouve encore dans l’édition de 1725. Nouv. Observ.
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