Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Mamillaires


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MAMILLAIRES, secte parmi les anabaptistes. Je ne sais pas bien le temps où ce nouveau schisme se forma ; mais on donne la ville de Harlem pour le lieu natal de cette subdivision[a]. Elle doit son origine à la liberté qu’un jeune homme se donna de mettre la main au sein d’une fille qu’il aimait, et qu’il voulait épouser. Cet attouchement parvint à la connaissance de l’église, et là-dessus on délibéra sur les peines que le délinquant devait souffrir : les uns soutinrent qu’il devait être excommunié, les autres dirent que sa faute méritait grâce, et ne voulurent jamais consentir à son excommunication. La dispute s’échauffa de telle sorte qu’il se forma une rupture totale entre les tenans. Ceux qui avaient témoigné de l’indulgence pour le jeune homme furent nommés Mamillaires [b] (A). En un certain sens cela fait honneur aux anabaptistes ; car c’est une preuve qu’ils portent la sévérité de la morale beaucoup plus loin que ceux que l’on nomme rigoristes dans le Pays-Bas Espagnol (B). Je rapportera à ce propos un certain conte que l’on fait du sieur Labadie (C). J’ai ouï dire que des gens d’esprit soutinrent un jour dans une conversation qu’il n’y aura jamais de basiaires, ou d’osculaires, entre les anabaptistes (D).

  1. Voyez Micrælius, Syntagm. Histor. Eccles.. pag. 1012. édition 1679.
  2. Voyez Stoupp, Religion des Hollandais, lettre III, pag. m. 61. Voyez aussi le Syntagma de Micrælius, pag. 1012.

(A) Mamillaires. ] Il n’est pas besoin de faire ici l’étymologiste. Tous ceux qui entendent le français savent que le mot mamelle, qui n’est plus du bel usage, signifie la même chose que téton.

(B) Les anabaptistes.….... portent la sévérité de la morale beaucoup plus loin que.... les rigoristes...... du Pays-Bas espagnol. ] Les casuistes les plus relâchés, les Sanchez et les Escobars, condamnent l’attouchement des tétons : ils conviennent que c’est une impureté, et une branche de la luxure, l’un des sept péchés mortels. Mais, si je ne me trompe, ils n’imposent pas au coupable une pénitence fort sévère : et il y a plusieurs pays dans l’Europe où ils sont presque contraints de traiter cela comme les petites fautes que l’on appelle quotidianæ incursionis. On est si accoutumé à cette mauvaise pratique dans ces pays-là, et c’est un spectacle si ordinaire jusques au milieu des rues, à l’égard surtout du commun peuple, que les casuistes mitigés se persuadent que cette habitude efface la moitié du crime : ils croient qu’on ne l’envisage point sous l’idée d’une liberté fort malhonnête, et que le scandale du spectateur est très-petit. C’est pourquoi ils passent légèrement sur cet article de la confession. Je ne pense pas que jamais aucun rigoriste ait différé pour un tel sujet l’absolution de son pénitent, non pas même dans les climats où cette espèce de patinage est peu usitée, et passe pour une de ces libertés dont les personnes de l’autre sexe sont obligées de se fâcher tout de bon. Ainsi les anabaptistes sont les plus rigides de tous les moralistes chrétiens, puisqu’ils condamnent à l’excommunication celui qui touche le sein d’une maîtresse qu’il veut épouser, et qu’ils rompent la communion ecclésiastique avec ceux qui ne veulent pas excommunier un tel galant.

(C) Je rapporterai un certain conte que l’on fait du sieur Labadie. ] Tous ceux qui ont ouï parler de ce personnage savent qu’il recommandait à ses dévots, et à ses dévotes, quelques exercices spirituels, et qu’il les dressait au recueillement intérieur et à l’oraison mentale. On dit qu’ayant marqué à l’une de ses dévotes un point de méditation, et lui ayant fort recommandé de s’appliquer toute entière pendant quelques heures à ce grand objet, il s’approcha d’elle lorsqu’il la crut la plus recueillie, et lui mit la main au sein. Elle le repoussa brusquement, et lui témoigna beaucoup de surprise de ce procédé, et se préparait à lui faire des censures lorsqu’il la prévint. Je vois bien, ma fille, lui dit-il sans être déconcerté, et avec un air dévot, que vous êtes encore bien éloignée de la perfection ; reconnaissez humblement votre faiblesse ; demandez pardon à Dieu d’avoir été si peu attentive aux mystères que vous deviez méditer. Si vous y aviez apporté toute l’attention nécessaire, vous ne vous fussiez pas aperçue de ce qu’on faisait à votre gorge. Mais vous étiez si peu détachée des sens, si peu concentrée avec la divinité, que vous n’avez pas été un moment à reconnaître que je vous touchais. Je voulais éprouver si votre ferveur dans l’oraison vous élevait au-dessus de la matière, et vous unissait au souverain être, la vive source de l’immortalité, et de la spiritualité ; et je vois avec beaucoup de douleur que vos progrès sont très-petits, vous n’allez que terre à terre. Que cela vous donne de la confusion, ma fille, et vous porte à mieux remplir désormais les saints devoirs de la prière mentale. On dit que la fille, ayant autant de bon sens que de vertu, ne fut pas moins indignée de ces paroles que de l’action de Labadie, et qu’elle ne voulut plus ouïr parler d’un tel directeur. Je ne garantis point la certitude de tous ces faits ; je me contente d’assurer qu’il y a beaucoup d’apparence que quelques-uns de ces dévots si spirituels, qui font espérer qu’une forte méditation ravira l’âme, et l’empêchera de s’apercevoir des actions du corps, se proposent de patiner impunément leurs dévotes, et de faire encore pis. C’est de quoi l’on accuse les molinosistes. En général, il n’y a rien de plus dangereux pour l’esprit que les dévotions trop mystiques et trop quintessenciées, et sans doute le corps y court quelques risques, et plusieurs y veulent bien être trompés.

(D) Il n’y aura jamais de basiaires, ou d’osculaires, parmi les anabaptistes. ] Ce seraient des gens qu’on retrancherait de sa communion, parce qu’ils n’auraient pas voulu consentir que l’on excommuniât ceux qui donnent des baisers à leurs maitresses. Or voici le fondement de ceux qui niaient qu’on puisse attendre un tel schisme. Il n’est possible, disaient-ils, qu’au cas qu’il y eût des casuistes assez sévères pour vouloir que l’excommunication fût la peine d’un baiser, comme il s’en est trouvé d’assez rigides pour vouloir faire subir cette pénitence à celui qui avait touché les tétons de sa maîtresse. Ces deux cas ne sont point pareils. Les lois de la galanterie de certains peuples, continuaient-ils, ont établi de génération en génération, et surtout parmi les personnes du tiers état, que les baisers soient presque la première faveur, et que l’attouchement des tétons soit presque la dernière, ou la pénultième. Quand on est élevé sous de tels principes, on ne croit faire, on ne croit souffrir que peu de choses par des baisers, et l’on croit faire ou souffrir beaucoup par le maniement du sein. Ainsi, quoique les administrateurs des lois canoniques aient fort crié contre le jeune homme qui fut protégé par les mamillaires, il ne s’ensuit pas qu’ils crieraient contre l’autre espèce de galanterie. Ils déféreraient à l’usage, ils pardonneraient des libertés qui ne passent que pour les premiers élémens, ou pour l’alphabet des civilités caressantes. Je ne rapporte ces choses que pour faire voir qu’il n’y a point de matière sur quoi la conversation des personnes de mérite ne descende quelquefois. Il n’est pas inutile de faire connaître cette faiblesse des gens d’esprit. En conscience, une telle spéculation méritait-elle d’être examinée ? Et après tout n’eût-il pas bien mieux valu ne point répondre décisivement de l’avenir ? De futuro contingenti non est quoad nos determinata veritas, disent judicieusement les maîtres dans les écoles de philosophie.

Notez en passant, qu’il y a eu des pays où l’on supposait que le premier baiser qu’une fille recevait de son galant était celui des fiançailles. Voici ce qu’on lit dans l’histoire de Marseille [1] : Le fiancé donnait ordinairement un anneau à la fiancée le jour des fiançailles, et lui faisait encore quelque présent considérable en reconnaissance du baiser qu’il lui donnait. En effet, Fulco, vicomte de Marseille, fit donation, l’an 1005, à Odile sa fiancée, pour le premier baiser, de tout le domaine qu’il avait aux terres de Sixfours, de Cireste, de Soliers, de Cuge et d’Olières. Cet usage était fondé, à ce que j’estime, sur la loi [* 1] 16. Si à Sponso, qui ordonnait que lorsque le mariage n’avait pas son effet, la fiancée gagnait la moitié des présens qu’elle avait reçus du fiancé, car les anciens croyaient que la pureté d’une fille était flétrie par un seul baiser, mais cette loi est présentement abrogée en ce royaume. Voyez ci-dessus [2] la réponse qui fut faite par une fille Florentine.

  1. (*) Leg. 16, cod. lib. 5.
  1. Ruffi, Histoire de Marseille, tom. II, p. 391, édition de 1696.
  2. Remarque (A) de l’article Gualdrade, tom. VII.

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