Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Henri 1


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HENRI VI, empereur d’Allemagne, fils de Frideric Barberousse, fut couronné par le pape Célestin III (A), le 15 d’avril 1191. Il allait avec une puissante armée recueillir la succession de Naples et de Sicile, qui était échue à l’impératrice Constance, sa femme, après la mort du jeune Guillaume, roi de Sicile[a]. Il trouva tant d’oppositions à cette prise de possession, que peu s’en faut qu’on ne puisse dire qu’il obtint par conquête ces deux royaumes. Il se fit tellement craindre, que l’empereur Alexis l’Ange ne put obtenir la paix qu’en lui payant un tribut[b]. S’il n’avait fait que cela on louerait sa valeur ; mais toutes les louanges qu’il peut avoir méritées de ce côté-là sont absorbées par la cruauté et par la déloyauté qu’il fit paraître, en exterminant sous de faux prétextes tout ce qui restait de la race de ces braves Normands, qui avaient conquis cette partie d’Italie que l’impératrice sa femme, leur héritière, lui donna droit de posséder[c]. On dit que cette princesse, pour l’en punir, lui fit avaler le poison dont il mourut à Messine, l’an 1198[* 1], à l’âge de trente-deux ans[d]. Il laissa un fils qui fut empereur sous le nom de Fridéric II. Constance était si âgée quand elle mit au monde ce fils, que, pour éloigner les soupçons de supposition, elle accoucha publiquement (B). Ces précautions n’empêcherent pas qu’on ne dît que cet enfant était supposé (C). Il y a des auteurs qui soutiennent que Constance n’était ni religieuse, ni fort âgée, lorsqu’elle épousa Henri VI (D).

  1. * Leclerc dit que Henri VI mourut le 28 septembre 1197.
  1. Voyez Maimbourg, Décadence de l’Empire, liv. V, pag. m. 476.
  2. Là même.
  3. Là même, pag. 477.
  4. Maimbourg. Décadence de l’Emp., liv. V, pag. 477, citant l’Abbé d’Ursperg.

(A) Il fut couronné par le pape Célestin. ] On rapporte cette circonstance touchant ce couronnement. Comme l’empereur « était à ses pieds, Celestin qui lui mit la couronne sur la tête haussa le pied, et fit tomber la même couronne, pour faire voir qu’il pouvait la lui donner et la lui ravir. Baronius loue cette action ; mais les choses ont à mon avis changé de face, et de tous les princes il n’y en a point qui voulût souscrire fort sincèrement à l’opinion de ce cardinal[1]. » Je cite l’auteur qui parle ainsi.

(B) Pour éloigner les soupçons de supposition, elle accoucha publiquement. ] Voici un passage de Brantôme, qui mérite d’être lu. Constance reine de Sicile, qui dès sa jeunesse et toute sa vie n’avoit bougé vestale du cloistre en chasteté, venant à s’émanciper au monde à l’âge de cinquante ans, qui n’étoit pas belle pourtant, toute decrepite, voulut taster de la douceur de la chair, et se maria et engrossa d’un enfant en l’age de cinquante deux ans, duquel elle voulut enfanter publiquement dans les plaines et prairies de Palerme, y ayant fait dresser une tente et un pavillon expres, à fin que le monde n’entrast en doute que son fruit estoit apposté ; qui fut un des grands miracles que l’on ait jamais veus du depuis sainte Elisabeth. L’histoire de Naples dit pourtant, qu’on le reputa supposé [* 1], et fut il pourtant un grand personnage : mais ce sont la pluspart des braves que les bastards : ainsi que me dit un jour un grand [2].

(C) ... Ces précautions n’empêchèrent pas qu’on ne dît que cet enfant était supposé. ] Brantôme vient de nous l’apprendre, mais voici un auteur qui nous indiquera mieux les preuves. Il a été verifié, dit-il [3], que des femmes aagées de cinquante ans et davantage avoyent fait des enfans. Nous en avons l’exemple en ceste nonnain renommée, Constance, mere de Frideric II, laquelle tirée du cloistre fut uniquement heritiere et roine de Sicile. Icelle ayant conceu lignée en l’aage de cinquante deux ans passez, pour lever tout soupçon, fit dresser un pavillon en pleine place de certaine ville de Sicile, et en presence des plus notables dames du pays voulut acoucher en public. Ce nonobstant plusieurs debattirent ceste aventure, entre autres le marquis d’Ancone nommé Marquard, lequel offrit verifier que cest enfant n’estoit point issu de Henri et de Constance, ains estoit supposé, ce dit Pandolfe Colienuccio [* 2]. Si l’on a pu dire que les précautions les plus raffinées sont inutiles contre l’amour, on peut dire aussi qu’elles le sont contre l’ambition. Faites tout ce qu’il vous plaira pour convaincre le public qu’un tel ou un tel accouchement n’est point chimérique, mais très-réel, on aura toujours des réponses à vous faire : l’expédient, qui guérit l’incrédulité de saint Thomas, est presque le seul qui soit à l’épreuve de la chicane ; Si je ne mets mon doigt, etc., vous dira-t-on, comme faisait cet apôtre, je ne le croirai point [4]. Je se sais même si après l’attouchement, on ne dirait pas : J’ai bien vu et touché comment l’enfant est sorti, mais non pas comment il est entré. Votre mari était-il capable de le faire ?

(D) Des auteurs... soutiennent que Constance n’était ni religieuse, ni fort âgée, lorsqu’elle épousa Henri VI. ] C’est une opinion commune qu’elle fut tirée d’un cloître, et qu’elle eut dispense de se marier avec l’empereur Henri VI, et qu’elle conçut à l’âge d’environ cinquante-cinq ans. Mais il y a des historiens qui nient cela. Voyons la suite du passage de Camérarius que j’ai rapporté [5] : Peut estre que Jean Michel Brutus [6] a prins occasion de ce recit, de nier tout à plat que Constance eust onques esté nonnain ou abbesse, ni que le pape Celestin l’eust dispensée de se marier, d’autant que selon son calcul elle aurait esté lors aagée de soixante ans. Au contraire, il allegue Hugues Falcand historien, lequel dit qu’alors elle estoit fille en fleur d’aage, qui fut mariée à Henri sous le règne de Guillaume surnommé le Bon, lorsque Fridéric Barberousse vivoit encor : mais que la confusion des temps a esté cause de cest equivoque. J’estime, dit-il, quelle fut emmenée du palais royal en une abbaye de nonnains, lors que le peuple mutiné mit en prison le roy Guillaume surnommé le mauvais, et qu’on ne trouva lieu plus commode pour la garantir durant telles tempestes. Icelles appaisées, cette princesse qui estoit en ses droits, et non voilée ni professe, demeura parmi les nonnains jusques à ce qu’elle espousa Henri.

  1. * Leclerc et Joly prétendent que rien n’est plus faux que ce passage de Brantôme ; et cependant ils avouent que le pape Célestin III, avant de couronner Frédéric, roi de Sicile, exigea que Constance, sa mère, jurât sur les évangiles qu’il était né d’elle et de Henri.
  2. (*) Lib. IV de l’Histoire de Naples.
  1. Chevrean, Histoire du Monde, liv. V, chap. II, pag. 75, du troisième tome, édition de Hollande, 1687.
  2. Brantôme, Dames galantes, tom. II, pag. 207.
  3. Camérarius, Méditations historiques, vol. II, liv. IV, chap VII, pag. 296, de la traduction de Simon Goulart.
  4. Évangile de saint Jean, chap. XX, vs. 25.
  5. Camérarius, Méditations histor., vol. II, liv. IV, pag. 296.
  6. Liv. II, de Instauratione ital. C’est ainsi que Camérarius le cite, dans l’édition latine de Francfort, 1658, pag. 276.

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