Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Dolabella 1


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DOLABELLA (Publius Cornélius), gendre de Cicéron, s’attacha entièrement au parti de Jules César. Il se trouva à la bataille de Pharsale, à celle d’Afrique et à celle de Munda (A) : il fut même blessé dans la dernière de ces trois batailles. Pendant son tribunat du peuple il causa mille désordres, ce qui affligeait mortellement Cicéron [a]. Il voulait établir des lois pour l’abolition des dettes (B), afin de s’attirer l’affection de la populace, et de se délivrer lui-même de l’obligation de satisfaire ses créanciers [b] ; mais il trouva de fortes oppositions. Marc Antoine, dont il avait débauché la femme, fut le principal obstacle qu’il rencontra : de sorte qu’on pourrait dire que, si cette femme avait été vertueuse, la ville de Rome serait tombée dans une affreuse confusion, par la bonne intelligence qui aurait régné entre les deux plus grands perturbateurs du repos public qui fussent alors en Italie. Tout a ses usages dans ce monde : les galanteries de la femme de Marc Antoine rendirent un grand service à la patrie ; elles furent cause [c] qu’il renversa tous les desseins d’un tribun factieux [d]. César était en Égypte pendant ces contestations. Son retour à Rome y remit le calme : il pardonna à Dolabella ; et, contre les formes, il l’éleva au consulat quelques années après ; car Dolabella n’avait point encore l’âge compétent, et n’avait point été préteur [e]. Marc Antoine s’opposa le plus qu’il put à la prise de possession de ce consulat (C) ; mais comme César fut tué peu de mois après cette nouvelle querelle de Marc Antoine et de Dolabella, ceux-ci terminèrent leurs différens, afin de mieux résister au parti républicain. Ils étaient consuls l’année que César fut assassiné ; et firent d’abord quelques démarches d’où les bien intentionnés tirèrent un bon augure (D). Cela n’eut point de suite. Dolabella obtint le gouvernement de Syrie ; mais il fit si peu de diligence pour en prendre possession, qu’il donna le temps à Cassius de s’en rendre maître : et comme il apprit que le sénat avait conféré à Cassius ce même gouvernement, il ne trouva pas à propos de continuer son voyage. Il s’arrêta donc à Smyrne, et y fit mourir traîtreusement Trébonius (E), gouverneur de l’Asie mineure, et l’un des meurtriers de Jules César. Dès que la nouvelle de cette action fut sue à Rome, le sénat déclara Dolabella ennemi du peuple romain. Par la mort de Trébonius, l’Asie mineure fut réduite à la discrétion de Dolabella, qui ne manqua pas alors de marcher vers la Syrie. Tout plia sous lui, à cause que Cassius était absent ; tout, dis-je, plia hormis Antioche : mais Cassius étant venu avec de fort bonnes troupes, assiégea Dolabella dans la ville de Laodicée, et le réduisit à la dure nécessité ou de se tuer ou de se rendre. Dolabella choisit le premier parti [f] (F). On dit qu’il n’était âgé que de vingt-six à vingt-sept ans [g]. Pour connaître son humeur mutine et brouillonne, il ne faut que se souvenir qu’à l’exemple de Clodius il se fit adopter par un plébéien, afin de pouvoir être tribun du peuple [h]. Les fautes (G) de M. Moréri sont considérables.

  1. Voyez l’article Tullie, tome XIV.
  2. Dio, lib. XLII, pag. 223.
  3. Plutarch., in Antonio, pag. 919.
  4. Dio, lib. XLII, pag. 224 et sequent.
  5. Idem, pag. 225.
  6. Tiré de Dion, lib. XLVII, ad annum Romæ 712.
  7. Appien, de Bello civ., lib. II, pag. m. 279, lui donne vingt-cinq ans à la mort de Jules César. Voyez la rem. (E) de l’article Tullie, tome XIV.
  8. Dio, lib. XXIV, pag. 223.

(A) Il se trouva à la bataille de Pharsale, à celle d’Afrique et à celle de Munda. ] Le passage de Cicéron que j’apporte en preuve servira à quelque autre chose. Quonam modo igitur Dolabella pervenit (in Hispaniam ) ? aut non suscipienda fuit ista caussa, Antoni, aut, cùm suscepisses, defendenda usque ad extremum. Ter depugnavit Cæsar cum civibus, in Thessaliâ, Africâ, Hispaniâ, omnibus affuit his pugnis Dolabella : Hispaniensi etiam vulnus accepit : si de meo judicio quæris, nollem : sed tamen consilium à primo reprehendendur, laudanda constantia [1]. Remarquez là deux choses, dont l’une est un tour de passe-passe de rhétoricien, et l’autre une assez bonne maxime. Cicéron ne pouvait pas ignorer que Marc Antoine demeurant en Italie par les ordres de César avait rendu autant de services au parti, que s’il eût accompagné César en Égypte, et au royaume du Pont. On ne pouvait pas ignorer que la crainte du péril n’était point l’un des défauts de Marc Antoine, et que d’autres raisons l’avaient empêché de suivre César en Afrique et en Espagne. Cependant, comme le séjour de Rome, considéré en gros dans de telles circonstances, pouvait recevoir un méchant tour, la rhétorique ne marqua pas d’en faire du bruit, comme d’un acte de poltronnerie. On savait que rien ne pouvait choquer davantage un homme de guerre que des insultes de cette nature, et on ne manqua pas d’empaumer la chose de ce côté-là. Cui bello cum propter timiditatem tuam, tùm propter libidenes defuisti........ Tam bonus gladiatior rudem tam citò accepisti ? Hunc igitur quisquam qui in suis partibus, id est in suis fortunis, tam timidus fuerit, pertimescat [2] ? On n’oublia pas, pour faire plus de dépit, les éloges de Dolabella. Je voudrais que les commentaires fissent sentir ces tours de rhétoricien.

(B) Il voulait établir des lois pour l’abolition des dettes. ] On appelait cela novas tabulas. Voici l’explication qu’en donne un savant critique : Sunt tabulæ novæ nihil aliud quàm lex seu decretum communi consensu factum, quo civitate per alterius partis ultimam pauperiem, et ex eâ seditionem, in extremo periculo constitutâ, nexis atque obæratis, ad concordiam faciendam, debita in universum remittuntur, ita ut hoc nomine nec corpora eorum, neque bona vincta teneri queant [3].

(C) César........ l’éleva au consulat.......... Marc Antoine s’opposa le plus qu’il put à la prise de possession de ce consulat. ] Cicéron s’est étendu sur ce démêlé dans sa IIe. philippique, et a prétendu que l’on joua Dolabella. On le poussa à briguer le consulat ; on le lui fit espérer, et puis on le laissa succomber aux oppositions. César fut l’auteur de cette supercherie. Nihil queror de Dolabellâ qui tum est impulsus, inductus, elusus : quâ in re qua fuerut uterque vestrûm perfidia in Dolabellam quis ignorat ? Ille (Cæsar) induxit ut peteret ; promissum et receptum intervertit ad seque transtulit : tu ejus perfidiæ voluntatem tuam adscripsisti [4]. Cicéron ajoute que le sénat ayant été convoqué le premier jour de janvier [5], Dolabella fit un discours sanglant contre Marc Antoine [6], et que celui-ci s’emporta furieusement contre Dolabella. César avait déclaré, qu’en partant pour sa grande expédition contre les Parthes, il mettrait à sa place Dolabella dans le consulat. Marc Antoine était alors le collègue de César dans cette charge ; et comme il ne voulait point avoir Dolabella pour collègue, il déclara qu’il était augure, et qu’il saurait faire valoir cette dignité pour empêcher que l’élection de Dolabella ne se fît, ou ne fût valable. Cùm Cæsar ostendisset se priusquàm proficisceretur Dolabellam consulem esse jussurum........ tum hic bonus augur eo se sacerdotio præditum esse dixit, ut comitia auspiciis vel impedire vel vitiare posset : idque se facturum esse asseveravit [7]. Le jour de l’élection étant venu, les suffrages tombèrent sur Dolabella. Là-dessus Marc Antoine, qui n’avait dit mot pendant que l’élection s’était faite, dit tout haut qu’il fallait remettre l’assemblée à un autre jour. Il dit cela comme augure, et ne désista point de cette dénonciation jusques après la mort de César. Alors il fut de son intérêt de reconnaître que l’élection de Dolabella était légitime, et il se réconcilia avec lui [8]. Plutarque [9] raconte en moins de paroles que Cicéron comment César, ayant déclaré au sénat qu’il voulait céder sa charge de consul à Dolabella, fut contraint de renvoyer cette affaire à une autre fois, à cause des oppositions violentes de Marc Antoine, qui dit mille injures à Dolabella, et n’en reçut pas moins de lui. César, quelque temps après, voulut procéder à sa démission en faveur de Dolabella, et fut contraint de désister, à cause que Marc Antoine lui allégua que les auspices étaient contraires. Dolabella se voyant abandonné pesta tout son soûl. Je ne trouve rien à dire à ce récit de Plutarque, si ce n’est qu’on y a omis une circonstance très-essentielle ; savoir, que César ne céda pas de telle sorte, qu’il ne laissât à Dolabella le droit de prétendre. Il laissa indécis si l’opposition de Marc Antoine était nulle, ou si elle était valable. Je crois franchement qu’il se trouvait embarrassé de ces deux hommes, et qu’encore qu’il eût dit un jour qu’il ne craignait point les gens aussi gras et aussi bien peignés que ceux-là [10], mais qu’il redoutait les visages pâles et maigres [11], il sentait que l’amitié de Marc Antoine et celle de Dolabella lui étaient à charge. Il y avait apparemment quelque collusion entre lui et Marc Antoine sur le consulat de Dolabella ; mais il est sûr que Marc Antoine lui parla insolemment en d’autres rencontres : par exemple, lorsque César, après la guerre d’Afrique, lui demanda compte de la vente des biens de Pompée. Voici ce que Cicéron a dit là-dessus : on ne pouvait mieux tourner la chose. Appellatus es de pecuniâ, quam pro domo, pro hortis, pro sectione debebas : primò respondisti planè ferociter ; et, ne omnia videar contra te, propemodum æqua, et justa dicebas. A me C. Cæsar pecuniam ? cur potiùs, quàm ego ab illo ? an ille sine me vicit ? at ne potuit quidem : ego ad illum belli : civilis caussam attuli : ego leges pernitiosas rogavi....... Num sibi soli vicit ? quorum facinus est commune, cur non sit eorum præda communis ? jus postulabat : sed quid ad rem ? plus ille poterat [12]. Après sa dernière expédition d’Espagne, César le traita beaucoup plus civilement [13] : il lui fit cent amitiés, ce qui marque qu’il le regardait comme un fort malhonnête homme, très-capable de le servir, et de le desservir aussi. Cicéron sur le choix des bons amis, rend un très-mauvais témoignage à Jules César [14]. Au reste, vous trouverez dans Appien [15] un long récit touchant le manège de Marc Antoine, par rapport au consulat de Dolabella, avant leur réconciliation, et après la mort de César.

(D) Marc Antoine et Dolabella.... firent quelques démarches d’où les bien intentionnés tirèrent un bon augure. ] Marc Antoine, trois jours après la mort de César, harangua dans le sénat sur la paix et sur la concorde, et charma les honnêtes gens. Il envoya son fils en otage aux conjurés, qui n’osaient descendre du Capitole. Cicéron le renvoie souvent à ce jour-là. Unum illum diem quo in œde Telluris senatus fuit, non omnibus iis mensibus quibus te quidam multum à me dissentientes beatum putant, anteponis ? Quæ fuit oratio tua de concordiâ ? Quanto metu veterani, quantâ sollicitudine civitas tum à te liberata est [16] ? Voyez, au commencement de la Ire. philippique, le détail des bonnes choses que fit Marc Antoine de concert avec Dolabella. Celui-ci en particulier fit une action de grand éclat, et fort nécessaire au bien public. Une cohue de gens de toutes sortes de conditions rendait les honneurs divins à une colonne de marbre, élevée au milieu du Forum en l’honneur de Jules César [17]. Dolabella fit abattre cette colonne, et punir de mort un grand nombre de ces factieux. Il prévint par-là le pillage de la ville ; car leur but était de rendre odieux tous les amateurs de la liberté. Cùm serperet in urbe infinitum malum, idque manaret in dies latiùs, iidemque bustum in foro facerent, qui illam insepultam sepulturam effecerant ; et quotidiè magis magisque perditi homines cum suî similibus servis, tectis, ac templis urbis minarentur, talis animadversio fui Dolabellæ cùm in audaces sceleratosque servos, tùm in impuros et nefarios liberos, talisque eversio illius execratæ columnæ, ut mihi mirum videatur, etc. [18]. Voyez dans la remarque (L) de l’article Tullie un autre passage de Cicéron sur ce même fait.

(E) Il s’arrêta à Smyrne et y fit mourir traîtreusement Trébonius. ] Il lui donna tant de marques d’amitié, qu’il l’empêcha de se tenir sur ses gardes : il lui fut donc facile de se rendre maître de Smyrne pendant la nuit, et de forcer la maison de Trébonius. Il le fit cruellement torturer deux jours, et puis il lui fit couper la tête, que l’on ficha au bout d’un dard, pour être portée en montre ; le corps fut traîné par les rues, et jeté enfin dans la mer. Cicéron nous va dire tout cela très-éloquemment [19] : Consecutus est Dolabella, nullâ suspicione belli : quis enim id putaret : secutæ collocutiones familiarissimæ cum Trebonio, complexusque summæ benevolentiæ falsi indices extiterunt in amore simulato : dexteræ, quæ fidei testes esse solebant, perfidiæ sunt, et scelere violatæ : nocturnus introitus Smyrnam, quasi in hostium urbem, quæ fidissimorum, antiquissimorumque sociorum... Interficere captum statim noluit ; ne nimis, credo, in victoriâ liberalis videretur ; cùm verborum contumeliis optimum virum incesto ore lacerâsset, tum verberibus, ac tormentis quæstionem habuit pecuniæ publicæ, idque per biduum : post, cervicibus fractis, caput abscidit, idque affixum gestari jussit in pilo : reliquum corpus tractum, atque laceratum abjecit in mare. Allez à la source même ; car je serais trop long, si je rapportais tout ce qui se trouve sur cela dans la harangue que je cite. On verra ci-dessous [20] la pieuse réflexion de Marc Antoine sur la mort de ce meurtrier de César. On se fait un style de moralités, dont les plus perdus de tous les hommes ont l’audace de se servir.

(F) Dolabella choisit le parti de se tuer. ] Il se tua lui-même, à ce que dit Dion Cassius [21] ; mais d’autres disent qu’un de ses gardes à sa prière lui coupa la tête, et puis se tua, sans avoir égard au conseil que son maître lui avait donné, de se présenter au vainqueur pour obtenir grâce [22]. Appien le nomme Marsus, mais Dion appelle Octavius. De là est venu qu’Ussérius [23] a débité que Marsus et Octavius se tuèrent dans Laodicée. On peut voir dans l’une des philippiques que Marsus Octavius, misérable sénateur romain, n’était qu’un seul homme. Cicéron en parle avec le dernier mépris. Quid opus fuit cum legione præmisso Marso nescio quo Octavio, scelerato latrone atque egente, qui popularetur agros, vexaret urbes, non ad spem constituendæ rei familiaris, quam tenere eum posse negant, qui nôrunt, (mihi enum hic senator ignotus est) sed ad præsentem pastum mendicitatis suæ ? consecutus est Dolabella [24]. Cette faute d’Ussérius, critiquée par le père Noris [25], est d’autant plus excusable, qu’Appien a fait connaître son Marsus par un emploi [26] de plus petite étendue que celui que Dion a donné à Octavius. Je crois qu’on devrait lire dans Dion Μαρσὸς Οκτάουϊος, et non Μάρκὸς Οκταούϊος. Si l’on me dit qu’au contraire il faudrait lire dans Cicéron Marcus Octavius, et non pas Marsus Octavius, je réponds que ma conjecture est fondée sur ce qu’Appien a nommé ce personnage Marsus tout court. Il serait absurde de vouloir lire Marcus dans Appien ; car dans une histoire, on ne désigne pas les gens par leur seul prénom. Je ne voudrais pas rejeter absolument la supposition de Glandorp [27], que cet homme se nommait Marcus Octavius Marsus.

(G) Les fautes de M. Moreri sont considérables. ] 1o. Il ne fallait pas avancer comme une chose douteuse, que les Dolabella fussent sortis des Cornéliens. C’est un fait certain, et que personne n’ignore. 2o, En parlant de Dolabella, déclaré ennemi de la république pour le meurtre de Trébonius, il ne fallait oublier ni son nom, ni son prénom. Je dis le même touchant les autres Dolabella dont Moréri a parlé. 3o. Il ne fallait pas dire qu’il fut déclaré ennemi de la république l’an 710, mais l’an 711 ; car on apprit à Rome la mort de Trébonius un an [28] après que César eut été tué [29]. Hirtius, qui fut consul l’an 711, était actuellement dans les fonctions de sa charge [30], lorsque Marc Antoine lui écrivit [31]. Dedisse pœnas sceleratum (il parle de Trébonius) cineri atque ossibu clarissimi viri, et apparuisse numen Deorum intra finem anni vertentis, aut jam soluto supplicio parricidii aut impendente lætandum est. 4o. Il ne fallait pas faire connaître ce Dolabella par son grand pouvoir sur l’esprit d’Antoine, puisque les querelles de ces deux hommes sont mille fois plus connues, et durèrent beaucoup plus que leur bonne intelligence. Quorum summum quondam inter ipsos odium, bellumque meministis, eosdem posteà singulari inter se consensu, et amore devinxit impurissimæ naturæ et turpissimæ vitæ similitudo [32]. 5o. Il ne le fallait pas distinguer du gendre de Cicéron. 6o. Ni peut-être de celui qui renvoya à l’aréopage le procès de cette femme de Smyrne qui avait empoisonné son mari. M. Valois ne croit point que le Dolabella qui ne voulut point juger cette femme, soit différent de celui qui fit mourir Trébonius, et qui périt à Laodicée [33]. 7o. En tout cas, il ne fallait point donner à l’auteur de ce renvoi le prénom Cnéus, puisque Valère Maxime lui donne celui de Publius. Et qu’on ne me dise pas qu’Aulu-Gelle le nomme Cnéus ; car outre que M. Moréri ne cite point Aulu-Gelle, mais Valère Maxime, il faut remarquer qu’Aulu-Gelle cite Valère Maxime comme son original. Il est donc plus à propos de corriger le copiste par Valère Maxime, que celui-ci par le copiste. 8o. Il ne fallait point assurer que la femme dont le procès fut renvoyé à l’aréopage était accusée d’avoir empoisonné son mari, et un fils qu’il avait eu d’un autre lit ; car le sens le plus naturel, le plus légitime des paroles de l’auteur cité par M. Moréri [34], est que cette femme empoisonna son mari et le fils qu’elle avait eu de ce mari, parce qu’ils avaient tué le fils qu’elle avait eu d’un autre mari. Aulu-Gelle, qui a exprimé en d’autres termes cette histoire, lorsqu’il l’a copiée de Valère Maxime, a si bien compris le sens dont je parle, qu’il a donné ordre que les lecteurs ne pussent être en suspens : Mulier Smyrnæa... id fecisse confitebatur, dicebatque habuisse se faciendi causam, quoniam idem illi maritus et filius alterum filium mulieris ex viro priore genitum, adolescentem optimum et innocentissimum exceptum insidiis occidissent [35]. Ammien Marcellin, parlant de ce fait, évita sans doute l’équivoque qui pouvait rester dans la phrase de Valère Maxime ; mais comme son texte est fort gâté en cet endroit-là [36], il ne peut pas lever pleinement nos doutes. Quelques éditions portent, Smyrnæa materfamilias filium propriam et maritum venenis necâsse confessa ; d’autres ont sobolem propriam. Tout cela condamne Moréri. Remarquons en passant une chose qu’il faudrait répéter cent mille fois, si l’on en voulait parler dans chaque occasion : c’est que la langue latine n’a point l’avantage d’ôter les sens ambigus comme la nôtre les ôte. Voilà Valère Maxime qui, en rapportant un fait singulier, et tout-à-fait surprenant, s’est servi d’une expression qui partage les interprètes touchant l’espèce du crime que cette femme commit. M. Moréri n’est pas le plus habile homme qui ait supposé que cette femme était la marâtre de l’un des deux hommes qu’elle empoisonna. Le savant Henri Valois [37] a interprété de la sorte la phrase de Valère Maxime. Il est en cela moins digne de foi qu’Aulu-Gelle, qui a cru que cette femme empoisonna son propre fils. La différence est si grande entre le crime tel qu’Aulu-Gelle l’a conçu, et le crime tel que M. Valois se le figure, qu’on ne de point excuser l’historien qui a raconté assez mal un fait de cette importance, pour donner lieu à de telles diversités d’interprétation. 9o. M. Moréri ne devait pas attribuer au mari de cette femme tout le meurtre du jeune homme ; car le fils, ou de ce mari, ou de cette femme, fut complice de l’assassinat. 10o. Enfin il ne devait pas assurer que l’accusateur et le mari de cette femme étaient la même personne ; car puisqu’elle était coupable d’avoir fait mourir son mari, ce ne fut point son mari qui la poursuivit en justice ; et par conséquent l’aréopage ne commanda point à ce mari de se présenter avec l’accusée au bout de cent ans.

  1. Cicero, Philipp. II, cap. XXX.
  2. Idem, cap. XXIX.
  3. Johan. Schefferus, in Libello de Novis Tabulis, apud Casparem Sagittarium, in Vitâ Tulliæ, pag. 13, 14.
  4. Cicero, Philipp. II, cap. XXXII.
  5. En 710 de Rome.
  6. Invectus est copiosius multò in istum et paratiùs Dolabella quàm nunc ego. ldem, d. C.
  7. Cicero, Philipp. II, d. cap. XXXII.
  8. Collegam tuum depositis inimicitiis, oblitus auspiciorum à te ipso populo romano nunciatorum illo die (c’est-à-dire trois jours après la mort de César, ) collegam tibi esse voluisti. Cicero, Philipp. I, cap. XIII.
  9. Plut., in Antonio, pag. 921.
  10. Là même.
  11. Il voulait parler de Brutus et de Cassius. Idem, ibid.
  12. Cicero, Philipp. II, cap. XXIX.
  13. Cicero, Philipp. I, cap. XXXII.
  14. Habebat hoc omninò Cæsar : quem planè perditum ære alieno, egentemque, si eundem nequam hominem audacemque cognoverat in familiaritatem libentissime recipiebas. Ibidem, d. C.
  15. Appian., lib. II, de Bell. civ.
  16. Cicero, Philipp. I, cap. XIII. Il dit dans la IIe. philippique, capite XXXVI. Qui tu vir, Dii immortales, et quantus fuisses, si illius diei mentem servare potuisset ! Pacem haberemus quæ erat facta per obsidem, etc.
  17. Voyez Suét., in Cæsare, cap. LXXXV.
  18. Cicero, Philipp. I, cap. II.
  19. Philipp. XI, cap. II.
  20. Dans la remarque (G), citation (31).
  21. Lib. XLVII, pag. 393.
  22. Appianus, de Bello civ., lib. IV.
  23. In Annalibus.
  24. Cicero, Philipp. XI, cap. II.
  25. Noris, Cenotaph. Pisan., pag. 278.
  26. Celui de præfectus nocturnarum excubiarum.
  27. Onomast., pag. 638.
  28. Notez, quant à cette faute, qu’il y a plusieurs chronologues qui tiennent que César fut tué l’an 709. Voyez ci-dessus, pag. 38, la remarque (O) de l’article César.
  29. Voyez Fabricius, in Vitâ Ciceronis, ad annum ultimum, pag. m. 214.
  30. Cicero, Philipp. XIII, cap. XI.
  31. Apud Ciceron., ibid.
  32. Cicero, Philipp. XI, init., cap. I.
  33. Vales., in Ammian. Marcellin., lib. XXIX, cap. II, pag. m. 562.
  34. Materfamilias Smymæa virum et filium interemit, cùm ab his optimis indolis juvenem quem ex priore viro enira fuerat, occisum comperisset. Val. Max., lib. VIII, cap. I, sub fin.
  35. Aulus Gellius, lib. XII, cap. VII.
  36. Lib. XXIX, cap. II, pag. 562, 563.
  37. Vales., in Amm. Marcellin., lib. XXIX, cap. II, pag. 563.

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