Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Ayrault 2


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AYRAULT (René), fils aîné du précédent, causa un très-grand chagrin à son père. Il naquit à Paris le 11 de novembre 1567, et fut donné à instruire aux pères jésuites[a]. Pierre Ayrault les estimait alors et les aimait [b], et n’aurait pas accepté de plaider contre eux pour les curés de Paris, comme il l’avait accepté en l’année 1564. Ayant vu dans son fils aîné un esprit fort vif, beaucoup de mémoire, et plusieurs qualités aimables, il pria très-instamment le provincial des jésuites et le recteur du collége de Clermont, lorsqu’il leur mit cet enfant entre les mains, qu’on ne le sollicitât en aucune manière à entrer dans leur religion : il leur dit qu’il avait d’autres enfans à consacrer à l’Église ; mais qu’il destinait celui-là à remplir sa charge, et qu’il en voulait faire le soutien de sa famille. On lui promit tout ce qu’il voulut. Néanmoins, les grands talens de ce jeune homme firent souhaiter aux jésuites d’avoir un sujet de cette importance dans leur société ; de sorte qu’après qu’il eut étudié deux années en rhétorique sous le père Jacques Sirmond, ils lui donnèrent l’habit de leur ordre en 1586. Son père, sans l’avis duquel cela s’était exécuté, fait beaucoup de bruit. Il les accuse de plagiat, et les somme de lui rendre son enfant. Ils répondent qu’ils ne savent ce qu’il est devenu. Ayrault impètre chefs de monitoire, et obtient un arrêt du parlement qui ordonne aux jésuites du collége de Clermont de ne point recevoir dans leur ordre René Ayrault, et de notifier aux autres colléges cette défense. On n’obéit pas à cet arrêt : on transporte le jeune homme de lieu en lieu ; on lui change le nom ; on l’envoie en Lorraine, en Allemagne, en Italie (A). Henri III fait agir auprès du pape son ambassadeur et protecteur de ses affaires ; Ayrault en écrit à sa sainteté ; le pape se fait montrer[* 1] le rôle de tous les jésuites du monde ; René Ayrault, revêtu d’un autre nom, ne paraît pas dans le rôle[c]. Trois ans de peines et de recherches n’ayant rien produit, le père recourt à sa plume, fait un livre de la Puissance paternelle, et l’adresse à René son fils[d]. René y fit une réponse ; mais ses supérieurs ne trouvèrent pas à propos de la publier. On aima mieux que Richeome, provincial des jésuites de Paris, réfutât l’ouvrage de Pierre Ayrault (B). Voici les aventures de René. Il entra dans l’ordre, à Trêves, le 12 de juin 1586 : il passa ensuite à Fulde, où il répéta ses études de rhétorique. Il parcourut l’Allemagne, et y fut pris par les protestans : il alla à Rome, et y étudia un an en philosophie, sous Mutius Vitelleschi [e]. Il continua cette étude l’année suivante à Milan, et vint l’achever à Dijon[f]. Ayant régenté les classes dans la même ville pendant quatre ans, avec beaucoup de succès, il en sortit, lorsque les jésuites furent bannis de plusieurs villes du royaume, l’an 1594, et s’en alla en Piémont, où il régenta deux ans. Il vint ensuite à Avignon, et y étudia pendant quatre ans en théologie ; après quoi il retourna à Rome, d’où il fut envoyé à Milan, pour y enseigner la rhétorique. Il le fit pendant quelques années, et puis il revint en France. Il y passa par les plus illustres emplois de son ordre. Il régenta la philosophie, il prêcha ; il fut préfet de collége ; il fut recteur à Reims, à Dijon, à Sens, à Dôle, à Besançon ; il fut assistant du provincial, et procureur de la province de Champagne, et puis de celle de Lyon à Rome. Enfin, il mourut à la Flèche, le 18 de décembre 1644[g]. Son père, par acte passé devant notaire et témoins, le priva de sa bénédiction, l’an 1593 ; mais il ne persévéra pas dans sa colère jusqu’à sa mort, car on trouva parmi ses papiers un écrit où il lui donnait sa bénédiction (C).

  1. * Leclerc demande où est la preuve de ce fait.
  1. Menagii Vita P. Ærodii, pag. 245.
  2. Quos tunc ipse et amabat et magni faciebat : quin et eos vocari Andegavum et ibi sedem habere aliquandò voluit. Vita Ærodii, pag. 35. Voyez-en aussi la page 245, où il cite Ayrault au livre III de son Ordre judiciaire.
  3. Voyez le texte de l’article précédent, vers la fin.
  4. Voyez la remarque (E) de l’article précédent.
  5. Il a été général des jésuites.
  6. En ce temps-là, le cours de philosophie durait 3 ans.
  7. Ex Vitâ P. Ærodii. Voyez la Citation (g) de l’article précédent.

(A) En Lorraine, en Allemagne, et en Italie. ] Antoine Arnauld, dans son plaidoyer de l’an 1594, exposa que les jésuites avaient soustrait René Ayrault dès l’âge de quatorze ans, et qu’ils le tenaient en Italie et en Espagne. Il ne paraît pas qu’on lui ait jamais fait voir l’Espagne[1] ; et il n’était guère loin de sa dix-neuvième année quand il prit l’habit de jésuite.

(B) On aima mieux que Richeome... réfutâ l’ouvrage de Pierre Ayrault. ] Sa réponse n’a pas été imprimée, non plus que celle de René Ayrault : Quia indecorum visum est adversùs parentes scribere filios, prohibitus est à rectoribus suis responsionem vulgare. Igitur id aggressus est Ludovicus Richeomus... quod me docuit privata ipsius Renati Ærodii ad ipsum Richeomum, Epistola, cujus exemplar, quæ sua est humanitas, misit ad me Româ Petrus Possinus presbyter societatis Jesu doctissimus, idemque jesuiticæ historiæ scriptor celeberrimus. Sed neque responsionem suam vulgavit Richeomus : quâ de causâ nescio[2].

(C) Son père laissa un écrit où il lui donnait sa bénédiction. ] Il était signé de sa main, et contenait ce qui suit : Dieu doint sa paix, son amour et sa grâce à mon fils René Ayrault. Je lui donne ma bénédiction, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Et je lui pardonne tout ce en quoy il peut m’avoir offensé. Et je prie Dieu l’assister de son benoist Saint-Esprit, quelque estat ou vacation qu’il puisse entreprendre[3].

  1. Hispaniam quoque petiisse falsò creditum est. Menagii Vita P. Ærodii, pag. 37.
  2. Menag., Vita P. Ærodii, pag. 39.
  3. Menag., Vita P. Ærodii, pag. 257.

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