Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Ayrault 1


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AYRAULT (Pierre), en latin Ærodius, lieutenant criminel au siége présidial d’Angers, sa patrie, naquit l’an 1536. Il fit ses humanités et son cours de philosophie à Paris ; ensuite il fut étudier en droit à Toulouse ; d’où il passa à Bourges, pour profiter des leçons de Duarénus, de Cujas et de Doneau, trois des plus excellens jurisconsultes de ce temps-là. Ayant pris à Bourges le degré de bachelier, il alla revoir sa patrie, y fit quelques leçons publiques sur le droit civil, et y plaida quelques causes. Il avait alors vingt-deux ans. Il retourna à Paris quelque temps après, et y devint l’un des plus célèbres avocats du parlement (A). Il y publia, en 1563, les Déclamations de Quintilien, qu’il corrigea en divers endroits, et qu’il accompagna de notes. L’année suivante, il fit imprimer dans la même ville un Traité du Retrait lignager, composé par François Grimaudet, avocat du roi à Angers, et y mit une préface de la nature, variété el mutation des loix. Il publia, en 1567, un livre intitulé, Decretorum Rerumve apud diversos populos ab omni antiquitate judicatarum libri duo... Accedit Tractatus de origine et auctoritate rerum judicatarum. Il l’augmenta beaucoup dans les autres éditions (B). Il quitta Paris l’année suivante pour aller exercer dans sa patrie la charge de lieutenant criminel. Il l’exerça avec tant d’exactitude que, comme un nouveau Cassius, il fut appelé l’Écueil des accusés. Pendant les désordres de la ligue, il exerça par intérim (C) la charge de président au même siége, et s’en acquitta avec la même intégrité que de l’autre. La ville d’Angers lui témoigna son estime en plusieurs manières, et principalement par la charge d’échevin perpétuel qu’elle lui donna. Il fut fort brouillé avec Philippe Gourreau, maître des requêtes, son compatriote ; et il publia une lettre apologétique contre lui, en 1577[a]. Il fut ferme dans le bon parti contre la ligue ; et il était obligé de l’être, non-seulement par la charge qu’il avait au présidial, mais aussi par celle de maître des requêtes du duc d’Anjou, qu’il avait eue conjointement avec le jurisconsulte Baudouin, avant que ce prince montât sur le trône. La Harangue qu’il fit à ce duc faisant son entrée à Angers, le 7 de janvier 1570, a été imprimée avec le Discours (D) qu’il lui adressa pour le louer de ses victoires et de la restauration de l’université d’Angers. Ce discours roule principalement sur ce que Baudouin avait dédié à ce prince deux anciens panégyriques : celui qu’Euménius avait fait de Constantius, et celui que Pacatus avait fait de Théodose. Le discours qu’Ayrault publia l’an 1569, sur la mort de Henri III, et sur le scandale qu’en avait l’Église, témoigne son attachement au parti de ce monarque. Il n’y mit ni son nom ni celui de l’imprimeur. M. de Thou en a parlé avec éloge [b]. On a trouvé parmi les papiers de l’auteur, la version latine qu’il en avait faite. Il écrivit en ce temps-là un discours où il exhortait Henri IV à se faire catholique ; mais de tous ses ouvrages, celui qui l’a fait le plus connaître dans les pays étrangers, et surtout parmi les protestans, est le Traité de la puissance paternelle (E). Il le composa pendant le procès qu’il eut avec les jésuites, au sujet de son fils aîné, qui avait pris l’habit de leur ordre[c]. Il l’avait envoyé dans leur collége de Paris, afin de le rendre plus capable de lui succéder un jour, et il eut quelque temps après le chagrin d’apprendre qu’ils lui avaient persuadé d’entrer dans leur corps. Il en fit ses plaintes au parlement de Paris[d] ; et, quand il eut su qu’ils l’avaient fait évader, il présenta requête au pape, et obtint des lettres de Henri III au cardinal d’Est, protecteur des affaires de France, et au marquis de Pisani, ambassadeur de cette couronne[e], par lesquelles lettres le roi demandait très-instamment qu’on sollicitât un ordre du pape pour la liberté du jeune garçon. Tout cela fut inutile. Le Traité de la Puissance paternelle[* 1] qu’il adressa trois ans après à ce fils désobéissant, ne fut pas plus efficace. Quoique Ayrault eût d’autres fils, il ne laissa pas de se chagriner excessivement de la perte de celui-là. Il avait épousé à Paris, en 1564, Anne Des-Jardins, fille de Jean Des-Jardins, médecin de François Ier, de laquelle il eut quinze enfans (F), dont dix étaient en vie quand il mourut à Angers, le 21 de juillet 1601, âgé de soixante-cinq ans[f]. J’emprunte de M. Ménage cet article[g].

  1. * Ce Traité de la Puissance paternelle fut, dit Leclerc, imprimé à Tours en 1582, in-12 de 82 feuillets. Joly renvoie aux Mémoires de Nicéron, pour un catalogue plus détaillé des ouvrages de P. Ayrault.
  1. Il en fit deux éditions dans la même année, à Angers, la seconde plus ample que la première. Cette pièce est en latin.
  2. Thuan. Historiar. lib. XCV.
  3. Voyez l’article suivant.
  4. Le 19 de mai 1586.
  5. Elles sont datées du 18 juillet 1586.
  6. Sainte Marthe s’est trompé dans l’Éloge de Pierre Ayrault, où il ne lui a donné que soixante-trois ans de vie.
  7. Ex Vitâ Petri Ærodii, ab Ægidio Menagio, ejus ex filiâ nepote, scriptâ, et typis datâ Parisiis, anno 1675, in-4.

(A) Il devint l’un des plus célèbres avocats du parlement. ] Antoine Loisel, en son Dialogue des Avocats du parlement de Paris, met notre Ayrault dans la liste des plus fameux, et lui donne la prééminence sur Bodin. Il est vrai qu’il remarque que Bodin ne réussit pas dans le barreau. Voici comme parle Loisel : Maistre Pierre Ayrault fut aussi pourveu de l’estat de lieutenant criminel à Angers, dont il estoit, et s’y retira sur la fin des grands jours de Poictiers de l’an 1567, encore qu’il plaidast assez bien et doctement, mieux beaucoup que ne faisoit maistre Jean Bodin, Angevin, quelque grande et exquise doctrine qui fust en lui ; car il ne lui succéda jamais en plaidoirie qu’il ait faite[1]. On imprima à Paris, l’an 1568, quelques plaidoyers de Pierre Ayrault . Ils furent imprimés à Rouen, en 1614, avec les notes et les additions d’un jeune jurisconsulte. M. Ménage, qui dit cela[2], pouvait ajouter qu’on les imprima à Paris, en 1598, in-8o, avec quelques autres opuscules de Pierre Ayrault. Les curés de Paris le choisirent en 1564 pour plaider leur cause contre les jésuites ; cependant il ne la plaida pas ; et peut-être que cela vint de ce qu’on ne trouva pas à propos que les intérêts des curés fussent séparés de ceux de l’évêque de Paris. C’est la conjecture du sieur du Boulai[3]. Quoi qu’il en soit, son plaidoyer fut rendu public, comme je viens de le dire dans la note[4].

(B) Il augmenta beaucoup son livre dans les autres éditions. ] La seconde édition est de Paris, en 1573, in-8o., et contient six livres. La troisième est in-folio, et a pour titre, Rerum ab omni antiquitate judicatarum Pandectæ. Elle est aussi de Paris, en 1588. Après la mort de l’auteur on imprima les mêmes Pandectes à Paris, l’an 1615, avec le petit Traité de Patrio Jure. Il les avait revues et corrigées. M. Ménage en avait promis[5] une nouvelle édition qu’il devait accompagner de petites notes marginales qui auraient indiqué les sources d’où Ayrault avait tiré ses exemples. L’ouvrage est fort docte : Continet enim res ab omni antiquitate apud Indos, Judæos, Græcos, Romanos, Francos, alios que judicatas[6]. Celui qu’il fit en français, de l’Ordre et instruction judiciaire dont les anciens Grecs et Romains ont usé en accusations publiques, conféré à l’usage de nostre France, est bon et curieux. Il fut imprimé pour la première fois à Paris, en 1575, in-8o. La seconde édition, qui est de Paris, en 1588, in-4o., fut augmentée de deux livres. La troisième fut augmentée d’un livre, à Paris, l’an 1598, in-4o.[7]. Ainsi l’ouvrage comprend quatre livres. Le quatrième livre, qui traite des Procès faits au cadavre, aux cendres, à la mémoire, aux bestes brutes, choses inanimées, et contumax, avait été imprimé à part, à Paris, en 1591, in 8°. J’ai oublié de dire que son Traité de Decretis Rebusve apud diversos populos ab omni antiquitate judicatis, fut imprimé à Francfort, l’an 1580, sur la première édition. Les abréviateurs de Gesner n’ont connu notre Pierre Ayrault que par cette édition d’Allemagne. Ils ont mal cru qu’il s’appelait Paul.

(C) Par intérim. ] M. Ménage fait durer deux ans cet interim : Et præturæ munere per biennium functus Ærodius est[8] ; et néanmoins il dit qu’Ayrault ne fut nommé à cette charge que le onzième de mai 1589, et qu’Henri-le-Grand en pourvut un autre au commencement de l’année 1590, ineunte anno 1590[9].

(D) Sa Harangue a été imprimée avec le Discours, etc. ] M. Ménage n’a pas bien marqué le temps auquel ces deux pièces furent imprimées : il dit que ce fut en 1577, et qu’alors le prince qui y est loué était roi de Pologne et duc d’Anjou. C’est dire assez clairement qu’il n’était pas roi de France : néanmoins le duc d’Anjou fut sacré à Reims au mois de février 1575, et il était censé roi de France dès le jour que Charles IX décéda[10]. Soyez assuré que la Harangue et le Discours en question parurent en 1570, et par conséquent lorsque celui qu’on y louait n’était pas encore roi de Pologne.

(E) Le Traité de La Puissance paternelle. ] L’auteur l’écrivit en français et en latin : un de ses compatriotes, nommé Jacob Frubert, le traduisit en italien[11]. Voyons ce qu’en dit M. Ménage : Egit cum fugitivo filio tanquàm cum absente reo, hoc est annotatione et programmate :

Qualis populeâ mœrens philomela sub umbrâ
Amissos queritur fœtus[12],


et quæ sequuntur : Notum enim tibi carmen est : talis Petrus Ærodius amissum filium insolabiliter in scriptis suis queritur. Vide quæso.... quos ipse questus fundat in libro tertio Ordinis judiciarii, modò fratrem Johannem Ærodium, modò Renatum filium compellans. Quis verò tam ferus ac ferreus est, qui cùm querelas ejus legat in libello illo aureo, et tot laudibus à Stephano Pascasio celebrato [13], quem de Patrio Jure ad fugitivum filium contra jesuitas scripsit, à gemitu et lacrimis temperare possit ?.…. At non solus Ærodius fatum suum gemuit, ingemuêre et alii : lege Stephani Pascasii et Johannis Bodini [14] eâ de re ad Petrum Ærodium Epistolas. Lege Antonii Arnaldi advocati Parisiensis..… Orationem pulcherrimam, habitam in senatu Parisiensi, contra jesuitas, anno MDLXXXXIV[15]. M. Ménage a rapporté dans ses remarques ce qu’Antoine Arnauld dit là-dessus, et ce qui fut répondu par Pierre Barni, procureur des jésuites du collége de Clermont. La réponse va là, que les jésuites ne voulurent jamais recevoir en France René Ayrault, bien qu’il eust pour de moins dix-huit ans ; mais que, sans leur rien découvrir, il s’en alla en Allemagne, où il fut receu[16]. Voyez la remarque (A) de l’article suivant.

(F) Il eut quinze enfans. ] Nous destinons un article particulier à son fils aîné. Pierre Ayrault, son second fils, succéda aux vertus et à la charge de son père, et fut président en la sénéchaussée d’Angers, conseiller de ville, et maire. Il procura, en 1603, une profession en droit dans l’académie d’Angers à Guillaume Barclai. La Harangue qu’il fit à Marie de Médicis, mère de Louis XIII, à Angers, le 16 d’octobre 1619, se voit au VIe. tome du Mercure français. Il fut député à l’assemblée des notables convoquée à Rouen en 1617. Il a laissé postérité. Jean Ayrault, son frère, fut avocat au parlement de Paris. Guillaume Ayrault, leur frère, religieux de l’ordre de Saint-Benoît, docteur de Sorbonne, eut beaucoup de part à l’amitié de Louis Servin, avocat général au parlement de Paris. Guyonne Ayrault, l’une de leurs sœurs, épousa Guillaume Ménage, avocat du roi au présidial d’Angers. De ce mariage est sorti feu M. Ménage[17], l’un des plus doctes hommes de France.

  1. Loisel, apud Menag. in Testim. de P. Ærodio, ejus Vitæ præfixis, pag. xxvj.
  2. In Vitâ Petri Ærodii, pag. 26.
  3. In Historiâ Academ. Parisiens., tom. VI, pag. 966, apud Menag. in Testim. de P. Ærod., pag. xvij.
  4. Il y en a XXII. Le XXe. est celui qu’il avait préparé pour les curés de Paris contre des jésuites en 1564.
  5. In Vitâ. Ærodii, pag. 28.
  6. Ibidem, pag. 27.
  7. C’est ainsi qu’il faut traduire ces paroles de M. Ménage : Quem posteà anno 1588 duobus libris et anno 1598 tribus auctiorem in eâdem urbe publicavit. Vita Petri Ærodii, pag. 17.
  8. Ibidem, pag. 24.
  9. Ibidem, pag. 23.
  10. C’était le 30 de mai 1574.
  11. Menagii Vita P. Ærodii, pag. 28.
  12. Virgil. Georgie., lib. IV, vs. 511.
  13. Voyez la Xe. Lettre du Livre XIe. des Lettres de Pasquier.
  14. M. Ménage produit la Lettre de Bodin, pag. 242.
  15. Ménage, Vita Ærodii, pag. 37.
  16. Ibidem, p. 251.
  17. Ex Vitâ P. Ærodii. Voyez la Citation (g) de cet article.

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