Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Averroès


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AVERROÈS [a], l’un des plus subtils philosophes qui aient paru entre les Arabes, était de Cordoue [b], et a fleuri au XIIe. siècle (A). Il eut un extrême attachement pour Aristote, et il en commenta les ouvrages avec tant d’habileté, qu’on le nomma le Commentateur par excellence. On admire que, ne sachant point de grec, il ait si bien pénétré le sens de l’original ; on a donc raison de croire que, s’il eût su cette langue, il eût compris parfaitement les pensées d’Aristote : Qui græcè nescius feliciter adeò mentem Aristotelis perspexit ; quid non fecisset si linguam scisset græcam [c] ? Voilà ce que disent quelques savans ; mais d’autres assurent qu’il l’a fort mal entendu (B), tant parce que son esprit était médiocre, que parce qu’il ignorait la belle littérature. Il fut professeur dans l’académie de Maroc (C), et se rendit fort habile dans la médecine ; mais il en savait mieux la théorie que la pratique (D). On le regarde comme l’inventeur d’un sentiment fort absurde, et fort contraire à l’orthodoxie chrétienne (E), et qui néanmoins fit des progrès si formidables parmi plusieurs philosophes italiens, qu’il fallut le faire proscrire par l’autorité papale (F). Ce sentiment est qu’il y a une intelligence qui, sans se multiplier, anime tous les individus de l’espèce humaine, en tant qu’ils exercent les fonctions de l’âme raisonnable. Il n’y a guère de livres où il paraisse qu’Averroës ait eu de meilleures intentions, que dans celui qui a pour titre, Destructiones Destructionum contra Algazelem (G). On parle fort désavantageusement de la religion de ce philosophe (H), car on veut que non-seulement il ait méprisé le judaïsme et le christianisme, mais aussi le mahométisme, qui était sa religion extérieure. Divers auteurs ont travaillé à la traduction latine de ses ouvrages (I). J’espérais qu’avant que cet article fût donné aux imprimeurs, j’aurais le plaisir de consulter le volume où don Nicolas Antonio a parlé fort amplement d’Averroës ; mais je me vois privé de cette satisfaction, et réduit aux seuls extraits du journaliste de Paris. Vous allez voir ce que j’en tire. « Averroës de Cordoue y fut instruit par son père dans la jurisprudence et dans la religion du pays. Il était excessivement gras, bien qu’il ne mangeât qu’une fois le jour. Il passait toutes les nuits à l’étude de la philosophie ; et, lorsqu’il se sentait fatigué, il se divertissait par la lecture de quelque livre de poésie ou d’histoire. Jamais on ne le vit jouer, ni rechercher aucun autre amusement. Les erreurs dont il fut accusé donnèrent lieu à une sentence par laquelle il fut dépouillé de son bien, et obligé à se rétracter. Après sa condamnation, il fit un voyage à Fez, puis retourna à Cordoue, où il demeura jusqu’à ce qu’à l’instante prière des peuples il fut rappelé à Maroc, où il passa le reste de sa vie, qu’il finit en 1206 [d]. » Les journalistes de Leipsick m’apprennent que don Nicolas Antonio, dans cette partie de son ouvrage, s’est fort servi d’un écrit de Jean Léon, qu’Hottinger a publié [e]. Je puis donc, quant à cela, aller aux sources aussi bien que lui. Je dirai donc que l’on trouve dans cet écrit, que le peuple de Cordoue éleva Averroës à deux belles charges, que son père et son aïeul avaient possédées (K) : c’étaient celle de grand justicier, et celle de chef des prêtres. Il était capable de s’en acquitter, puisqu’il entendait fort bien la jurisprudence et la théologie. Après l’étude de ces deux sciences, il s’attacha à la physique, à la médecine, à l’astrologie et aux mathématiques. Pendant qu’il avait les charges dont j’ai parlé, le roi de Maroc lui envoya des députés, pour lui offrir celle de juge de Maroc et de toute la Mauritanie, et à telle condition, qu’il conserverait tous les emplois dont il jouissait en Espagne. Cette proposition lui plut : il s’en alla à Maroc ; mais y ayant établi des juges comme ses subdélégués, il s’en retourna à Cordoue. On dit des merveilles de sa patience, et de sa libéralité, et de sa douceur (L). Il renvoyait à son lieutenant tous les procès criminels, et n’y opina jamais. Tant de bonnes qualités n’empêchèrent pas qu’il n’eût beaucoup d’ennemis, qui le traversèrent extrêmement, et qui l’accusèrent d’hérésie ; ce qui eut des suites bien fâcheuses, et bien accablantes pour lui (M). Il ne mourut point sans en être délivré glorieusement. Ce qu’il répondit à un jeune gentilhomme qui le priait de lui accorder sa fille, est assez curieux (N). On raconte une chose très-singulière touchant l’effet de quelques discours qu’il prononça contre le plus jeune de ses fils (O). Il composa beaucoup de vers de galanterie ; mais quand il fut vieux il les fit jeter au feu [f] (P). Je ne sais d’ou du Verdier Van-Privas a pris ces paroles : Averroës fut rompu par une roue qu’on lui mit sur l’estomac. Vous les trouverez dans un chapitre qu’il intitule : de plusieurs Hommes lettrés anciens et modernes, lesquels moururent misérablement [g]. J’ai été surpris de la prodigieuse stérilité que j’ai trouvée dans la Bibliothéque orientale de M. d’Herbelot (Q). On avait lieu de croire qu’un homme qui avait une si vaste connaissance des livres arabes étalerait mille beaux recueils concernant les aventures et les dogmes d’Averroës ; et on voit, au lieu de cela, une brièveté surprenante, et qui, bien loin de nous instruire de ce que nous ignorions, nous peut faire méconnaître ce que nous avions appris.

  1. Voyez tous ses noms dans la remarque (C).
  2. Dans le Lindenius renovatus, on dit faussement que Cordoue est une ville d’Arabie.
  3. Vossius, de Philosophorum sectis, pag. 90. Voyez dans la remarque (I) les paroles de Keckerman.
  4. Journal des Savans du 1er. juillet 1697, pag. 475, édit. de Hollande.
  5. Acta Eruditor., Lips. 1697, pag. 305.
  6. Tiré d’un livre de Viris quibusdam illustribus apud Arabes, traduit par Jean Léon, et publié par Hottinger, au chap. III du IIe. livre de sa Bibliotheca theologica.
  7. C’est le XVIIIe. du IIe. livre de ses diverses Leçons.

(A) Il a fleuri au XIIe. siècle. ] Je n’en vois guère donner d’autre preuve que celle-ci : c’est que ses deux fils furent vus par Gilles de Rome[* 1] à la cour de Frédéric Barberousse[1]. Ætatem ex eo colligimus guod Ægidius Romanus in nono Quodlibeto refert se duos ejus filios vidisse in aulâ Frederici Barbarossæ. Is verò regere cœpit anno ciↄ. clii. ac imperavit annos xxxvii. Ces paroles sont de Vossius, à la page 114 de son livre de Philosophiâ, chapitre XIV. Voyez-le aussi au chapitre XVII du Traité de Philosophorum Sectis, pag. 91, où il prouve, par le témoignage du Conciliator, et de ce même Gilles de Rome, qu’Averroës a fleuri l’an 1150 ; il nous renvoie aux Quodlibets de ce Gilles, lib. II, Quæstione de unitate intellectûs. Reinesius observe qu’on met la mort d’Averroës à l’an 595 de l’hégire, qui est le 1198 de l’ère chrétienne [2]. Je voudrais que M. Konig, qui nous renvoie à Reinesius, n’eût point placé cette mort à l’an 1225. Il aurait dû nous renvoyer à Hottinger, et le rectifier ; car ce docte Suisse, ayant dit, après Jean Léon, qu’Averroës décéda l’an 603 de l’hégire, fait correspondre cette année-là à notre année 1225[3]. C’est un grand abus : elle correspond en partie à notre année 1206, et en partie à notre année 1207. La Bibliothéque rabbinique de Bartolocci m’apprend qu’Averroës a fleuri depuis l’an 1131 jusqu’à l’an 1216, qui fut celui de sa mort ; que ses Commentaires sur la Physique d’Aristote furent achevés à Séville, l’an 1187, et que ses Commentaires sur la Métaphysique du même Aristote furent écrits l’an 1192[4].

(B) Quelques savans prétendent qu’il a fort mal entendu Aristote... parce qu’il ignorait la belle littérature. ] C’est le sentiment de Louis Vives. Nomen est commentatoris nactus, dit-il[5], homo qui in Aristotele enarrando nihil minùs explicat, quàm eum ipsum, quem suscepit declarandum. Sed nec potuisset explicare etiam si divino fuisset ingenio, quùm esset humano, et quidem intra mediocritatem. Nam quid tandem adferebat, quo in Aristotele enarrando posset esse probè instructus ? non cognitionem veteris memoriæ, non scientiam placitorum priscæ disciplinæ, et intelligentiam sectarum, quibus Aristoteles passim scatet. Itaque videas eum pessimè philosophos omneis antiquos citare, ut qui nullum unquàm legerit, ignarus græcitatis ac latinitatis, pro Polo Ptholomæum ponit, pro Protagorâ Pythagoram, pro Cratylo Democritum ; libros Platonis titulis ridiculis inscribit, et itâ de iis loquitur, ut vel cæco perspicuum sit litteram eum in illis legisse nullam. At quàm confidenter audet pronuntiare hoc aut illud ab eis dici, et quod impudentius est, non dici : quùm solos viderit Alexandrum, Themistium, et Nicolaum Damascenum : et hos, ut apparet, versos in arabicum perversissimè ac corruptissimè. Citat enim eos nonnunquàm, et contradicit, et cum eis rixatur, ut nec ipse quidem, qui scripsit intelligat. Aristotelem verò quomodò legit ? non in suâ origine purum et integrum, non in lacunam latinam derivatum, non enim potuit linguarum expers, sed de latino in arabicum transvasatum. Il prouve ensuite par un exemple les égaremens de cet interprète d’Aristote[6]. Voyez Cœlius Rhodiginus, qui dit à peu près la même chose, généralement parlant[7]. Ne vous fiez pas au père Rapin, qui lui fait dire cela touchant Avicenne[8]. Ce jésuite ne citait pas toujours sur l’original. Ne méprisez pas pourtant ce qu’il va vous dire. « Comme Averroës ne connut Aristote que par une traduction peu fidèle, il tomba lui-même dans des altérations de sens si horribles, que Bagolin, philosophe de Vérone, Zimara et Mantinus entreprirent en vain de le corriger[9]. »

(C) Il fut professeur dans l’académie de Maroc. ] Ce fut sous le troisième roi de la race des Almohades, après l’expulsion des Almoravides. Lisez ce passage de Reinesius : Quem Averroëm appellant vulgò scholæ, ejus nomen integrum est Abual-Walid Mohammed, ebn Achmed, ebn Mohammed, ebn Roshd : docuitque in Academiâ Maroccanâ auspiciis Jacobi, tertii ex Almohadis, post ejectos Almoravidas reges[10].

(D) Il se rendit fort habile dans la médecine, mais il en savait mieux la théorie que la pratique. ] Son principal ouvrage de médecine est celui qu’on nomme Colliget. Il y traite de cette science en général : on ne sera pas fâché de trouver ici un morceau de la préface : Ex præcepto nobilis domini Audelach Sempse, qui pro consilio suorum philosophorum Avosait et Avenchalit injunxit mihi ut conscriberem opus, quod arabico sermone totam medicinæ scientiam contineret, ad approbandum judicandumve sententias veterum, collegi hoc opus Colliget, id est, universale, sic inscriptum propter ordinem doctrinæ observandum, qui paulatim ab universalibus ad particularia procedet. In hoc enim libro universales regulas inchoavi, et deinceps favente Deo alium librum de iis quæ particularia sunt instituam, etc.[11]. Pour faire comprendre qu’il se piquait d’exceller en médecine, il me suffira d’avertir qu’il était l’émule du grand Avicenne, et son ennemi si capital, qu’il évite de le nommer dans ses écrits [* 2] : Avicennæ medici æmulus et inimicissimus fuit, ut eum nominare in suis libris vereatur[12] : son affectation à cet égard est sensible. C’est apparemment cette affectation qui a été cause qu’en réfutant une doctrine soutenue par Avicenne, il ne l’attaque que comme le sentiment de Galien. Je parle de la doctrine qui établit que les esprits animaux qui causent la joie sont lumineux, et que ceux qui causent la mélancolie sont noirs. M. Petit n’a pas pris garde à l’affectation d’Averroës. Nunc quibus mentis penetrationibus Averroïs hanc Avicennæ opinionem impugnet, videamus : quanquam eo loco directè Avisennam non petit, sed Galenum, spontaneum melancholicorum metum ab humoris qui in iis abundat nigredine repetentem ; verùm quæ ibi Galeno objicit, pari impetu in memoratam Avicennæ opinionem redeunt[13], Averroës, ou expressément, ou par un défaut de mémoire, a tenu une conduite toute différente de celle-là à l’égard d’Avempace ; car il le nomme comme l’auteur d’une remarque qu’il avait pu lire dans Philoponus[14]. Cela soit dit en passant. Or, qu’il ait été plus habile dans la théorie que dans la pratique, il avoue lui-même, comme le remarque M. Petit. Averroës fatetur de se ultrò in septimo eorum Librorum quos Colliget vulgus appellat, cap. 6. Ego, inguit, non studui ei scientiæ (medicinæ) ut videar mihi in eâ esse sufficiens : et alibi negat se in eorum numero esse qui ægris remedia adhibent[15]. Ce passage de M. Petit est tout autrement exact que ces paroles de Vossius, Averroës Cordubensis, cognomento Commentator, medicus non tam practicus, quàm theoreticus. Fuit medicus Memarolini regis [16]. Les dernières paroles affaiblissent les premières plus qu’elles ne les confirment ; car être le médecin d’un prince tient beaucoup de la pratique. Je ne dis rien de Memarolini [17], qui n’était pas un nom propre, mais un nom de dignité, et par conséquent peu propre à être uni au mot regis. M. Mercklinus n’a pas songé à cela, lorsqu’il a dit, videtur medicus fuisse regis Miramamolini[18]. Symphorien Champier a été ici le mauvais guide : il a dit qu’Averroës a vécu tempore Miramalini regis apud Cordubam [19]. Notez que les médecins de Paris, grands partisans de la saignée, ne conviendraient pas aisément qu’Averroës fut médiocre dans la pratique de la médecine ; car on dit que son exemple a contribué beaucoup à extirper une erreur qu’ils désapprouvent. Lisez ces paroles d’Étienne Pasquier. « Combien de siècles avons-nous exercé la médecine, estimants qu’il ne falloit saigner un enfant jusques à ce qu’il eust atteint l’aage de quatorze ans, et que la saignée leur estoit auparavant ce temps, non un remède, ains leur mort ! Hérésie en laquelle nous serions encore aujourd’huy, sans Averroës, Arabe, qui premier se hazarda d’en faire l’espreuve sur un sien fils aagé de six à sept ans [* 3], qu’il guérit d’une pleurésie[20]. »

(E) On le regarde comme l’inventeur d’un sentiment fort absurde, et fort contraire à l’orthodoxie chrétienne. ] Il vaudrait mieux dire, ce me semble, qu’il l’a éclairci et développé, et que l’ayant soutenu avec plus d’application qu’on ne faisait auparavant, il lui a donné une espèce de nouvelle vie ; car le même Pomponace, qui assure dans le chapitre IV que c’est un monstre forgé par Averroës, Figmentum et monstrum ab Averroë confictum[21], avait dit dans le chapitre III, que Themistius et Averroës enseignent la même chose. Averroës itaque et ut existimo ante eum Themistius concordes posuêre animam intellectivam realiter distingui ab animâ corruptibili, verùm ipsam esse unam numero in omnibus hominibus ; mortalem verò multiplicatam [22]. Les jésuites de Conimbre remontent plus haut, car ils veulent que Théophraste ait entendu de cette façon la doctrine d’Aristote son maître. Occurrit alia sententia existimantium in disciplinâ Aristotelis ponendam esse unam duntaxat animam intellectricem, sive unum intellectum qui omnibus hominibus assistat, ut solis lumen universitati. Sic enim Aristotelem interpretati sunt ejus discipulus et scholæ successor Theophrastus, Themistius, Simplicius, Averroës, aliique non pauci, etsi non omnes eodem modo de hujusmodi intellectu locuti fuerint[23]. Ils ajoutent que plusieurs modernes ont avoué que, selon les hypothèses d’Aristote, l’entendement de tous les hommes est une seule et même substance. Hoc quidem argumentum permovit etiam ad prædictam intellectûs unitatem in Aristotelis doctrinâ asserendam non paucos è recentioribus peripateticis, in quibus sunt Thom. Anglicus, Achillinus, Odo, Jandunus, Mirandulanus, Zimara, Vicomercatus, et quidam alii[24] ; mais qu’entre ces modernes les uns veulent qu’elle soit dans tous les hommes comme une forme assistante, et que les autres soutiennent qu’elle y est en qualité de forme informante. Ce dernier sentiment est celui de Mirandulanus [25], et d’Achillinus[26]. Mais voici une méprise toute semblable à celle de Pomponace. Les jésuites de Conimbre imputent ailleurs à Averroës l’invention de l’unité de l’entendement de tous les hommes. Cela paraîtra plus surprenant, lorsqu’on verra les paroles qui précédent celles où ils l’affirment. Secunda (sententia) fuit Avicennæ 9 Metaph. cap. quarto, et in lib. Natur. parte 5, Avempace in epistolâ de lumine, et Græci cujusdam Marini cujus mentionem facit hoc loco Philoponus, ajentium intellectum agentem esse substantiam quandam separatam, quam Avicenna Cholcodæam nuncupabat. Idem placuit Averroi in libello de Beatitudine Animæ, cap. 5, et in epitome Metaph. tractatu 4, qui errori errorem subnectens, aliorum vestisia secutus, unum omnium hominum finxit communem intellectum, ut alibi retulimus[27]. C’est dire que l’unité d’entendement est une fiction qu’Averroës a ajoutée aux erreurs des autres ; et néanmoins il est clair que cette fiction n’est point différente de la doctrine qu’on venait d’attribuer à Avicenne, etc. Souvenons-nous que l’entendement des hommes, au dire d’Averroës, est la dernière des intelligences, celle qui occupe le plus bas lieu de l’univers [28]. Esse mentium infimam omuium, et unicam. Nam sicuti cœlestes globi singuli singulas habere mentes videntur, ità et orbis hic inferior unam, ut ipse vult, habet, quæ non hujus hominis sit, vel illius, sed humanæ speciei mens sit, et dicatur, ut speciei unicæ unicus sit intellectus in hoc orbe inferiori, ut plerique intelligunt, ubique totus compingi[29]. Quoi qu’il en soit, lorsque ces jésuites réfutent la prétendue unité de l’entendement de tous les hommes, ils n’attaquent que ce philosophe, tant on est persuadé que pour le moins il mérite d’être tenu pour le principal défenseur de cette chimère. Ils remarquent que Scot a dit qu’Averroës s’est rendu digne d’être excommunié par le genre humain, et que d’autres disent que sa doctrine est un monstre si effroyable, que les forêts de l’Arabie n’en ont jamais produit de plus grand. Hæc commentatoris seu commentitoris potiùs de unitate intellectûs sententia adeò stulta est, ut meritò Scotus in 4. d. 43. q. 2. dixerit dignum esse Averroem qui ob has ineptias ex hominum communione averruncetur ; alii verò hoc ejus figmentum monstrum vocârint quo nullum majus Arabum sylvæ genuerint. Certè hoc unum sat esse debuisset ad eos coarguendos qui filium Roïs tanti faciunt, ut ejus animam Aristotelis animam esse dicant[30]. La dernière partie de ce passage nous apprend qu’entre autres éloges on a donné à cet Arabe celui d’avoir l’âme d’Aristote. Les jésuites de Conimbre veulent que, pour réfuter cela, il suffise de prendre garde à la doctrine de l’unité de l’entendement. Cette réflexion est fausse ; car cette doctrine, comme l’avouent plusieurs modernes, n’est qu’une extension et qu’un développement des principes d’Aristote. Je pourrais faire plusieurs remarques pour prouver cela, mais je me contente de celle-ci : c’est que, selon l’hypothèse de ce philosophe, la multiplication des individus ne peut avoir d’autre fondement que la matière, d’où il s’ensuit que l’entendement est unique, puisque selon Aristote il est séparé et distinct de la matière. Viderunt Aristotelem simpliciter probare intellectum possibilem esse immixtum et immaterialem [31]. Cette observation est de Pomponace. Quod verò unicus sit intellectus in omnibus hominibus sive possibilis ponatur, patere potest ex eo quoniam apud peripateticos est celebrata propositio, multiplicationem individuorum in eâdem specie non posse esse, nisi per materiam quantam, ut dicitur 7. et 12. Metaph. et 2. de Animâ[32]. Quelque fondée que cette opinion d’Averroës puisse être sur Aristote, elle est dans le fond impie et absurde. Elle est impie, puisqu’elle conduit à croire que l’âme, qui est proprement la forme de l’homme, meurt avec le corps[33] ; elle est absurde, car que peut-on dire de plus insensé que de soutenir que deux hommes qui s’entretuent, dirigés chacun par ses actes intellectuels, ont la même âme ? Que peut-on imaginer de plus chimérique que de prétendre que deux philosophes, dont l’un nie, l’autre affirme la même thèse en même temps, ne font qu’un seul être à l’égard de l’intellect ? Examinons ce qu’un adversaire de Pomponace proposa contre cette extravagance.

Premièrement, il la réfute en tant qu’elle pose que l’entendement n’est pas dans l’homme, et puis en tant qu’elle pose que tous les hommes n’ont qu’un même entendement. Sur le premier point, il demande, pourquoi un entendement qui doit unir son action à celle de l’homme, et cela de la manière la plus intime qui se puisse concevoir en ce genre-là, croirait se déshonorer, s’il s’unissait avec les organes, pour composer avec eux un individu [34] ? Vous comprendrez aisément l’union intime dont on parle là, si vous prenez garde que, selon les averroïstes, l’âme de l’homme n’est point capable d’entendre sans le secours de cet intellect assistant. Il faut donc que cet intellect supplée par son action à ce qui manque à l’âme de l’homme ; et par conséquent nos actes intellectuels dépendent de deux principes, dont l’un est comme un sujet passif et incomplet, l’autre est un principe actif et qui perfectionne. Il est donc vrai que le concours de ces deux principes se termine à un même effet, et qu’ainsi l’action de l’entendement des averroïstes s’unit d’une façon très-intime avec l’âme qui entend. Cette difficulté n’est point forte, car l’union que l’on objecte n’est pas plus intime que celle de l’action de Dieu avec l’action de la créature, selon la doctrine du concours : et néanmoins il ne s’ensuit pas que ces deux causes se doivent unir personnellement. L’auteur prétend prévenir cette réponse, en disant que l’action de l’intellect des averroïstes est immanente et particulière, ce qui ne se peut pas dire du concours de Dieu[35] ; mais on pourrait lui faire de bonnes répliques : ainsi sa dispute n’est pas triomphante quant au premier point, comme elle l’est quant au second ; car voici comment il presse Averroës : Cet intellect dont vous parlez, est ou Dieu, ou bien une créature. S’il est Dieu, je vous fais cette question : Agit-il au dedans de lui, ou au dehors ? S’il agit au dehors, quel monstre ne sera-ce point qu’un acte d’intelligence posé hors de l’intellect, et dans une autre personne[36] ? Ceci prouve trop : il en faudrait inférer que l’entendement divin ne peut point produire dans l’âme de l’homme un acte d’intelligence, sans le produire dans lui-même. Or, cela est faux et absurde. L’autre membre de la question réduit aux abois les averroïstes. Si Dieu forme en lui-même les actes d’intelligence qui sont dans l’homme, combien d’erreurs nourrira-t-il dans son sein ? Sed neque intra Deum contineri potest (intellectio) quòd immensos in eum errores toties inveheret, quoties opinione suâ fallerentur homines ; neque enim prorsùs ulla valeret excusatio, quin prima ac summa veritas è se ipsâ monstrosè deficeret, si assignanda ipsi essent, si in sinu ejus et complexu reponenda quæcumque esse possunt falsa hominum judicia [37]. S’ils répondent que cet intellect est créé, l’auteur réplique qu’une créature ne paraît pas pouvoir être suffisante à modifier si à propos toutes les âmes humaines en même temps [38]. Outre que les opinions contraires qui règnent parmi les hommes ne sauraient loger ensemble dans un seul entendement. Quomodò in unam et eandem intelligentiam simul cadet contrarietas illa opinionum et sententiarum, quam toties in hominibus experimur, cùm unus ait, alter negat de eodem idem ? quæ eadem quæstio impedire potest adversarium in responsione jamjam explosâ de intellectu divino. Cette dernière objection a la même force contre ceux qui voudraient dire que cet intellect est Dieu. C’est aussi par-là que l’on réfute invinciblement le spinozisme[39]. Notez que l’auteur avoue, que toute la force de son objection consiste en ce qu’il prétend avoir prouvé que l’action de l’entendement des averroïstes sur l’âme de l’homme est immanente[40]. Je ne crois point qu’ils soient obligés de convenir qu’il prouve cela. Quant au reste, il déclare qu’il ne trouverait rien à redire à la pensée d’Averroës, si ce philosophe n’eût parlé que de l’action de l’entendement divin considéré comme la cause première. Restat ergo, ut suum istud somnium integrum Averroës somnii loco et mendacii haberi sinat, aut certè interpretetur ipse, de actione intellectûs divini, quâ parte non intellectûs quidem præcisè, sed est prima causa, in omnes causarum secundarum, adeòque inferiorum intelligentiarum effectus ex virtute suâ influens aliquid......[41]. An ità possit, non disputo, illud contentus ostendisse, quòd nisi quid simile sonet ejus doctrina, inanis ac stulta sit ; si quid autem simile, ne pilum quidem nobis adversantem habeat [42]. Il nous avertit qu’il s’est abstenu des objections que Thomas d’Aquin a proposées contre l’hypothèse de cet Arabe. Je vous avertis qu’elle se trouve parfaitement réfutée dans un ouvrage de M. Duplessis-Mornai[43].

On s’étonnera que des génies aussi sublimes qu’Aristote et qu’Averroës aient forgé tant de chimères sur l’entendement ; mais j’ose dire qu’ils ne les eussent jamais forgées, s’ils n’eussent été de grands esprits. C’est par une forte pénétration qu’ils ont découvert des difficultés qui les ont contraints de s’écarter du chemin battu, et de mépriser plusieurs autres routes où ils ne trouvaient pas ce qu’ils cherchaient. La plus certaine connaissance qu’ils eussent de la nature de l’âme, est qu’elle est capable de penser successivement à mille choses ; mais ils ne pouvaient comprendre comment elle réduisait en acte cette faculté : l’action des objets, leurs espèces, leurs images épurées tant qu’il vous plaira dans le cerveau, rien de tout cela ne paraît capable de donner à l’âme l’intelligence actuelle. Voyez avec quelle force le père Mallebranche réfute tout ce qu’on dit de la manière dont nous connaissons les choses[44]. Il n’a point trouvé d’autre ressource, que de dire que nous les voyons en Dieu, et que les idées ne sont point produites dans notre âme. Quelques anciens philosophes ont dit que Dieu est l’intelligence générale de tous les esprits, c’est-à-dire, qu’il leur verse la connaissance comme le soleil répand la lumière sur les corps. Lisez ces paroles des jésuites de Conimbre : Prima sententia fuit Alexandri libro secundo de Animâ cap. 20 et 21, existimantis intellectum agentem esse intellectum universalem omnium conditorum, hoc est Deum, quod etiam Platonis dogma libro sexto de Republicâ fuissec reditur, qui intellectum agentem nostros animos cœlitùs irradiantem comparavit soli, ut ex Themistio hoc in lib., refert divus Thomas, 1 part., quest. 79, articulo quarto. In eundem errorem lapsus fuit Priscianus Lydus asserens, intellectum : agentem non esse partem animæ, sed mentem primam atque divinam, vel ideam boni[45]. Quand une matière est fort abstruse, il ne faut pas s’étonner que les plus grands philosophes en parlent un peu de travers ou sur des suppositions malaisées à comprendre. Or, s’il y eut jamais de matière difficile, c’est celle de la formation de la pensée. Elle est peut-être plus impénétrable que celle de l’origine de l’âme. C’est beaucoup dire, car la réflexion de Bartholin sur une chose que l’on raconte de saint Anselme est de bon sens. On assure que cet archevêque de Cantorbéri, se voyant proche de la mort, à l’âge de soixante-seize ans, souhaita un petit délai, afin d’achever une question très-obscure qu’il avait commencée sur l’origine de l’âme[46]. « S’il eût obtenu encore soixante-seize ans de vie, dit Bartholin, je doute qu’il eût pu venir à bout d’une question si obscure. » Valdé dubito, si vel totidem annos quos vixerat illi addidisset Deus, vitæ arbiter, ad finem quæstionis dubiæ unquàm potuerit pervenire[47]. Notez que la plupart des cartésiens enseignent que comme il n’y a que Dieu qui puisse mouvoir les corps, il n’y a aussi que Dieu qui puisse modifier les esprits. Ils exceptent les actions qui rendent l’âme criminelle. Mais, pour tout ce qui s’appelle sensation, imagination, passion, mémoire, idée, ils prétendent que Dieu en est la cause efficiente et immédiate, et que l’action des objets ou le mouvement de nos esprits animaux n’en est que la cause occasionelle. Ce sentiment n’est qu’une extension de celui qu’on attribue à un fameux interprète d’Aristote, et que M. du Plessis-Mornai réfute par des raisons spécieuses, mais dont nos cartésiens ne s’embarrasseraient pas. Voyons quelque chose de ce qu’il avance. Quant à l’opinion d’Alexandre (d’Aphrodisée), qui prétend un intellect agent universel, qui imprime l’intellect possible, c’est-à-dire, la capacité d’un chacun, et la réduise en action, la plus part des raisons cy-dessus déduictes contre Averroës, sert aussi contre lui. Mais par ce que par cet intellect agent il semble entendre Dieu dire mesme, il y a ceci de plus, que Dieu qui est tout bon et tout sage, n’imprimeroit point en notre entendement les folies et les malignités que nous y remarquons ; qu’il n’y laisseroit pas aussi tant d’ignorance, et de tenèbres, que nous y tastons, ains vaincroit en tous la contagion qu’apporte ce corps, et bien qu’il n’inspirast ou n’influast tant de choses à l’un qu’à l’autre, selon les diverses capacitez de ceste table rase, que pour le moins il n’y peindroit pas un monde de faux traicts, que nous y pouvons voir chacun en soy-mesme. En après, où l’influxion seroit perpétuelle, ou bien entrecouppée. Si perpétuelle, nous entendrions tout ce que nostre imagination nous représenteroit sans labeur et sans art ; si entrecouppée, il ne seroit pas en nous d’entendre chose quelconque, ny de vouloir quand nous voudrions. Or, au contraire, nous avons peine à comprendre certaines choses, et nous faut gagner sur l’ignorance de nostre esprit, comme pied à pied : et y en a d’autres que nous entendons dès qu’elles se présentent, et quand nous voulons[48].

(F) ...... qui fit des progrès si formidables,....... qu’il fallut le faire proscrire par l’autorité papale. ] J’ai rapporté ailleurs[49] les paroles d’une bulle de Léon X, approuvée dans le concile de Latran. J’ajoute ici que Raimond Lulle sollicita instamment le pape Clément V à condamner les Commentaires d’Averroës sur Aristote, et qu’il tâcha d’engager Philippe-le-Bel, roi de France à solliciter la même chose. Il représenta que ce sont des livres remplis d’erreurs pernicieuses, et qui peuvent conduire peu à peu les jeunes gens à l’impiété : il pria, il présenta des requêtes, il fit un livre sur ce sujet ; mais il trouva sourds et le pape et le roi de France[50]. Présentement, il n’est nécessaire, ni de demander cela, ni de prier qu’à tout le moins il soit défendu de tenir ce philosophe pour un oracle : son autorité est nulle, et personne ne perd du temps à le lire ; mais il y a eu des siècles bien infatués de sa doctrine. Lisez ce qui suit : Congruentior et exauditu facilior fuisset petitio, pro quâ nunc, (quæ Dei benignitas est,) non est satagendum. Nimirùm ne Averroës oraculi loco esset in scholis : quod cum superiori seculo, et paucis anterioribus, invaluisset, præsertim in Italiâ, ut Canus lib. 10 de Locis, c. 5, notavit : occasio fuit magnorum in oris illis errorum, et inutilis diligentiæ, quâ aliqui non minùs in pervolutando Averroë collocabant operæ, quàm in sacris litteris ponant, qui iis maximè delectantur : nec fidei minùs Averroï tribuerunt, quàm optimi quique fideles canonicis scriptoribus : quod indignissimum fuisse, nemo non videt. Nunc Averroïs in scholis depontanus evasit[51]. Louis Vives s’était bien plaint de l’autorité que ce philosophe arabe avait obtenue. Quem philosophi de nostrâ scholâ, qui post eum scripsêre, ità sunt amplexati ut penè authoritate Aristoteli adæquârint, nec solùm qui longo post intervallo vixerunt, sed qui illius quoque ætate ; quod factum est et ignorantiâ meliorum, et admiratione mercimonii linguâ et sensis peregrim : ut gratiam ei conciliaret apud primos novitas, apud posteros vetustas[52]. Il marque là un coup de bonheur : certains esprits fortunés plaisent d’abord pour leur nouveauté, et enfin à cause de leur antiquité. Que mes lecteurs examinent, s’il leur plaît, ce raisonnement d’un moderne. On ne doit pas s’étonner de voir que les hommes aient eu tant d’estime pour Averroës, puisque le père de Cardan, qui se mêlait de magie, nous assure que les démons mêmes ont admiré sa doctrine, de laquelle Bajazet se divertissait dans les plus sensibles douleurs de la goutte : qui n’est pas une preuve moins avantageuse pour montrer son mérite, que d’avoir étonné les intelligences[53]. Si ce qui concerne Bajazet n’est pas rapporté plus fidèlement que le reste, j’en doute beaucoup[54]. Pour bien rapporter ce qui regarde le père de Cardan, il fallait dire, que l’un des esprits qui lui apparurent faisait profession d’être averroïste, et non pas qu’Averroës avait étonné les intelligences ; et il fallait ajouter que Carda même insinue que ce conte de son père était fabuleux. Ille verò palam averroïstam se profitebatur. Hæc seu historia, seu fabula sit, ità se habuit. Quod fabula videatur satis argumento esse debet quod, etc.[55].

(G) Il n’y a point de livre où Averroës paraisse avoir eu de meilleures intentions, que dans sesDestructiones Destructionum contra Algazelem : ] ou bien Destructoriun Destructorii. Le titre arabe est Hahapalah altahapalah[56]. Averroës réfute dans cet ouvrage les opinions métaphysiques qu’Algazel avait soutenues contre les philosophes. La plupart de ces opinions d’Algazel sont très-mauvaises : car, par exemple, il a combattu ce que les philosophes disaient, que le monde est l’ouvrage de Dieu, et que Dieu est un agent ; qu’il est unique, simple, incorporel, et qu’il ne peut point y avoir deux natures incréées[57]. Puisqu’Averroës soutient le parti des philosophes sur toutes ces propositions, on ne peut nier qu’il ne travaille en faveur de l’orthodoxie. C’est l’un de ses plus beaux ouvrages, au sentiment du père Rapin[58]. Mais d’ailleurs, la bonne cause peut-elle trouver son compte dans les services que lui pourrait faire un tel défenseur, lui qui niait que la création fût possible, et qui soutenait que tous les êtres spirituels sont éternels, et que Dieu ne connaît pas les choses particulières, et n’étend point sa providence sur les individus de ce monde[59] ?

(H) On parle fort désavantageusement de la religion de ce philosophe. ] Vous trouverez dans le Dictionnaire de Moréri, que le christianisme était selon lui une religion impossible ; que le judaïsme était une religion d’enfans ; et que le mahométisme était une religion de pourceaux : et qu’ensuite il s’écriait, moriatur anima mea morte philosophorum, c’est-à-dire, que mon âme meure de la mort des philosophes. Voilà de quelle manière il imitait Balaam, qui dit, que je meure de la mort des justes, et que ma fin soit semblable à la leur[60]. M. Moréri ne rapporte pas exactement ce qui concerne le christianisme : Averroës le nommait, dit-il, une religion impossible, à cause du mystère de l’Eucharistie. Il est sûr que ce philosophe n’en parlait pas si obligeamment, quand il faisait réflexion sur la pratique de la communion de Rome. Lisez ces paroles de M. Daillé, adressées au père Adam : « Les sages du monde ne vous ont point pardonné cette étrange créance, non plus que les Juifs : témoin la parole du philosophe Averroës, que le cardinal du Perron[* 4] rapporte sur la foi de Sarga, l’un des pères de votre société, qu’il ne trouvait point de secte pire, ou plus badine, que celle des chrétiens, qui mangent et déchirent eux-mêmes le dieu qu’ils adorent[61]. » Avant que de passer outre, je fais deux remarques contre ce docte ministre. La Ire. est que le cardinal du Perron n’est point proprement celui qui rapporte cette parole sur la foi de l’un des confrères du père Adam, il ne la rapporte que comme citée par M. du Plessis ; car c’est M. du Plessis qui allègue sur ce sujet ce que le jésuite Scarga observe touchant la pensée de ce philosophe arabe[62]. La IIe. est qu’au lieu de Sarga, il fallait dire Scarga. Rapportons maintenant le passage d’un autre ministre : Si nous recevions la sainte Cène à genoux... nous serions en scandale et en achoppement aux infirmes, mais nous donnerions occasion aux infidèles de blasphèmer le sacré nom de Dieu, et d’avoir en horreur le christianisme. Car nous ne pouvons oublier le lamentable exemple de ce philosophe païen [* 5], qui, ayant vu manger le sacrement qu’on avait adoré, dit, qu’il n’avait jamais vu de secte plus folle et plus ridicule que celle des chrétiens, qui adorent ce qu’ils mangent ; et c’est à ce propos que ce malheureux s’écria : que mon âme soit avec celles des philosophes, veu que les chrétiens adorent ce qu’ils mangent[63]. Ce même ministre allègue ailleurs un passage de Cicéron, qui cadre beaucoup avec la pensée d’Averroës[64] : « Ecquem tam amentem esse putas, qui illud quo vescatur Deum credat esset[65] ? c’est-à-dire, et qui pensez-vous si insensé, que de croire que ce qu’il mange soit Dieu ? » Cicéron parla ainsi, en considérant qu’on donnait au blé le nom de Cérès, et au vin le nom de Bacchus. Cùm fruges Cererem, vinum Liberum dicimus, genere nos quidem sermonis utimur usitato[66]. Le père Lescalopier avoue que cet illustre païen est fort raisonnable, quand il raisonne de la sorte à l’égard de Cérès et de Bacchus ; « mais, ajoute-t-il [67], c’est une extrême sagesse sous le christianisme, que de manger ce que l’on croit être Dieu, et nous regardons comme coupables d’une infidélité très-insensée et très-stupide ceux qui ne prennent pas à la lettre les paroles de Jésus-Christ, ceci est mon corps, et qui nous objectent en se moquant ces paroles de Cicéron : » Amentissmæ ac stolidissimæ infidelitatis damnamus hæreticos homines, qui Christi Domini hoc est ipsius veritatis planissima dissertissimaque verba, etc...[68]. Illud Academicum, sublato cachinno procaciter usurpant, academicorum non fidelium nepotes : Ecquem tam amentem esse putas, qui illud, quo vescatur, Deum credat esse ? At cum apostolo catholici respondemus : Nos stulti propter Christum ; utinam vos sitis prudentes in Christo[69] ! Il ne s’agit point ici d’examiner la qualité de ces réflexions ; il ne s’agit que des pensées d’Averroës. Je remarque que Vossius n’a parlé qu’en général du mépris de ce philosophe pour la religion chrétienne : il n’a point considéré en particulier le résultat de la Transsubstantiation. Quàm parùm viderit tantus philosophus in verâ et unicâ salutis viâ arguit illud quod diceret, malle se animam sua esse cum philosophis quàm cum christianis[70]. Quelques-uns disent qu’Averroës naquit chrétien, et qu’il se fit juif, et ensuite mahométan. De christiano judæus, de judæo factus est mahumetanus[71]. D’autres disent qu’il écrivit contre les trois grands législateurs, Moïse, Jésus-Christ et Mahomet ; et qu’il fournit les matériaux du livre de Tribus Impostoribus[72]. D’autres observent qu’il n’a jamais cru qu’il eût des diables[73] ; et qu’ainsi Cardan a fait violence à sa doctrine, quand il introduit un démon qui se disait l’un de ses disciples et sectateurs [74]. On ne peut rien prononcer de plus fort que ce jugement ou ce vœu d’Érasme, Utinam prodisset ingens illud opus adversùs Averroëm impium καὶ τρὶς κατάρατον[75]. Il écrit cela à un homme qui lui avait fait savoir que son grand ouvrage contre Averroës était imprimé. Alterum magnum opus sectum in libros sex et quadraginta ex peripateticâ disciplinâ confecimus adversùs Averroëm, quod etiam excusum est[76]. D’où vient donc qu’Érasme en souhaite la publication ? N’est-ce pas un signe qu’en répondant à ses amis il ne mettait pas toujours sous ses yeux leurs lettres, et qu’il en avait oublié quelques circonstances ? Quoi qu’il en soit, son vœu me fait souvenir d’une lettre de Pétrarque où l’on exhorte un savant théologien à réfuter Âverroës, ce chien enragé, qui aboie si furieusement contre Jésus-Christ. Pétrarque ajoute qu’il avait fait des recueils pour un tel ouvrage, mais qu’il n’a ni le loisir, ni le savoir qui lui seraient nécessaires pour écrire là-dessus. Il appelle impie le silence que tant de grands hommes ont gardé, et il souhaite qu’on lui dédie, quand même il serait déjà dans le tombeau, l’ouvrage qu’il exhorte son ami à composer. Extremum quæso ut cùm primùm perveneris quò suspiras, quod citò fore confido, contra canem illum rabidum Averroëm, qui furore actus infando, contra Dominum suum Christum, contraque catholicam fidem latrat, collectis undique blasphemiis ejus, quod, ut scis, jam cœperamus ; sed me ingens semper, et nunc solito major occupatio, nec minor temporis quàm scientiæ retraxit inopia, totis ingenii viribus ac nervis incumbens, rem à multis magnis viris impiè neglectam, opusculum unum scribas, et mihi illud inscribas, seu tunc vivus ero, seu interim abiero[77]. Citons aussi M. du Plessis : Aristote estoit, au dire de plusieurs, peu religieux, et Averroës son interprète du tout impie...... [78]. Nul n’ignore combien Averroës principalement presse l’éternité du monde, et l’intellect universel, qui toutes fois ne peuvent compatir avec piété[79].

Pour achever le tableau de l’irréligion d’Averroës, il ne faudrait pas oublier les traits que ses hypothèses sur l’âme de l’homme fournissent. Il est sûr qu’il n’admettait point de peines et de récompenses après cette vie ; car, à proprement parler, il enseignait la mortalité de l’âme humaine. Je sais bien qu’il reconnaissait que l’entendement ne mourait jamais, et qu’il en faisait une nature éternelle ; mais à cet égard il ne le considérait pas comme une substance appropriée à chaque homme, et par conséquent, quoi qu’il avouât que le principe des opérations actuelles de Pierre et de Paul subsistait après leur mort, il ne laissait pas de croire que tout ce qui avait appartenu en particulier à Pierre et à Paul, et quant au corps, et quant à l’âme, cessait de vivre lorsqu’ils mouraient. Il niait donc le paradis et l’enfer. Vossius, qui a bien compris cette doctrine, n’eût pas dû l’attribuer absolument à Mirandulanus, puisque cet auteur ne l’adopte point comme véritable en elle-même, mais seulement comme l’interprétation légitime des paroles d’Aristote[80]. Aurait-on osé dans des livres imprimés se déclarer pour un sentiment impie, et qui exposait les gens aux feux de l’inquisition ? Le passage de Vossius que je vais citer servira de preuve que les écrivains les plus doctes ne distinguent pas toujours ce qu’ils devraient distinguer. Ils imputent quelquefois à un philosophe, non pas ce qu’il croit absolument, mais ce qu’il dit, qu’il faudrait croire si l’on voulait suivre les opinions d’Aristote, ou de quelque autre fondateur de secte. Bifariàm jubet considerare hominis intellectum (Averroës), ut est intellectus, et ut est forma quam obtinet, dum nobis unitur. Priori modo ait cum à morte nostrâ superesse, quippè æternum, nec dare homini essentiam, sed uniri illi per operationem suam phantasmatum interventu. Hanc sententiam etiam sequitur Antonius Mirandulanus Evers. singul. certam. lib. xxxii. sect. i., et lib. seq. sect. ii, et vi. Similiterque Cardanus : quem proptereà reprehendit, ac refellit Cæsar Scaliger Exercit. cccvi [81], sect. 30. Et sanè ea sententia Scripturis à diametro aversatur ; ut quæ suam cuique animam, sua etiam à morte præmia, et pœnas, adsignent[82].

(I) Divers auteurs ont travaillé à la traduction latine d’Averroës. ] Voici un passage de M. Huet, qui nous apprendra le nom de quelques-uns de ces traducteurs, et en même temps une méprise de Scaliger. Vix ullos Averroïs Arabicos codices in Europâ reperiri posse putabat Scaliger, solamque conversionem ab Armegando Blasii, Jacobo Mantino, Johanne Francisco Buranâ, Abrahamo de Balmis, Vitale Nisso, Calo Calonymo, Johanne Bruyerino Campesio, Paulo Israëlitâ, aliisque adornatam in lucem venisse. Ego tamen his versavi manibus arabicum Averroïs librum, ex Oriente huc olim à Postello devectum ; quod miror Scaligerum fugisse, Postello olim amicitiâ et litterariâ consuetudine conjunctum. Eo libro continentur in Logicam, Rhetoricam, et Poëticam commentaria ; quæ ad Jacobi Mantini et Abrahami de Balmis interpretationem à me expensa, fidem eorum et artem apertè mihi comprobârunt[83]. Notez qu’il y a eu des rabbins qui ont traduit en hébreu quelques ouvrages d’Averroës [84]. Il est bon que j’observe ici ce que je trouve dans Possevin. Ce jésuite assure que ceux qui étaient si entêtés de ce philosophe arabe, ne le pouvaient lire que dans des versions pitoyables, avant l’édition que Jean-Baptiste Bagolin fit faire à Venise, chez les Junctes, l’an 1552[85] ; cette édition, continue-t-il, ne peut pas valoir grand’chose ; car Bagolin, à l’égard d’une partie des œuvres d’Averroës, se servit de la traduction d’un Juif nommé Jacques Mantinus : et à l’égard de l’autre partie, on employa les traductions précédentes, et même celles que Niphus et Zimara n’avaient nullement corrigées en travaillant sur Averroës. Le traducteur Mantinus suivit les traces d’Abraham de Balmis, qui avait très-mal réussi. On ne peut donc se promettre qu’un traducteur, qui a eu de si mauvais guides, ait bien exprimé l’original ; et comme Bagolin n’entendait rien dans l’arabe, il ne pouvait point juger de ces interprétations [86]. Je m’en vais copier un long passage de Keckerman, où l’on souhaite que Dieu veuille susciter un traducteur qui délivre de la crasse et ténébreuse barbarie des precédens les œuvres d’Averroës. C’est alors que l’on verrait les grands services que cet Arabe a rendus à la philosophie. Quid et quantùm universæ philosophiæ Averroës iste profuerit, tùm clarum perspectumque haberemus, si quem nobis Deus virum excitaret, qui latinam ejus versionem ab istâ quâ scatet undique molestâ barbarie liberaret, et stylo latino saltem mediocri et intelligibili in gratiam philosophiæ studiosorum verteret. Ad quam rent illa, quæ nuper Avicennam arabicum nitidissimis typis dedit clarissima typographia medicea plurimùm adjumenti adferret, si lingua arabica Averroem ederet, atque ità occasionem viris ejus linguæ peritis faciliorem præberet barbaræ versionis emendandæ, et ad intelligentiam traducendæ : aliàs certum est, Averroem à multis neglectum iri, à quibus legeretur diligenter, nisi tam multis locis non intelligeretur. In Posterioribus Anal. apparet singularem operam præstitisse et immortalitate dignissimam : Et Epitome Logicæ, quam scripsit, laudatissima est ob varias causas, ut et Logica ejus quæsita. Nemo tam interpretum veterum videri potest proximus Aristotelis menti atque hic Arabs[87]. Je doute qu’il y ait aujourd’hui beaucoup de gens qui fassent un pareil vœu, ou qui fondent de si belles espérances sur une version accomplie des œuvres d’Averroës, ou qui lui donnent de si grands éloges.

(K) Le peuple de Cordoue l’éleva à deux belles charges que son père et son aïeul avaient possédées. ] Son aïeul était l’un des plus fameux jurisconsultes de son temps ; il passait pour un second Malich, qui a été l’un des quatre plus grands casuistes de la religion mahométane : Unus ex quatuor primariis juris muhammedanorum Canonici interpretibus[88] ; et il fut d’ailleurs un savant théologien. Ce fut lui que le peuple de Cordoue, secouant le joug de son prince, et voulant avoir pour maître le roi de Maroc, députa à ce monarque pour négocier cette grande affaire. Il en obtint toutes les faveurs qu’il lui demanda de la part de ces mutins, et il retourna vers eux comblé de bienfaits et de caresses, ayant été créé chef des prêtres, et grand-juge du royaume de Cordoue. Il mourut après avoir joui de ces dignités un fort long temps, et laissa un fils qui était légiste, et qui fut destiné aux mêmes emplois par les suffrages des habitans de Cordoue. Le roi de Maroc confirma cette élection ; et par ce moyen notre légiste se vit revêtu d’un beau caractère. On trouve que l’autorité de ses charges s’étendait sur toute l’Andalousie, et sur le royaume de Valence. Sa vie fut longue, et il la passa joyeusement. Après qu’il fut mort ses dignités furent conférées à son fils Averroës par les suffrages du peuple[89]. Notez qu’à la prière de plusieurs grands, qui imploraient sa clémence en faveur d’Ibnu Saigh, fameux médecin, détenu dans les prisons pour le crime d’hérésie, il l’avait mis en liberté. Ibnu Giulgiul disait pendant cette procédure, Le père d’Averroës ne sait pas qu’il a eu un fils qui sera un beaucoup plus grand hérétique que celui-là [90]. Ce n’était point se tromper.

(L) On dit des merveilles de sa patience, et de sa libéralité, et de sa douceur. ] Il y avait à Cordoue, parmi la noblesse, et parmi les gens de lettres, plusieurs personnes qui le haïssaient et qui le contrôlaient. Un jour qu’il faisait leçon dans l’auditoire de jurisprudence, le valet de l’un de ses ennemis lui alla dire quelque chose à l’oreille. Il changea de couleur, et répondit simplement, oui, oui. Le lendemain, le même valet retourna à l’auditoire, demanda pardon, et confessa devant tous les écoliers qu’il avait dit une grosse injure à Averroës, en lui parlant à l’oreille. Dieu te bénisse, lui répondit-il, puis que tu as déclaré que je suis pourvu de patience. Il lui donna ensuite une certaine somme d’argent, et lui dit, Ne fais point à d’autres ce que tu m’as fait. Quoiqu’il fût riche, et par son mariage, et par ses charges, il était toujours endetté, parce qu’il faisait beaucoup d’aumônes aux gens de lettres nécessiteux, soit qu’ils l’aimassent, soit qu’ils le haïssent. Ses amis le censurèrent un jour de ce qu’il distribuait son bien à ses ennemis : Malheureux que vous êtes, répondit-il, vous ne savez pas que faire du bien à ses parens et à ses amis n’est point un acte de libéralité : on se porte à cela par des sentimens de la nature. Être libéral, c’est communiquer son bien à ses ennemis ; et parce que mes richesses ne viennent pas de ce que moi ou mes ancêtres ayons exercé la marchandise, ou quelque art, ou le métier des armes, mais de la profession de la vertu, n’est-il pas juste que je les dépense par la vertu ? Je trouve que je ne les ai pas mal placées ; elles m’ont servi à convertir en amis ceux qui étaient mes ennemis[91]. Joignez à cela ce que j’ai dit concernant sa sobriété, sa vigilance, son application à l’étude, etc[92]. Il ne voulut point consentir que le plus jeune de ses fils fût élevé aux honneurs qu’on lui offrait à la cour de Maroc ; et bien loin de voir avec joie la déférence que l’on témoignait à ce jeune homme, et dans laquelle on se proposait de faire plaisir au père, il s’en chagrinait tout de bon[93]. Quel dommage que tant de vertus, et tant de bonnes qualités : m’aient pas été accompagnées de l’orthodoxie, et qu’au contraire elles aient été jointes aux erreurs les plus énormes ! Les écrits de ses adversaires ne le diffamaient que du côté de l’hérésie, et ses panégyristes ne le louaient que du côté de la vertu et de la science, etc. Hic à multis laudatus, à nonnullis verò aliis vituperio affectus est..... Adversarius ejus scripsit epistolam quâ vituperabatur Averroës, cum de hæresi infamando ; et alius scripsit aliam laudando eum de nobilitate, justitiâ, et doctrinâ : quæ quidem epistolæ sunt longissimæ[94].

(M) Ses ennemis l’accusèrent d’hérésie, ce qui eut des suites bien... accablantes pour lui. ] Plusieurs nobles, et plusieurs docteurs de Cordoue, et nommément le médecin Ibnu Zoar, lui portaient envie, et résolurent de lui intenter un procès de religion. Ils subornèrent de jeunes gens, pour le prier de leur faire une leçon de philosophie. Il y donna les mains, et leur découvrit dans cette leçon sa créance de philosophie : Inter legendum autem suam philosophalem fidem detexerunt [95]. Ils en firent dresser un acte par un notaire, et l’y déclarèrent hérétique. Cet acte fut signé par cent témoins, et envoyé à Mansor roi de Maroc. Ce prince l’ayant vu, se mit en colère contre Averroës, et dit tout haut : Il est clair que cet homme-là n’est point de notre religion. Hunc nostræ legis non esse patet. Il fit confisquer tous ses biens, et le condamna à se tenir au quartier des juifs. Averroës obéit ; mais étant allé quelquefois à la mosquée, pour y faire ses oraisons, et ayant été chassé à coups de pierre par les enfans, il se retira de Cordoue à Fez, et s’y tint caché. On le reconnut dans peu de jours, et on le mit en prison, et l’on demanda à Mansor ce qu’on en ferait. Ce prince assembla plusieurs docteurs en théologie et en jurisprudence, et s’informa d’eux de quelle peine un tel homme était digne. La plupart répondirent qu’en qualité d’hérétique il méritait la mort, mais quelques-uns représentèrent qu’il ne fallait pas faire mourir un tel personnage, qui était principalement connu sous la qualité de légiste et sous celle de théologien : de sorte, dirent-ils, qu’on ne divulguera point par le monde qu’un hérétique a été condamné, mais qu’un légiste, qu’un théologien, a subi cette sentence : d’où il arrivera, 1°. que les infidèles n’embrasseront plus notre foi, et qu’ainsi notre religion sera amoindrie ; 2°. que l’on se plaindra que les docteurs africains cherchent et trouvent des raisons de s’ôter la vie les uns aux autres. Il y aura plus de justice à le faire rétracter devant la porte de la grande mosquée, où on lui demandera s’il se repent. Nous sommes d’avis que Votre Majesté lui pardonne en cas qu’il se repente ; car il n’y a aucun homme sur la terre qui soit exempt de tout crime. Mansor goûta ce conseil, et donna ses ordres au gouverneur de Fez pour une telle exécution. En conséquence de quoi, un vendredi à l’heure de la prière, notre philosophe fut conduit devant la porte de la mosquée, et mis, tête nue, sur le plus haut degré, et tous ceux qui entraient dans la mosquée lui crachèrent au visage. La prière étant finie, les docteurs avec des notaires, et le juge avec ses assesseurs, vinrent là, et demandèrent à ce misérable s’il se repentait de son hérésie ? Il répondit par un oui : on le renvoya ; il se tint à Fez, et y fit des leçons de jurisprudence. Mansor lui ayant permis quelque temps après de retourner à Cordoue, il y retourna, et y vécut misérablement privé de biens et de livres. Cependant le juge qui lui avait succédé s’acquittait si mal de sa charge, et en général la justice était si mal administrée dans ce pays-là que les peuples en gémissaient. Mansor, voulant remédier à ce désordre, assembla son conseil, et y proposa de rétablir Averroës. La plupart des conseillers en furent d’avis : c’est pourquoi il lui envoya un ordre de venir incessamment à Maroc, pour y faire les fonctions de sa première magistrature. Averroës partit aussitôt avec toute sa famille, et passa tout le reste de ses jours à Maroc[96]. Il y fut enterré hors de la porte des Corroyeurs [97]. Son tombeau et son épitaphe y ont paru fort long-temps[98].

Il ne faut pas oublier ce qu’il répondit à ceux qui demandèrent quelle était la situation de son âme, pendant la persécution. Cet état-là, leur dit-il, me plaisait et me déplaisait. J’étais bien aise d’être déchargé des fonctions pénibles de la judicature ; mais il me fâchait d’avoir été opprimé par de faux témoins. Je n’ai point souhaité, ajoute-t-il, d’être rétabli dans la charge de magistrat, et je ne l’ai reprise qu’après que mon innocence a été manifestée [99].

(N) Ce qu’il répondit à un jeune gentilhomme, qui le priait de lui accorder sa fille, est assez curieux. ] « Donnez-la moi, lui dit ce galant, je vous en paierai son pesant d’or ». O domine judex, da mihi in uxorem filiam tuam, et quanti eam ponderaveris, itidem aurum tibi tradam[100]. « Savez-vous, répondit Averroës, si ma fille est belle ou laide ; savez-vous si vous en serez content ? » J’ai vu sa copie, reprit l’autre, c’est-à-dire, son frère[101]. Je crains, répliqua Averroës, que votre ardeur impétueuse ne vous ait empêché de la connaître[102]. Le jeune homme se retira tout honteux, et ne revint point à la charge. Cette fille fut mariée depuis par son père à un parent du roi de Maroc[103]. Quand j’ai dit que la réponse d’Averroës était curieuse, j’ai eu égard à deux choses : en premier lieu, aux circonstances, et puis à l’obscurité du traducteur. Je le soupçonne de s’être mal exprimé. Il n’entendait guère la langue latine : l’apparence est que les mots arabes ont plus de sel que sa traduction, et ainsi les esprits curieux seront bien aises qu’on leur propose à examiner ce petit fait-là. C’est une assez grande singularité de voir un galant qui, poids pour poids, veut troquer son or contre une fille qu’il n’a point vue. Le prix monterait bien haut, même en Espagne, où les gens sont beaucoup moins gras qu’en plusieurs autres pays. Averroës n’aurait pas mal fait de demander au galant, savez-vous si ma fille est d’une taille déliée ; ou si elle a trop d’embonpoint ? Cet éclaircissement pouvait être de conséquence, puisqu’au second cas la marchandise eût plus coûté, et moins valu. Selon nos coutumes, rien ne serait plus singulier qu’un galant qui n’aurait point vu la fille du principal magistrat du lieu de sa résidence ; mais parmi les mahométans, cela est commun : ils ne permettent point aux filles de se montrer aux fenêtres, et devant la porte du logis, de courir de lieu en lieu, et de recevoir des visites chaque jour. Cependant j’ose dire qu’il y a quelque chose de Considérable en ce que le noble cordouan[104] ne savait que par conjecture si la fille d’Averroës était belle. Voilà quelques-unes des circonstances à quoi j’ai eu égard.

(O) On raconte une chose très-singulière touchant l’effet de quelques discours qu’il prononça contre le plus jeune de ses fils. ] Je ne m’amuserai pas à traduire en notre langue ce qui doit me servir ici de commentaire ; cela n’aurait que très-peu de grâces en français. Il me suffira de dire qu’Averroës souhaita plutôt la mort de son fils, que de le voir désobéissant, et qu’il fit là-dessus une imprécation à laquelle ce jeune homme ne survécut que dix mois. Voici bien du latin : je ne le prends pas d’Hottinger, car je l’ai trouvé plus correct dans un autre auteur. De Averroïs carminum efficaciâ hanc historiam historicus Arabs refert : Quâdam die eo existente cum amicis quibusdam colloquentibusque, ingressus est filius ejus cum aliquibus sociis juvenibus, quos cùm animadvertisset Averroës, protulit duo carmina, hujus sensûs : Rapuerunt pulchritudines tuæ, capreolo pulchritudinem suam, donec miratus est omnis pulcher in te : tibi est pectus ejus, et oculi ejus, et stupor ejus ; verùm cras cornua sua patri tuo erunt. Post quæ dixit : Sit maledicta peregrinatio : quandò eram juvenis, aliquandò patrem meum puniebam ; nunc autem senex filium meum punire non possum. At Deum deprecor, ut priusquàm videam aliquid contrà voluntatem meam, eum mori faciat. Sicque priusquàm transirent menses decem filius ejus mortuus est, et major solus remansit, qui judex opinionis et sectæ effectus est[105]. Bartholin, qui me fournit ce passage, attribue sans raison aux vers de ce philosophe le grand effet dont il s’agit, et qu’il ne faut imputer qu’à l’imprécation en prose qu’Averroës prononça. Les compilateurs ont recueilli beaucoup d’exemples de pareils effets de telles imprécations[106].

(P) Quand il fut vieux il fit jeter au feu ses vers de galanterie. ] Le discours qui accompagna cet acte est tout confit en sagesse. L’homme, dit-il, sera jugé par ses paroles ; et si j’ai mal parlé, je ne veux point donner à connaître ma folie. Si mes vers plaisaient à quelqu’un, il me prendrait pour un homme sage, et je ne reconnais point que je le sois. Vous voyez là un bon caractère. Averroës, ayant fait la faute, la répara : il voulut se dérober également à l’approbation qu’il ne croyait pas mériter, et au blâme qu’il méritait. Il se serait trouvé une infinité de gens qui auraient lu ses vers d’amour l’encens à la main, qui les auraient admirés, qui auraient béni sa mémoire. Ovide et Catulle sont des exemples de cela. Il ne voulut point de cette louange. D’autres eussent trouvé fort mauvais qu’un si grand homme, un légiste et un philosophe si excellent, eût fait des vers de galanterie. Il prévint leur critique en donnant ordre que personne ne pût lire ce qu’il avait composé sur une telle matière. Ses autres ouvrages de poésie sont tous perdus, hormis une très-petite pièce où il déclare, qu’étant jeune, il a désobéi à sa raison, mais qu’étant vieux, il l’a suivie ; sur quoi il pousse ce souhait : Plût à Dieu que je fusse né vieux, et que dès ma jeunesse j’eusse été dans l’état de perfection ! Voilà, ce me semble, le vrai sens de ces paroles latines de Jean Léon[107]. De suis guidem carminibus tantùm duo reperiuntur ad verbum significantibus : « Inobediens enim fui voluntati meæ juvenis, ac quando tempus cum calvitie senectuteque agitavit me, tum parui voluntati meæ. Utinam natus fuissem senex, et in juventute absolutus [108] ! » Quel souhait plus digne d’un philosophe pourrait-on faire ?

Rapportons ce que fit Averroës à l’égard des vers d’amour d’un autre écrivain. Il y avait à Cordoue un philosophe, médecin et astrologue, nommé Abraham Ibnu Sahal, qui, par un caprice de sa mauvaise fortune, devint amoureux, et se mit à faire des vers, se souciant peu de la dignité doctorale. Posteà ob disgratiam suæ fortunæ, amore capitur, et dignitate doctorum postpositâ, cœpit edere carmina[109]. Les juifs, ses confrères de religion, l’exhortèrent à ne donner point au public de ces poésies impudiques. Il leur fit en vers une réponse profane. Cela fit qu’ils eurent recours à l’autorité du magistrat ; et comme Averroës était le grand juge du pays, ce fut à lui qu’ils s’adressèrent. Ils lui représentèrent que cet Abraham avait corrompu par ses poésies toute la ville, et principalement la jeunesse de l’un et de l’autre sexe, et qu’on ne chantait autre chose dans les festins nuptiaux. Averroës s’indigna contre ce poëte, et lui fit défendre de continuer, à peine d’être châtié selon l’exigence du cas, ou comme il plairait au juge. Il entendit dire que sa défense n’arrêtait point la veine du juif, et il voulut être assuré de la vérité. Il envoya chez ce poëte une personne de confiance, qui lui revint faire ce rapport : Je n’ai trouvé chez lui que l’aîné de vos enfans, qui écrivait de ces poésies. Il ajouta qu’il n’y avait dans Cordoue ni homme, ni femme, ni enfant, qui n’eussent appris quelque chose de vers d’Abraham Ibnu Sahal. Alors Averroës cessa ses poursuites. Une seule main, dit-il, peut-elle fermer mille bouches ? Ayant vu un jour chez un libraire que l’Alcoran ne fut vendu qu’un ducat, et que les poésies de ce juif furent achetées dix pistoles au premier mot[110], il s’écria : « Cette ville périra bientôt, car j’ai vu le mépris du peuple pour les choses saintes, et son attachement pour les choses défendues et malhonnêtes. » Tunc dixit Averrois omnibus adstantibus, « Scitote hanc civitatem mox ruituram, quoniam vidi populum quæ ad fidem pertinent viluisse, atque prohibita, atque in honesta grata extitisse, majorisque fecisse ». Et sicut dixerat successit : non adhuc elapsis quinquaginta annis, Christicolæ oppugnârunt Cordubam, multas alias civitates[111]. On peut recueillir de ceci qu’il y a des vices qui sont de tout pays, et de toute religion, et de tout siècle. Voilà des mahométans d’Espagne, qui faisaient au XIIe. siècle ce que plusieurs chrétiens de Paris ont fait au XVIIe. Fallait-il acheter un exemplaire des Psaumes de M. Godeau, on marchandait fort longtemps, et l’on ne concluait rien si le prix n’était médiocre. Mais s’agissait-il du Parnasse satirique, on en donnait sans marchander le prix énorme que le vendeur demandait. Notons aussi qu’il y a de bonnes actions, dont on trouve des exemples dans chaque pays, dans chaque siècle, et dans chaque religion. Si des chrétiens, dans ces derniers siècles, ont jeté au feu leurs poésies profanes, leurs vers d’amour, leurs vers lascifs[112], Averroës fit la même chose, sous la profession du mahométisme. Je dis sous la profession, car on doute qu’intérieurement il ait rien cru en matière de piété[113]. Sa prédiction sur les malheurs de Cordoue ne réfute point cela : il est assez naturel de croire qu’une horrible corruption de mœurs, et qu’une dépravation de goût, qui fait mépriser ce que l’on estime saint et aimer ce que l’on croit malhonnête, causeront de grands désordres dans une ville.

(Q) J’ai été surpris de la prodigieuse stérilité que j’ai trouvée par rapport à ce fameux philosophe dans la Bibliothéque orientale de M. d’Herbelot. ] Premièrement, on a lieu d’être surpris de ne trouver point dans cette Bibliothéque notre philosophe arabe, sous le nom que tous les Occidentaux lui donnent, je veux dire sous celui d’Averroës. Je veux que ce nom ne soit pas le véritable, mais un nom fort corrompu par plusieurs transports d’idiome en idiome : n’est-ce pas un assez juste motif de le placer en son rang dans un dictionnaire, que de voir qu’il n’y a presque que celui-là qui soit employé parmi les Occidentaux ? Que si l’on aimait mieux donner l’article de ce philosophe sous le nom arabe bien orthographié, il fallait du moins en donner avis sous le mot Averroës ; et par conséquent, M. d’Herbelot, qui n’a point tenu cette conduite, a oublié une chose qui ne devait pas être négligée. On ne trouve dans le corps de son ouvrage, ni Averroës, ni Aben-Roës, ni Aben-Roïs. On est donc contraint de recourir à la table des matières : cela n’est point agréable. Mais qu’y trouve-t-on ? Averroës[114], avec un renvoi aux pages 303, 719, 815. Que trouve-t-on à la page 303 ? qu’Averroës est un de ces philosophes qui ont cru que le monde était éternel. On trouve à la page 815, que Mohammed Al-Gazali a cru qu’Averroës a eu des principes fort contraires à ceux du musulmanisme. Mais dans la page 719, vous trouvez l’article de notre homme sous le terme Roschd. Cet article ne contient pas vingt lignes : en voici la dernière moitié : « Averroës est le premier qui ait traduit Aristote de grec en arabe, avant que les juifs en eussent fait leur version : et nous n’avons eu longtemps d’autre texte d’Aristote que celui de la version arabique de ce grand philosophe, qui y a ajouté ensuite de fort amples commentaires, dont saint Thomas et les autres scolastiques se sont servis, avant que les originaux grecs d’Aristote et de ses commentateurs nous eussent été connus[115]. » Je trouve là bien des choses auxquelles je ne puis ajouter foi ; car je remarque que de savans hommes disent qu’Averroës ignorait la langue grecque[116]. Je sais d’ailleurs que les califes Almanzor, Abdalla, et Almamon, qui ont précédé de quelques siècles Averroës, firent traduire en arabe quantité de livres grecs[117]. Il n’y a donc point d’apparence que la première version arabe des ouvrages d’Aristote eût été faite par Averroës, quand même on supposerait qu’il n’était pas ignorant de la langue grecque. Alfarabe, qui a fleuri au Xe. siècle, trouva dans la Mésopotamie la Physique d’Aristote [118]. On lui attribue ordinairement la traduction des Analytiques du même Aristote : c’est M. d’Herbelot qui nous l’apprend[119]. Rigord raconte qu’un concile tenu à Paris l’an 1209 condamna au feu quelques livres d’Aristote que l’on expliquait dans les colléges, et qui avaient été apportés de Constantinople depuis peu de temps, et traduits de grec en latin : Delati de novo à Constantinopoli et à græco in latinum translati[120]. Ceci ne s’accorde point avec M. d’Herbelot, car il en résulte qu’environ le temps que mourut Averroës on se servait à Paris d’une traduction d’Aristote faite sur le grec. Il est sûr, qu’avant le milieu du XIIe. siècle, la philosophie d’Aristote s’enseignait dans l’université de Paris. Voyez les plaintes de saint Bernard rapportées par M. de Launoi[121]. Ce même passage de Rigord montre que les livres grecs d’Aristote étaient en France au temps d’Averroës. Enfin je voudrais bien que l’on me nommât quelques traducteurs de l’Aristote et du commentaire arabe d’Averroës, qui aient vécu entre Averroës et Thomas d’Aquin. Tous les traducteurs latins de ce philosophe arabe, qui sont venus à ma connaissance, sont postérieurs à ce docteur angélique. Ce n’est pas que je veuille rejeter ce qu’on lit dans quelques auteurs, que l’empereur Frédéric II, qui a fleuri avant saint Thomas et après Averroës, fit mettre en latin les livres de cet Arabe. On peut inférer cela de ces paroles de Cuspinien[122] : Libros multos ex græco et ex arabico latinos fieri curavit, inter quos et Aristotelis volumina fuerunt, et multa medicorum ; et de ce passage de Wolphang Hungerus dans ses notes sur Cuspinien [123] : Curavit quoque eas fieri translationes operum Aristotelis, et scriptorum medicinæ, ex linguâ græcâ et arabicâ, quæ in hunc usque diem in scholis lectæ sunt, atque etiamnum leguntur : et Bononiam easdem misit, ut academiæ offerrentur, quod ejus ex epistolis apparet. Voyez aussi la chronique de Carion[124], où il est dit nommément, que cet empereur fit traduire l’Almageste de Ptolomée, et plusieurs ouvrages d’Aristote, de Galien, et d’Avicenne, etc.[125]. Vous trouverez les mêmes noms dans le Théâtre de Matthias[126], sous la citation du VIIe. livre des Annales d’Aventin, et de la Chronique de Carion. Je ne sais pourquoi on ne nomme pas Averroës ; et cependant je m’imagine qu’il est un de ceux qui furent traduits par les soins de cet empereur. Je voudrais savoir, comme je l’ai déjà dit, comment s’appelaient ceux qu’il employa à traduire ces écrivains.

Prenons garde à une chose qui se trouve dans la Bibliothéque de M. d’Herbelot, c’est que les mahométans regardent comme un pur athéisme la doctrine de ceux qui, en admettant un premier moteur, soutiennent aussi que le monde est éternel[127]. On attribue cette doctrine aux plus fameux philosophes qui aient fleuri parmi les Arabes, à notre Averroës, à Avicenne, à Alfarabe[128]. Les chrétiens font pour l’ordinaire un semblable jugement de cette doctrine, et il est sûr qu’on ne la pourrait soutenir sans traiter de fable l’Écriture Sainte.

  1. * C’est une faute considérable, dit Leclerc, d’avoir supposé que les deux fils d’Averroës furent vus par Gilles de Rome à la cour de Frédéric Barberousse mort en 1190. Ce n’a pu être qu’à celle de Frédéric II, mort en 1250 ; car Gilles de Rome ne mourut qu’en 1316... « Pour moi, dit Joly, je pense que Gilles de Rome n’a pu voir les fils d’Averroës à la cour d’aucun Frédéric. Ce n’a pu être à la cour de Frédéric Ier., comme l’a prouvé M. Leclerc ; j’ai peine à croire que ce soit à celle de Frédéric II, puisqu’il n’est pas facile de comprendre comment Gilles de Rome, mort le 22 décembre 1316, a pu se trouver dans un certain âge à la cour de ce prince avant 1250 ; ce ne put être non plus à celle de Frédéric III, élu en 1314. Je ne puis rien dire de certain sur ce sujet, ayant cherché inutilement le livre de Gilles de Rome. » Ni Joly, comme il le reconnaît, ni Leclerc n’a vu le livre de Gilles de Rome (Ægidius Romanus) appelé aussi Gilles Colonoe (Ægidius Columna), que cite Naudé, cité à son tour par Bayle. L’édition de Louvain 1646, in folio, que j’ai sous les yeux, est intitulée : B. Ægidii Columnæ.…. Quodlibeta revisa, correcta et variè illustrata, studio M. F. Petri Damasi de Coninck. Cet ouvrage n’a que six Quodlibeta : ainsi déjà, c’est une faute de Naudé ou de ses imprimeurs d’avoir indiqué le Quodlibet IX. (est dans le second, n°. 20 (page 102 de l’édition susdite) que Gilles de Rome parle d’Averroës, en ajoutant : Filii cujus dicuntur fuisse cum imperatore Frederico qui temporibus nostris obiit. Gilles de Rome ne dit pas en quel nombre étaient les fils d’Averroës ; il ne parle de leur séjour avec Frédéric que comme d’un on-dit. Il ne désigne le Frédéric que par ces mots : l’empereur Frédéric qui mourut de notre temps. Or, ce ne peut être, comme le dit Leclerc, que Frédéric II, le seul empereur de ce nom qui mourut du vivant de Gilles de Rome, et c’est toujours au XIIe. siècle que cette circonstance fixe l’existence d’Averroës.
  2. * Chaufepié rapporte un passage de Freind, auteur de l’Histoire de la Médecine depuis Galien, qui contredit formellement ce qu’avançait Champier, cité dans la note (12) sur le double fait de l’inimitié et de l’affectation de ne pas nommer Avicenne.
  3. * Chaufepié, d’après Freind, fait voir que c’est une erreur de Pasquier ; car Averroës dit lui même que ce fut Avenzoar qui pratiqua cela sur son propre fils.
  4. (*) Du Perron, de l’Euchar., liv. III, chap. XXIX, pag. 973.
  5. (*) Averroès.
  1. Naudé, Apologie des grands hommes accusés de magie, chap XIV, pag. 354 : il cite Gilles de Rome, quodlibet IX. Voyez aussi Petri Petiti Medici parisiensis Observat. miscellan., pag. 191.
  2. Reinesius, Epist. XV ad Hofmannum, pag. 32.
  3. Hotting., Biblioth, Theol., pag. 279.
  4. Bartolocc., Bibl. rabb., tom. I, pag. 13. Il cite Caserr., in Chronolog. Compendio.
  5. Ludovicus Vives, de Causis corruptar. Arium, lib. V, pag. 167.
  6. C’est-à-dire, par une citation d’un passage de la Métaphysique d’Aristote.
  7. Cœlius Rhodiginus, Antiq. Lect., lib. III, cap. II, pag. 110.
  8. Rapin, Réflexions sur la Philosophie, num. 15, pag. 339, 340, édition de Hollande.
  9. Là même.
  10. Reinesius, Epist. XV ad Hofmann., pag. 32.
  11. Præfat. Averroïs, apud Gesnerum, in biblioth., folio 101.
  12. Symphorianus Camper., apud Gesnerum, ibidem folio 100. Voyez Cœlius Rhodiginus au chap. XII du XXXe. livre, pag. 1684, et Scaliger contre Cardan., Exerc., LXI, num. 5.
  13. Petrus Petitus, Dissertat. de Homeri Nepenthe, pag. 89.
  14. Voyez le même Petri Petiti Miscellan. Observat., lib. III, cap. XVIII.
  15. Idem, ibidem, lib. II, cap. VII, pag. 99, 100.
  16. Vossius, de Philosophiâ, cap. XIV, pag. 114.
  17. Ce n’est pas bien latiniser cette dignité.
  18. Mercklinus, in Lindenio renovato, pag. 94.
  19. Symph. Camperius, de Claris Medicis.
  20. Pasquier, au IIe. tome de ses Lettres, liv. XIX, pag. 548.
  21. Pomponatius, de Immortal. Animæ, cap. IV, pag. 9.
  22. Idem, ibid., cap. III, pag. 7.
  23. Conimbricenses in II. lib. de Animâ, cap. I, Quæst. VII, art. I, pag. 59.
  24. Ibidem.
  25. Mirandulanus, de Eversione singularis Certaminis, lib. XXXII, sect. I et lib. XXXIII, sect. II, et VI.
  26. Achillinus, lib. de Intelligentiis.
  27. Conimbricenses in lib. III de Animâ, cap. V, Quæst. I, art. I, pag. 226.
  28. Commentator ipse, Comm. XIX, lib. III de Animâ, ponit ipsam esse ultimam intelligentiarum. Pomponatius, de Immort. Animæ, cap. IV, pag. 11.
  29. Cœlius Rhodiginus, Antiq. Lect., lib. III, cap. II, pag. 109.
  30. Conimbric., in lib. II de Animâ, cap. IV, Quæst. VII, art. II, pag. 60.
  31. Pomponatius, de Immortal. Animæ, cap. IV, pag. 7.
  32. Id., ibid., pag. 8.
  33. Voyez la remarque (B), vers la fin.
  34. Antonius Sirmondus, de Immortalitate Animæ adversùs Pomponat. et asseclas, pag. 368.
  35. Idem, ibid., pag. 369.
  36. Quid hoc portenti intellectio ut extra intellectum consistat et quidem toto ab eo disjuncta supposito ? Sirmondus, de Immort. Animæ, pag. 370.
  37. Idem, ibidem.
  38. Idem, ibidem, pag. 371, 372.
  39. Voyez l’article Spinoza, remarque (N), num. III.
  40. Anton. Sirmondus, de Immort. Animæ, pag. 372.
  41. Idem, ibidem.
  42. Idem, ibidem, pag. 373.
  43. Celui de la Vérité de la Religion chrétienne, au chap. XV.
  44. Mallebranche, Recherche de la Vérité, liv. III, chap. I et suivans de la IIe. partie.
  45. Conimbric., in lib. III de Animâ, cap. V, Quæst. I, art. I, pag. 226.
  46. Voyez l’article de cet Anselme, remarque (A).
  47. Thom. Bartholinus, Dissertat. VI de legendis libris, pag. 264.
  48. Du Plessis-Mornai, de la Vérite de la Religion chrétienne, chap. XV, folio 203,
  49. Dans l’article Spinoza, remarque (P), à la fin.
  50. Theop. Raynaldus, Erotem. de malis ae bonis libris, num. 340, pag. 200, il cite Charles Bouille, dans la Vie de Raymond Lulle.
  51. Idem, ibidem.
  52. Ludov. Vives, de Causis corruptarum Artium, lib V, pag. 167.
  53. Clavigny de Sainte-Honorine, de l’Usage des livres suspects, pag. 48, 49.
  54. Je ne trouve dans Paul Jove, Elog. Viror. bellicâ virtute illustr., lib. IV, pag. 334, sinon que Bajazet II Peripatetici Averroïs opinionibus oblectabatur.
  55. Cardanus de Subtilitate, lib. XIX, pag. 682.
  56. Voyez Reinesius, Epist. XV, ad Hofm., pag. 33.
  57. Voyez la Biblioth. de Gesner, folio 100 verso.
  58. Rapin, Réflexions sur la Philosophie, num. 80, pag. 363.
  59. Voyez Possevini, Biblioth. selectæ lib. XII, cap. XXXVI.
  60. Nombres, chap. XIII, vs. 10.
  61. Daillé, Réplique au père Adam et à Cottiby, Ire. part., chap. XVI, pag. 116.
  62. Du Plessis, Traité de la Cène, pag. 1106.
  63. Drelincourt, Dialogue IX contre les missionnaires sur le service des Églises réformées, pag. 305, 306.
  64. Là même, Dialogue VI, pag. 236.
  65. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. III, cap. XVI.
  66. Idem, ibid.
  67. Lescaloperius, in Ciceron., de Nat. Deor., pag. 622.
  68. Idem, ibidem.
  69. Idem, ibidem.
  70. Vossius, de Philosophor. Sectis, cap. XVII, pag. 91.
  71. Anton. Sirmondus, de Immortalitate Animæ, pag. 29.
  72. Claudius Berigardus, in Proæmio Circuli Pisani, pag. 5.
  73. Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 320.
  74. Cardan., de Subtilitate, lib. XIX, pag. 682.
  75. Erasmus, Epist XXIX, lib. X, pag. 532.
  76. Ambrosius Leo, Epist. ad Erasmum. Cette Lettre est la XXVIIIe. du Xe. livre parmi celles d’Érasme, pag. 531.
  77. Franciscus Petrarcha, Epistolâ ultimâ libri sine titulo, pag. 656.
  78. Du Plessis-Mornai, de la Vérité de la Religion chrétienne, chap. XX, folio 258 verso.
  79. Là même, folio 259.
  80. Voyez ci-dessus, remarque (E), citation (23), ce que j’ai cité des jésuites de Conimbre.
  81. Il fallait dire cccvii.
  82. Vossius de Origine et Progressu Idololatriæ, lib. III, cap. XLII, pag. 952.
  83. Huetius, de Claris Interpretibus, pag. 185.
  84. Voyez la Biblioth. rabbinique du père Bartolocci, tom. I, pag. 13 et suiv.
  85. Possevinus, Biblioth. selectæ lib. XII cap. XVI, pag. 43, tom. II.
  86. Idem, ibid.
  87. Keckermannus, in Præcognitis logicis, Tract. II, cap. II, num. 32, pag. 103.
  88. Hotting., Bibl. theolog., lib. II, cap. III, pag. 272.
  89. Tiré d’un livre de Viris quibusdam illustribus apud Arabes, traduit en latin par Jean Léon l’Africain, et publié par Hottinger, Bibliotec. theolog., cap. III, pag. 272.
  90. Idem, ibid., pag. 269.
  91. Hottinger., Bibliotheca theolog., lib. II, cap. III, pag. 273, 274.
  92. Ci-dessus dans le texte de cet article, au passage du Journal des Savans, citation (d).
  93. Apud Hottinger., Biblioth. theolog., pag. 274, 275.
  94. Ibidem, pag. 279.
  95. Ibidem, pag. 276.
  96. Hottingerus, Biblioth. theolog., pag. 276 et seqq.
  97. Ibidem, pag. 279.
  98. Ibidem.
  99. Ibidem, pag. 278.
  100. Ibidem, pag. 275.
  101. Comparationem ejus vidi, fratrem scilicet ejus, ibid.
  102. Timeo te eam non cognovisse ob impetum tuum, ibid., pag. 276.
  103. Ibidem.
  104. Juvenis quidam es nobilibus civitatis, Ibidem, pag. 275.
  105. Thomas Bartholinus, de Medicis Poëtis, pag. 105, 106.
  106. Voyez Camerarius aux Méditations historiques, tom. I, liv. V, chap. VI, et tom. III, lib. II, chap. XV et XVI.
  107. Apud Hottinger., Biblioth. theolog., pag. 278.
  108. In juventute absolutus. Le traducteur a mis peut-être in au lieu de ab ; et ainsi, l’on pourrait traduire exempt de jeunesse.
  109. Hottingeri Biblioteca theolog., pag. 288.
  110. Prædictus emptor nihil respondens, sed manus crumenæ imponens decem aureos numeravit et persolvit, et librum accepit, et in pace recessit, ibidem, pag. 290.
  111. Ibid.
  112. Pic de la Mirande le fit : voyez la fin de la remarque (D) de l’article Adonis. Pétrarque eut envie de le faire. Voyez M. Baillet, Jugement sur les Poëtes, tom. III, pag. 24. Il se repentit d’avoir fait de ces poésies. Voyez la IIIe. du VIIIe. livre de ses Lettres familières, pag. 278.
  113. Voyez les remarques (H) et (M).
  114. C’est une faute d’impression.
  115. D’Herbelot, Biblioth. Orient., pag. 719, colon. 1.
  116. Voyez ci-dessus aux citations (5) et (9).
  117. Voyez le père Rapin, Comparaison de Platon et d’Aristote, pag. 403, 404. Voyez aussi M. d’Herbelot., Bibliothéq. orient., pag. 546.
  118. Rapin, Comparaison de Platon et d’Aristote, pag. 404.
  119. d’Herbelot, Biblioth. orient., pag. 337.
  120. Rigordus, in Vitâ Philippi Augusti, apud Launoium, de Variâ Aristot. Fortunâ, cap. I, pag. 6.
  121. Launoius, ibid., cap. III, pag. 24 et seqq.
  122. Cuspin., in Frideric. II, init., pag. 419.
  123. Hungeri Annot., in Cuspinianum, p. 150.
  124. Pag. 482.
  125. Peucer., in Chronic. Carionis, lib. V, pag. 684.
  126. Pag. 956.
  127. D’Herbelot, Biblioth. orient., pag. 337. col. 2.
  128. Là même, et pag. 303, colon. 1.
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